Dîner chez Britney

Britney : un bistronomique lillois où la carte s’étale sur les étagères du restaurant, cartons rouges pour les viandes, bleus pour les produits de la mer, verts pour les VG et roses pour les dessert. C’est un peu cher en soi par rapport aux produits utilisés, mais cela reste abordable, et c’est in fine un bon rapport qualité-prix pour des plats aussi travaillés. Mariages de saveurs étonnants (bergamote-gorgonzola, comté-chili…), textures contrastées (glace sur lit de chapelure, émulsions de légumes avec des lasagnes…), produits d’ailleurs réappropriés (notamment des sauces inspirées des dips indiens pour accompagner l’os à moelle du boyfriend)… cela faisait longtemps qu’un repas n’avait pas ainsi stimulé ma curiosité. J’ai abondamment saucé mes plats, d’autant que le pain se mangeait comme du gâteau.

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croquettes tapioca, comté et sweet chili sauce
Des croquettes toutes carrées (!), archi croustillantes, et la sauce toute faite, bien connue mais dépaysée sans son riz et ses poivrons habituels.

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gorgonzola ice-cream
On ne va pas se mentir, c’est un peu pour elle que j’avais envie de venir ; quenelle de glace au gorgonzola, donc, nappée d’un chutney de bergamote, sur un lit de chapelure noire. Quand on goûte les éléments indépendamment, ce n’est pas fou (la chapelure manque un chouilla de croustillant et j’ai carrément grimacé en goûtant le chutney de bergamote, ça m’a rappelé la limonade sur le balcon à Pizzo en Calabre), mais ça fonctionne très bien ensemble, le gorgonzola et la bergamote se neutralisent mutuellement et la chapelure donne de la matière en calmant le jeu.

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cacahuète et chocolat
Mousse au chocolat sur un lit de glace à la cacahuète avec un peu de croustillant : ce sont probablement les saveurs les moins surprenantes de la soirée. Mais la présentation a assuré le spectacle jusqu’au bout, le dessert étant servi dans une tasse — comme un affogato ? L’illusion fonctionne très bien : le boyfriend s’y est laissé prendre l’espace d’une seconde quand le serveur a déposé devant lui un second dessert au lieu du café commandé.

Carnet de barre #2 : les grands pliés

Cela fait un an que les seuls cours de pédagogie que nous avons sont destinés aux éveils-initiation, c’est-à-dire aux enfants de 4 à 6 ans qui ne sont pas là pour apprendre une technique de danse (classique, contemporaine, jazz…), mais pour développer leur motricité. Il a fallu attendre la deuxième moitié de la deuxième année de formation pour avoir notre premier cours de « progression technique », c’est-à-dire de pédagogie pour apprendre à donner des cours de danse — le cœur de notre futur métier, quoi.

Ma camarade N. était impatiente : le vif du sujet, enfin ! Nous avons été un peu désarçonnées quand le thème de la séance a été annoncé : la structure d’un cours de danse classique. Grands pliés, dégagés, battements tendus, ronds de jambe… doit-on vraiment tout repasser alors que cela fait 20 ans qu’on en prend ? Eh bien oui, et pas seulement pour noter le type de musique qui sied à chaque exercice (menuet, valse, habanera, etc.) ou identifier les principales difficultés qui guettent (le genou pas au-dessus du pied dans les pliés, la jambe de terre et le bassin qui fait la lambada dans les ronds de jambe…) : les grands pliés se sont trouvés faire débat.

Si vous êtes étranger à la danse classique, il faut savoir que la classe commence toujours par des pliés où que vous soyez dans le monde, débutant ou professionnel. Ils peuvent être précédés par un réveil corporel pour mobiliser les chevilles ou la colonne vertébrale, mais le premier exercice en tant que tel est invariable : ce sont les pliés, avec des demi-pliés (la jambe plie au maximum qu’il est possible sans décoller les talons) et des grands pliés (on va jusqu’en bas en décollant les talons). Dans toutes les positions ou presque : en première (les deux pieds réunis au niveau du talon, quelque part entre le V et la ligne à 180°), en seconde (idem en écartant les jambes), en quatrième (jambes écartées mais un pied devant l’autre) et en cinquième (les deux jambes et pieds collés tête-bêche, orteils contre talons) ou en troisième pour les plus jeune (comme une cinquième, mais moins croisée).

