Faîtes de faim damnées

    Même si on n’en fait pas forcément un fromage, le réveillon, c’est tout un plat. Plusieurs plats pour être exact. Une multitude de petits même, qui se perdent dans les grands. Des amuse-gueules qui vont conduisent à faire la fine bouche par la suite. Les incontournables qu’à défaut de contourner on saute. La fausse grande cuisine sur laquelle il aurait fallu bûcher. Et comme si cela ne suffisait pas, la multiplication des repas. D’où expériences culinaires inattendues et stratégies défaillantes pour éviter un gavage attendu.

Le repas de Noël de la cantine : des mais mets gonflés aux OGM (Obstination à Gaver les Mots), sauce indigeste.

Le Repas de Noël de la cantine ne doit se louper sous aucun prétexte. C’est une expérience à part. Tout commence par la lecture du menu. Chapon aux marrons, soufflé de saumon, Saint-Jacques à la Bretonne, forêt-noire… plus c’est compliqué, plus cela doit susciter la méfiance. Méfiance sur la réalité que recouvrent ces choses : le chapon, c’est un poulet chapeauté d’un mot plus brillant, les Saint-Jacques sont des pétoncles, et la forêt-noire… non, la forêt-noire, c’est le gâteau à sur la cerise, c’est pour la fin (des haricots). Méfiance sur la comestibilité des mets ensuite, lorsque vient la découverte de ce que propose le self, outres les guirlandes enroulées autour des présentoirs (est-ce bien conforme aux normes d’hygiène tout ça ?). On abandonne les crevettes dans leur barquette de plastique (quand de vulgaires carottes râpées ont le droit à de la véritable vaisselle) pour tester les Saint-Jacques. Dessert : bûche glacée ? Coup d’œil entendu avec Melendili : on tente l’expérience de la forêt-noire. Hésitation sur le plat ; ce sera poulet, à cause des marrons. Et le traditionnel père Noël en chocolat.

Dès que les plateaux sont posés, nous procédons en bons scientifiques : on observe, on renifle, on tapote avec la fourchette, on teste la résistance avec le couteau, puis on goûte finalement une portion à la cuillère. Les pétoncles ne déçoivent que ceux qui leur ont préféré les crevettes peu fraîches. Le poulet est fidèle à lui-même, et les pommes dauphines (décadence, l’année dernière, c’étaient des pommes duchesses) relativement insipides sont rapidement neutralisées par les marrons – nous aussi : qui a dit qu’il n’y avait pas de dinde ? L’apothéose est dans le gâteau à la cerise chimique. Méfiance intense, qui nécessite toutes les précautions. L’exploration géologique commence. D’abords on teste les roches de surface : le petit tas blanc, là ? ah non, le couteau est formel, ce n’est pas de la meringue. Même matière que la crème blanche, genre chantilly fouettée avec de la crème fraîche avariée. [Avouez-le, je vous fais rêver.] La couche géologique de l’ère secondaire est une sorte de gâteau au chocolat (raisonnement par induction : la couche est marron) spongieux. A l’ère tertiaire, on redécouvre la crème, et au quaternaire, de nouveau du gâteau spongieux. Quand on relève le nez de son échantillon, on découvre avec délice que l’exploration des autres victimes du père Noël n’avance pas beaucoup plus. Ce qui nous a convaincu d’abandonner les festivités pour nous plonger dans les révisions de notre dernière épreuve de concours blanc.

 

Le vrai repas de réveillon : le bon jour, en famille, avec assez de restes pour nourrir son indigestion le reste de la semaine.

Les grands classiques : le foie gras, les huîtres, le saumon fumé ; et dans cet ordre, histoire ne pas gâcher le goût du foie gras. Que de toute façon, on ne sens plus vraiment, puisqu’on s’est empiffré tant de canapés pour éponger le champagne qu’on n’a déjà plus faim. La stratégie consiste alors à choisir UNE entrée et à résister bravement aux assauts de la maitresse de maison qui voit avec désespoir qu’elle va manger bon nombre de sandwich au saumon fumé dans les jours à venir, et que son mari s’est ouvert la main en vain en luttant opiniâtrement avec les huîtres.

Personne ne s’appesantit sur le plat, justement parce qu’il est pesant et généralement peu original (même si nous, on a eu du koulibiak, miaaaaam), mais c’est justement parce qu’il est peu original, donc traditionnel, qu’on n’y coupe pas. En  guise de consolation, vous vous contenterez d’écouter les blagues des adultes résignés qui disent garder de la place pour le faisan, n’avoir pas trop envie du poisson, et se demandent si le sanglier sera aussi bon que dans les années passées.

