Revue de blogs #11

Je n’aime pas l’été, c’est la mort de tout, par cuisson, alors que le printemps est un pétillement de vie.

Bonne humeur : Nom féminin. Synonyme : Colline,
Un peu chaque jour

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love, is simply being able to be utterly ourselves with each other, and that same love incubates a space for the other to become. as i become more of my self, the more i understand how much of her love plays a part in my becoming, the deeper my love for her goes. i would be so much less of a person without her, because she sees and knows who i am, before i can recognise it in myself.

Winnie Lim, 107 months together

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[…] sometimes knowing a situation is entirely irredeemable gives us permission to stop struggling

[…] people in general will take every opportunity to dismiss our suffering from a chronic illness – because it is always about their uncomfortable feelings, not ours.

I feel less and less disappointed with people, because the more I accept where I am, the more I understand where they are. I don’t expect much out of people anymore. Maybe people would see that has a positive evolution, but for me it is in tangent with the reality that expectations only develop when there is enough care.

Being aware of the richness that exists in these moments and awareness, knowing that a ton of things have to be in place before they can exist – this is what happiness looks like to me at age 44. Happiness is being capable of noticing the potential and richness of our own lives, […] it is being able to discern what is actually noise and extraneous.

Winnie Lim, 44

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Enfantillages ? Absolument, mais dans le bon sens du terme.

Anne Savelli, L’enfant en soi

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Et cette peur que ça brûle revient, augmentée du désir d’incendier tout soi-même.

Extrait de Décor Lafayette d’Anne Savelli
(j’ai envie de le lire maintenant, mais il n’est pas à la médiathèque)

J’étais consciencieuse (j’aurais pu l’être moins) tout en ne mettant aucune implication émotionnelle sérieuse dans ce que je faisais […] je me rendais compte que cela me faisait du bien, de ne ressentir aucun enjeu.

L’implication émotionnelle est réservée à l’écriture […].

L’implication émotionnelle, je ne peux pas y couper non plus quand j’anime des ateliers. Dans ces moments-là, je suis tout entière présente, raison pour laquelle je n’ai jamais voulu exercer ce métier à plein temps. J’ai fait de drôles de choix, de ceux qui sont aujourd’hui valorisés dans les discours de développement personnel (trouver ce pour quoi on est fait, se centrer, aller vers son désir), mais plus difficilement par la société (euphémisme).

Anne Savelli, L’implication émotionnelle

L’implication émotionnelle, voilà un critère important pour un choix de métier — encore que le curseur soit difficile à régler, j’ai toujours un peu envie de repartir en sens inverse. Trop d’investissement crame toutes nos ressources, mais trop peu les éteint à peu près aussi sûrement, j’en ai fait l’expérience en CDI dans un job que je pourrais pourtant exercer à nouveau si je le savais borné à quelques mois — comme un divertissement professionnel qui offrirait un répit à petite dose, mais redeviendrait mortellement ennuyeux sur le long terme.

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Sacrip’Anne rectifie l’expression : dans les cadeaux, ce n’est pas l’intention, mais l’attention qui compte.

Et ce n’est pas si courant, dans la vie, d’avoir justement l’idée de quelque chose qui plairait à l’autre. Il y a toujours une sorte de pari — des paris, même : celui de louper le coche, de ne pas avoir réussi à transmettre… l’intention.

[…] J’adore quand surgit l’idée d’un cadeau pour quelqu’un. J’ai autant de joie à préparer mon méfait que, j’espère, la personne à qui il est destiné en aura à le recevoir.

Tout pareil, je n’aime pas « les cadeaux-obligations », pour lesquels je manque souvent d’idées. Quand j’en ai trouvé une que j’estime bonne en revanche, je jubile, contente de mon coup (surtout si le destinataire ne s’y attend pas).

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Le mois d’avril au cours des années est étrangement devenu un mois rempli de bons et mauvais souvenirs. Quel étrange phénomène que celui des événements qui s’accumulent ici plutôt que là par le hasard du vent ou de la géographie du cours de l’existence.

Choses du calendrier, Les Carnets Web de La Grange

J’ai un ami qui prends des photos de ses réalisations culinaires tout au long de l’année. À la fin de chaque année, il en fait un livre qu’il nous envoie. Ses livres/journaux/photographies font partie des livres de poésies les plus beaux sur mes étagères.

Peut-être qu’il faudrait retrouver ce sens de l’adresse. Créer consciemment de petites choses pour un petit nombre — qui n’en serait plus un nombre (ni les choses petites).

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J’aimerais ne vivre que là, dans cette mélancolie d’enfant de primaire, à bricoler, et perdre à l’occasion cette empreinte terrible de l’âge adulte, la crainte des aiguilles qui tournent. Je vis, et chaque matin pourtant je goûte le jour comme s’il était déjà parti. […] Je me demande comment m’extraire de cette mécanique, celle où je note inconsciemment que bientôt, le temps libre ne sera plus.

Je n’ai rien fait cette semaine. Vécu pourtant, mais qu’en dire ?

Soleil & mots, Tant qu’il nous reste des dimanches

Recopié à J-4 de la reprise.

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Je n’ai pas assez de temps seulement dans ma journée, pour tout découvrir, lire, tester, me lancer, vivre.

Toutes ces petites choses qui, journal d’avril de Dame Ambre

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Le bruit dehors et en dedans un silence caressant. Rien n’existe que la lumière qui se faufile.

Des dentelles de douceur, Accrocher la lumière

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Toujours beaucoup de plaisir à suivre le récap des « trucs créatifs » de Lawrence sur Deadly Breakfast, notamment ses linogravures.

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The thing with getting used to a place is that you stop seeing beauty everywhere. I love travelling because the stark contrast between the foreign place and my home country makes me drunk in the pleasure of constant marvel.
[…] I have expanded my awareness of beauty.

This is why I like making art, taking photos and even writing. They are basically impressions of my different selves. Behind these things lie an interior world that would only exist in that moment, and to browse these things again it is like time travelling back into those selves […]

Winnie Lim, Taipei after 7 years
(allez voir ses photos)

Un voyage dans le temps des soi successifs <3 On pourrait aussi définir le blog comme ça.

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De même, je me réfugie souvent dans une longue marche, dans un univers hors-de-portée du « eux. » Je m’extrais de ce « nous » qui ne sait plus être « nous » mais juste des micro-condensations de « nous » entourées de nombreux « eux. »

Orthodoxie, Les carnets Web de La Grange

Revue de blogs #10

In the world of self-something, I know a lot about self-doubts, self-judgement, self-pity at times, self-talk.
Nothing to do with confidence at all.

Self-confidence, Accrocher la lumière

Confidence is not the belief in self, confidence is the willingness to try. — Mel Robbins

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[écrire sur son blog] Ça permet de boucler des évènements ou de les remettre en perspective.

Week-end à Nîmes, Un peu chaque jour

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Et comme les images du monde flottant (Ukiyo-e) étaient l’expression d’une modernité contemporaine de la période d’Edo, n’oublions pas notre propre modernité.

Fleurir le souvenir, Carnets Web de La Grange

Souvent cette tentation de gommer tout ce qui ancre dans le présent — un présent qui nous semble trop prosaïque pour être un jour daté et susciter une quelconque forme de nostalgie ou de beauté. On voudrait directement l’atemporel, l’éternité.

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Je ne coupe pas par souci de pureté, mais par instinct, ce qui est peut-être l’autre nom du hasard, hasard choisi.

block note — objectif, Tentatives

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Ça fait comme un curieux vide ; il ne s’agit plus d’être l’unique coupable sur laquelle ma Bavarde peut s’acharner en me disant que j’ai bien mérité mon sort. Si ça n’est pas de ma faute, alors c’est juste dur ? […] Curieusement, ne pas avoir de coupable à blâmer ne fait pas toujours du bien.

Faire taire la bavarde chez Sacrip’Anne

Se blâmer pour conserver l’illusion rassurante qu’on a encore prise sur les choses.

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Les (nombreuses) citations qui suivent sont extraites de la newsletter La moins bonne version de moi-mêmeThis is 35.

J’ai complètement revu mon rapport au travail, je ne veux plus du métier passion qui dévore et détruit […]. Je ne vis pas pour mon travail, je le fais bien mais sans plus, et je profite de mon temps libre pour écrire pour moi.

Combien de temps avant que le travail alimentaire ne nourrisse plus l’intellect ? C’est un curseur bien difficile à ajuster.


J’aimerais être amoureuse, mais je ne veux plus du couple conventionnel. J’aimerais ne pas avoir besoin d’amour, arriver à coucher sans m’attacher, ne pas avoir besoin de marques d’attention des personnes avec qui je relationne, mais je n’y parviens pas. Alors pour l’instant, je préfère faire sans.

La gueule de bois affective au petit matin après une relation d’un soir… j’ai découvert ça pendant ma brève période Tinder, je n’aurais pas pu continuer longtemps.

Quant au couple conventionnel, je ne l’ai jamais connu jusqu’à la vie commune et n’y aspire pas spécialement (le rapprochement géographique, si, en revanche).