Illustration maison extraite du livre que j’aimerais reprendre et finir cet été, on y croit (oui, il manque un L à pellicule)

Dans notre formation, les grands pliés en quatrième position sont bannis ; ça on a eu le temps de le comprendre. Ils sont mauvais pour les articulations et, contrairement aux demi-pliés en quatrième (position de départ des pirouettes), ne préparent à rien dans la technique. Je n’y avais jamais réfléchi auparavant, mais ça fait sens, et la sensation de tiraillement dans les genoux ne me manque pas le moins du monde. En revanche, je n’arrivais pas à comprendre pourquoi les grand pliés étaient régulièrement retardés, arrivant après les dégagés voire les battements tendus — parfois pas même comme exercice à part entière, saupoudrés en guise de ponctuation finale à d’autres exercices. Je prenais ça pour une coquetterie de professeur, entre oubli maquillé et désir d’originalité. Ce ne serait pas la seule marotte rencontrée dans cette formation.

J’ai enfin eu la réponse à la question que j’avais omis de me poser. Les grands pliés sont relégués au rang de deuxième voire troisième exercice pour respecter une progression anatomique. Vous trouvez ça normal, vous, de soumettre vos articulations à cette amplitude, de faire travailler ainsi vos hanches, pour ensuite reprendre ensuite à la cheville avec des dégagés pépères ? Une fois comme ça, d’accord, mais tous les jours, tout une vie, vous imaginez ? Eh bien, maintenant que vous le dites… Prise de conscience en accéléré de la force de l’habitude, élevée au rang de rituel dans cette discipline académique qu’est le ballet. On le fait parce qu’on l’a toujours fait, non ?… oubliant au passage l’invention de la tradition et l’évolution des sciences anatomiques appliquées au mouvement.

J’ai mentalement repassé les cours des différents professeurs que j’ai pu avoir au prisme des grands pliés, les mettant en relation avec mes sensations. Du conservatoire, j’ai le souvenir des grands pliés comme d’un concert de craquements ; ça nous faisait marrer, les genoux craquotte en cascade, mais effectivement, nos professeurs étaient de la génération des hanches en plastique. Est-ce mieux dans la formation actuelle, où les grands pliés sont retardés dans le cours ? Pour être honnête, il me manque quelque chose dans les jambes. Seule exception : le professeur qui inclut dans son réveil corporel des sortes de grands pliés seconde en transférant le poids du corps d’une jambe sur l’autre, à mi-chemin entre le squat et l’étirement informel que l’on ferait plus tard et plus bas, jambe étirée. Là, j’ai le sens du repoussé. Et de revenir, entre autrefois et aujourd’hui, presque hier, aux cours que j’ai pris avec Frédéric Lazzarelli au centre de danse du Marais, un des rares cours open où je me sentais bien chauffée. J’attribuais cela aux nombreux demi-pliés qui émaillent sa barre, avec pas mal de dégagés brossés, mais en y repensant : ses cours commencent avec des pliés, en seconde et en première position uniquement ; les grands pliés en quatrième et cinquième position concluaient les ronds de jambe ou autres exercices ultérieurs.

D’où je pencherais actuellement pour la synthèse suivante : grands pliés en seconde et première en début de barre, puis plus tard en cinquième position, en zappant la quatrième. Et ma camarade plus aguerrie car passée par une formation professionnelle en Angleterre, qu’en pense-t-telle ? Elle a eu l’air exaspérée par ces dérogations fantaisistes à l’ordre de la tradition. J’ai été surprise : sachant ses problèmes passés aux genoux, je l’aurais imaginée particulièrement réceptive à cette sensibilisation émanant d’une ancienne danseuse du ballet de Cuba qui, à 66 ans, pourrait encore montrer tout le cours, n’était un bête accident… de circulation. Puis je me suis souvenue, et j’ai ravalé ma surprise : après un an et demie à voir sa discipline systématiquement oubliée ou minorée dans une filière qui lui est pourtant dédiée, ce backlash conservateur est-il si surprenant ? Mais cela mériterait un autre billet.

