Légume, HK et le syndrome Clairefontaine

       L’hypokhâgne s’achève. Nous aussi par la même occasion. On se traîne, pas envie de se plonger derechef dans les œuvres de l’année prochaine, mais toute activité non hypokhâgneuse nous semble fade. L’hypokhâgneux est désœuvré – le Vates Lyricus mis à part, qui a eu un regain de motivation pour le latin. On n’aimait plus les week-ends, va-t-on snober les grandes vacances ? C’est surtout la transition qui est dure. Etre un légume cuisant sur la plage ne présente pas de problème notoire ; devenir un légume, si. Parce qu’un légume n’est normalement pas doué de conscience, il ne peut par conséquent ni constater ni déplorer son état végétatif.

 

        Alors dans cet entre-deux, on se remémore. Les grands moments, les phrases cultes, les délires mythiques ; en cours, à la cantine ou en boîte.  Nous n’avons pas organisé de dîner majestueux de fin d’année comme les HK de Nancy (mais c’est une idée à garder pour l’année prochaine), plus modestement, un pot au café du coin avec la classe de latin. Il s’en faut de peu que ça n’ait tourné à la nostalgie

 

       Mais déjà l’année prochaine se profile. On nous brandit le spectre de la khâgne à tous bouts de champ. Vous savez, il y a un gap entre l’hypokhâgne et le khâgne… Vous savez, vous allez devoir travailler… Vous savez, il y a autant de décalage entre la Terminale et l’hypokhâgne qu’entre l’hypokhâgne et la khâgne. Etant donné que j’ai ressenti ce passage-là comme un saut du CP au lycée, je ne peux même pas imaginer celui-ci. A ce rythme, on ne va plus changer de monde mais de galaxie.

 

      Nouveauté également pour cette année : le syndrome Clairefontaine (copyright MLD) commence dès juin – et non plus lors des traditionnelles courses de rentrée, ou lors de la première semaine de cours pour les moins enthousiastes. Au moment où l’on calligraphie la page de garde, la page blanche suivante semble promise aux plus beaux traits de génie. Il y a belles lurettes que j’ai troqué la lourde organisation du cahier pour la folâtrerie des feuillets volants (avec comme intermédiaire, souvenez-vous, le cahier à spirales, véritable hérésie vis-à-vis du traditionnel cahier relié), mais le syndrome persiste sous de nouvelles formes. Les listes se succèdent, 99 suggestions romanesques à caractère historiques (le 100 ème livre étant comme chacun sait ineffable. Vive les private joke d’hk ayant fait un cours sur l’islam.), romans de la littérature française, et quelques ouvrages en anglais dans le texte (On ne perd jamais son temps à lire Faulkner, parait-il). Mais je crie à l’injustice !! Alors que les Lyon sont explicitement autorisés à lire les aventures de « sorciers adolescents, du moment que c’est en anglais », nous sommes pour Ulm vivement conseillés de lire les écritures saintes, au moins les livres les plus connus, si possible en anglais, et la King Jame ’s version est vraiment un must (vous noterez que le modal réduit le « si possible » à un effet rhétorique). Le nouveau best-seller de l’été : la Bible en pavé de plage.

Cette fin d’année ne ressemble à rien.

         Le refrain du concours blanc est fini, on commence à connaître la chanson et elle agonise bizarrement. La même phrase musicale hebdomadaire tourne en boucle, mais plus faible et ça va s’arrêter abruptement, sans même laisser la dernière note vibrer à travers les souffles printaniers -pour le zéphyr estival, il faudra repasser, il n’est pas temps. Ce dernier s’accorde étrangement au mélange de joie et de déceptions ; la grisaille n’empêche pas les coups de soleil, bretelles et démarcations vestimentaires en décalcomanie, Thalie en sait quelque chose. La fin de l’année a le goût des Sprits mangés les pieds dans l’eau d’un des innombrables bassins du château, et des carottes pas tout à fait cuites de la cantine. Plus de cours de français dès vendredi, mais les khôlles sont maintenues ; le développement durable ne tient que parce que la cum cure de la géo prend bientôt fin.
        Le conseil s’est révélé être l’arène où certains toreros ont révélé leur tranchant, et ont joyeusement mis à mort quatre hypokhâgneuses fougueuses sous les huées du public, composé de Mado pour la chaire latine (soutenant farouchement son cheval préféré, j’ai nommé Inci), et Calimero pour celle d’anglais (un yes indeed pour l’homonyme d’Inci). Vaincus ou non, les taureaux vont continuer de faire semblant d’être émoustillés à la vue d’un texte brandi et tacher de ne pas voir rouge. Ce sera rose pour moi – même si on a annulé les tablettes de Milka, enjeu du pari sur les places du classement.

