I love Roubaix, visite guidée

Je découvre sur le compte Twitter I love Roubaix (@IloveRBX) que des visites guidées gratuites du centre-ville sont organisées tous les mardi, vendredi et samedi pendant l’été. Nous sommes vendredi, matin. À 15h, je suis à l’office du tourisme, avec cet entrain que génèrent les choses inopinées qui tombent bien. La prévision n’a pas vraiment eu le temps de s’installer ni surtout de se muer en contrainte ; je suis encore dans l’élan spontané, guilleret. Mon code postal ? 59 100. Mais je suis une fausse, Roubaisienne d’adoption depuis un an seulement. Je suis là pour les rattrapages, visitant ma propre ville aux côtés de touristes belges.

Alors que le tweet parlait d’un guide réalisant son stage de licence, je me retrouve face à un homme de mon âge, voire un peu plus… Roubaix est décidément un lieu de reconversion. À sa dégaine, son timbre un peu éraillé, je le verrais bien au pub avec le boyfriend et ses potes ; à son érudition, je l’imagine historien doctorant. Il nous raconte l’histoire de la ville avant même qu’elle porte exactement son nom, et sans bouger sinon d’un pied sur l’autre, on traverse les siècles, sans perdre le fil d’une histoire rattachée à la production textile, paysanne d’abord puis industrielle quand on se met à rassembler les artisans au même endroit et à copier les inventions des Anglais. Avec la Révolution industrielle, la ville explose (figurez-vous que Roubaix était plus grande que Lille !), surnommée la ville aux mille cheminées (c’était évidemment une exagération, mais il y en avait tout de même 300 ou 40O). Depuis l’école industrielle supérieure des arts textiles, on remonte l’avenue Jean Lebas (maire socialiste et ministre du Travail sous le gouvernement Bloom) en passant devant le musée de la Piscine, originellement des bains publics voulus par Jean Lebas pour améliorer les conditions d’hygiène des ouvriers, déplorables dans les courées (que j’ai mentalement orthographiées courraies pendant toute la visite).

Façades folles avenue Jean Lebas

Au passage, le guide nous détaille la façade de quelques-unes de ces bâtisses folles commandées par les riches propriétaires industriels et réalisées dans un style éclectique, aka pas de règle, on pioche dans tous les styles, antique, néoclassique, flamand, Renaissance, vas-y pour la brique bien d’ici, les balustrades, le fer forgé, la guirlande en pierre, ça fait pas trop, t’es sûr ? non je rajouterais bien un vase d’abondance, une fenêtre en arche et puis un bow window inversé (croyez-le ou non, je ne l’avais jamais remarqué, malgré la rupture dans la couleur de la peinture). Ça m’a donné très envie d’apprendre à connaître un peu mieux les différents styles architecturaux pour être capable moi aussi de lire ces façades ; si jamais vous avez des suggestions de livres que je puisse chercher à la médiathèque, laissez-les moi en commentaire (de préférence avec beaucoup d’images et peu de textes ; on est bien obligé de choisir ses combats).

Nous sommes cinq, six avec le guide. Quand on se remet en marche entre deux arrêts magistraux, le monsieur aux cheveux blancs et à la chemise tenue à carreaux talonne le guide et le presse de questions. Il tient serrées contre lui les bretelles déjà ajustées de son sac à dos et je souris en pensant qu’il a l’air d’un écolier modèle, juste un peu plus vieux… quand je me surprends à tenir mon petit sac imprimé Vichy exactement de la même manière, avec des bretelles seulement plus lâches.

 

L’Hôtel de Ville meringue

Quand on arrive devant l’hôtel de ville, je retiens mon souffle : quelle est la justification de cette grosse meringue, qui détone complètement dans le paysage ? Un maire de droite (patron poussé en politique pour reprendre la ville des mains des socialistes) qui a fait appel à un architecte de la capitale pour épater la galerie. La meringue lui a coûté son poste de maire ; j’ai un peu envie de dire : cheh. Au passage, en détaillant le blason de la ville (il y avait un blason dans tout ce bazar ?), j’apprends que l’épeule est le nom local donné à la cannette placée au centre de la navette (dans les métiers à tisser). Cela fait donc un an que je descends à la station Épeule-Montesquieu sans avoir jamais songé qu’il puisse s’agir d’un nom commun avec une signification.

