Bulles de BD : Comme un oiseau dans un bocal

Lou Lubie confirme avec Comme un oiseau dans un bocal qu’elle est toujours géniale dans la palette restreinte et le mélange de récit et d’essai.

Seul bémol à cette bande-dessinée : l’animalisation / anthropomorphisme des personnages m’a parfois dérangée. Autant ça fonctionne bien pour le drôle d’oiseau, autant le poisson à l’étroit dans sa tête-bocal m’a perturbée par moments (mais si elle est le poisson, alors quid de corps avec bras et jambes ? elle n’est que son cerveau ?). Et globalement, les animaux avec des seins (qui ne peuvent pas s’apparenter à des mamelles), ça me eww depuis les pubs Orangina.

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Cette dimension animal anthropomorphisé mise à part, j’adore les métaphores graphiques de Lou Lubie, comme ici les idées qui brindillent et arborescent quand on voudrait dormir.

Et j’aime son humour. Notamment quand il est question de bouffe :

Et pas que de bouffe.

Bonus pour avoir décorrélé l’intrigue principale de la sous-intrigue amoureuse et développé pour les deux personnages principaux une relation d’intimité qui ne soit pas romantique.

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J’ai gardé essentiellement trace de ce que m’a fait sourire, mais la dimension didactique est toujours aussi bien amenée. Sur le fond, pas mal de choses m’ont parlé, comme l’hypersensibilité au bruit, bien rendue ici sur la case du milieu, avec un lissage et une disparition de toute hiérarchie visuelle qui correspond bien aux superpositions sonores qui assaillent de toutes parts :

Ou encore cette envie de tout faire, soulignée avec cet humour que j’aime tant :

Bulles de BD : Coming in

Coming in d’Élodie Font et Carole Maurel : un joli titre pour le récit d’un coming out à soi-même, lu d’une traite à la médiathèque de Montrouge.

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Sans surprise pour qui me connait, j’ai apprécié les métaphores des processus mentaux, notamment ce combat de catch entre deux voix intérieures chez la narratrice :

La séquence se termine par une victoire rouge, qui lance à la bleue défaite « Dramagouine, va ! »

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J’ai eu un instant de surprise en découvrant ce dessin du parc de la Citadelle : hé mais je connais, c’est (presque) chez moi ! Autant les représentations de  Paris ou New York ne me surprennent pas, autant je n’associe pas Lille à un cadre (cinémato)graphique et ça me semble improbable de retrouver la ville dans un livre, comme si elle existait dans un monde résolument imperméable à la fiction.

Bulles de BD : La vie gourmande

J’ai failli ne pas lire La vie gourmande d’Aurélia Aurita : j’ai cru l’avoir déjà lue et en fait non, je confondais avec Comme un chef. Aurélia Aurita emploie le même principe de monde en noir et blanc, d’où les saveurs surgissent en couleurs — cette fois-ci non plus au service d’une biographie, mais d’un nouveau volet de sa production autobiographique.

Le récit, un peu déstructuré, commence au moment où elle répond à une commande du chef de Comme un chef (d’où l’air de déjà vu) et finit par évoquer son cancer, en passant par tout un tas d’épisodes culinaires et amoureux qui l’ont complètement enseveli dans ma mémoire. Si je n’avais pas pris en photo une planche ironique sur l’atelier « bien-être » dédié à des femmes cancéreuses sponsorisé par des grandes marques de cosmétique, j’aurais carrément zappé l’épisode. J’ai surtout été marquée par ce que je connaissais déjà d’Aurélia Aurita et qui me plaît dans ses bande-dessinées : la gourmandise avec laquelle elle parle de sexe, et l’enthousiasme avec lequel elle parle de bouffe.

— Qu'est-ce qu'on mange de bon ?— Oh, un truc simple ! Des spaghettis…
— Je vois ça ! La sauce, c'est fait avec quoi ?
— Avec amour.
Case suivante : « Ce soir, l’amour a un goût de bisque de homard. »
Un maki à l'oursin "Visuellement, c'était pas terrible. Ça me faisait penser àd es petites langues coupées…""Mais au goût…" L'autrice s'est représentée sur une barque, cheveux hérissés devant la vague d'Hokusai… vague orange, de la couleur du maki à l'oursin.
Je crois me souvenir de ce souvenir déjà narré dans ses chroniques japonaises…

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Bonus pour le récit de sa rencontre et de son amitié avec Mona Chollet, mais noooon ?! entre petit pincement de jalousie, incrédulité de voir mes mondes entrer en collision et joie du cross-over :

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C’est amusant, on ne sait jamais quel détail d’une lecture viendra se rappeler à nous dans un contexte qui n’a rien à voir. Il y a peu, alors que le boyfriend se réjouissait que je n’ai pas senti l’ail dans le plat qu’il contribuait néanmoins à équilibrer, j’ai repensé à ce passage de La Vie gourmande dont je n’avais pas même cherché à garder une trace, où Aurélia et une amie dégustent dans un étoilé un plat où le chef a inséré une pointe infinitésimale d’une substance qui, en plus grande quantité, agirait comme poison. Sur le moment, j’ai trouvé ça complètement con. J’y ai repensé aujourd’hui encore en testant une recette de risotto de coquillettes et petits pois au fromage ail et fines herbes, qui m’attirait inexplicablement dans ce bouquin alors que je n’aime toujours pas l’ail. Il faut croire qu’un goût peu aimable excite les papilles et qu’on en a parfois autant besoin que le réconfort procuré par, par exemple, le chocolat aux amandes que je boulote en rédigeant ce paragraphe. En écho me revient l’anecdote d’un programmateur musical ou d’un critique, je ne sais plus, qui se demandait si, vraiment, la vieille bourgeoise qui s’indignait d’un morceau contemporain n’en avait pas davantage profité que le Mozart sur lequel elle avait roupillé…

Bulles de BD : L’été du vertige

C’était le grand silence dans ma tête.
Et là j’ai compris : c’est pas que j’arrivais plus à réflechir
c’est qu’il y avait une idée qui tournait en boucle, et que je voulais pas écouter.
Cette idée, c’était : m’enfuir.
Tout laisser, tout ce poids.
Toutes ces choses auxquelles je ne pouvais rien.
Les laisser là derrière et faire mes propres choix, mes propres pas.