Je n’ai pas du tout documenté mon apprentissage de futur professeur de danse au fur et à mesure comme je le pensais. Si jamais il y a des aspects qui vous intéressent, des questions que vous vous posez, des sujets que vous aimeriez voir abordés, n’hésitez pas à me les indiquer en commentaire – ça me fera plaisir d’avoir du grain à moudre en bonne compagnie.

Séries 2022

 

Plutôt que d’ajouter le nombre d’heures passées à regarder des séries aux statistiques faramineuses de mon téléphone, je préfère voir ce qu’il en reste et vous donner envie vous aussi d’y laisser quelques soirées.

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Normal People

Vu sur Arte replay –
dispo sur france.tv jusqu’au 15 mars

Heureusement que Melendili m’a avertie de l’existence de cette courte série avant l’arrêt du replay : je suis rapidement tombée amoureuse du personnage principal. Un beau personnage masculin bien écrit, a approuvé Melendili. Je pensais au personnage féminin, incroyablement belle et brillante mais difficilement aimable.

On est clairement du côté du mélo plus que de la comédie romantique, avec un couple qui ne cesse de se manquer et de se rejeter, remuant un passé-passif-agressif — des histoires de classe sociale, de confiance et de soi abîmés, ébréchés, qui font que l’un et l’autre sont toujours prêts à se saborder. C’est une histoire magnifique, jusque dans son dénouement à rebrousse-poil, avec des personnages à la psyché fouillée et probablement les plus belles scènes de sexe-tendresse que j’ai jamais vues (des scènes avec un véritable enjeu narratif où le sexe n’est pas une performance ou une manière d’acter une conclusion, mais un espace d’intimité où l’on se découvre dans la friction).

À voir si : vous avez un cœur caramel mou.
À ne pas voir si : vous avez un cœur caramel dur.

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Black Mirror

Presque tous les épisodes des saisons 1 à 4, sur Netflix

Une éternité après tout le monde, je découvre cette série qui n’a de série que le nom, puisque les épisodes, confiés à des réalisateurs différents, sont totalement indépendants ; ils n’ont en commun que leur noirceur. Le boyfriend a soigneusement sélectionné des épisodes pour m’y faire entrer progressivement, privilégiant les dystopies aux thrillers… que j’ai fini par regarder (parfois derrière une main ou une épaule) tant ils sont virtuoses et intelligents. Le niveau de stress est pourtant de taille à tester l’efficacité de son déodorant : un épisode de Black Mirror et je pue d’une sueur âcre comme si c’était moi qui avais été traquée pendant une heure.

Parmi les épisodes qui m’ont le plus marquée :

  • presque feel good : Hang the DJ (malgré le titre), Chute libre
  • sur le deuil : San Junipero (mélancolique), Bientôt de retour (creepy et dur émotionnellement)
  • proprement terrifiants : La Chasse, Metalhead

À voir si : vous avez quelqu’un derrière qui vous cacher.
À ne pas voir si : vous êtes seul chez vous et/ou n’avez pas mis de déo.

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Les Chroniques de Bridgerton

Saison 2, sur Netflix

C’est téléphoné, évidemment, mais quel plaisir de passer quelques heures au téléphone à bitcher en bonne compagnie !

- Viens voir le bébé, Eloïse. - Pourquoi ? Il a changé ?

À voir si : vous aimez l’esprit British & bitchage.
À ne pas voir si : vous êtes allergiques aux comédies romantiques.

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Drôle

Saison 1, sur Netflix

Je n’ai pas vraiment ri mais j’ai pas mal souri, parce que c’était drôle, oui, mais surtout touchant. Pourquoi arrêter la production alors qu’on tenait enfin une bonne série française bien rythmée ?