Idem pour le fromage, que vous pourriez à la rigueur manger seul. Mais le pain ne passera pas pour cause d’ingurgitation préalable de canapés, de toasts avec le foie gras, de pain de seigle avec les huîtres, de blinis avec le saumon fumé et de baguette avec le plat, lui-même enveloppé dans de la pâte feuilletée (principe de Noël : tout emballer, la nourriture, comme les cadeaux ou les éventuelles remarques traduisant votre déception face aux cadeaux en question, si, comme ma tante, vous n’êtes pas une grande actrice).

Enfin, la bûche, enfin pour être exact, tout gâteau en forme de bûche, la crème étant à proscrire en cette fin de faim. Cette forme comestible de la bûche est souvent comme son homologue de la cheminée : trop grosse et étouffante. Mieux vaut la prendre glacée, surtout si vous la mettez au réfrigérateur et qu’une pause dans la succession de la nourriture s’impose le temps qu’elle se ressaisisse au congélateur. Là-dessus, vous m’épargnerez les chocolats.

 

Le doublon : le repas avec l’autre partie de la famille et l’overdose par répétition

Celui-ci, vous n’y coupez pas, surtout si vous êtes dans une famille recomposée. Il est globalement du même gabarit que l’autre, et c’est justement là que réside le problème. Si la répétition n’est que réitération, vous procédez par élimination d’un ou plusieurs plat(s), si elle est une générale en costume… vous n’avez plus qu’à espérer que le costume ne se déchire pas avant la première. Pas forcément d’huîtres, mais inévitable comparaison du foie gras fait maison. La lourdeur du plat principal le dispute à celle du vrai réveillon ; si la réalité du repas se mesure à la consistance du plat, le vrai réveillon n’est que pâle figure face à sa copie. Sincèrement, quelle idée de tout mettre en croûte ? Le poisson en pâte feuilletée peut à la rigueur passer, mais avec le jambon en croûte, vous voyez tout de suite qu’il y a anguille sous roche. Et puisqu’on fait dans la légèreté, autant ne pas se priver et prendre une délicieuse bûche au chocolat – et pousser le comique jusqu’à s’en servir trois tranches. Puis une aiguillette à l’orange pour faire bonne mesure.

            Alors qu’au réveillon en titre, vous vous battiez pour avoir une petite part, non, plus petite encore, pas plus que ça, oui, là c’est mieux, plus petite encore si c’est possible, tout en tendant votre assiette avec un regard pitoyable d’agneau qu’on égorge ou de poisson frit (selon l’avancée du repas), lors de la réitération burlesque, vous tendez mécaniquement votre assiette, bien décidé à ne pas vous en laissez conter par ce luxe écœurant.

(En)boîte(ment) de nuit et de rangement

    Ou des effets bénéfiques d’aller en boîte le lendemain d’une nuit écourtée à son commencement pour cause de dissertation philosophique – je ne vous rappellerai pas la jouissance du point final à deux heures du matin, quand à cette magnifique question qu’est « Qu’est-ce que bien juger ? », vous pouvez déclarer l’affaire classée. Vu le caractère tardif des délibérations – je plaide coupable-, il n’est pas garanti que le procès verbal soit exempt d’erreurs judiciaires. Qu’importe : un point final, adjugé vendu, petit coup de marteau – nul besoin alors de massue pour vous endormir.

    Le lendemain matin fut particulièrement éprouvant ; l’éternité, c’est long, surtout sur la fin de la matinée. Réduites à parler des lectures guimauve-romantiques de nos dix ans. Pour s’apercevoir avec ma voisine que nous avions lu les mêmes. On ne se rend pas compte de l’ampleur du monopole dans ce domaine. Un conformisme de clichés souriants – ce serait un album familial, passe encore, mais cela relève plus de l’album d’autocollants Panini à collectionner. Voilà, voilà. Donc si un rire niais vous échappe quand votre plume vous démange, mesdemoiselles, il y a un créneau à prendre.

    Tout ça pour dire que nous étions épuisées et qu’un passage en boîte –nous passerons les délibérations sous ellipse- a fait du bien. Un prépateux, c’est comme un téléphone, il faut le vider entièrement pour que la batterie soit convenablement rechargée. [Vous mettrez la comparaison sur le compte du manque de sommeil, je suis en cours de chargement.] Et au retour : le délice du pain au chocolat encore tiède et fondant, qui n’a pas eu le temps de sécher et vous laisse les mains toutes graisseuses, la boulangerie tout juste ouverte, l’apprenti en train de fournir les présentoirs.