J’aimerais surtout vous dire que je suis heureuse et que je ne comprends pas exactement pourquoi. Je ne sais pas à quoi c’est dû, puisque rien n’a vraiment changé. Et comme je ne sais pas comment c’est arrivé, j’ai peur que ça s’arrête à tout moment.

L’autrice de cette newsletter raconte avoir connu des épisodes dépressifs, alors je suis tentée par une réponse très terre-à-terre : la chimie du cerveau.


Elle m’a raconté qu’elle n’était pas contre l’amour, le couple et les enfants, mais qu’elle avait arrêté de les attendre et de les chercher. Que si ça lui tombait dessus elle serait super heureuse, mais que si ça n’arrivait pas, elle serait super heureuse aussi. Elle avait l’air sincèrement alignée avec elle-même et épanouie, et je me suis dit que je voulais être comme elle, que je voulais son secret. Sur le papier, j’étais en phase avec ce qu’elle disait, mais je n’arrivais pas à le ressentir VRAIMENT, à être heureuse seule.

Au plus fort de ma dépression, j’étais obsédée par la question du sens de la vie. […] Les petits plaisirs (manger une glace, avoir un fou-rire, voir le soleil se lever), ça me semblait dérisoire. J’avais l’impression que les gens étaient dans le déni du vide de l’existence, qu’ils le comblaient avec des choses superficielles.

Et puis ça m’est tombé dessus, pour de vrai. Moi aussi je suis devenue heureuse, alors que rien de fondamental n’a changé dans ma vie.

Pourtant, je ne peux pas m’empêcher de penser parfois que c’est moi qui suis dans le déni. […] Qu’au fond je suis triste d’être seule et que je me persuade d’être heureuse pour supporter ma condition.
Quand j’en ai parlé à ma psy, elle m’a demandé pourquoi ce serait grave que je sois dans le déni ?


Il est anarchiste et polyamoureux, très soucieux de sa liberté. Quand il s’est rendu compte de ce qu’il éprouvait pour D., il a dit « je suis amoureux, je suis dans la merde ».

Tiens, tiens, y’avait pas amoureux dans polyamoureux ?


même si j’ai l’endurance d’un Tamagotchi en fin de vie et le cardio d’un paresseux, je me suis dit que j’avais envie de me mettre aux claquettes


Une reconnaissance violente. Métaphysique. L’éclat de l’iconographie byzantine. Je ne veux pas le rencontrer ; je veux l’avoir connu durant des années et des années.

– Ton/Nom, Esther Yi (Je ne sais toujours pas trop comment gérer les citations dans les citations)

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Scrollez lentement :

Le format fait un effet incroyable (il me semble que Karl affectionne les panoramiques à la verticale). Cela rend l’émerveillement devant la profusion florale sans que l’on se dise devant la photo, oui, bon, des fleurs.

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L’émerveillement de Karl devant les mille petites pièces de vieux magasins d’électronique me rappelle le mien, enfant, devant des casiers similaires remplis de perles, boutons et fermoirs…  Travaux manuels ou circuits imprimés avec diode, même rêve de choses à assembler, à bricoler.

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Les débuts du Covid, c’était il y a 5 ans. Pour l’occasion, Marie Le Conte republie un essai écrit durant le confinement. J’ai été troublée de constater que certaines choses qui me paraissaient propres à cet épisode résonnent bien au-delà, comme si le confinement avait été un miroir grossissant de certains traits de notre époque (ou de notre psyché ?).

[…] I am living through this like an artist is preparing for an exhibition.

On a maintenu le lien en se mettant en scène les uns pour les autres. Est-ce qu’on ne le faisait pas déjà ; est-ce qu’on n’a pas continué à le faire, sur Instagram et ailleurs ?


Everything doesn’t happen for a reason, but if you don’t construct a reason for everything that has happened to you, I’m not sure how you keep on living.

Ce besoin de faire sens toujours, quitte à le construire, l’inventer.


[…] ensuring that I can look back on those months and feel safe in the knowledge that I did not waste them.

Cette angoisse de ne pas gâcher son temps, je m’y retrouve tant. Et pas seulement pour le confinement.


Resting is only worth it when you know what you’re resting for […]


I worry about turning myself into a spectacle, about ripping my ribs open when no-one asked me to. In darker moments I see it as desperate attempts to foster immediate intimacy, from someone who isn’t very good at forming relationships.
I have no idea if that’s the case; if I’m being kinder to myself, I simply see it as a habit that I have, because I have always had it, because I am of the generation that grew up pouring its secrets into screens, and right now screens are all we have.
There is something to be written about the internet once being where we went to escape from our real lives, and presently being the one place we go to in order to try and cling on to those real lives.

Cette conclusion me semble articuler de manière beaucoup plus claire la distinction que je tente souvent de faire entre intime et privé : au début du web et des weblogs, on « déversait nos secrets dans les écrans » — ce n’étaient pas nécessairement des choses à cacher, plutôt des bouts d’intimité qu’on ne savait pas comment partager dans la vraie vie, où l’on demande plus volontiers si on a des frères et sœurs (enfant) ou ce qu’on fait dans la vie (adulte) qu’on ne nous interroge sur nos doutes ou notre rapport à la mort (big up à Eli, je ne retrouve plus le billet en question). Sur des forums, sur des blogs ou des pages personnelles, sous pseudonyme, on écrivait des tartines, des bouteilles à la mer pour un partage hypothétique, lointain.

Avec Facebook, Instagram et compagnie, tout s’est peu à peu inversé : on se connecte d’abord avec les gens qu’on connait IRL ; le partage est proche, similaire à celui de la « vraie vie » et le privé a pris le pas sur l’intime, de nouveau plus compliqué à partager (sans compter que les données privées se vendent bien mieux aux annonceurs ; nos états d’âme présentent moins d’intérêt pour Meta que de savoir où on habite et à quelle fréquence on va au restaurant). Le pseudonymat, avatar d’une identité réinventée, est devenu un anonymat suspect : que peut-on avoir à cacher ? pourquoi cette rétention de données ? Aujourd’hui, même si on commence à vouloir faire machine arrière, on se géolocalise à tout va, on donne mille détails qui croisés permettent de nous identifier, alors qu’on prenait soin d’effacer les indices quand on entrouvrait nos entrailles.

On a migré de nos arrières-boutiques secrètes pour les vitrines. L’ailleurs un peu utopique qu’était le web est devenu une réplique de la vraie vie, professionnelle, marchande, normée, un nouvel ici qui donne à nouveau envie d’aller voir ailleurs si la vraie vie ne s’y serait pas réfugiée.

Je continue et le blog à l’ancienne et les réseaux sociaux, et c’est probablement la juxtaposition des deux qui me met mal à l’aise, qu’il soit possible de recouper le privé et l’intime. L’intime se partage bien, c’est la dimension la plus enfouie et la plus commune ; couplé au privé pourtant, il en devient obscène. On peut dire les caresses et l’extase amoureuse si on ignore l’identité du partenaire, de même qu’on peut connaître l’identité du partenaire si on ne dit rien de ce qui se joue entre les corps ; les deux ensemble mettent mal à l’aise. J’essaye de cloisonner autant que je le peux, autant que j’y pense — mal.  À défaut de pouvoir éviter les recoupements, je conserve une distinction symbolique : au journal du blog l’intime (les ressentis, les émotions, les doutes, le flou), aux réseaux sociaux les détails privés (les stories de voyage en temps réel ou presque, les annonces de stage de danse…), avec des comptes distincts pour ceux qui sont couplés à mon identité bloguesque (où j’évite de poster des images de moi reconnaissables) et ceux qui sont couplés à mon identité nominative (LinkedIn, compte Insta danse…).

happy birthday to youuu COVID-19, Young Vulgarian

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Au-delà de l’amusement à voir ce qu’il y a dans l’assiette d’un auteur qui n’est pas du genre à partager sa morning routine, je souscris à la quête d’énergie de Thierry Crouzet via son régime alimentaire

 J’en suis arrivé à ce régime pas à pas, avec les années, en même temps que mon corps se transformait et pour répondre à ses transformations. Dès que je déroge au régime, je me sens moins vif, moins alerte.

Ça recoupe d’ailleurs ce que disait Sylvie Guillem en interview : abandonner une alimentation carnée lui avait donné plus de stamina à l’âge où l’énergie est censée baisser. (En revanche, vous pouvez m’exclure du jeûne intermittent, je mords si je n’ai pas mangé depuis plus de quatre/cinq heures.

Pour ma part, le sport est le meilleur moyen de me garder affûté intellectuellement, le sport à ce moment de ma vie m’est plus important que la lecture.


Je désinstalle de mon mobile les applications Facebook, Messenger, LinkedIn, BleuSky, Instagram. J’avoue que le geste n’a pas été si facile. Des années de réflexes pavloviens à défaire. C’est à ce moment précis que je découvre que je suis sous emprise. J’ai physiquement mal.

Je suis sur Mastodon, mais le fil est moins nourri, même si sa qualité est supérieure. Ce n’est pas si simple de quitter.


La chambre ne devient lieu de créativité que quand j’y suis seul, et c’était déjà vrai dans ma jeunesse. […] Je pourrais presque écrire un petit éloge de la chambre à part.