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The Handmaid’s Tale

Saisons 1-5, sur Amazon Prime et OCS

Coiffes blanches, manteaux rouges, couleurs et rang impeccables. Lumières douces, diffuses, divines presque. Visuels contrastés, organisés, adoucis. L’univers de la servante écarlate est incroyablement esthétique et ce n’est pas un hasard, comme le confirmera par la suite son négatif, le monde « normal » que nous connaissons, au rendu terne et bordélique. L’esthétisation de l’horreur loin de la gommer la renforce ; la force graphique de l’image traduit la fascination que peut exercer la société dépeinte, souligne sa dangerosité. J’ai regardé les premiers épisodes comme une proie paralysée face à son agresseur, prise dans une fascination morbide et viscérale.

La prise ne s’est pas desserrée, sauf peut-être à la fin de la saison 2, quand on impute à son personnage une décision moins cohérente que pratique pour jouer les prolongations pendant une nouvelle saison (j’ai boudé pendant quelques jours avant de reprendre le visionnage). J’en ai passé, des heures avec June Osborn, Serena Joy Waterford et Fred Waterford — la servante, l’épouse et le mari. L’intérêt grandit à mesure que les jeux d’alliance entre ces trois personnages créent des relations qui ne peuvent plus être simplement nommées, mille-feuille d’intérêts divergents-convergents-divergents, séduction, manipulation, jalousie, entraide, résistance, vengeance… Cette complexité psychologiques fait que les premières saisons en huis-clos sont pour moi les plus fortes, même si les enjeux de politique internationale des saisons 4 et 5 réservent leur lot de tensions stimulantes, après une saison 3 un peu flottante entre zoom in et zoom out.

[Prise de conscience en écrivant ce post] C’est probablement ce changement d’échelle qui a fini par me rendre exaspérants les gros plans constants sur le visage d’Elisabeth Moss : autant cela se justifie dans la cadre d’un huis-clos, où tout est filmé au plus près des personnages, traduisant leur marge de manœuvre très étroite, autant la répétition de ce procédé dans un cadre plus large prend des allures d’appels empathiques trop appuyés pour ne pas devenir un brin kitsch (et contre-productif : on s’agace plus qu’on ne s’émeut).

À voir si : vous ne l’avez pas vu.
À ne pas voir si : vous avez des traumas (beaucoup de violences et de viols).

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The Boys

Saisons 1-3, sur Amazon Prime

Pris dans les logiques du vedettariat, les superhéros en oublient leur mission première (les sauvetages ne valent plus que par leur dimension spectaculaire), voire trempent carrément dans des scandales politico-financiers incluant sexe, drogue et meurtre. Quant aux good guys sans superpouvoir qui se mettent à lutter contre les dérives des sup‘, ils ne tiennent pas longtemps dans cette inversion des rôles — les fins, les moyens, le pouvoir, quoi. La réalisation ne lésine pas sur les tripes et l’hémoglobine, mais la satire prédomine toujours sur le carnage — sanglant sur tous les plans.

L'équivalent de Superman en train de prendre des selfies avec des ados

À voir si : vous avez aimé l’épisode Avengers de Joss Whedon.
À ne pas voir si : vous ne supportez pas la vue du sang.

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L’Opéra

Saisons 1-2, sur OCS

Mauvais, mais addictif comme un bon nanar. Et ça me fascine : qu’est-ce qui fait que c’est mauvais, alors que le scénario transpose plutôt intelligemment quelques épisodes de l’Opéra de Paris, et qu’on y trouve quelques bonnes piques répliques ? Certes, les danseuses ne sont pas actrices, ni les actrices danseuses, et le bon sentiment ambiant n’aide pas. Mais même lorsqu’on se prend d’affection pour Hortense (Gromard) et que les enjeux se nuancent dans les questions de harcèlement soulevées par la deuxième saison, il manque quelque chose ; probablement : une direction d’acteurs et une réalisation à la hauteur. Hormis les scènes de danse contemporaine, auxquelles la caméra donne du corps, tout est exposé assez platement, par des dialogues sans mystère et des plans… des plans comment, justement ? Je n’ai pas le bagage suffisant pour étayer mon impression : est-ce un choix de caméra ? d’angle ? de lumières ? de montage ? Je serais vraiment curieuse de découvrir l’analyse d’un cinéphile sur les raisons de cette apparente pauvreté.

