What, what, what, un film prenant pour prétexte Les Animaux fantastiques de J.K. Rowling ? Pourquoi ne pas avoir écrit un nouveau roman ? Pourquoi avoir traversé l’Atlantique pour planter le décor à New York ?
Ce prequel-spin-off-on-n’en-sait-encore-rien permet de prendre le relai d’Harry Potter avec des héros qui ont globalement l’âge auquel on avait abandonné Harry, Ron et Hermione (de jeunes adultes, à l’image du public qui a grandi avec la série), tout en effectuant un salutaire saut dans le passé, à rebours de notre époque technophile (parce qu’il faut bien avouer que le hibou reste moins efficace que le téléphone portable… dont on ne trouve trace ni dans les livres ni dans les films, quand on y pense). Les années 1930, elles, fournissent la pointe d’archaïsme nécessaire pour que le monde des sorciers reste magique : l’esthétique rétro fonctionne à merveille, les manteaux des enquêteurs old-school se confondant avec les capes des sorciers.
Et voilà notre réponse. Si la romancière s’en est cette fois-ci tenue au scénario, c’est pour la simple et bonne raison que ses références sont tirées du cinéma. Les Animaux fantastiques fonctionnent autant en référence à l’univers d’Harry Potter qu’à celui des vieux policiers (côté moldu de la force) et des super-héros de nos jours (magie, magie). Le voyage jusqu’à New-York était donc obligé : au cinéma, la fin du monde commence toujours à New-York – qui a, il faut bien l’avouer, la destruction cinégénique. Et la reconstruction peut-être davantage, car les sorciers retapent la ville en « rembobinant » les dégâts. Les emprunts ont souvent l’aspect de grosses ficelles (la pluie d’antidote sur la ville comme dans Batman), mais versent d’autant plus délicieusement dans la parodie (fou rire avec le ralenti sur le vol du cafard, comme une balle de revolver dans un film d’action – « the bug in the teapot, the bug in th teapot »).
L’esthétique et le traitement archétypal des personnages m’ont parfois fait penser à The Grand Budapest Hotel, où les sombres magouilles sont contrebalancées par des scènes joliment-tendres-à-outrance. Dans Les Animaux fantastiques : la scène finale de la boulangerie et, plus tôt, la préparation d’un repas où l’on croirait voir Merlin l’enchanteur cuisiner un cake d’amour. Le découpage en trilogie permet en effet de s’octroyer des pauses dans la narration, et le film ne s’en prive pas. L’exemple le plus flagrant en est la visite de la valise-zoo, où l’on découvre les bestioles énumérées dans le guide prétexte du film. Autant les chimères me plaisent assez, autant je trouve assez moches celles qui semblent moins résulter d’une combinatoire que d’une paresseuse greffe de matière graisseuse prélevée sur Jabba the Hut (le rhinocéros avec du bide libidineux sur le nez, sérieux…).
Malgré ces petits plaisirs coupables, le film reste (très) intelligent, dans ce que l’on devine être son architecture comme dans de petits détails. Parmi ces derniers, l’opposition entre Britanniques et Américains est rendue de manière particulièrement savoureuse, entre particularités lexicale (muggle versus no-maj, no-magic, quoi) et rivalité universitaire (Hogwarts-Oxford versus l’Ivy league sorcière)(sans compter le réflexe teapot de Newt, digne de la tasse d’Arthur dans The Hitchhiker’s Guide to the Galaxy). Le secteur bancaire en prend également pour son grade : « il faut protéger la banque », dit le banquier qui refuse d’accorder un prêt, alors que la caméra adopte un angle qui fait admirer le confort luxueux du bureau… (Palpatine, qui galère à financer le développement de se start-up, est resté imperturbable.)
Dans un registre moins anecdotique, le film nous livre une nouvelle métaphore psychologique très réussie : après les death eaters qui manifestaient les origines de la dépression, on découvre l’Obscurus, une force destructrice qui se développe à partir du refoulement de leurs pouvoirs chez les sorciers brimés. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le retour du refoulé fait des dégâts ; ça défoule comme une baston de Bruce Willis. Les dégâts sont peut-être moins considérables, cependant, que ceux qu’occasionnerait la politique du pire prônée par un certain Gellert Grindelwald, excédé de devoir vivre caché des moldus, lesquels sont mûrs pour repartir dans une période de chasse au sorcières. Ce contexte politique de maccarthysme latent devrait, à n’en pas douter, constituer le plat de résistance des épisodes à venir…
Last but not least : une galerie de personnages à peine croqués qu’ils sont déjà hyper attachants. Inutile de vous dire que je suis déjà amoureuse de Newt-Eddy Redmayne, qui a l’amour des bêtes de Hagrid mais la tête de Hugh Grant jeune (en vaguement roux, dix points supplémentaires pour Gryffondor). J’aime aussi beaucoup la bouille de Tina-Katherine Waterston, pas jolie au sens fade d’Hollywood, mais des idiosyncrasies expressives (qui me font très fort penser à mon amie V.). Plus inattendu est le personnage du No-Maj Jacob (Dan Fogler), que l’on l’on aurait spontanément traité de gros plein de soupe et qui se révèle un adorable boulanger. Réussir la transmutation du mépris et de la moquerie en tendresse… la magie n’est pas toujours là où on le croit.