Ce billet fait partie d’une série de compte-rendus sur Apollo’s Angels, de Jennifer Homans.
Marie Taglioni, LA ballerine romantique
Marie Taglioni est issue d’une famille d’artistes itinérante. Sa mère est chanteuse, son père est danseur (danseur « grotteschi », dans une veine comique italienne, mais qui a aussi appris le style noble), et la famille sillonne les capitales européennes : Marie naît à Stockholm, trouve son style à Vienne et fait sensation à Paris.
Ce n’était pourtant pas gagné… Marie Taglioni n’est pas une beauté et elle n’a pas vraiment un physique de danseuse ; à vrai dire, elle a même de sérieux problèmes de dos et peine à se tenir droite. Mais elle a l’intelligence, avec son père, de construire sa technique non pas contre mais autour de ses défauts physiques, et de les inclure au style qu’elle développe : ce n’est pas un hasard si les arabesques romantiques se font avec le buste incliné vers l’avant… Intelligence et volonté de fer, car son entraînement, concocté et supervisé par son père, est particulièrement éprouvant : 6 heures d’exercices par jour, avec des positions qu’elle doit tenir en comptant jusqu’à 100. Ce travail acharné lui permet de compenser ses défauts physiques par une musculature peu commune – une musculature à la Vestris, qu’elle combine avec une élégance toute féminine. Sauts et pirouettes sont dans cette perspective laissés de côté : la danse doit paraître sans effort.
La virtuosité de Marie Taglioni réside ailleurs, dans son travail des pointes. À l’origine, la danse sur pointes est un « truc » acrobatique, un acte de bravoure populaire (rappelez-vous Kate Winslet dans Titanic, lors de la scène du bal en seconde classe…). Marie Taglioni raffine ce geste pour l’intégrer à sa danse, en s’aidant de chaussons à bouts renforcés. Ces pointes n’ont cependant pas grand-chose à voir avec celles que l’on connaît aujourd’hui : elles ne comportent ni plateau ni boîte, et la position qu’elles permettent d’atteindre se situe en réalité à mi-chemin entre la demi-pointe et la pointe actuelle. Ce qui au final est encore plus impressionnant, je vous le concède. Ouais. May the metatarses be with you.
Marie Taglioni travaille dans deux directions a priori opposées : la virtuosité d’une part et la simplicité d’autre part (adieu sourires et œillades de ballerine-courtisane)(parce que cela ne sied pas à une femme qui n’est pas jolie ?). Sa virtuosité toute italienne (et nouvelle pour le public) est tempérée par une retenue aristocratique des plus rassurantes. Sa danse fait date : on voit même en elle une « ballerine de la Restauration », à l’image des aspirations politiques contradictoires de l’époque. En somme, Marie Taglioni réussit là où Vestris a échoué : elle transcende la virtuosité. Le romantisme est entré dans la danse.
Impératifs économiques
Avec l’arrivée de Louis-Philippe sur le trône, sont prônées éthique de travail et prospérité économique. Louis Véron se voit confier la gestion de l’Opéra, avec pour mission de lui trouver une place dans l’économie. L’homme a un sens certain du marketing : il organise des dîners où il convie les danseurs, embauche une claque pour entraîner le public et ouvre le foyer de la danse aux connaisseurs… de gambettes, qui se font le plaisir de devenir « protecteurs » des danseuses.
Le ballet des nonnes, ambigu en diable
Robert le Diable (1831), opéra de Meyerbeer qui comprend un ballet en son sein, a été un grand succès du XIXe siècle avec plus 500 représentations au compteur. Dans les grandes lignes : Robert, fils du Diable et d’une mortelle, se laisse séduire par le démon et se retrouve, au troisième acte, attiré dans un couvent où une bacchanale de nonnes défuntes le conduit à sa perte (il est sauvé in extremis). Parce qu’il est faible et oscille entre le Bien et le Mal, Robert est tour à tour interprété comme symbolisant la France, le peuple français ou Louis-Philippe, qui ne sait sur quel pied danser, entre héritage monarchique et aspirations républicaines (à moins que ce ne soit l’inverse).
Taglioni y (dés)incarne la mère supérieure, qui dirige les nonnes-fantômes – lesquelles ont la particularité d’avoir brisé leurs vœux de leur vivant. La chorégraphie exploite à fond le fantasme de la nonne-prostituée, à travers des mouvements aux connotations sexuelles explicites qui mettent mal à l’aise Taglioni. La danseuse n’est pas franchement le type de la ballerine-courtisane, mais c’est précisément le fait qu’elle ait l’air « trop angélique pour être damnée » qui fait l’ambivalence de son personnage et le succès du ballet.