Please do.


Le récit de la poursuite d’une œuvre est peut-être plus important que l’œuvre.

L’œuvre peut passer de mode, mais sa quête reste, parce qu’elle est celle de la vie […]

La quête me fascine parfois davantage que l’œuvre… s’il y a une œuvre qui la précède.


La souffrance regardée avec impuissance me traverse jusqu’à devenir souffrance en moi.

Écho à ma lecture de Samah Karaki.

Journal de mars de Thierry Crouzet

Shunbun (L’équinoxe de printemps)

Les moineaux font leurs nids

Jeudi 20 mars

Le rhume ne donnant généralement pas de ganglions, j’annule ma journée et donne les cours du soir masquée. Pour m’économiser durant la barre à terre, je marque certains exercices debout avec les bras ; il ne me manque plus qu’un casque sur les oreilles et un bâton de circulation dans la main pour que les jambes décollent de leur piste en mousse.

La directrice m’a prévenue de l’arrivée d’un nouvel élève, un homme trans, est-ce que ça me pose problème, le seul problème que ça me pose c’est retrouver si homme est le genre de départ ou d’arrivée, ce n’est pas de la mauvaise volonté de ma part, je dois toujours signer les quatre points cardinaux nord sud est ouest pour retrouver l’ouest et l’est (je sais, je sais, la conquête de l’ouest, à l’est rien de nouveau, mais le nombre de fois où je cross-over à l’ouest rien de nouveau…). Au final, il n’y aucun homme qui n’en était pas un à la naissance, ni aucune femme qui n’en n’était pas une à la naissance : il n’y a aucun nouvel élève. Craignant qu’il n’ait pas osé entrer ou se soit trompé de studio, j’abandonne mes débutantes en plein pliés pour le chercher parmi les danseurs-danseuses qui attendent dans l’entrée, mais personne ne se sent concerné, surtout pas la danseuse aux traits masculins sur le visage de laquelle mon regard s’attarde malgré moi. Si nouvel élève il y a avait, il s’agissait plus probablement d’une femme trans et, surtout, d’un niveau avancé, pas du tout débutant.

Et aussi : cuisiner du riz sauté poivron, courgette et noix de cajou / recommencer à se faire balader sévère par Agota Kristof / recopier des extraits pour ne pas dire des pages entières du Dernier Amour d’Attila Kiss / le forsythia à nouveau en fleurs (feuilles ?) jaunes / sursauter et partager un sourire masqué avec ma voisine quand le métro annonce gare Lille Flandres à Europe 

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Vendredi 21 mars

Je m’attèle mieux aux petites choses si je les ai d’abord listées sur un papier avec un carré vide devant.

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Samedi 22 mars

À la fin de la barre, je félicite les élèves, elles ont bien travaillé. L’une s’en étonne ; ça a un peu bavardé, c’est vrai, mais corporellement, ça se structure.

Avec les grands, je teste la transposition d’une phrase de Forsythe (ralentie) sur une chanson de Rihanna (qui n’est ni le James Blake original, ni la Beyoncé que plébiscitaient certaines élèves). (Crazy Love me plaisait bien aussi, mais je ne saurais pas trop quoi faire des passages rapés ; il faut que j’arrête de demander des suggestions aux élèves tant que je ne suis pas capable d’en tenir compte.) L’apprentissage est bien plus rapide que mon déchiffrage de la veille, où à coups de ralentis, replays et miroir, il m’a fallu trente minutes pour incorporer vingt secondes.


J’ai fini La Preuve, la déroule par neuf au boyfriend en visio.


La fatigue ressurgit, repart n’importe quand : un argument en défaveur du rhume et en faveur du Covid.

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Dimanche 23 mars

[rêve] regarde, nous sommes en surplomb du salon cathédrale de mon arrière-grand-mère, derrière une vitre comme dans un studio d’enregistrement, regarde me dit mon père, il m’avait dit, je vois : les touches les pédales du piano s’enfoncent toutes seules, les pages d’un calendrier floral tournent toutes seules à toute vitesse, un fantôme, mais ce n’est pas tout, je hurle, tout bouge, la guitare suspendue au lieu du balancier bouge comme bougeaient les images lenticulaires dans les boîtes de céréales, et les fils des tapis de la moquette comme un champ de blé sous le vent, la réalité se pixelise et chaque pixel ouvre une fenêtre sur une époque différente, le salon est une mosaïque de photos minuscules que sait-on de ce qu’elles contiennent, la réalité se défait je hurle, de plus en plus de pixels vert fades, des aires entières effacent la maison en terrain de sport, la réalité ne tient pas / après c’est la tranquillité et le cauchemar, ma cousine embrasse une fille et se lance dans un rituel de prière avec un col marin ça doit la canaliser, une prof de danse est en retard dans le train, un sexe se gonfle sur un être inanimé, j’essaye de m’échapper, si j’emprunte l’escalier qui monte derrière ce réduit je pourrai peut-être regagner la réalité d’avant mais je ne passe pas par l’ouverture réduite, mon sacrum coince je force je dois et c’est la douleur de la pression sur l’os qui me réveille


Mon achat de poêle en inox : 50 % pour éviter un revêtement anti-adhésif polluant à produire et toxique lorsqu’il se dégrade, 50 % pour voir l’eau rouler sous forme de billes (ok, c’est peut-être plus 30 % vs 70 %).
Première poêlée de légumes : au top, trop contente de mon achat (ça accroche un chouilla quand j’ajoute le riz, mais le tout se lave facilement).
Seconde utilisation, confiante : des guyozas. Et là, c’est le drame. Comment diable cuit-on un truc avec de l’amidon dans une poêle en inox ?

Premier palak paneer maison. Ni vraiment palak ni vraiment paneer, puisque les feuilles de moutarde ajoutées aux épinards transforment le plat en saag paneer, et que ne m’étant pas encore lancée dans la fabrication maison du paneer, j’ai utilisé des vache-qui-rit (j’ai ri intérieurement à chaque fois que j’ai relu cette étape de la recette : « Pendant ce temps, éplucher les Vache Qui Rit »). Saag vache-qui-rit, donc.


Millième idée qui me trotte en tête et que je ne mettrai probablement pas à exécution : créer une newsletter dédiée à la danse sur Substack. Je suis toujours partagée entre l’envie de donner de l’ampleur et de la visibilité à mes réflexions para-professionnelles (me vendre ?) et celle de rester discrète pour formuler mes doutes sans qu’on me tombe dessus.

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Lundi 24 mars

Faire ou non une formation de yoga intensive au mois de juillet ? J’ai projeté cela toute l’année sans trop me renseigner, puis j’ai cru le projet enterré quand j’ai étudié les dates (elles incluent systématiquement des week-ends, où je donne cours) et voilà qu’on me trouve en DM Insta une formation qui collerait, à Lyon. Je ne sais plus. Mon incapacité à décider entrouvre la porte à l’anxiété.


Le saule pleureur s’étoffe de jour en jour.
Sakura à Lambersart.


Sur le trajet, je croise je crois une élève de l’an passé. Je cherche encore son prénom qu’elle m’a déjà reconnue et adressé une parole que je n’ai pas entendue. Me trouvant manifestement bien gourde dans l’interaction, elle prend les devants, me demande des nouvelles, ta blessure au dos va mieux ? déclare que l’on peut se tutoyer quand c’est elle que sa jeunesse et son statut d’élève mettraient du côté du vouvoiement, et m’explique qu’elle avait arrêté la danse en septembre parce que ça faisait trop mais qu’elle a repris en janvier parce que ça lui manquait trop. Douze heures d’activités extrascolaires à douze ans, c’est effectivement beaucoup. Il ne peut pas n’y avoir que de la danse dans l’affaire. Elle fait de la musique, aussi ? Elle répète que, oui, elle est au conservatoire, comme si j’étais tout de même un peu simplette, à oublier qu’à Roubaix l’école du ballet du Nord fait office de département danse du conservatoire, laquelle dénomination se trouve de facto réservée à la musique. Aucune impatience dans la voix néanmoins. Son aplomb m’a épatée, sa beauté aussi. Nous nous sommes quittées au métro, qu’elle prenait en sens inverse.


Je suis sur Instagram une personne qui prenait des cours avec le même prof que moi à Paris. Elle donne elle-même des cours de danse et de stretching sans être diplômée, insistant à longueur de vidéo sur le placement, très important, le placement, et je suis toujours ébahie par la dimension performative de ce précepte qui ne se retrouve ni dans son corps à elle, ni dans celui de ses élèves. Durant toute ma formation, je me suis lâchement servie de ses stories pour contrer mon syndrome de l’imposteur : si elle donne des cours, je peux bien y prétendre, je ne peux pas faire pire. Tout en bitchant régulièrement pour me rassurer, pourtant, j’ai développé une forme d’admiration sincère pour elle : certes, son travail en studio me laisse perplexe quand il ne m’horrifie pas purement et simplement (j’ai parfois mal pour les lombaires des élèves), mais elle s’est incroyablement bien débrouillée pour faire son affaire, au point d’avoir un élève qui vienne de Suisse tous les samedis pour prendre des cours particuliers avec elle (alors qu’il existe au bas mot une cinquantaine de professeurs meilleurs qu’elle sur le trajet). Elle a fait avec ce qu’elle avait et qu’elle n’avait pas, tournant d’éventuels handicaps à son avantage. Je la soupçonne même de ne pas gommer son accent autant qu’elle le pourrait pour jouer sur l’image et le prestige de la prof russe dure et efficace. J’admire son travail — moins de professeure que de femme d’affaires, certes, mais j’admire réellement ce travail, car c’en est un, qui exige des compétences que je n’ai pas développées.

