Ida

Ida : je suis indistinctement tombée amoureuse d’un visage et d’un film. En temps normal, je serais tombée amoureuse du jeune Polonais ultra-choupi, mais là, je suis tombée amoureuse de ce visage-ci :

 

 photo Ida-visage

 

Pas le visage de l’actrice, que j’ai trouvé très décevant dans la vie réelle de Google : le visage du personnage, incroyable de beauté en noir et blanc, qui me fascine autant que le choix d’une vie recluse.

Novice orpheline, Ida est envoyée par la mère supérieure chez une tante qui n’a jamais manifesté le désir de la rencontrer, pour qu’elle prononce ses vœux en connaissance de cause. On découvre son histoire de « bonne sœur juive » en même temps que celle de la tante, juge communiste et femme fatale surnommée Wanda la rouge, prompte à lever le coude et à envoyer les hommes à la potence ou dans son lit. Il y a ce que Wanda sait (les parents d’Ida ne sont pas morts dans un accident de voiture), ce qu’elle soupçonne (la personne qui les aurait tués), ce qu’elle tait (le fils qu’elle a perdu) et ceux qu’elle fait parler.

 

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Cette enquête, qu’Ida suit sans réelle curiosité même si on la sent constamment en alerte, l’esprit affûté, réserve des moments qui seraient ironiques n’était l’absence de distance envers les personnages : l’arrêt clope-prière, par exemple, fait partie de ces moments de raillerie désabusés qui, tout en soulignant ce qui sépare Ida et Wanda, restent empathiques pour ces deux femmes qui connaissent toutes deux la souffrance et y ont répondu de manière opposée, l’une rejetant Dieu, l’autre le monde. Alors que l’on prend peu à peu conscience de cela, la bonne vivante, rayonnante de cynisme à côté de l’austère religieuse morale, devient de plus en plus sombre tandis qu’Ida absorbe toute la lumière – celle de la vérité, pourtant aveuglante, et celle de la vie qu’elle découvre.

Il faudra le suicide de Wanda, glaçant de banalité (une fenêtre ouverte pour aérer, un morceau de musique, un manteau enfilé à la hâte comme pour aller faire une course et la sortie par la fenêtre), pour qu’Ida se glisse dans ses chaussures et adopte gauchement, avant de les rejeter en bloc, les mêmes parades pour soulager sa peine de vivre : on la voit s’habiller, s’enivrer puis coucher avec ce garçon rencontré à l’hôtel dans une fête d’une tristesse dont les pays communistes semblent avoir le secret1. Ida y prend manifestement plaisir, sans aucune pudibonderie, puis demande au jeune homme ce qu’ils feront si elle reste avec lui, ponctuant chacune de ses réponses d’un « Et après ? ». On la sent qui jauge ce que peut lui réserver cette vie. Le lendemain, alors qu’il dort encore, elle remet sa coiffe d’une main sûre et repart au couvent, où la discipline et les rires de ses camarades la soutiendront mieux dans sa tristesse existentielle que les pauvres plaisirs proposés de bon cœur par le jeune homme.

La dernière scène, où la caméra tressaute au rythme de son pas décidé, est pour ainsi dire la première où Ida perd sa placidité : elle n’est pas en colère (contre Dieu) mais manifestement révoltée (contre la vie, médiocre, qu’on lui propose et que sa famille n’aura pas eu le luxe de vivre). Au moins aussi déterminée que résignée, elle marche d’un pas vif, moins dans l’urgence de fuir ce monde (le renoncement est réel depuis qu’elle a découvert ce à quoi elle renonce) que de se tenir à l’écart de sa folie2.

Mit Palpatine

1 Cela m’a rappelé des passages de Kundera et surtout la scène de bal des Amours d’une blonde de Miloš Forman. D’une manière générale, j‘ai d’ailleurs l’impression de retrouver cet humour bizarre, cynique, tendre et désabusé, rencontré dans l’univers tchèque. 

2 Et d’embrasser l’absolu, dans une perspective religieuse.