Robert le Diable par Degas
Dans ce rôle, la danseuse est à la fois une sainte et une force d’anarchie. Par cette dualité, elle touche les artistes romantiques et ouvre le ballet au monde de la littérature : Heine, Stendhal, Balzac, Gautier, Lamartine, Musset, Sand… Ces hommes (et femme) de lettres sont les premiers critiques informés, à considérer le ballet comme un art à part entière. Ils jouent un rôle essentiel dans la carrière de Taglioni, dont ils contribuent à créer le mythe.
La Sylphide ou le désir d’un idéal perdu
La Sylphide est un ballet écrit et conçu par Adolphe Nourrit (ténor qui tient le rôle principal dans Robert le Diable), inspiré d’une histoire fantastique de Charles Nodier (qui tient un salon littéraire influent), chorégraphié par Filippo Taglioni. Pitch express : James, villageois écossais, doit épouser Effie, mais il est hanté par la sylphide. Le dilemme n’est pas qu’entre une femme réelle et une femme idéale : James ne peut pas attraper la sylphide, et celle-ci mourra s’il en épouse une autre. James demande de l’aide à une sorcière, piteuse idée qui se solde par la mort de la sylphide1 et le mariage d’Effie avec un autre.
Cela vous paraît un peu niais ? Plantons le décor : Charles Nodier, amèrement déçu par la décadence de son temps, dépressif, se tourne vers le mysticisme et les arts occultes, tandis qu’Adolphe Nourrit finit par se suicider. Ambiance. À l’époque, La Sylphide n’est pas entourée de la douceur et de l’assurance avec lesquelles on la danse aujourd’hui. Le ballet est « un rappel poignant du désenchantement ressenti par la génération post-révolutionnaire » ; la fantaisie, une réaction à la mélancolie, un désir d’échapper au monde matériel où l’idéal spirituel est inatteignable et le désir érotique réprimé.
La sylphide n’est retenue par aucune convention sociale et c’est en cela qu’elle attire James, qui désespère d’y échapper. Contrairement à Effie qui représente la femme bourgeoise, la sylphide est libre – sa liberté est la condition même de son existence. Mais cette liberté est inatteignable pour James, à l’image de la sylphide qui meurt lorsqu’il l’attrape enfin. L’idéal est à l’horizon, jamais atteint. La sylphide est là et elle n’est pas là à la fois ; sa danse est construite sur un paradoxe : « a weighted weightlessness », « muscular spirituality ». L’illusion de la légèreté naît paradoxalement de ce que la danseuse est solidement ancrée dans le sol, ne cherchant pas à décoller, mais à glisser sur le sol, à la lisière entre le monde humain et le monde surnaturel.
L’idéal n’est pas éthéré ; il est incarné par la sylphide. Taglioni est à la fois un symbole religieux, un ange, une vierge… et une femme en chair et en os. Son costume de sylphide est typique des tenues de l’époque et, quelque part, avec ses bijoux, fait plus femme que danseuse. L’être angélique est aussi une créature sexuelle, qui rend des visites nocturnes. Dans ses écrits, Chateaubriand nomme sylphide cet être qui le hante, femme composée de toutes les femmes, qui le plonge dans des états de transes, de désirs et d’imagination exacerbés. Se retirant, elle le laisse hagard, dans l’angoisse de savoir qu’une telle créature ne viendra jamais transcender son existence. Quelque part, c’est son inexistence qui lui donne de l’emprise. L’érotisme de la sylphide vient de ce qu’elle est inaccessible, caractérisée par son indépendance et sa liberté.
Ces rêveries peuvent sembler extravagantes, mais il faut bien voir qu’elles s’inscrivent dans un mouvement de rejet des Lumières (« a counter-Enlightenment impulse »). De dépit, les romantiques se réfugient dans le surnaturel ; ils cherchent dans la magie un moyen de ré-enchanter un monde que la raison a privé de sa dimension spirituelle. La sylphide est un héritage d’anciennes superstitions ; elle appartient de plein droit au monde merveilleux (James, lui, emprunte à l’imaginaire écossais des romans de Scott – et c’est une tradition inventée…).