Alors pourquoi regarder ?

  • Pour faire frétiller sa balletomane intérieure, ravie de retrouver des lieux et des danseurs connus à la dérobée, et de deviner les chorégraphes ou épisodes ayant servi de support à la fiction (le passage de Benjamin Millepied à la direction, la question de la diversité, le rapport sur le harcèlement…). Il se peut que j’ai légèrement saoulé le boyfriend à force de name-dropping.
L’assistant du nouveau directeur (inspiré de Benjamin Millepied) annonce que ça va changer avec lui. Réponse dans un franglais zozotant absolument par-fait : « They always say this mais ça change jamais vraiment. »
  • Pour faire frétiller sa midinette intérieure : mentionnons pudiquement les noms de Raphaël Personnaz et Loïc Corbery, aux faux airs de Nicolas Le Riche (je ne le connaissais pas, mais vu les réactions que son nom a déclenché lorsque je l’ai mentionné sur Twitter, on ne m’a pas attendu pour crusher).
  • Pour dire : on parle de moi (enfin de nous, les blogueurs) !
« – Ça ne vous intéresse pas, les blogs ? / – L’opinion de 3 danseuses ratées, pas tellement. » Et plus loin, lorsque les danseurs attendent les résultats du concours de promotion : « – Ça fait une heure que les pronostics des blogueurs le donnent vainqueur. / – C’est des conneries, les blogs. »
  • Pour bitcher sur les faux pas : les mains pelles à tarte de Flora, dignes d’une débutante ; les tutus cheap en lycra ; le cunni fait à une danseuse en tutu (entre l’entrejambe en tissu et le collant, ça semble difficile)… Difficile de consentir longtemps à suspendre son incrédulité avec ce genre de détails à répétition. Mais ça tombe bien, les épisodes se regardent très bien téléphone à la main, prêt à screenshoter et twitter — médisance et réjouissance.
La maîtresse de ballet, maîtresse ès phrase assassine. Ici face à un danseur qui prépare Varna : «C’est poli, c’est lisse. Comme un mauvais amant, on attend que ça passe. » / Le même personnage a aussi cette saillie bien envoyée : « La direction de la danse, c’est comme Matignon : c’est l’enfer, mais ça ne se refuse pas. »

"Un audit, c'est pas fait pour chercher la vérité…" "mais pour dire qu'on l'a cherchée"

  • … pour connaître la suite, tout bêtement. Eh oui. À force, le second degré s’émousse et laisse place au premier degré, celui des violons et des histoires personnelles, traumatiques, amoureuses ou battantes. Alors que j’ai repris la saison 2 en me demandant si j’allais regarder ce navet poussif jusqu’au bout (le contraste avec The Handmaid’s Tale piquait très fort), je me suis surprise à prendre de plus en plus de plaisir (coupable) au visionnage. De là à remarquer que ce glissement est concomitant de l’apparition de Loïc Corbery…

Et parfois, on a de bonnes surprises, comme cette nuance bien formulée, répondant à la question « Il faut souffrir pour atteindre l’excellence ? ».

"On peut s'imposer une souffrance en tant que danseur." "Mais pas l'infliger en tant que professeur."

À voir si : vous êtes balletomane.
À ne pas voir si : vous êtes en compagnie d’une balletomane sans l’être vous-même.

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Lovesick

Saisons 1-3, sur Netflix

Des personnages attachants, une intrigue amoureuse et des épisodes de 20 minutes : pile qu’il me fallait pour mes soirées de novembre, Melendili a visé juste.