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Les fleurs de cerisier commencent à éclore

Mardi 25 mars

L’ordonnance pour une IRM en poche(tte rouge à la main), je troque le métro pour un bus que je ne prends jamais. J’ai le temps, il y a du soleil. Je ne suis pas déçue du voyage : ce trajet est une caricature condescendante du Nord ; tous les passagers semblent accablés de misère ou de stupidité. Un groupe de collégiens achève de zapper toute espérance. Cela me fait remonter des souvenirs de The We and the I : un gamin salue bonhomme une dame de sa connaissance ; l’instant d’après il a disparu dans le groupe. Ça se bat sans qu’il soit possible de distinguer s’il s’agit d’un jeu ou d’une agression : le môme en mauvaise posture sourit — parce que cette chamaillerie musclée le fait marrer ou pour ne pas perdre la farce, pour faire croire que la chose est consentie et éloigner l’humiliation ? Ils descendent rue de l’Épeule, qui n’a décidément pas volé sa réputation (étendue à tout Roubaix chez les gens qui n’y ont jamais mis les pieds).


Très mauvais rapport calories-plaisir pour les pâtisseries arabes auxquelles j’ai cédé en me disant que ce serait bête d’habiter Roubaix et de ne pas en avoir mangé une seule de tout le ramadan : les pistaches sont toutes molles.


La directrice de l’école suit le vol de son fils (de mon âge) à l’autre bout du monde en temps réel sur flightradar24. La nuée d’avions jaunes donne le tournis : d’un coup je visualise et le trafic aérien et la pollution qu’il génère, la saturation y suffit.

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Mercredi 26 mars

C’est l’anniversaire de Camille. Je ne sais pas qui est Camille, mais tous ses amis ou toute sa promo le lui fêtent, sur le parvis de l’Opéra de Lille où je déjeune frisquet. Une petite part de pizza est brodée sur les chaussettes de mon voisin de marches qui mange un pain au chocolat quand il devrait manger une part de pizza assortie, c’est contrariant. Quand je retourne la tête, il a disparu et les deux amies ou collègues qui l’ont remplacé ouvrent sur leurs genoux un carton à pizza, c’est satisfaisant. Riche en fromage (et en roquette dirait-on), quand la plus proche de moi soulève la pâte de sa pizza pliée en deux, hésitante sur la manière de s’y prendre.


L’autre prof du mercredi est malade, je colonise le grand studio, traversant : même si la luminosité est un peu faible à cause des rideaux côté rue, on peut se dispenser d’allumer et ne pas s’exclure de l’avancée du jour, rester baignés dans la lumière la pénombre naturelles. Sans cours qui enchaîne après le dernier des miens, j’ai en outre toute latitude pour m’étirer après, ça change la donne.

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Jeudi 27 mars

Au bout du jardin, chez le voisin, les bourgeons du magnolia repérés il y a quelques jours ont fleuri, encadrés par le forsythia-stalagmite et le saule-stalactite. Rose, jaune, vert.


Cours de stretching postural : je sais bien qu’elles ne sont pas bien grosses, mais j’ai l’impression d’avoir trop de fesses pour réussir à pousser le pubis en avant tout en tournant les cuisses en dehors ; c’est comme s’il y avait trop de matière, ça coince. Réussissant miraculeusement (enfin !) à dissocier les muscles, je finis par comprendre que j’engageais encore involontairement une partie des fessiers en sollicitant les rotateurs ; la contraction augmentant le volume, ça ne passait plus. Avec une contraction ciblée des rotateurs, le champ reste libre pour une plus grand mobilité du bassin. Alléluia ! Reste à trouver comment activer de surcroît les ischio-jambiers sans engager les fessiers. Dans ce travail d’isolation musculaire, je progresse lentement, comme un archéologue dégage sa trouvaille de la terre ou un lapidaire sort une pierre de sa gangue, par dégrossissements successifs, en enlevant les couches inutiles.

On travaille beaucoup le dos durant cette séance ; je découvre de nouvelles sensations et meurs entre les omoplates. Lors d’inclinaisons latérales, je dépasse mon cap habituel et alors j’ai la très nette sensation que ça coulisse, quelque part entre les os et la peau : ce sont les fascias, me confirme la prof. À force d’engager les abdos et tout le dos dans des cambrés en torsion (on fait des 8 avec le buste), j’entrevois quelque chose de cet ordre au niveau des dorsales mais à l’avant du corps — comment ça peut coulisser jusqu’au buste de l’arabesque. Je suis épatée : à force d’effort, l’effort disparaît au profit d’une incroyable fluidité. Et je ne parle pas ici du pouvoir de la répétition, qui permet d’incorporer une difficulté au point qu’elle en devienne facile. Il s’agit davantage d’une intensité à dépasser pour que l’effort cède, pour que l’effort physique et mental déployé pour activer des muscles d’une manière dont on n’a pas l’habitude se résorbe dans l’utilisation du bon chemin, de la chaîne musculaire qui facilite le mouvement. Alors l’un fait place à l’autre, fait de la place dans le corps, déploie sa mobilité.


Les carottes râpées et le taboulé sont délicieux ensuite, sur un banc même pas un banc une chaise en bois à côté du Carrefour et de la route, avant de reprendre le métro, au soleil. Et le soleil encore sur ma terrasse. Dans l’humeur lors des cours du soir.

L’une de mes élèves débutantes progresse à grande vitesse : elle n’a pas le morphotype de la danseuse classique, mais tous les mouvements rapidement tombent justes sur elle, l’en dehors, les coordinations, hop, incorporés.


Je me couche trop tard, lancée avec le boyfriend dans une discussion partie de l’essai L’Empathie est politique. C’est une lecture très improbable pour moi, que le terme politique suffit généralement à faire fuir. Je ne l’aurais jamais emprunté si le boyfriend n’avait pas regardé une interview de Samah Karaki alors que je trainais sur le canapé à côté de lui. L’idée que l’empathie soit une ressource finie que l’on réserve en priorité à ceux que l’on identifie de « notre groupe » a piqué ma curiosité. L’autrice interroge la pertinence de cette notion comme socle du vivre-ensemble à l’échelle politique ; j’y ai vu une clé de lecture à mes propres manquements.

On m’a souvent dit empathique alors qu’on trouve difficilement plus fermée que moi à la misère du monde, même quand ce monde est incarné par un homme qui fait la manche dans le métro. En discutant avec le boyfriend, j’ai pris conscience que je suis probablement plus dérangée par la mauvaise image que cet homme me renvoie de moi (pingre, égoïste) que par sa détresse que je ne me résouts pas à regarder en face, qui me répugne. Samah Karaki mentionne d’ailleurs une étude qui corrèle sensibilité au dégoût de manière générale et sélectivité excluante de l’empathie (je le formule mal, j’espère que vous chopez l’idée), laquelle est d’autant plus développée qu’on est socialement dominant. Voilà, voilà. Y’a du boulot à faire sur la société et sur soi — sur les deux, pour qu’on ne se sente pas dispensé d’effort individuel face à l’échec collectif (donner quelques pièces même si on paye des impôts, dont on souhaiterait qu’ils soient utilisés en priorité pour que tout le monde puisse manger à sa faim, dormir à l’abri, être soigné…). Peut-être commencer par remplacer ce « on » par « je » ? Bizarrement mon « je » disparaît quand il est question d’égocentrisme. …

Vendredi 28 mars

[rêve que je rattache au vendredi, mais peut-être était-ce jeudi ou samedi ou] Je couche avec G. puis l’engueule. C’est satisfaisant (l’engueuler). Plus tard dans la journée ou les jours qui suivent, je fais le rapprochement avec la floraison des magnolias : c’était à cette époque, j’en avais dessiné un quand. Illustration de la page 404 non found de mon cerveau à ce moment-là. Manifestement une partie de moi cherche toujours à rouvrir le dossier pour le clore en ses termes.


À côté de la page dédiée à la formation de yoga 200h, un onglet est resté ouvert avec des vidéos du centre. Je choisis une séance douce d’une vingtaine de minutes, pense son de gauche en la lançant puis plus grand-chose, à part que cela me met en condition pour une sieste dont j’avais le plus grand besoin. Je ne sais pas si je dors longtemps, probablement pas. La sensation de repos est la plus intense au moment où, sur le point de sombrer en sommeil profond, je remonte ; je sens la détente se diffuser dans mon corps, je la sens vraiment, comme les hormones (neuropeptides dixit Wikipédia) lors de l’orgasme. Je repense à ce fragment de Roberto Juarroz : « Éteindre une lumière m’éblouit plus que l’allumer. »


Procrastination heureuse puis presque panique. Sur une suggestion du boyfriend, j’utilise des pièces d’échecs pour visualiser les formations des élèves dans la chorégraphie que je ne parviens pas à créer. Il n’y a pas assez de pions pour tout le monde, j’utilise des figures pour les élèves de troisième cycle qui viennent prendre le cours en plus (les cavaliers pour les garçons) et une tour pour l’élève surdouée qui a quatre ans et deux têtes de moins que les autres.