La sylphide n’est pas qu’un fantasme d’homme ; Marie Taglioni compte parmi ses plus grands fans des femmes ambitieuses, à la vie sociale très active. Elles se retrouvent dans sa sylphide, y voient l’expression de leurs propres aspirations – à des idéaux, à une passion dont elles ressentent le manque. Elles s’identifient d’autant mieux à Marie Taglioni qu’elle leur apparaît comme une bourgeoise idéale, une femme « décente » qui s’occupe de son intérieur, de ses enfants et mène une vie simple. Ironie : la vie privée de la danseuse est assez malheureuse, featuring un mari alcoolique et le décès d’un amant, père de son deuxième enfant. L’héroïne romantique connaît les souffrances de la femme passionnée…
Fanny Elssler, tropisme exotique
En 1837, Marie Taglioni quitte Paris pour des tournées internationales. L’Opéra engage sa rivale Fanny Elssler, qui incarne une autre facette du romantisme : l’obsession pour les cultures exotiques et les lieux lointains. Ses tubes incluent des danses gitanes, tarentelles italiennes, mazurkas hongroises et surtout le boléro espagnol (qui en l’état n’existe qu’à Paris, et surtout pas en Espagne). Tout comme Marie Taglioni, Fanny Elssler est une star internationale avec plein de produits dérivés à son effigie (genre Klimt à Vienne aujourd’hui).
Les ballerines qui succèdent cherchent à imiter Taglioni mais ne se démarquent pas. Taglioni reste un spécimen unique et laisse un souvenir fort: dotée d’une aura puissante, elle est parvenue à rendre avec justesse la tonalité émotionnelle de son époque.
Giselle
La Sylphide se situe aux débuts du romantisme (avec Chateaubriand) ; Giselle, à la fin (avec Gautier, qui hérite du désenchantement initial et annonce le spleen baudelairien). Pour Gautier, La Sylphide est la parfaite expression du désir poétique. Comme Chateaubriand, il est hanté par sa sylphide : Carlotta Grisi, danseuse dont il restera amoureux sans jamais être aimé en retour2, et pour qui il écrit l’argument du ballet Giselle (1841). La chorégraphie est réglée par Coralli et Jules Perrot, qui a étudié avec Vestris. Perrot est en outre le partenaire et l’amant de Carlotta Grisi (formée à la Scala).
Carlotta Grisi dans Giselle
Pitchons, pitchons : Giselle, villageoise, tombe amoureuse d’Albrecht. Lorsqu’elle découvre que l’homme qui lui a conté fleurette n’est pas le paysan qu’il prétend être mais un duc fiancé à la princesse Bathilde, Giselle devient folle et meurt. On la retrouve au second acte, dans une forêt peuplée de Wilis, fantômes de femmes qui veulent la perte des hommes : Hilarion (qui a dénoncé Albrecht par jalousie) succombe, mais Albrecht est défendu par Giselle (qui lui enjoint d’épouser Bathilde) et sauvé par l’arrivée du jour (les Wilis s’évanouissent à l’aube). On retrouve dans ce ballet des réminiscences de La Sylphide (pas similaires, effets spéciaux avec des machines pour faire voler les Wilis), de Robert le Diable, mais aussi de La Fille de l’air (1837) ou La Fille du Danube, ballet dans lequel dansait Taglioni.
Giselle est à la confluence de trois obsessions romantiques : la valse, la folie, un passé chrétien médiéval idéalisé (coup classique quand le présent n’est pas top). Lucia di Lammermoor de Donizetti (1835), Nina ou la Folle par amour, La Somnambule de Bellini (1831)… les folles courent les scènes. Dans l’imaginaire de l’époque, valse et folie sont assimilées à des maladies quasiment sexuelles, hormonales, aussi typiquement féminines que la lecture de romans. Les romantiques en donnent une vision plus positive : pour eux, cet excès émotionnel donne un accès privilégié à la poésie, la beauté, aux mystères désirables de l’imagination.
Le ballet romantique, expression poétique du mal du siècle
La Sylphide et Giselle constituent les premiers ballets modernes. S’ils nous semblent familiers, ce n’est pas seulement parce qu’ils sont encore dansés (dans des versions sensiblement différentes), mais parce qu’ils inventent le ballet tel qu’on le connaît aujourd’hui : non pas une affaire d’hommes, de dieux, de héros, de pouvoir et de manières aristocratiques, mais de femmes qui explorent et expriment les mondes intérieurs du rêve et de l’imaginaire3. La pantomime est toujours là (les versions actuelles en ont pas mal coupé), mais la narration n’est plus le principal enjeu. Plus que narratif, le ballet doit être expressif. L’essentiel est de saisir l’évanescent, d’exprimer les invisibles choses de l’esprit. Le paradigme littéraire du ballet n’est plus la tragédie, mais la poésie. Cette dimension poétique a permis à La Sylphide d’exprimer le mal du siècle : « un désir de s’élever à un état d’un autre monde, idéalisé » – sachant que le désir de cet idéal est en même temps le constat de sa perte (le désir étymologique : le regret d’une étoile perdue).
