Je suis revenu m’asseoir précipitamment à ma table, le nez dans mes notes. Puis mon effroi de lycéen s’est dissipé, et une étrange curiosité m’a repris de continuer la lecture de mon grimoire.
À côté du volume des Admis, j’ai écarté le petit profil rouge sur Le Dernier Jour d’un Condamné, tout amaigri par la synthèse avide d’un professeur soucieux d’arrondir ses fins de mois, et renversé au bord de l’étagère métallique. Dans le volume des Grands Admis, il y avait quatre ou cinq noms parfaitement lisibles, parmi d’autres dont il ne reste rien que la calligraphie indéchiffrable de leur thèse. – DAUTUN, 1975. — POULAIN, 1998. — JEAN MARTIN, 2001. — CASTAING, 2003. J’ai lu ces noms, et de lugubres souvenirs me sont venus. Dautun, celui qui a coupé son oral en plein milieu pour s’excuser d’avoir dit « un pont de bois » au lieu d’un « pont en bois », et qui alla jusqu’à la connaissance d’ébeniste ; Jean Martin, celui qui a tiré le gros lot grâce à Cicéron ; Castaing, ce génie qui a empoisonné son jury en décortiquant l’effigie du grêlé moustachu dans la révolution culturelle ; et auprès de ceux-là, Papavoine, l’horrible fou qui tuait Aristote étant et non-étant philosophe !
Voilà, me disais-je, et un frisson de fièvre me montait dans les reins, voilà quels ont été avant moi les hôtes de cette vénérable institution. C’est ici, sur le même lino où je suis, qu’ils ont pensé leurs dernières pensées se pensant comme pensées pensées et non révisées, ces admis panthéonisés ! C’est autour de ce rayonnage, dans ce cdi à peine chauffé, que leurs derniers pas ont tourné comme ceux d’une bête fauve. Ils se sont succédés à de courts intervalles ; il paraît que la khâgne ne désemplit pas. Ils ont laissé la place vacante, et c’est à moi qu’ils l’ont laissée. J’irai à mon tour les rejoindre rue d’Ulm, où l’herbe est toujours plus verte !
Je ne suis ni visionnaire, ni devin, malheureusement, il est probable que ces idées me donnaient un accès de fièvre ; mais, pendant que je rêvais ainsi, il m’a semblé tout à coup que ces noms fatals étaient écrits avec du feu sur le grimoire sacré ; un tintement de plus en plus précipité a éclaté dans mes oreilles ; une lueur rousse a rempli mes yeux ; et puis il m’a paru que la khâgne était pleine d’admissibles, d’ étranges khâgneux qui portaient leur couronne de laurier sur la tête, parce qu’ils n’avaient plus de poignet encore vigoureux. Tous me montraient la porte, excepté le philosophe fou qui ne m’en montrait que l’idée.
J’ai fermé les yeux avec horreur, alors j’ai tout vu plus distinctement.
Rêve, vision ou réalité, je serais devenu fou, si une impression brusque ne m’eût réveillé à temps.
J’étais près de tomber à la renverse lorsque j’ai senti atterrir sur mon pied une arme tranchante, feuilles d’automne ; c’était le profil que j’avais mal rangé et qui s’était suicidé.
Cela m’a dépossédé. – Ô les épouvantables spectres ! – Non, c’était une fumée, une imagination de mon cerveau vide et convulsif. Chimère à la Marx ! Les admis sont admis, normaliens surtout. Ils sont bien divinisés dans le panthéon. Ce n’est pas là un temple auquel on atteint. Comment se fait-il donc que j’aie eu peur ainsi ?
La porte du temple ne s’ouvre pas sur le chemin de traverse.
7 réflexions sur « Le Dernier Jour d’un Khâgneux XII »
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Ah, Hugo, toute mon année de première *moment émotion *
Article très réussi, vraiment !
Certaines tournures de phrases me filent encore des frissons d’horreur mais ce n’est qu’un mauvais souvenir du bac blanc xD
On pourrait savoir comment se termine l’histoire? :p
Je crois qu’Hugo fait pour beaucoup partie du parcours de première… (et pas que de première d’ailleurs).
Merci ^^ enfin merci… c’est surtout Hugo le fautif… et Wikipédia qui a eu la délicieuse idée de mettre tout Le Dernier jour d’un Condamné en ligne. De là à Ctrl C, Ctrl V sous Word et à bidouiller une expression de-ci de-là, il n’y a qu’un pas.
Pour avoir la fin de l’histoire, il faut attendre… le concours.
En direct live de la salle info où décidemment, il fait trop chaud…
ONI-RI-QUE !
: )
C’est marrant, je viens de réaliser que tu n’es PAS une fille alors que je te prenais vraiment pour telle. Ah la la c’est à ne plus rien comprendre !
Vu que je n’ai rien à faire de ma nuit, je suis quand même venu vérifier que Mimy était bien un garçon, mais non apparemment j’ai pas compris que c’était un exercice de style ton texte ! J’ai vraiment besoin de sommeil !
zED >> 🙂
Je ne sais pas si c’est onirique, mais le froid du cdi est toujours cauchermardesque. Surtout quand on y prépare une khôlle sur Aristote.
Kebina >> Je suis une fille, aucun doute là-dessus. J’avais commencé par mettre le texte au féminin puis j’ai trouvé plus simple de garder le masculin, ne serait-ce que pour éviter de laisser passer quelques accords travestis. *feignasse power*
Cela dit, ça m’est déjà arrivé de découvrir au bout d’un long moment que l’auteur de tel ou tel blog n’était pas du sexe que j’aurais cru. Comme si le féminin ou le masculin transparaissait dans l’écriture…
Oui, le féminin et le masculin me semblent à moi aussi transparaître dans l’écriture. Mais je pense que c’est parce que j’ai en général conscience que je lis une femme ou un homme, et qu’à partir de là, je cherche inconsciemment dans l’écriture de l’un ou l’autre des attributs sexuels.
En tous cas, je me confonds en excuses pour avoir été si confuse à propos de quelque chose de pourtant très simple 😉