On m’apprend sur Instagram qu’il existe des applications pour ça.

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Samedi 29 mars

Fatigue, SPM, cours laborieux, élèves contre qui je peste ou auprès de qui je me déverse brièvement : passons sous ellipse les méandres marécageux de la mauvaise conscience qui s’ensuit. Gardons le tangible, beau et bon : explosion florale au parc Barbieux, tarte aux épinards dans mon assiette.

Cet érable est une découverte, je ne l’avais jamais vu fleuri de ces pompons qui se balancent au vent comme des fantômes de méduses.

En cours de formation : l’ombre blanche des magnolias.

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Le tonnerre gronde au loin

Dimanche 30 mars 

Cette fois, je lance une vidéo pour renforcer le haut du corps, destinée « à des personnes ayant déjà une pratique de yoga et cherchant à se challenger en 34 minutes. » Je me sens « libre de modifier les mouvements » comme et quand je le sens, surtout quand je ne le sens pas. Je challenge mes biceps et triceps, et c’est à peu près tout de toute la journée.


The stage… it's not… it's juste a magnified glass

Je finis de regarder l’interview de Sylvie Guillem par Daniil Simkin. Je l’avais laissée en plan, rebutée par la réalisation sirupeuse saturée de storytelling américain autant que la rudesse de l’ancienne étoile, qui ressort tant dans ses propos que dans son accent (à côté Mathilde Froustey ne sonne pas du tout frenchy). C’est étrange comme, des années plus tard, je ne vois plus du tout la même chose : ce ne sont plus tant l’aura et les capacités physiques incroyables de la danseuse qui me frappent, que sa maigreur, sa dureté. Mademoiselle Non n’était pas un surnom mignon.

Capture d'écran de Daniil Simkin et Sylvie Guillem à contre-jour en pleine golden hour. Sous-titres : it's one step above a fearn you know.
Daniil Simkin lui demande si c’est la peur qu’elle a cherché pendant sa carrière, et non, pas vraiment, plutôt à se dépasser, un pas au-delà de la peur que vous avez à ce moment là.

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Lundi 31 mars

Confirmations et découvertes au cours de stretching postural :

  • Il est donc possible d’engager volontairement son rhomboïde pour la tenue du dos.
  • Mettre dans la jambe de terre d’un dégagé une force semblable à celle d’un échappé donne une stabilité incroyable et permettrait de ne pas décaler le bassin davantage à l’horizontale au-dessus de la jambe de terre. Les rebondissements n’en finissent pas avec cette histoire : il faut / il ne faut pas / ça dépend des écoles / décaler le poids du corps à l’aplomb des orteils, du milieu du pied, du talon (aka ne pas le décaler)…
  • Pousser le bassin avec la jambe de terre fournit un levier pour lever l’autre en grand développé seconde (il me semble que je le savais, mais confusément, n’ayant jamais identifié la sensation qui pourrait justifier le il faut). Cela déclenche la perplexité d’une camarade qui a pris l’habitude de décaler son buste tant on lui a répété qu’il ne fallait pas incliner le bassin (avoir une hanche plus haute que l’autre). Le nombre de fois où j’ai moi-même entendu mon prénom suivi de « baisse la hanche » en cours… Alors qu’il ne s’agit pas tant de mettre les hanches sur un même niveau à bulle que de tourner la jambe en-dehors et de corriger l’antéversion du bassin. Il suffit de regarder les photos des danseuses russes qui ont les jambes au plafond : leurs hanches sont nettement en diagonale.

Trop de décisions logistiques à prendre pour ne pas rentrer chez moi entre le cours pris et les cours donnés, je me résous à un aller-retour supplémentaire de métro dans la journée. Pour ne pas avoir l’impression d’être rentrée pour rien, je cherche quelque chose que je n’aurais pas pu faire en restant sur Lille et me lance dans le désherbage de la terrasse.

De la mousse a poussé entre les dalles, à la place des joints que la propriétaire n’a pas jugé utile de faire. Je pensais que cette micro-végétalisation serait un mal pour un bien : les brindilles et les feuilles du saule pleureur ne viendraient plus s’y ficher, seules ou en tentant de balayer. J’ai même eu quelques fleurs sauvages qui y ont poussé à un moment. Sauf que. La mousse, ça vit et ça meurt, ça jaunit. C’est aussi un repère à bestioles idéal pour les oiseaux qui en arrachent des bouts, lesquels en trainant sur les dalles finissent par instaurer un substrat organique suffisant pour que des moisissures se développent sur la pierre poreuse. Bref, il a suffi de l’automne au printemps pour que la terrasse se fasse envahir par l’abandon. Alors assise par terre les jambes en écart-de-quelqu’un-pas-souple pour préserver mon dos, j’arrache. J’arrache des réglettes vertes et poussière, vertes et terre, oh une feuille de saule pleureur en décomposition, des touffes superficielles sans l’humus qui reste enfoncé, qu’il faut sortir à la raclette, j’arrache un carrefour entre les dalles, c’est le plus facile à arracher, on a la meilleure prise. Puis, en voulant retirer mes gants (de cuisine, sans latex), j’arrache le pouce. Je continue sans, un moment, puis j’arrête quand ça commence à me gratter.

Je voulais que la terrasse soit présentable quand la proprio viendrait changer la porte-fenêtre, qu’on ne m’accuse pas de ne pas bien entretenir le lieu, mais je finis par me rappeler que cet entretien laborieux que j’ai négligé vient d’abord d’un défaut de conception (ou plutôt de réalisation) de sa part. Qui pose des dalles sans penser aux joints, sérieusement ? Il faut vraiment ne pas avoir à y vivre pour faire ce genre de chose. (C’est comme le lavabo rectangulaire au fond tout plat : c’est joli si l’on veut, mais impossible à nettoyer et plus encore à conserver propre car l’eau n’entraîne rien, au contraire ; elle pousse toute poussière, crasse, dentifrice contre les bords et il faut lutter à contre-courant pour évacuer quoi que ce soit.)

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Mardi 1er avril

La formation de yoga repérée pour cet été est complète, ça c’est fait. La formation plus courte au « yoga danse » sur laquelle je pensais me rabattre s’avère n’être pas une très bonne idée une fois consultée les vidéos de démonstration de l’enseignante :  outre que cette gymnastique pleine d’esbroufe musculaire (acrobatique, presque) ne correspond pas à l’idée que je me faisais d’un flow dansé, mon dos n’y résisterait probablement pas. Une formation au Pilates, plutôt ?


Je finis de lire L’Empathie est politique sur ma terrasse de privilégiée au soleil. Ça met des mots sur des ressentis confus, notamment le leurre de l’empathique qui, en s’informant, se donne l’impression d’avoir fait quelque chose sans que le travail qui lui a été coûteux psychiquement ne change rien au schmilblick (je suis pire : je ne m’informe même pas, dans l’évitement le plus total de ladite charge psychique). À rebours du titre, l’empathie serait finalement plus égocentrique que politique ; ce qui est politique, dans l’empathie, c’est son utilisation dans la sphère des médias et du pouvoir, l’appel aux émotions individuelles étant bien commode pour ne pas trop toucher aux structures sociales. Évidemment Samah Karaki l’explique de manière beaucoup plus précise et nuancée ; lisez-la.


Il n’y a que deux personnes à la barre au sol, mais cela ne me dérange pas, au contraire. Ce sont deux curieuses critiques et l’heure prend des airs de cours particuliers, loin de l’ambiance tristounette qui pourrait régner avec deux exécutantes plan-plan. (Il faut que je fasse ma pub pour des cours particuliers ou semi-particuliers à domicile, vraiment j’adorerais.)(Mes finances aussi.)

En écho au travail de la veille en stretching postural, on cause omoplates et on cherche à les faire glisser vers le bas — vers la taille ? demande L. afin de lever toute ambiguïté alors que nous sommes en table à l’horizontale. J’adopte l’expression, décidément plus pratique quand on se retrouve les fesses en l’air, la poitrine sur le tapis ; dans cette position, l’ajustement postural fait disparaître chez L. une tension au niveau des épaules. Décidément. Ses questions et questionnements partagés m’aident au moins autant à préciser ma compréhension que mes réponses l’aident à trouver sensations et mouvements justes. Quand j’explique qu’on essaye de faire glisser les omoplates vers l’extérieur, elle s’étonne de ce qu’on lui a toujours dit l’inverse dans son adolescence, qu’il fallait au contraire les serrer, pouvoir tenir un stylo entre ses omoplates. En cherchant le pourquoi de ce conseil (est-ce que c’est moi qui aurait mal compris ?), je postule que serrer les omoplates devait servir à les rabattre (verticalement) pour éviter les « ailes de pigeon » ; si on peut les rabattre tout en conservant un dos large, c’est encore mieux.