Dylan, infecté par la chlamydia, rappelle toutes les anciennes partenaires auxquelles il est susceptible de l’avoir transmise. On passera sur l’absence sidérante de préservatif dans ce dispositif narratif : chaque épisode ou presque fait ainsi en flashback le récit d’une rencontre passée — et il y en a un certain nombre, le jeune homme ayant tendance à tomber amoureux comme on change de chemise. Évidemment, un arc narratif plus long se dessine au fil des épisodes, entre oscillation amoureuse et mauvais timing.

L’ensemble pourrait être potache, mais cette dimension est évacuée-concentrée dans le rôle de Luke, le coloc qui ressemble à Alexander (le bon pote un peu à la masse dans Buffy) mais se comporte comme Barney (le séducteur invétéré dans How I Met Your Mother). Dylan, lui, partagerait plutôt le côté paumé-dégingandé de Josh (dans Please Like Me), boulet mi-attendrissant mi-exaspérant errant entre Abigail et Evie, deux jolis portraits de jeunes femmes, plutôt bien fouillés.

Au final, je me suis laissée (sur)prendre par la saveur douce-amère des relations et des émotions qui n’ont plus vraiment de nom à force d’être enchevêtrées, le sentiment d’être avec la bonne personne n’effaçant pas le chagrin des histoires achevées ou manquées.

(Big up aux Britanniques pour le titre original de Scrotal Recall.)

À voir si : vous avez envie de douceur.
À ne pas voir si : vous êtes allergiques aux romances.

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Westworld

Saisons 1-2, sur OCS

Une série taguée science-fiction avec une forte esthétique western ? Autant dire que le boyfriend avait fort à faire pour contrebalancer mon a priori. Mais ce qui m’insupporte dans les westerns, c’est l’errance. Or on fait tout sauf errer dans Westworld : les scénaristes savent clairement où ils vont, même si nous spectateurs, beaucoup moins. Mais il y a un sens, on le sait, on le sent, on le cherche, les personnages aussi et cette quête est au centre même l’histoire. Des questionnements philosophiques se nichent sous (ou plutôt entre) les couches temporelles narratives qui se superposent sans signe distinctif de prime abord, ménageant des retournements logiquement impeccables qu’on n’aura cependant pas vu venir — c’est virtuose. D’autant que chaque résolution ne résout rien, rouvrant la question de l’identité, de la conscience et du libre-arbitre.

Vieil homme dans sa chaise de dirigeant, avec des moulages de visages blancs derrière lui

Tenancière de bordel en corset, assise dans un laboratoire

Cow-boy et cow-girl à cheval

Il y aurait clairement une lecture leibnizienne à faire de la série, avec ses personnages qui s’arc-boutent contre une réalité où le libre-arbitre revient à être incliné mais pas nécessité à faire telle ou telle action — mais incliné quand même : je nous revois en khâgne révoltés contre cette butée. Leibnitz essaye de ménager la chèvre et le chou en articulant déterminisme divin et libre-arbitre humain : il faut en effet que l’homme soit libre de bien ou mal agir pour que Dieu puisse être lavé du soupçon d’avoir créé le mal… sans pour autant que sa toute-puissance soit remise en cause (le chèvre et le chou, je vous dis). Dieu ne créerait pas des hommes mauvais par essence, mais dotés d’un caractère tel qu’ils puissent devenir mauvais (mais aussi théoriquement bons) par une successions de choix propres. La nuance vaut ce qu’elle vaut et, khâgneux, nous nous débattions avec Leibniz et le commentaire de texte pour essayer de sauver le libre-arbitre humain dans cette étroite limite entre des choix possibles mais improbables en raison de ce qui fait que nous sommes qui nous sommes (rien ne m’empêche de prendre la décision opposée, mais je ne le fais pas, sinon je serais quelqu’un d’autre). Dans Westworld, le déterminisme divin est remplacé par le déterminisme du code informatique, avec en filigrane cette question lancinante : obtient-on des comportements fondamentalement différents si on programme chaque action d’un être artificiel ou si on le dote d’un code de base, cornerstone, qui définit son caractère et incline ses actions sans les nécessiter ? Transposé aux humains : sommes-nous réellement libres de nos choix quand un passé nous constitue ?