       Il est sûrement temps de dresser un bilan, mais je crois que ce n’est pas possible, l’hypokhâgne ouvre déjà trop de portes pour en parcourir toutes les pistes aux étoiles, alors en faire la carte…

CB II over

          « Je ne suis pas pédant de ma nature,

mais je sors de philosophie,

 et vous ne sauriez croire
le pli que la dissertation fréquente

 imprime bientôt à l’esprit. « 

Les faux-Monnayeurs, Gide

 

 

      Je n’ai pas mis ma carte de crédit à découvert, une petite robe « aurianesque » dixit le vates lyricus de chez HetM (la robe, pas le vates lyricus. Je veux bien qu’il y ait parfois des soldes, mais il ne faut pas abuser) n’étant pas une folie de shopping faramineuse.

L’acronyme CB désigne ici l’épreuve tant attendue du concours blanc. 2ème prise révisions action !

Philosophie : « Apprend-on à penser ? ». La note sera la vraie réponse.

Géographie : « L’eau douce en Afrique : paradoxes et enjeux ». Vous comprendrez peut-être pourquoi je suis traumatisée à la vue d’une simple bouteille d’eau minérale. Ce jour fut néanmoins à marquer d’une pierre blanche : dernier devoir de géographie de ma vie. On se sent tout z’ému là.

Français : Gide et le besoin qu’on éprouve de se retourner vers les anciens. Eprouverai-je le besoin de me tourner vers Gide ? A part pour faire une coche sur la liste de khôlle ?

Histoire, en 6h, je le rappelle (mais sans prof qui s’engloutit son saumon fumé) : «  La France dans le monde : principes, désirs, réalités ». Oui, « réalités » au pluriel, histoire de compliquer un peu la chose. Vous noterez que l’intitulé risque d’être métaphorique de notre situation : principes de révisions, désirs de réussite, réalité de la note.

Anglais : Notre professeur a le chic pour nous faire étudier les livres les moins enthousiasmant possibles, et pour choisir à l’intérieur dudit livre l’extrait où il y a le moins à dire. Le choix donc entre un passage gnangnan à souhait de The Merchant of Venice (by Shakespeare que j’apprécie beaucoup par ailleurs- surtout par ailleurs) et un extrait de The Grapes of Wrath dans lequel on vous décrit le tracé de la route 66. Heureusement que le style présentait matière à commentaire, parce qu’on était assez mal barré.

Allemand : Angst, de Stefan Zweig. J’aime, que dis-je aimer, j’idolâtre Zweig. Pas vraiment capables de faire d’analyse formelle du style, nous avons donc psychologisé à mort, tout en ayant une pensée émue pour le professeur d’anglais qui n’aurait manqué de s’étrangler devant son équivalent anglophone (ou soi-disant tel).

Latin : Parce qu’il fait beau, que les oiseaux chantent et que tout le monde il est beau, il est gentil et namoureux (non mais sans rire, par cette chaleur, ils n’en ont pas marre d’être collés ?) : les Héroïdes d’Ovide. Comme l’a fait remarquer notre professeur, personne ne s’est plaint, c’est donc que ce devait être facile. Comment se fait-il dès lors que certains aient donné à « mensa », le sens de « mois » et d’autres celui de « table » ? Après de tels écarts, j’ai supplié qu’on arrête d’en parler jusqu’à obtention de la correction.

