À chaque fois que je passe devant le restaurant-près-de-chez-moi ou le restaurant-en-bas-du-boulot, il faut que je jette un œil à l’ardoise pour savoir quel est le dessert (près de chez moi) ou le plat du jour (en bas du boulot). Le matin, tandis que le digicode sonne son approbation, je m’appuie souvent quelques millisecondes supplémentaires contre la porte d’entrée pour attraper la ligne du regard. Que je n’aie jamais mis les pieds au restaurant-en-bas-du-boulot ou que je n’aie pas l’intention de retourner tout de suite au restaurant-près-de-chez-moi n’a aucune importance. Il suffit que le dessert ait l’air bon ou que le plat soit composé d’ingrédients qui me plaisent pour me rendre un peu plus gourmande de la journée qui s’annonce sinon fort routinière.
Ce matin… mais ce n’est déjà plus aujourd’hui, ce matin est si loin. Ce matin-là, donc, en arrivant à la hauteur du restaurant-près-de-chez-moi, le pas pressé par le froid et le métro à prendre, je cherchai machinalement du regard l’ardoise et, en lieu et place du dessert (Profiteroles maison ? Elles sont divines… Tarte à l’abricot ? Oui, oui, mais non. Panna cotta aux accompagnements prometteurs ?), je vis une silhouette emmitouflée et accroupie, un feutre blanc à la main. Est-ce parce que j’étais un peu en retard (d’un retard qui est pourtant devenu mon horaire habituel) ? parce que je traverse souvent un peu plus bas et ne découvre le menu qu’à mon retour, le soir ? Je n’avais jamais vu le menu en train de s’écrire ; c’était la première fois. J’eus l’impression que les coulisses de la ville s’ouvraient devant moi – un peu comme la première fois où je vis les publicités du métro, à peine dépliées, étrillées à la brosse comme un cheval après la course. Entre deux petites barrières éphémères en pop-up – rouge et blanches, ainsi que je pus le vérifier en arrivant sur le quai, où l’on ne me prêta pas plus attention qu’au pompier de service dans un théâtre. La ville s’affairait de bonne heure sans s’occuper de moi ; j’étais parisienne, voilà.
(L’aparté est numéroté parce que j’ai bon espoir qu’il y en ait d’autres et que cela devienne régulier.)
J’aime ces petits apartés : une tranche de vie attrapée au vol, ciselée de mots justes, où l’on sent l’atmosphère comme si on y était…