À voir si : vous ne l’avez pas vu.
À ne pas voir si : les paradoxes temporels vous donnent des maux de crâne.

I love Roubaix, visite guidée

Je découvre sur le compte Twitter I love Roubaix (@IloveRBX) que des visites guidées gratuites du centre-ville sont organisées tous les mardi, vendredi et samedi pendant l’été. Nous sommes vendredi, matin. À 15h, je suis à l’office du tourisme, avec cet entrain que génèrent les choses inopinées qui tombent bien. La prévision n’a pas vraiment eu le temps de s’installer ni surtout de se muer en contrainte ; je suis encore dans l’élan spontané, guilleret. Mon code postal ? 59 100. Mais je suis une fausse, Roubaisienne d’adoption depuis un an seulement. Je suis là pour les rattrapages, visitant ma propre ville aux côtés de touristes belges.

Alors que le tweet parlait d’un guide réalisant son stage de licence, je me retrouve face à un homme de mon âge, voire un peu plus… Roubaix est décidément un lieu de reconversion. À sa dégaine, son timbre un peu éraillé, je le verrais bien au pub avec le boyfriend et ses potes ; à son érudition, je l’imagine historien doctorant. Il nous raconte l’histoire de la ville avant même qu’elle porte exactement son nom, et sans bouger sinon d’un pied sur l’autre, on traverse les siècles, sans perdre le fil d’une histoire rattachée à la production textile, paysanne d’abord puis industrielle quand on se met à rassembler les artisans au même endroit et à copier les inventions des Anglais. Avec la Révolution industrielle, la ville explose (figurez-vous que Roubaix était plus grande que Lille !), surnommée la ville aux mille cheminées (c’était évidemment une exagération, mais il y en avait tout de même 300 ou 40O). Depuis l’école industrielle supérieure des arts textiles, on remonte l’avenue Jean Lebas (maire socialiste et ministre du Travail sous le gouvernement Bloom) en passant devant le musée de la Piscine, originellement des bains publics voulus par Jean Lebas pour améliorer les conditions d’hygiène des ouvriers, déplorables dans les courées (que j’ai mentalement orthographiées courraies pendant toute la visite).

Façades folles avenue Jean Lebas

Au passage, le guide nous détaille la façade de quelques-unes de ces bâtisses folles commandées par les riches propriétaires industriels et réalisées dans un style éclectique, aka pas de règle, on pioche dans tous les styles, antique, néoclassique, flamand, Renaissance, vas-y pour la brique bien d’ici, les balustrades, le fer forgé, la guirlande en pierre, ça fait pas trop, t’es sûr ? non je rajouterais bien un vase d’abondance, une fenêtre en arche et puis un bow window inversé (croyez-le ou non, je ne l’avais jamais remarqué, malgré la rupture dans la couleur de la peinture). Ça m’a donné très envie d’apprendre à connaître un peu mieux les différents styles architecturaux pour être capable moi aussi de lire ces façades ; si jamais vous avez des suggestions de livres que je puisse chercher à la médiathèque, laissez-les moi en commentaire (de préférence avec beaucoup d’images et peu de textes ; on est bien obligé de choisir ses combats).

Nous sommes cinq, six avec le guide. Quand on se remet en marche entre deux arrêts magistraux, le monsieur aux cheveux blancs et à la chemise tenue à carreaux talonne le guide et le presse de questions. Il tient serrées contre lui les bretelles déjà ajustées de son sac à dos et je souris en pensant qu’il a l’air d’un écolier modèle, juste un peu plus vieux… quand je me surprends à tenir mon petit sac imprimé Vichy exactement de la même manière, avec des bretelles seulement plus lâches.