 

L’ancienne filature Motte-Bossut

On finit devant l’ancienne filature Motte-Bossut, un délire architectural de château médiéval à l’anglo-saxonne, tout en briques. Le nom composé ne désigne pas une seule et même personne : Bossut est le nom de l’épouse, qui en toute logique patriarcale aurait du être effacé… mais quand on est l’héritière d’une dynastie industrielle, on garde son nom et on l’accole à celui du mari. Il y a même eu une filature Motte-Motte… Tu m’étonnes qu’à force de mariages et d’entre-soi, les industriels locaux ont amassé assez de capital pour se passer des banques ! Motte-Motte, elle est bien bonne. On est sur la fin de la visite, dans le temps de l’anecdote ; le guide nous confie que son grand-père (ou arrière ?) avait lui aussi une filature dans la région – rien d’aussi gigantesque, peut-être une centaine d’ouvriers, mais… Tout d’un coup, je comprends mieux d’où vient son enthousiasme sincère pour l’audace d’entreprendre des anciens industriels textiles, un discours qui, en ces temps de macronie, ne colle guère avec son look de gauchiste bourlingueur et la gentillesse avec laquelle il a prolongé la visite d’une dizaine de minutes (le temps n’est pas de l’argent)(mais du savoir à partager).

C’est déjà la fin de la visite, le guide part et le groupe se disperse vite, à l’exception du monsieur au sac à dos et moi. Nous nous mettons à discuter et je découvre que, s’il a fait préciser la date de fermeture de la filature au guide, ce n’est pas par réflexe d’érudit, mais parce qu’il l’a connue en activité enfant… Et pourtant, il n’est pas du coin, je ne comprends plus rien. Il vit au bout du monde. Où ça ? Où les gens portent le masque si on leur conseille de le faire, sans même y être obligés. Il tire sur le sien en posant sa devinette (en tissu, en extérieur, cela ne sert à rien, mais je ne lui dis pas, comprenant qu’il en fait une question de respect plus que de santé). Et donc, où ça ? Au Japon, depuis 40 ans. Il a réussi à s’intégrer ? Mais oui, mais oui, il ne comprend manifestement pas très bien qu’on lui pose la question. Le choc des cultures, pour lui, c’est quand il revient. Tout a changé. Quand il déplore ne plus entendre parler sa langue maternelle, je crois qu’il fait référence à la population musulmane du centre-ville qu’on entend souvent parler arabe, mais non, sa langue maternelle, c’était le ch’timi. J’étais à cent lieues. C’était une autre époque, que je sens encore vivante en lui, mais qu’il sait m’être inaccessible. Il partage ce qui peut l’être : la moitié des noms de famille étaient polonais dans sa classe ; sur 48 élèves, ils n’ont été que 3 à poursuivre au lycée ; il ne sait même pas si les deux autres ont eu le bac. C’était une autre époque. Tout a changé. Les mentalités. Il n’a pourtant pas le côté péremptoire d’un vieux monsieur réactionnaire. Et d’ailleurs, il n’en dit pas plus. N’en pense pas plus, pour ce que j’en devine. Il est trop loin pour cela, sa vie est ailleurs, bien actuelle, en Asie. Reste une vague tristesse de ce qui a déjà disparu et disparaîtra à nouveau avec lui, qu’il ne me confie même pas, trop poli pour risquer d’embarrasser. Il va la déposer Chez Paul, tandis que je m’arrête un peu avant, à la boulangerie-pâtisserie artisanale.

…

J’espère ne pas avoir raconté de bêtises. Pour la visite complète avec Tristan, c’est par ici.

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