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Mercredi 2 avril

L’avantage de mettre son réveil à 7h33 plutôt que 7h30, c’est de pouvoir finir ses quatre pirouettes sur pointes. À moins qu’il faille créditer l’insomnie de 5h du matin de cette prouesse, qui a décalé le rêve au plus proche de l’instant où je pourrais m’en souvenir ?

Journée de cours pas si pire rapportée aux heures de sommeil — surprenamment bonne, même, au regard de ce ratio.


C’est quand même mal foutu d’avoir l’odorat décuplé quand on a ses règles, au moment où le corps expulse du sang qui pue le fer. Dans les transports en commun, c’est un bonheur. Même les odeurs de déodorant, eau de toilette ou après-rasage de ces messieurs que je sniffe d’habitude avec délices m’agressent, je remonte mon étole sur le nez. Je ne me suis pas plus tôt félicitée du départ de mon voisin aux notes de propreté trop prononcées que je la regrette, remplacée par la puanteur d’un homme qui n’a manifestement plus de quoi se doucher ou laver ses vêtements. Je tiens deux arrêts avant de capituler et faire preuve d’impolitesse en allant trouver une place assise plus loin.

Dans le bus, en revanche, le monde est moins hostile que printanier ; ce sont des effluves verts qui me parviennent — la veille, c’étaient des bouffées de mon arrière-grand-mère. Deux, très précisément, deux vagues de Habanita de Molinard, sans qu’aucune source identifiable ne vienne cristalliser l’odeur et m’empêcher de croire à son fantôme. Idem dans le parc, la madeleine en moins, avec une odeur de shit que je ne rattache à personne dans mon champ de vision. Mon périmètre olfactif doit l’excéder. De fait, c’est exactement comme ça que j’ai l’impression de redécouvrir mon monde quotidien, à travers un radar olfactif. Bonus d’auto-asphyxiation en fin de journée en ôtant mes chaussons. Je vais bientôt découvrir si ces demies-pointes supportent le lavage (risque de décollage de semelle).


Une élève lève la main, parle, je n’entends rien, m’approche : elle me prévient qu’elle n’a plus de voix. Ah d’accord, je réponds en chuchotant. Quelques instants plus tard, elle lève à nouveau la main dans un besoin impérieux de me raconter que sa maison accueille désormais un chaton.
Lever la main pour demander la parole : compétence acquise.
Prendre la parole en relation avec le cours : compétence en cours d’acquisition.


Une jeune élève est absente, réticente à revenir parce qu’une autre l’embêtait et lui « touchait des parties du corps qu’elle ne voulait pas qu’on lui touche » — c’est la maman qui nous en a informés. Je n’ai rien vu : je pensais qu’elles étaient amies et s’asticotaient, s’attrapant par la taille comme dans le groupe deux heures plus tard où des amies avérées jouent des micro-parties de chat ou s’amusent de portés impromptus dès que j’ai le dos tourné (heureusement, le miroir). Je n’avais pas pris conscience de l’asymétrie systématique, qui me paraît évidente avec ce nouvel éclairage. Je comprends maintenant que le sourire gêné de la petite fille ne venait pas de se faire épingler par la prof (je reprenais les deux ou l’une ou l’autre selon le prénom qui me venait en premier), mais d’une gêne beaucoup plus profonde. Il n’est pas non plus improbable que la veste assimilée cache-cœur dont elle ne s’est jamais départie servait moins à lui tenir chaud qu’à la protéger. J’ai vu et je n’ai rien vu. Rien compris. La petite fille a fini par parler : en mars, soit sept mois après la rentrée, alors que l’autre enfant aurait pu être recadrée et éloignée dès le début… Il n’est d’ailleurs pas impossible que cette dernière n’ait pas plus que moi conscience de l’effet de son comportement.

Dans les moments comme ça, vraiment, j’aimerais me dispenser des cours enfants et m’en tenir aux cours adultes, donner cours uniquement à des gens qui peuvent s’exprimer et dont la responsabilité ne m’incombera pas s’ils ne le font pas. J’aime l’enseignement de la danse, pas du tout l’éducation.

Évidemment, dans la même journée, il y a ce moment adorable où la petite sœur d’une 6 ans se joint à elle pour tenter des mouvements, la petite fille de mon cours devenant une grande qui guide sa cadette sous le regard et le smartphone de la maman attendrie. Et négocie pour elle des chassés à la seconde plutôt que devant, parce que c’est encore trop compliqué pour elle, c’est pour les grands. Oui, d’accord, j’avoue, même quand on n’est pas fan des gosses, c’est ultra-mignon.


Une élève particulièrement brouillon dans ses coordinations galère à mettre en place les déboulés décomposés en demi-tours à pieds plats : si elle tourne dans le bon sens, elle ne tourne pas sur la bonne jambe et si elle tourne sur la bonne jambe, elle ne tourne pas dans le bon sens — quand elle ne se trompe pas de sens et de jambe. Quand on tente le vrai mouvement enchaîné, avec élan, sur demi-pointes, ses camarades se mettent à tanguer, mais elle à l’inverse trouve le sens du mouvement et tourne son bonhomme de chemin, genoux toujours un peu fléchis, absolument pas gainée. Je repense a posteriori à N. qui, avec son placement impeccable, ne comprenait pas que toute de ginguois je tourne avec plus de facilité qu’elle. En plaisantant, j’avais répondu qu’à force de devoir sans cesse rattraper des postures rendues instables par mon manque de placement, j’avais moins de mal avec l(e dés)équilibre. Je plaisantais pour ne pas avoir à évoquer son probable problème d’oreille interne, mais je crois que ça se vérifie.


Sur le conseil de Luce, j’écoute Very bad yoga : posture ou impostures ? Je parviens à écouter un épisode de podcast en entier assise sur mon canapé, sans faire autre chose en même temps (m’épiler étant la seule activité que je parallélise volontiers avec une écoute de ce type) et sans lutter contre l’envie de passer en avance rapide toutes les deux minutes ; c’est dire si j’y trouve de l’intérêt. J’y découvre la voix de Marie Kock, dont j’ai assez croisé le nom ces temps-ci pour avoir regardé où je pourrai emprunter Vieille fille ; j’ai désormais aussi envie de lire son ouvrage sur le yoga.

L’épisode s’attaque au malaise que l’on peut éprouver à se retrouver plongé dans un mélange mal digéré de spiritualité vaguement hindouiste et de fitness new age — typiquement le moment où je me sens ridicule si j’essaye de répondre au namaste d’Adrienne (indépendamment du fait que cela soit ridicule de répondre à une vidéo). Laquelle Adrienne est décrite par la réalisatrice comme une Américaine qui ressemblerait à Nathalie Portman, mais en leggings : j’ai vraiment ri, c’est tellement ça. Là où cela devient intéressant, c’est que le podcast remonte aux origines de la diffusion du yoga en Occident, forme de soft power exporté par une Inde œuvrant à être décolonisée. Je vous laisse écouter le podcast, mais en gros c’est bâtard dès son introduction à l’étranger. À la limite, je trouve beaucoup plus sain en tant qu’Occidentale de l’utiliser comme un outil de bien-être physique et psychique plutôt que de le vendre comme un style de vie authentique made in China India — même si, évidemment, c’est tout autre chose que la pratique familiale infusée de mythologie indienne qu’une Française de parents indiens raconte avoir connue dans son enfance, tous les dimanches dans le salon en pyjama.

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Jeudi 3 avril

Le beau temps a beau avoir été annoncé, il me surprend ; j’avais oublié qu’on pouvait avoir chaud simplement en se promenant lentement au soleil. Je fais le tour du parc Barbieux avec un arrêt lecture-magnolia. Les pétales commencent déjà à tomber ; j’en ramasse comme les enfants ramassent des plumes et des cailloux. J’en cherche qui soient intacts, le plus lisse et rose vif possible, les stocke dans ma casquette gavroche ; déversés sur le manteau de la cheminée, ils sont déjà marqués.

Au cours de ma promenade, à l’autre bout du parc, j’entends un groupe qui s’interroge derrière moi sur l’espèce d’un arbre : un cerisier ? les fleurs sont un peu trop grosses pour un cerisier : un magnolia ? Sans y penser, je hoche la tête à cette dernière option, et j’entends alors une autre voix répondre à la première : apparemment c’est un magnolia, la dame de devant a fait oui de la tête pour le magnolia. La dame de devant a souri sans se retourner.

Attraper des bribes de conversation me ravit. « Ce n’est pas beaucoup, trente, mais au bout de trente, je cale. » Trente grammes de chocolat ? Trente pages de lecture ? Trente km/h ? Trente makrouts ?


La dame élégante du stage nous rejoint en barre au sol, c’est un vrai plaisir de la retrouver, même si je ne retrouve pas son prénom tout de suite. Une habituée est de retour après un temps d’absence : son expérience de juré d’assise l’a secouée.