 

L’Hôtel de Ville meringue

Quand on arrive devant l’hôtel de ville, je retiens mon souffle : quelle est la justification de cette grosse meringue, qui détone complètement dans le paysage ? Un maire de droite (patron poussé en politique pour reprendre la ville des mains des socialistes) qui a fait appel à un architecte de la capitale pour épater la galerie. La meringue lui a coûté son poste de maire ; j’ai un peu envie de dire : cheh. Au passage, en détaillant le blason de la ville (il y avait un blason dans tout ce bazar ?), j’apprends que l’épeule est le nom local donné à la cannette placée au centre de la navette (dans les métiers à tisser). Cela fait donc un an que je descends à la station Épeule-Montesquieu sans avoir jamais songé qu’il puisse s’agir d’un nom commun avec une signification.

 

L’ancienne filature Motte-Bossut

On finit devant l’ancienne filature Motte-Bossut, un délire architectural de château médiéval à l’anglo-saxonne, tout en briques. Le nom composé ne désigne pas une seule et même personne : Bossut est le nom de l’épouse, qui en toute logique patriarcale aurait du être effacé… mais quand on est l’héritière d’une dynastie industrielle, on garde son nom et on l’accole à celui du mari. Il y a même eu une filature Motte-Motte… Tu m’étonnes qu’à force de mariages et d’entre-soi, les industriels locaux ont amassé assez de capital pour se passer des banques ! Motte-Motte, elle est bien bonne. On est sur la fin de la visite, dans le temps de l’anecdote ; le guide nous confie que son grand-père (ou arrière ?) avait lui aussi une filature dans la région – rien d’aussi gigantesque, peut-être une centaine d’ouvriers, mais… Tout d’un coup, je comprends mieux d’où vient son enthousiasme sincère pour l’audace d’entreprendre des anciens industriels textiles, un discours qui, en ces temps de macronie, ne colle guère avec son look de gauchiste bourlingueur et la gentillesse avec laquelle il a prolongé la visite d’une dizaine de minutes (le temps n’est pas de l’argent)(mais du savoir à partager).

C’est déjà la fin de la visite, le guide part et le groupe se disperse vite, à l’exception du monsieur au sac à dos et moi. Nous nous mettons à discuter et je découvre que, s’il a fait préciser la date de fermeture de la filature au guide, ce n’est pas par réflexe d’érudit, mais parce qu’il l’a connue en activité enfant… Et pourtant, il n’est pas du coin, je ne comprends plus rien. Il vit au bout du monde. Où ça ? Où les gens portent le masque si on leur conseille de le faire, sans même y être obligés. Il tire sur le sien en posant sa devinette (en tissu, en extérieur, cela ne sert à rien, mais je ne lui dis pas, comprenant qu’il en fait une question de respect plus que de santé). Et donc, où ça ? Au Japon, depuis 40 ans. Il a réussi à s’intégrer ? Mais oui, mais oui, il ne comprend manifestement pas très bien qu’on lui pose la question. Le choc des cultures, pour lui, c’est quand il revient. Tout a changé. Quand il déplore ne plus entendre parler sa langue maternelle, je crois qu’il fait référence à la population musulmane du centre-ville qu’on entend souvent parler arabe, mais non, sa langue maternelle, c’était le ch’timi. J’étais à cent lieues. C’était une autre époque, que je sens encore vivante en lui, mais qu’il sait m’être inaccessible. Il partage ce qui peut l’être : la moitié des noms de famille étaient polonais dans sa classe ; sur 48 élèves, ils n’ont été que 3 à poursuivre au lycée ; il ne sait même pas si les deux autres ont eu le bac. C’était une autre époque. Tout a changé. Les mentalités. Il n’a pourtant pas le côté péremptoire d’un vieux monsieur réactionnaire. Et d’ailleurs, il n’en dit pas plus. N’en pense pas plus, pour ce que j’en devine. Il est trop loin pour cela, sa vie est ailleurs, bien actuelle, en Asie. Reste une vague tristesse de ce qui a déjà disparu et disparaîtra à nouveau avec lui, qu’il ne me confie même pas, trop poli pour risquer d’embarrasser. Il va la déposer Chez Paul, tandis que je m’arrête un peu avant, à la boulangerie-pâtisserie artisanale.

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J’espère ne pas avoir raconté de bêtises. Pour la visite complète avec Tristan, c’est par ici.