Peu d’attrait pour le trait, mais les couleurs le débordent, et chaudes se mettent à jurer sur les froides, flamboient de leur propre chef, comme si tout était illuminé par un feu secret, intérieur ou hors-champ qui menace d’embraser le reste. J’ai trouvé ça particulièrement réussi dans cette séquence où les draps mis à sécher deviennent des flammes (attention spoiler) :

Le feu est loin de n’être qu’une métaphore passionnelle dans ce récit porté par l’envie de tout cramer. L’ambivalence du feu qui purifie et détruit se retrouve dans la relation entre les deux personnages : fascination libératrice ? influence malsaine ? Impossible de dire si l’héroïne se trouve ou se perd. Sans doute les deux en même temps, d’où un coming of age dérangeant qui sonne un peu comme un manifeste pour la maison d’édition qui le publie (aux côtés de Tout brûler et Un monde plus sale que moi pour ceux que j’ai lu) : La Ville qui brûle, pyromane quand This is fine au milieu des flammes.

le vertige c’est
à la fois une peur
et une attraction
comme un appétit
de soi-même
l’envie de découvrir
ce dont
on est capable
perdre pied
pendant un instant
se rendre compte
de l’immensité
de l’immensité du vide
et vouloir y plonger

Films et séries 2024



Janvier : Iris et les hommes (ciné) / La Fille de son père (ciné) / Chungking Express (ciné) / FévrierOSS 117 👎 / Adieu les cons 💙 (Amazon) / Anatomie d’une chute (ciné) / Photo de famille (Netflix) / Mars : Dune 2 💛 (ciné)  / Never let me go 💛 (Amazon)  / Divines 💙 (Netflix) / Damsel 👎 (Netflix) / Pas de vagues (ciné) / Mai : C’è ancora domani (ciné) / Juin : Tenet (Netflix) / Gloria (ciné) 🩷 / Maria (ciné) / Été 85 (TV) / Love Lies Bleeding (ciné) 💛 / Elle & lui et le reste du monde (ciné) / Juillet : Kinds of kindness (ciné) / Le carré noir (Arte.tv) / Written on Water (Arte.tv) / Io sono l’Amore (Arte.tv) / Les Fantômes (ciné) / Novembre : Mamma mia ! / Décembre : Je ne me laisserai plus faire (Arte.tv) / Gattaca (Amazon) / La Cité de Dieu

En 2024, j’ai résilié ma carte UGC illimité et ça se sent, même si j’ai cherché dans un premier temps à compenser en puisant dans le catalogue d’Arte.tv. Peut-être ai-je oublié de consigner des visionnages ; cela me semble étrange qu’il n’y ait rien pendant deux mois d’affilée.

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Janvier : Family Spy (saison 2) / Février : Peaky Blinders (saison 1) / Heartstopper (saison 2) / Mars-mai : Peaky Blinders (saison 2 à 6) / Avril-juin : Derry Girls (saison 1 à 3) / Fargo (saison 1) / Juillet : The Boys (saison ?) / Fargo (saison 2) / Septembre : Bridgerton (saison 3) / Octobre : Heartstopper (saison 3) / Mindhunter (saison 1) / Novembre : Mindhunter (saison 2) / Tuca & Bertie / Décembre : Arcane (saison 1 et 2)

Le bilan série est plus réjouissant. Seule, j’ai guimauvé devant Heartstopper, ri devant Derry Girls et suivis les recommandations de Pauline Le Gall en regardant Tuca & Bertie qui n’est pourtant pas ma tasse de thé graphique (trop rapide, trop  agressif). Sur les conseils du boyfriend, j’ai regardé Arcane et si là aussi la patte graphique ne m’attirait pas (si admirable soit-elle), j’ai surkiffé (la première saison surtout). Spare the sympathy, everybody wants to be my enemyyyyyy !

Ensemble, nous avons avidement regardé Mindhunter sur les débuts du profilage des serial killers et la saison 1 de Fargo, avant de nous lasser en cours de saison 2 (cette idée de virer quasi tous les personnages avec une saison flashback aussi…). On a également pris plaisir devant Spy Family et son improbable scénario réunissant un espion, une gamine qui lit dans les pensées et une tueuse à gage, chacun ignorant les activités des autres, avec ses motivations propres pour simuler une vie familiale ordinaire (jusqu’à vraiment faire famille, à leur manière).

Si je ne devais garder qu’une seule série cette année pourtant, ce serait Peaky Binders, que j’ai regardée mille ans après tout le monde, tantôt seule tantôt avec le boyfriend. Je serais même assez tentée d’aller voir la comédie musicale adaptée de la série, pour tout vous dire ! By order of the Peaky fucking Binders.