Mes adultes débutantes le sont de moins en moins. Leurs progrès sont marqués et remarqués : elles commencent à le sentir, pendant le cours (l’adage cesse d’être une succession impossible de pas à mémoriser pour devenir un enchaînement) et même en dehors (une meilleure posture derrière son bureau). Elles sont néanmoins surprises quand on parle professeurs pour l’an prochain (elles veulent s’assurer que je continuerai avec elles) : On ne sera plus débutantes ? Elles pensaient qu’elles le resteraient un certain nombre d’années. D’une certaine manière, oui, mais dans un autre groupe. Il y a beaucoup de niveaux alors ? J’énumère ceux de l’école, tout le monde est à peu près rassuré.

Et toujours, avec elles, des moments de fous ou doux rires, comme lorsque la première à la barre lance une sorte de chech à dernière, qui avait oublié qu’elle se retrouverait première quand on changerait de côté à la fin des pliés — et ne pourrait plus copier. Ou lorsque le contexte soudainement retrouvé de la musique déconcentre les soubresauts : mais, mais, c’est le Muppet Show ? Ainsi font font font…

Revue de blogs #9

Et cela s’est fait assez naturellement […] non en fonction d’une position théorique, morale et réfléchie, mais de manière psychologique, épidermique.

Je crois bien que j’ai quitté Twitter, Le dernier des blogs
découvert via Karl

De même, je prends moins des décisions qu’elles ne se prennent, décantent en moi.

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Reboot de 2 neurones & 1 camera

Assez incroyable que la crasse de la vitre devienne un élément graphique.

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Her teaching style, she liked to say, was not to lighten the burden of the student, but to make it so heavy that he or she would put it down…

You could say the worrier gets things exactly backwards. He’s so terrified that he might not be able to rely on his inner resources […]. In fact he should devote less energy to manipulating the future, and have more faith in his capacity to handle things once the challenge actually arrives. If it arrives, that is.

Meditations for mortals by Oliver Burkeman,
cité par Winnie Lim qui commente :

Why don’t I store my energy instead of worrying, so I can hoard enough of it to deal with it when shit happens?

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Je me souviens encore de la sensation de tes baisers sur ma bouche qui a duré des heures après que tu sois parti, tu étais imprimé sur moi.

Je me souviens que nous entrés dans l’eau en courant comme des gamins et que nous avons plongé sans savoir si elle était bonne ou pas, nous étions ensemble et c’était la vie en Cinémascope.

[…] j’étais hébétée de fatigue parce que l’amour, ce n’était pas reposant.

Je me souviens (2), Ma vie sans lui

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Ce qu’il y a de bien avec notre abominable époque, c’est qu’après des décennies à nous dire, mais comment les écrivains des années trente faisaient pour écrire comme si de rien n’était leur journal, sans trop refléter le gouffre vers lequel l’Histoire les amenait à sombrer ?, nous allons enfin le découvrir par nous-mêmes.

Fuir est une pulsion

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J’ai un gros problème avec les injonctions faites aux corps des femmes. Ce problème s’appelle la flemme. […] Rien à voir avec le féminisme, tout à voir avec une approche pragmatique de l’existence corporelle.

La crème pour célibataires, Sisters Cia

J’ignorais qu’on pouvait se marrer à propos d’une crème exfoliante, mais avec Sacrip’Anne, c’est chose possible.

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do NOT put in the newspaper that I’m a pervert : Marie Le Conte imagine ce qu’elle ferait si elle avait un superpouvoir d’invisibilité et, clairement, tu peux pas test le délire d’une insomniaque qui a passé des nuits à raffiner ses hypothèses.

…

La précision. Le souffle. La concentration. […] Il s’agit de faire, de chercher, d’assimiler, d’appliquer, d’essayer. J’aime particulièrement voir que de séance en séance, le placement dans certaines postures se fait plus sensible. C’est parfois infime, le bassin qui bascule de quelques degrés, les bras qui s’abaissent, l’extension toujours plus longue. […]

J’ai […] les abdominaux pas douloureux mais existants […]

Meilleure description du plaisir des (légères) courbatures.

Si j’avais su que bouger, c’était d’abord s’écouter, puis se rencontrer […]

Bif-bof & périnée engagé, Tant qu’il nous reste des dimanches

…

[…] « tu sais, je garantis pas que je vais aimer tout ce que tu partages » et ça a touché un truc. On résonne tous à des fréquences différentes ; le point de rencontre n’est pas l’œuvre en elle-même, mais l’échange des échos.

De fil rouge, Hypothermia

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Une remarque m’a fait rire : presque tout le monde respire mal. Ceux qui respirent bien sont… les fumeurs : inspiration vigoureuse en tirant sur la clope, expiration longue de la fumée. Ils stimulent leur système parasympathique.
Il n’y a pas que la nicotine qui détend, il y a aussi la respiration.

Fumer détend, Alice du fromage

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Je me suis rendu compte hier que j’étais plus simple dans l’écriture avant. Et c’est peut-être cela qui nous enferme quand nous écrivons de longue date sur nos carnets Web. L’impression que nous devrions être plus dense. Je vais tenter de m’alléger et de ne pas forcément écrire de la consistence.

Murs avec voix, Les Carnets Web de La Grange

Peut-être que ça va avec les années, et pas juste avec l’écriture : être dense des expériences passées, sédimentées ?
Ces revues de blog me permettent aussi ça : des remarques en passant, plus légères.

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Grâce à Karl, je découvre le blog Tentatives de Christine Jeanney, et accroche à ce journal de traduction de Virginia Woolf. La parenthèse sur la théorie de la fiction panier m’enchante :

pour faire court, Ursula K. Le Guin envisage le récit fictionnel comme une transmission qui reste d’une génération à l’autre, prenant souvent appui sur des faits de gloire, des faits d’arme, héroïques, la prestance du chasseur qui revient de la chasse au mammouth forcément célébrée, racontée et chantée, alors qu’il est possible que la tribu survive principalement grâce à la cueillette
mais remplir un panier de baies ou de graines, même si c’est essentiel, n’est pas vendeur, pas de frissons, pas de lames, pas de larmes
et puis ce sont souvent les femmes qui s’en occupent — ces décervelées hystériques
la théorie de la fiction panier veut renverser le rapport de force
se débarrasser un peu du héros
se concentrer sur ce qu’il y a dans les paniers et dans les sacs, ces graines de vie

Est-ce pour ça que je me retrouve à lire quasi-exclusivement des autrices ces temps-ci — pour regarder dans leurs paniers ? C’est tout juste si un nom masculin ne suscite pas de la méfiance de ma part (attention au mammouth dans la pièce), exception faite des poètes (ça part à la cueillette et pas à la chasse, un poète).

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[…] can I shorten the gap that exists between my negative spiralling and the realisation that I can break out of most of these spirals by reminding myself what is truly important?

The journey of coming back to our selves never ends.

People think that such focus on our selves is narcissistic. I argue that we seem self-absorbed precisely because we have no sense of self, so we are misled to pursue societal achievements and peer recognition thinking that they will prop up our sense of self. […] I offer a suggestion that there is a sense of self that exists that doesn’t require an external gaze to feel more whole.

Winnie Lim, ringfencing my self

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La liste de 100 souvenirs pour l’année écoulée a ricoché jusque chez Tomek : 2024, on fait au mieux sur Envisager l’infinir ! Maintenant, je veux goûter au fiadone.

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Ça va être bien, parce que ça l’est déjà.

Épiphanies, Ramblings of an adulescent

Revue de blog #8

Tous les mois, Winnie Lim célèbre sa relation avec sa partenaire et ces déclarations d’amour mensuelles / réflexions sur le couple sont chaque fois incroyables :

She tells me if she were me she would find it difficult to exist too. This is the most indicative of her love and understanding towards me among everything else she has said. The way she comprehends my existential distress: only possible because of the mind she has.
I tell her I am glad she is born around me, within the same timeline and the same 50 kilometre-wide country.

Just now during breakfast I asked again, if we imagined us to as two separate individuals we knew in different social circles, would we have thought of us to be possible as a couple? Definitely not. We wouldn’t even have made it as platonic friends.

[…] how there must be enough provocation so we continue to inspire the other, but not too much that it becomes an unbridgeable rift. […] Can a long-term relationship cope with all the changes and still remain thriving rather than coping?

We are not people who would compromise the integrity of our selves for the sake of the relationship. So there is a careful dance around each other, and we both innately want to push each other to places we’ve never been. There is a chance that one day she may take off, without me.
I think it is precisely this precariousness that makes us cherish our every day together, and it is this cherishing that makes the relationship thrive. Our relationship sustains, because we are both pessimists.

Winnie Lim because we are both pessimists

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. lasse d’avoir besoin d’être rassurée comme une enfant abandonnée

. parfois je lis en une seule fois l’ouvrage que je tiens, parfois ce n’est pas possible, je ne corresponds plus à ce qu’il est. Je peux mettre des jours, des mois avant de pouvoir redevenir la personne qu’il faut à ce livre

. est-ce qu’elle est morte parce qu’elle avait compris qu’elle ne m’aimait pas
aucun sens elle n’aurait jamais su regarder en face, les mots oui . réessaye
est-ce qu’elle est morte parce qu’elle avait compris que je ne reviendrais pas

(l’emprise à la place de l’amour)

. si on écrivait une liste des personnes qui nous ont abandonné en chemin et une de celles que nous avons nous même abandonnées, laquelle serait la plus grande ?