Épilogue
Le ballet romantique a des résonances encore aujourd’hui, mais à l’époque, il tourne rapidement court. La Révolution de 1848 y met fin : le ballet romantique est lié à l’expérience d’une génération et ne lui survit pas. La Sylphide quitte le répertoire en 1858, Giselle dix ans plus tard. En 1863, le costume d’Emma Livry, passée trop près d’un bec à gaz, prend feu et c’est ainsi que disparaît la dernière successeuse de Taglioni. On trouve un dernier reflet de cette période romantique dans les tableaux de Degas, qui rappelle l’idéal du ballet (souvent en arrière-plan, flou, derrières musiciens ou les spectateurs) tout en documentant « les illusions perdues et les dures réalités » des danseuses. En arts, le romantisme laisse place au réalisme : l’imaginaire est balayé par la science et le positivisme.
Onirisme des costumes et filles réduites à leurs jambes…
L’Opéra est réduit à un marché de filles et, sur scène, tout n’est que spectacle et virtuosité, dans l’esprit kitsch des aventures du Corsaire (1856 – pas la version que l’on connaît aujourd’hui). Le futur du ballet n’est plus à chercher en France, mais en Russie (où Petipa fait évoluer la chorégraphie quand il le juge nécessaire – il fait notamment redescendre les willis de leur treuils et étend l’acte II de Giselle) et au Danemark (où Bournonville remonte en 1836 sa propre version de La Sylphide, base d’une tradition spécifiquement danoise).
1 Apparemment, où moment où la sylphide perd ses ailes, la musique fait écho à l’air « J’ai perdu mon Eurydice » de Gluck.
2 Gautier finit par épouser la sœur de Carlotta Grisi (cela me laisse fort perplexe ; je trouve ça affreusement triste pour la sœur).
3 Les hommes sont hors scène ou réduits au rôle de porteurs.
Merci, passionnant encore, on en redemande ! Les grosses entrées sont toujours les moins commentées (elles sont plus intimidantes), mais crois-bien qu’il y a du lectorat qui te lit avec avidité.
On peut ajouter à ton résumé de Robert que le personnage éponyme est le fils de ce démon qui tente de le séduire (et qui n’est pas le Diable, puisqu’il répond à d’autres démons plus puissants), ce qui ajoute grandement à la légitimité de son dileme – il doit au bout du compte choisir non seulement entre le Ciel et l’Enfer, mais entre sa mère morte et son père damné.
Je me suis toujours demandé pourquoi Robert le Diable n’avait pas causé un scandale incommensurable à sa création, sans doute à cause de la mauvaise représentation que je me fais de la spiritualité de la bourgeoisie française à cette époque, que je me figure un peu plus rigide – parce que franchement, aujourd’hui encore, Castellucci nous ferait une nonne lubrique qui va culbuter un fils de démon sur le tombeau d’une sainte en le fessant avec des reliques, on aurait des associations cultuelles qui feraient l’assaut du théâtre…
Il y avait manifestement une absence de corrélation forte entre le théâtre et sa prise au sérieux, mais à ce point…
Ce que tu dis des spécificités de la Taglioni est très éclairant, à ce titre, sur la fascination qui a entouré l’acte III, au delà du livret et de la musique, tous les commentateurs relevant la force du ballet et la singularité de la Taglioni.
Quelques jours loin du monde, et à mon retour je vois que vous avez remarquablement travaillé! J’ai plein de résumés lumineux à lire, formidable….
Je me souviens d’un délicieux spectacle à l’amphi Bastille (lieu qui permet une belle proximité) , il y a 3 ou 4 ans de cela, Jacques Bonnaffé lisant des textes épatants et souvent hilarants de Théophile Gautier, Françoise Massé chantant à merveille la main posée sur un piano, Mathieu Ganio et CM Osta dansant, tout près tout près que c’en était magique, un extrait de Giselle…. J’ignorais que Gautier avait épousé de guerre lasse la soeur de Carlotta, mais fut-ce pour autant si triste? Peut-être le grisa-t-elle tout autant…. Il vous faudrait écrire un roman là-dessus!