    J’en viens à ce que fait la raison du titre : le lien entre boîte de nuit et de rangement. Ce dernier est l’activité me tenant éveillée sans grand effort mental la plus utile que j’ai trouvée. Il faut en effet quelque chose de vraiment simple ; j’ai tout de même mis dix bonnes secondes à me demander si Montaigne, c’était avant Montesquieu (dans l’ordre alphabétique et donc sur mon étagère). L’automatisme dans la bonne humeur, voilà ce qu’il faut. Mika, donc, comme si je n’avais pas assez entendu de musique. Et le rangement de mes cours. Dissocier les cours empilés alternativement dans le sens de la longueur et de la largeur, édifiant une pile digne d’une tour de Kapla – et aussi prompte à se casser la figure. Vider chaque volet du trieur. Les ajouter au corpus du bureau  correspondant. Versions d’un côté, commentaires de textes de l’autre. Ouvrir les anneaux voraces de mon classeur de philo et lui donner en pâture l’analyse du premier livre de la Physique d’Aristote. Indigeste mais il dévore. Saisir une pochette plastique à droite, les feuilles à gauche et unir en un mariage heureux chaque texte latin à sa traduction. Bénir l’agrafeuse d’avoir mâché le travail. Mettre le dictionnaire de thème latin sur l’étagère du dessus, moins accessible. Redresser les classeurs et prendre celui qu’on vient de ranger quelques minutes auparavant pour y ajouter une feuille esseulée retrouvée dans la corbeille de papiers. Verbe – complément. Mika fait un bis puis un ter de tout son album.

Début des vacances : reeeelax, take it eeeeeaaaaaasy
Fin de vacances : no hope, no love, no glory, no happy ending ?

 

6 ans et des poussières…

    En jetant les reliques de mon époque star-system victim (Di Caprio et companie), j’ai récupéré assez de pochettes plastiques pour subvenir à mes besoins de classement jusqu’à la fin de mes études universitaires. (Hors cours d’histoire, reliés, tant celle-là aurait le temps de nous devancer si l’on se mettait en tête de ranger les polys dans un classeur)

Il n’y a plus lieu d’avoir honte de ce que l’on a été, puisque le propre de l’avoir été, c’est qu’on ne l’est plus… Si – il me serait préjudiciable que vous en doutiez. 

L’espoir est au bout de la corbeille

Je ne sais pas s’il existe de bons préjugés, mais il existe de bons virus. Comme celui du rangement qui s’abat sur les futur proche khâgneux et  autres. Je redécouvre que mon bureau est transparent ; plus aucune feuille ne flotte au-dessus, aucun classeur n’est échoué en-dessous – de la moquette bleue à perte de vue. Mère Mer paisible.

            Pourtant la tempête a soulevé beaucoup de poussière et d’antiquités. Le tri de la corbeille de papier relevait de l’exploration de couches archéologiques. La spéléologue débutante que je suis  a tout de même mis à jour certains trésors non cartographiés : trésor matériel en l’objet d’un billet de dix euros, qui, passé au rayon X de ma mémoire, doit provenir de Noël dernier voire de mes dix-huit bougies ; et trésors spirituels aussi en pagaille que mes neurones. Jugez plutôt de ces traces fossilisées : un fond de carte de la Russie , un bout de script du Procès, des brouillons de traductions latines et de squelettes de plans non identifiés ; une explication de texte sur un discours du général de Gaulle ; les sujets d’entraînement pour le concours général d’anglais ; une feuille de brouillon de bac, rose et vierge, je vous prie ; des restes de cours remontant jusqu’à l’ère secondaire [je passe en khâgne, pourquoi ?] mêlés à des coupures de journaux sur des spectacles de danse que je n’ai pas vus, des tickets de cinéma presque effacés… et mille autres objets dont je n’ai pour certains pas la moindre idée de ce qu’ils ont été et comment ils se sont sédimentés là. Les deux corbeilles (de papier et à papier) jouaient les vases communiquant ; avec une légère fuite en direction du tas de brouillon – sûrement suffisant jusqu’à Noël !

            Sortie des profondeurs de papiers, j’ai dirigé mes efforts vers le sommet de mon armoire. Reclassé mes cours de seconde et récupéré les précieuses pochettes plastiques. Etiqueté les pochettes et les classeurs de la seconde à l’HK. Aligné les dictionnaires. Mis les magazines dans leur boîte. Descendu un classeur pour y glisser telle feuille qui traînait, remonté sur l’étagère, redescendu son collègue rouge, cette fois-ci pour un sujet de khôlle de latin retrouvé dans le porte-courrier, remonté, redescendu, remonté… Belle séance de step sur l’escabeau.

 

Et ce pendant, Mika s’est égosillé cinq fois durant.