Phrases perdues — février chez Dame Ambre

Les points qui arriment les phrases plutôt qu’elles ne les closent. Ces phrases ne seront pas perdues pour tout le monde.

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Des entrées de journal très émouvantes chez Dame Ambre (naissance, vieillesse, maladie) :

Elle est née toute noire. Tellement noire, j’ai eu deux réactions simultanées. J’ai visionné l’intégralité de mon arbre généalogique c’est à dire jusqu’en 1300 et quelques à me demander quel était l’ancêtre qui n’était pas blanc et je n’ai rien vu dans cet arbre qui pouvait expliquer ça, cette couleur, cette enfant noire magnifique, ce n’était pas grave, on chercherait à comprendre plus tard, et je me suis demandé, aussi, alors que je regardais cet arbre gigantesque, si elle allait bien. J’ai eu le bon sens, et ce n’était pas gagné avec toutes ces hormones et la peur de mourir encore imprimée dans tout le corps, de poser cette question-là, est-ce qu’elle va bien et pas est-ce qu’elle est noire, je l’ai demandé à voix haute un peu par hasard, ça avait l’air d’aller parfaitement bien.

La vitesse à laquelle on perd notre libre-arbitre en vieillissant.

Est-ce qu’on peut.
Est-ce qu’on peut vouloir que la vie s’arrête, est-ce qu’on peut demander un mur et la souffrance étalée explosée comme une œuvre d’art, et puis est-ce qu’on peut, je ne sais pas, massacrer le mur à coup de couteau égaré sous un marteau et qu’il n’en reste rien.

Dame Ambre
Journal de février, 21 à 28 – Une pagaille, un mur et un projet

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J’extirpe les mots au compte-goutte […] J’ai essayé d’écrire sur d’autres supports, je n’y arrive pas. Je me disperse, sème des bribes numériques, papiers un peu partout.
Le blog est la forme d’écriture qui me convient le mieux. À la fois introspection et possible ouverture vers autrui.

Écrire et photographier répondent au même besoin chez moi de « faire survivre quelque chose ».

Reprendre, Bribes de réel

She’s back. <3


J’ai aimé aussi les citations en exergue tirées d’Elvis à la radio de Sabine Huynh :

[…] ne pas écrire serait bien pire, et cela, vous le savez tout au fond de vous : écrire tire vers le haut, comme le tiramisu remonte littéralement le moral, croyez-moi […]

L’écriture nous permet cela, de prendre conscience des choses, ainsi que de relier, remembrer […]

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What we miss—what we lose and what we mourn—isn’t it this that makes us who, deep down, we truly are. To say nothing of what we wanted in life but never got to have.

The Friend, Sigrid Nunez
cité dans la newsletter de Marion Olharan Lagan
L’abus de lecture est-il dangereux pour la santé ?

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L’indentation des citations risque de devenir compliquée ici, alors je casse le truc pour retrouver la cohérence.

Winnie Lim :

Nobody says we have to be good at everything we do

Un commentaire en réponse sur hackernews :

« This is advice I have to push on my kids constantly, because they are obsessed with finding that one thing they are better than everyone else in the world.
[…] Her words (from Malayalam) are best translated as “For whom a little is not enough, nothing is ever enough”.» […]

Winnie Lim :

I guess I really like the part of the internet where we throw something out in the wild, and sometimes we get back something else totally unexpected. And I got to learn from people’s life experiences in return.

Winnie Lim on the front page of hackernews

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Se tenir en équilibre sur un trapèze : Marie Le Conte se sert de cette figure comme d’une métaphore pour parler ensuite de tout autre chose, mais j’ai aimé retrouver dans le monde du cirque ce que je connais dans celui de la danse — l’équilibre comme mouvement constant.

The balance is partly about balance but, really, it’s about movement. While doing a front balance, the trapezist must activate as many muscles as they can, and they must pay constant attention to the position of their torso and their limbs. The reason why they stay there, perched on the bar, is that they keep subtly, barely moving their left hand, their right foot, their shoulders, their neck, their thighs, and so on.
A front balance looks like a passive move, but it’s anything but. It’s something that looks immobile but requires constant, conscious tweaking.

Westminster? I barely knew ‘er! The Young Vulgarian

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Une chouette idée (chronophage) : un petit dessin chaque jour sur un planner mensuel.

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Rien ne ressemble plus à sakura, si ce n’est l’emballage rose d’un déchet.

Rose, Les Carnets Web de La Grange

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Je négocie avec moi ce qui est important et ce qui ne l’est pas.
[…] J’essaie de mettre ce qui m’a causé le bonheur à l’abri des doutes.

Sacrip’Anne, Les négos avec soi

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But as I worked through this sketchbook I realised I was gradually getting more and more relaxed, instead of the frustration I usually feel whenever I try to do something I am not good at. […]

I am bad at it, that is why I keep doing it. As I keep doing it, I realise I like doing something I am bad at. I know I am bad at it, I don’t expect much out of it, so therein lies the freedom to do whatever I want, and that is such a freeing experience […].

Winnie Lim, Chiang Mai’s sketchbook

Ce n’est pas la première fois qu’elle en parle, ni la première fois que je le relève, mais vraiment ça me fascine. Je suis incapable de dessiner comme elle, sans m’attacher au résultat. Peut-être un domaine où je réussirais à ne pas avoir d’attente serait la musique — je suis tellement persuadée d’être une catastrophe à ce niveau que toute non-catastrophe serait une agréable surprise. Je garde dans un coin de ma tête l’idée d’apprendre à jouer du violoncelle (quand je serai un peu plus rodée à ma nouvelle vie prof de danse, quand j’oserai).

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Dans le journal de février de Thierry Crouzet :

[…] quand je suis à Paris, c’est l’horizon que je cherche […]. J’ai besoin de voir loin pour me sentir vivre […]

J’ai rêvé d’une Vita Nova au début de ma carrière professionnelle et elle a commencé quand j’ai quitté la presse, peu avant mes 31 ans, et que je n’ai plus fait qu’écrire et n’en faire qu’à ma tête. Peut-on traverser plusieurs Vita Nova ?

Réaliser que j’y suis, dans ma Vita Nova, à lire et écrire en pleine journée avant d’aller donner mes cours de danse.

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Cette photo de notes de Paul Klee prise par Karl m’a rappelé l’ouvrage mi-écrit mi-dessiné que j’ai un jour projeté, où de semblables lignes décriraient le trajet des conversations à la Tristam Shandy avec mon amie M. Parfois, je me dis que je devrais arrêter d’écrire ici pour écrire le reste (il est probable que je n’écrirais plus du tout).

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Nous tous, adultes, meules contre lesquels ils [les enfants] usent les angles pointus de leurs affects.

Prof en scène

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Pour la première fois de ma vie il m’est arrivé d’arrêter de lire parce que j’avais assez lu – et non pas parce que je tombais de sommeil ou avais ci ou ça à faire -.

Les cinq ans du premier confinement sur Traces et Trajets

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tout le monde fait la liste des grandes ambitions touristiques pour le séjour qui passera si vite, fatalement

et moi, je ne pense qu’à aller manger une poutine à côte-vertu comme dans mon enfance

je ne pense qu’à retourner dans mon enfance

les ambitions sur Rêver peut-être

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« Essaye pas de jouer l’accord suivant. Pense d’abord au chemin que vont faire tes doigts. »
C’était le conseil le plus simple du monde. Et j’ai failli chialer à quel point ça a fonctionné.

Prof en scène

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Thierry Crouzet s’est lancé dans une série de notes de blog fort amusante :  à partir de l’écran d’accueil d’un smartphone, il esquisse le « portrait imaginaire » de son propriétaire, puis confronte cet exercice de « divination » au témoignage de l’intéressé. Dis-moi quelles sont tes applis et comment tu les ranges, et je te dirai qui tu es. Déjà un, deux , trois

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La photographie est un bel herbier nous permettant de retracer les parcours et déterrer les racines de moments bien enfouis. La photographie est une malédiction qui nous ancre dans l’image d’un lieu particulier éblouissant les images fébriles de la périphérie qui ne réside que dans une mémoire lointaine. Constamment, je passe de l’un à l’autre entre enfouissement et éblouissement.

Reviens rester ici, Les Carnets Web de La Grange

Souvent la photographie d’un détail me restitue l’ensemble mieux que ne saurait le faire justement une vue d’ensemble. Elle constitue un point d’entrée, une ancre mémorielle. Mais la sélection que je fais pour le blog façonne la mémoire que je développe (élague ? cristallise ?) d’un lieu ou d’un voyage ; si je fouille mes archives complètes, avec les photos moins réussies, je m’étonne de pans entiers semi-oubliés. Alors quid des instants et des lieux entre ou juste à côté ?