Les femmes qui me détestent

J’ai lu ce recueil de Dorothy Allison sans rien savoir d’elle ni des Feminist Sex Wars, de la misogynie si bien intériorisée qu’elle s’est manifestée entre femmes, entre féministes même. All women are equal but some women are more equal than others, en quelque sorte. Manifestement t’étais moins égale quand tu venais d’un milieu ouvrier, que t’étais pas la fille du mec de ta mère, que tu écrivais sur les abus dudit mec et d’autres, et que t’avais de surcroît l’idée saugrenue d’être lesbienne et de ne pas t’en cacher (la discrimination avait l’air telle que je me suis demandée si elle n’était pas Noire, mais apparemment pas).

Plutôt que de mal résumer l’essai de Lucile Dumont qui occupe la moitié de l’ouvrage à le remettre en contexte, comme d’hab des extraits (j’aurais aimé une édition bilingue) :

Petite sœur toute rose aux yeux bleus,
petite sotte, petit animal de compagnie
avec tes yeux de verre vide
Comment je
te détestais, t’aimais, te voulais
fondue dans mes os
crevais d’envie que tu me passes le miel
avec lequel tout le monde te regardait.

…

Les femmes qui me détestent
détestent
l’insistance de leurs désirs, le débordement de leurs envies
ravalées et enfouies, disciplinées jusqu’au néant
[…]

Les femmes qui la détestent d’aimer les femmes.

…

Comment je peux parler d’elle, de nous deux ensemble ?
De quand elle me touche et que ça me réchauffe
d’entre mes jambes à mon visage
de son visage, terrifiant, merveilleux.
De quand je lui dis, « Ouais, nom de Dieu, ouais,
enfonce moi, apaise moi, baise moi, tout ce que tu veux… »
jusqu’à ce que je refuse une seule chose
[…] son poing s’agite dans un courant d’air
un courant d’air qui revient sur la joue de ma maman
en passant par le bras de mon beau-père.

Ces deux derniers vers sont incroyables — de violence et d’adresse narrative, à court-circuiter le récit pour dire ce qui du trauma est hérité, se reproduit depuis et hors de l’hétérosexualité.

…

Je dis que la source de la peur
c’est le choix.
La source de tout désir :
le choix.

…

Dans la campagne terreuse où je suis née
les mots pour me nommer étaient si terribles
que personne ne les disait
[…] J’ai compris que la chose que personne ne disait
était celle contre laquelle on ne pouvait rien.
Si personne ne disait   Lesbienne
je ne pouvais pas dire fierté.
[…] Si personne ne m’appelait
Bâtarde, bonne à rien, idiote, putain
je ne pouvais pas me saisir de ma propre parole,
de mon amour pour celles de mon espèce,
pour moi-même.

…

Je n’ai jamais été capable de lui résister
les muscles d’une femme solide qui rit
ses mains râpeuses quand elle me retourne
me parle mal, me traîne d’avant en arrière,
quand elle baise comme un océan, comme une brute
laisse des marques de suçons
de morsures en forme de coquillages, […]

…

Ce n’est sûrement pas aussi bien que ça en a l’air
les femmes qui vont passer l’été en France
un croissant tartiné de beurre jaune
de la crème dans le café. Moi, je grossis
à Brooklyn.

…

« Les filles », elle a dit,
et alors j’ai su pourquoi elle nous avait interpellées,
ce qu’elle avait vu
dans la façon qu’avait mon amante
de me toucher la nuque, j’ai su
qu’aucune d’entre nous ne prononcerait le mot,
ne dirait lesbienne ni même amoureuses.
À la place, on a parlé de maisons, de cuisines
[…] « Mais vous pouvez y arriver. Trouvez-vous un petit
truc important pour vous et travaillez-y
en y mettant du temps, des efforts, et prenez-en soin. »

…

Tu ne m’as pas demandé d’expliquer,
tu m’as juste prise dans tes bras
et tu m’as déchargée d’un peu de ma peur de mourir.
[…] tu t’es glissée sur moi et tu as posé
tout ton corps contre le mien
avec douceur, ta main dans mes cheveux,
ta bouche sur mon oreille,
tu m’as enveloppée de silence et d’amour
et des muscles de tes cuisses
et tu m’as laissée pleurer.   tu m’as laissé pleurer
comme personne ne m’avait encore jamais laissé pleurer.

Emoji larme à l’œil, emoji <3

Une réflexion sur « Les femmes qui me détestent »

  1. Ça me parle beaucoup, cette histoire de femmes qui détestent.

    Dans celles de mon entourage, elles ne me détestent pas, mais il y en a qui me regardent d’un peu haut, un peu en biais.

    Pas pour des questions du genre dans lequel j’aime mais de la liberté que je m’accorde, je pense, de ne pas penser ma vie en terme de raison, pas toujours. Bref. Ça me parle, ça me touche.

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