Agnès
J’amène un groupe d’étudiants voir Giselle le 14 juin: me permettez-vous, pour leur présenter le ballet par un petit topo écrit, de reprendre vos paragraphes sur Giselle et le ballet romantique (et donc de citer votre blog si vous n’y voyez pas d’inconvénient)?
Bon week end,
Agnès
David >> Je sais que j’ai au moins un lecteur à qui cela ne paraît pas trop long – peut-être même court au vu de certaines notules fort détaillées. :p
Blague à part, ces lectures comparées, par le prisme du ballet versus de la musique, sont fort intéressantes… En l’occurrence, cela se complète plutôt bien : l’opposition entre le ballet diabolique et les démonstrations de piété qui l’entourent ne ressortait pas clairement, alors qu’elle se trouve parfaitement incarnée par la Taglioni…
Ces chassés-croisés évitent aussi de se replier sur son domaine de prédilection. J’ai toujours un instant de surprise et de tsss tssss quand on me parle du « Lac des cygnes de Tchaïkovsky » en sortant du ballet de Noureev (ou autre chorégraphe, qui passe souvent à la trappe)…
Agnès >> Oui, oui, pas de soucis ! J’en serais ravie, au contraire !
(Ce que vous me racontez me donne envie de reprendre le bouquin que j’avais trouvé sur Théophile Gautier et la danse, édité par la société des amis de l’auteur. Je me suis arrêtée en cours de route, non sans avoir découvert que la couleur des costumes romantiques n’était pas le blanc, comme on le voit aujourd’hui, mais le bleu pâle… voire vert d’eau !)
« J’ai toujours un instant de surprise et de tsss tssss quand on me parle du « Lac des cygnes de Tchaïkovsky » en sortant du ballet de Noureev (ou autre chorégraphe, qui passe souvent à la trappe)… »
C’est l’inverse pour les mélomanes-d’abord, toujours vaguement scandalisés lorsqu’on cite un ballet par le nom de chorégraphe (la norme chez les balletomanes, j’ai effectivement reçu des haussements de sourcil expressifs en parlant de Miss Julie de Rangström ou de Piège de lumière de Damase)… En ce qui me concerne, c’est logique, c’est la musique qui me fait déplacer au ballet (donc Hérold, Mendelssohn, Rangström, Damase, M. Gould… mais aussi de grands arrangeurs comme Lanchberry ou Asafiev) ; la chorégraphie ne vient qu’en second plan, et mes goûts y sont, là aussi, plutôt exotiques.
(Justement, pour la Belle au bois, je n’ai rien contre Petipa, mais Petipa-Noureïev-Bastille ne m’a vraiment, vraiment pas convaincu. Et la coupure de l’apothéose, qui a décidé ça ?)
Exotiques ? Je serais curieuse de connaître tes goûts en matière de danse…
Quand je dis exotiques, c’est que ma priorité va à l’expression (d’où mon intérêt appuyé pour Tamara Rojo), et je suis donc plus sensible aux choses simples et directes ; de même qu’à l’opéra, je suis toujours plus ému par les récitatifs que par les airs, au ballet je suis plus intéressé par les pas d’action ou de liaison que par les grandes variations.
Donc, outre Noverre (qui est évidemment une forme d’absolu pour moi : pas de fanfreluches, presque de la tragédie-pantomime), j’ai tendance à aimer les chorégraphes qui s’intéressent au drame avant même d’agiter les gambettes. La veine humoristique de la Fille mal gardée d’Ashton touche vraiment une fibre particulière chez moi, ou, pire encore, l’intrigue-Disney des Plamia Parizha de Vainonen, voilà qui me convainc bien plus que les grands ballets de bravoure du répertoire.
D’une manière générale, ça pourrait se résumer (comme en musique d’ailleurs) au fait que plus c’est virtuose, moins ça m’intéresse.
Et j’ai l’impression que, dans le domaine du ballet (comme dans les autres domaines, au demeurant), ce n’est pas la position majoritaire. J’assume donc discrètement mes tropismes honteux en me contentant d’aller voir ce qui m’intéresse, et en essayant le reste pour mon éducation.
Confession tu requis, confession tu eus.
Je t’absous (je serais tout aussi pécheresse, en réalité, si mon entraînement de danseuse amatrice ne me plongeait pas sur ce point dans une agréable schizophrénie – je préfère la danse sensible et sensée, mais j’aime aussi la virtuosité).