Les grands moments du concours :

         Peniculus et son sandwich jambon-cornichon à dix heures du matin, quand le reste de la classe carbure aux barres de céréales, chocolat voire pain au chocolat.

         Les mots errants sur les marges de brouillon : « spatial ou spacial ? », « 1928 », « merci »

         Les paroles échangées dès que le prof sort de la salle. Commentaire de Peniculus : « On dirait une classe de CM2, à parler comme ça dès que le prof a le dos tourné. – Et tu fais quoi toi là ? – Ah ouais, ce n’est pas faux. »

         Le bal des toilettes. Ou de quelle promptitude il faut faire preuve pour se lever avant qu’une autre ne vous ait devancé, le temps qu’il faut prévoir et les inévitables embûches de parcours, la plus redoutable résidant dans la latte qui sert de plainte à l’estrade et se détache avec un bruit des plus discrets.

         Dans la catégorie bruit discret, mon ventre également, qui se fait entendre dès 8h30 du matin. Trois rangées à la ronde au début du concours, un peu plus loin chaque jour. Il était grand temps que cela s’arrête, le gargouillement faisant désormais rire toute la classe. Je passe donc pour un estomac sur pattes – ce qui n’est somme toute pas très éloigné de la vérité.

         LE grand moment réside tout de même dans le personnage du professeur d’allemand LV1 dont je pensais la légende mystifiée, mais qui est en vérité bien en –deçà de la réalité. Dans un moment d’égarement, j’avais songé à éventuellement intervertir mes deux langues. J’ai été instantanément t guérie de cette idée sotte et grenue. Dix minutes pour faire l’appel, prises sur le temps qui nous est décompté. Commentaires à  côté desquels ceux que je laisse sur les blogs sont d’une grande spiritualité. Ex. au regard des trois déserteurs de l’HK dont les noms n’ont pas été rayé d
es listes : « Mais c’est une hécatombe chez vous ! » Je propose d’ailleurs qu’on continue le massacre. C. s’était mis les mains sur les oreilles pour ne pas entendre ses babillages et a répondu à l’appel d’un simple « oui », sans relever la tête : « Une jeune fille très ouverte. » Du même acabit : « L’air est vicié, je vais ouvrir la fenêtre. » Elle commente tout. Mais alors le grand du grand, c’est l’interprétation strictement légaliste du desideratum du prof d’espagnol qui stipulait que l’élève ne pouvait sortir avant d’avoir rendu sa première feuille. Cela s’est mué en interdiction formelle d’aller aux toilettes – à moins que vous ne fussiez germaniste ou russophone- course poursuite dans les couloirs à la recherche d’une hispanique délinquante à l’appui. Dura lex sed lex. Heureusement que l’épreuve ne durait que trois heures.

Onomastique de l’hypokhâgne

            Parce qu’on est en concours blanc et que je n’ai jamais passé autant de temps à vadrouiller de lien hypotextuel en lien hypertextuel, voici un moyen de se rappeler à la prépa tout en restant sur l’ordinateur.

 

Vara, tibi khâgna, Vara, celebrat gloooooriam
Splendidissimam, nequiquam a strassam destructam…

          Tout ça, c’est de la faute de Genette. Avec son onomastique proustienne. Et maintenant, Palimpsestes en rajoute une couche (si l’on peut dire). Néanmoins (vous noterez ce souci d’articulation logique mainte fois développé au cours de ces cinq heures de composition philosophiques), cet intelligent monsieur (Etre intelligent, c’est exercer dans et par la langue une argumentation qui élargit la vue de l’esprit) m’a fait prendre conscience du pourquoi de l’antéposition de l’hypo par rapport à la khâgne. En revanche, on a bien fait de ne pas encombrer la khâgne d’un hyper- parce que ça fait un peu l’Esprit en cerveau bleu et orné d’un neurone jaune et rouge arborant fièrement le sacro-saint sigle HK.

