Jeanne d’Arc n’est pas mon personnage historique préféré. D’ailleurs, je n’ai pas de personnage historique préféré ; l’histoire n’est pas ce que je préfère. Il n’empêche : la vidéo YouTube de Jeanne d’Arc au bûcher que @Gaerielle a un jour twittée a été une découverte. Du genre mystique. Pas une révélation, mais un mystère qui m’a fascinée avec ses voix simples et surnaturelles à la fois. Alors quand j’ai vu peu de temps après que l’oratorio d’Arthur Honegger serait au programme de l’Orchestre de Paris, j’ai fait ooooooh (on ne sautille pas devant les mystères, on fait ooooooh).
J’avoue, j’avais écouté la vidéo YouTube sans toujours trop faire attention aux paroles. Ou plutôt, certaines m’avaient happée au point de me soustraire aux autres. En allant à la Philharmonie, hier soir, je ne me souvenais plus du livret, seulement de la fascination engendrée. Imaginez ma surprise, alors, devant toutes ces scènes hétéroclites : une Jeanne en robe blanche qui s’avance, fragile et pieds nus, sur le ponton dressé tout autour de la scène, plongeant l’orchestre dans une fosse factice ; un tigre, un renard, un serpent, un porc et beaucoup de moutons dans un procès qui évoquerait La Fontaine si les déguisements ne ressemblaient pas à de gros pyjamas mous, si éloignés de la finesse, du trait que l’on associe d’ordinaire aux fables ; des choeurs en toge à l’arrière-scène, parqués dans de gros enclos ; un jeu de carte mimé en avant-scène, têtes royales incluses ; et Jeanne toujours fluette et fragile dans sa robe blanche. Hérétique, sorcière, relapse… Est-ce moi qui suis tout cela ? s’interroge Jeanne. Prosaïque, mystique, anecdotique… Est-ce Jeanne d’Arc qui est tout cela ?
@carnetsol parlait, à propos d’Au monde, de l’« hésitation entre le mystère poétique et la parole prosaïque » – un équilibre fragile qui peut être à l’origine d’une beauté ébahissante. Seulement, la mise en scène ne permet pas, à mon sens, de le tenir pour cette Jeanne d’Arc au bûcher, malgré le texte de Paul Claudel qui y invitait. Au lieu de resserrer la pièce pour faire mieux ressortir, ressentir, la beauté de ses contrastes, la mise en scène s’étale sur la satire ou le lyrisme propre à chaque scène, soulignant leurs caractéristiques plutôt que leur étonnante juxtaposition. La pièce n’était pas tenable, mais était-ce une raison pour la débiter en saynètes ?
Même chose pour l’équilibre entre le chant et le récitatif : les voix des solistes, qui passent plus ou moins bien (au premier balcon de face !), sont encore affaiblies par celles des comédiens, sonorisées à outrance. Si les deux sociétaires de la Comédie-Française (l’AOC du comédien) ont assez de bouteille pour compenser l’écho par un surcroît d’articulation, Marion Cotillard donne parfois l’impression de s’enliser dans son propre zozotement – avec la contrepartie que celle-ci garde un naturel fort bienvenu pour incarner cette « enfant qui s’appelait Jeanne »1, tandis que ceux-là font comédiens avec leur diction surjouée.
J’ai été un peu déçue, et j’ai été désolée de devoir le reconnaître : je n’ai pas eu l’impression de voir une œuvre, une et cohérente. Restent de beaux moments : le finale, notamment, où les choeurs s’embrasent, tandis que Jeanne, fille de dieu, devient elle-même le cierge qu’elle aurait voulu allumer pour Marie… Jésus, Marie… Catherine, Marguerite… l’alternance des voix… le joli mois de mai… cristallin… si joli mois pour mourir… Restent de beaux moments, oui. Et un fou rire offert par le premier mouton côté jardin : alors que ses camarades, plus moutonniers, sautillent sagement pour faire remuer pattes et oreilles2, il danse comme un rappeur nourri au gangnam style et donne des coups de bassin qui feraient passer Elvis Presley pour un puritain. Ma pauvre petite Jeanne, si tu savais. Ç’aurait dû être le mouton au bûcher.
Merci pour la description du mouton « rocky » qui m’a déclenché immédiatement une grosse crise de rire… Pauvre Jeanne d’Arc: c’est dur d’être ainsi si mal accompagnée !!
Ah ! le groove du mouton, l’émotion de la soirée. 😀