 
Hypokhâgne, n.f. Substantif dont les adjectifs apparentés sont :

 

         Prépateux, adj. Sc. Beaucoup trop connoté scientifique à cause de sa résonnance avec matheux. Trop vague, d’autant plus qu’il peut s’appliquer aux maths sup, épiciers (j’ai appris récemment que c’était le doux nom des prépas HEC et ça me réjouit étrangement), et chartistes (être associé aux chartistes, ce serait plutôt la classe ; mais non, rien à faire je ne travaillerai pas sur les campagnes sous Louis XIII)

         Prépaïen, adj. Litt. Cela sonne cauchermardesquement kafkaïen. J’ai beau avoir étudié, comme tous les littéraires de France et de Navarre des Dom tom de la promo 2005-06 le Procès, d’avoir, comme la plupart des germanistes, gouté à la joie du texte en V.O. et d’un extrait d’Amerika, la lettre au père a presque réussi à m’infléchir, mais on a remis ça avec Das Schloss cette année. Toutes mes condoléances : de Kafka, je n’aime que le nom.

         Préparationnaire, adj. Mil. J’ai comme dans l’idée qu’avec un tel vocable, il sera dur de faire croire qu’une HK n’est pas le bagne. Arrivez avec la Phéno à la main et vos plus belles cernes, on vous traitera de tortionnaire.

Hypokhâgneux, adj. Phil. L’Esprit, le vrai. (le premier qui ajoute Auchan est réifié)

 

NDLR : Ahhhh l’ordinateur sait reconnaître le deus ex adj. : l’hypokhâgneux a été automatiquement mis en exergue.  

Le proverbe réifié tu fluidifieras.

         … ou Mens insana in corpore insano.

Quelques vérités générales à glisser dans le trousseau de l’hypokhâgneux (eh oui, l’esprit hypokhâgneux, ça s’épouse – et je pressens que le divorce sera douloureux) :

Ne remet jamais à aujourd’hui ce qui était pour hier.
Ce qui est fait n’est plus à faire
. Juste à refaire.
10 de perdu, 1 de retrouvé. Quand ce n’est pas 0.
Abondance de biens ne nuit pas. Vous étudierez la valeur polysémique du terme en italique.
A l’impossible, nul n’est tenu. Mais tu essayeras tout de même, c’est le principe du jeu.
L’appétit vient en mangeant. En travaillant aussi, ton corps l’apprendra à tes dépends.
Après la pluie, le beau temps. Ou l’orage, faut voir. Et les moussons peuvent durer.
Beaucoup d’écrit pour rien. Le brouillon tu ne compteras pas.
Bien mal acquis ne profite jamais. On attend donc tous avec impatience que l’énergumène préparant ses khôlles avec une heure d’avance ET le Gaffiot ET la grammaire ET la traduction se tôle au concours blanc.
Chose promise, chose due. Un élan enthousiaste pour éviter une désignation de volontaire à ses camarades peut se regretter. *également disponible : chose promise, chose sue.
Comme on fait son lit, on se couche. Et justement, on n’est pas près de dormir.
L’eau va à la rivière. Prévois une gourde. En souvenir d’Hussein.
Alea jacta est. A se répéter après tout devoir rendu. Advienne que pourra.
La fin justifie les moyens. Au regard des statistiques des admis à Normale, la réciproque ne l’est peut-être pas.
Les grands esprits se rencontrent… et vous laissent souvent en dehors de la discussion.
L’habitude est une seconde nature. De ne pas travailler, tu culpabiliseras. Tout tu analyseras.
Heureux au jeu, malheureux en amour : l’hypokhâgne est très ludique.
Redde Caesari quae sunt Caesaris. Tes citations toujours tu expliciteras.
Le mieux n’est plus l’ennemi du bien.
Mieux vaut tard que nocturne.
L’oisiveté est la mère de tous les vices.
Qui ne dit mot consent
. Ou n’a rien compris.
Toute peine mérite salaire. Vous vous demanderez pourquoi il y a des communistes ^^

 

A glisser dans la trousse de secours de l’hypokhâgneux :

La littérature française, du XVIème siècle à nos jours.
Un paquet de Granola.
De l’anticerne.
Un blog.