Il faut toujours sortir couvert et pour ne pas me retrouver à court de lecture, j’ai emprunté un Capote à la bibliothèque. Les quelques images qu’il me restait d’Audrey Hepburn dans le film ont vite été balayées par la petite brindille blonde qu’est Holly Golightly, aussi virevoltante que son nom. En guise d’allure, une vie trépidante et des manières de garçon manqué ; c’est qu’elle a du style plutôt que de l’élégance, et pas vraiment sa place chez Tiffany’s. Le petit-déjeuner chez le joaillier n’aura d’ailleurs jamais lieu : comment voulez-vous qu’elle s’attarde dans ce havre de sérénité lorsque le narrateur la quitte sans savoir si elle a pu se trouver quelque part chez elle, elle qui n’avait pas même l’impression d’être assez maîtresse de son chat pour lui donner un nom, et dont la carte de visite mentionne « voyageuse » pour toute adresse ? Beaucoup plus essentiel au personnage que le rêve de richesses et de diamants est celui d’un chez-soi où elle ne serait pas toujours à fuir – des hommes, la police, son mari illégitime et ses enfants d’adoption. Elle-même, aussi, s’il est vrai que l’on fait la connaissance du personnage à travers une photo, et une photo de masque qui plus est. Sculpture africaine, il ne permet pas au narrateur de retrouver sa trace, seulement quelques traces, des souvenirs laissés au narrateur ; le masque ne tombera pas, il s’avérera au cours du roman être le seul véritable visage de Holly qui ne se départit pas de grandes lunettes noires. Pourtant miss Golightly est bien moins mystérieuse qu’insaisissable, petit animal sauvage dont tout le monde s’éprend sans réussir à se l’attacher. On ne peut qu’aimer Holly Golightly. On ne peut même que cela et rien d’autre : bien que femme séduisante, la belle est une gamine qui aime comme un enfant ses parents, sans le sentiment de rien leur devoir, sinon la reconnaissance de lui avoir fait assez confiance pour lui permettre d’avancer – et incidemment, de s’éloigner. Le narrateur l’aime pour ce qu’elle est, mais surtout pour qu’elle puisse être telle qu’elle le veut devenir, lui faisant don de cette amitié amoureuse où la complicité le dispute à la compassion. Légère, miss Golightly l’est davantage par le style de Truman Capote, qui ne s’appesantit pas sur le parcours pénible de la gamine ni sur ses caprices de femme, que dans son cœur de papier (de banque ? Mais non, elle veut aimer ou du moins croire aimer ceux que d’autres plumeraient). En somme, il n’y a dans ce roman rien de superficiel que de croire à la superficialité du personnage.
« Truman Capote, comme tous ceux qui ont des nuits difficiles, est très fort en petit-déjeuners. Ses livres en contiennent presque autant que de sapins de Noël – ceux-ci sont réellement innombrables- et de traits d’humour grinçant. […] Le petit déjeuner incarne l’espoir, la fin des cauchemars, et une bonne journée devant soi.
Mais dans ce livre-ci, le petit déjeuner idéal n’a jamais lieu, ni aucun autre d’ailleurs, ce n’est pas le genre d’histoire à petits déjeuners.
Ainsi ce titre si limpide, Breakfast at Tiffany’s est-il un pur trompe-l’œil, et c’est pourquoi il résume si bien l’art de Truman Capote, l’art du vrai-faux. »
Blake Edwards s’y serait laissé prendre… Truman Capote a dénié à Audrey Hepburn toute ressemblance avec son héroïne, et considéré l’adaptation cinématographique comme une trahison. Mais ce ne sont que des mots et l’image est là, persistante, en couverture, en dépit de la préface de Geneviève Brisac.
La coïncidence est drôle: en vidant les placards du CDI tout à l’heure, je suis tombée sur un vieux Poche qui tombait en miettes: « Petit-déjeuner chez Tiffany » de Truman Capote… ! Alors que jusque là, j’ignorais même que c’était un roman à la base. (Oui, je sais, j’ose venir traîner mon inculture crasse sur ce blog. J’espère que tu ne m’en veux pas! ^^’)
Chouette commentaire, vraiment. J’aime beaucoup Capote, et ce portrait enlevé de Miss Goligthly en farfadette « bien moins mystérieuse qu’insaisissable ». Quel meilleur philtre d’immortalité, que de renaître sous les traits d’une invisible sculpture ?
Certes, comme souvent ici, faut s’accrocher avant d’être en vue du point final. Mais, pour rendre compte d’un petit déjeuner, c’est bien normal d’en faire une tartine 🙂
inci >> Je le savais à peine avant de le trouver sur le rayon… De toutes façons, la culture n’est que le terrain grignoté sur l’inculture et toutes les notes de ce blog ne sont que de petites collines d’où je découvre d’immenses champs inexplorés…
delest >> Je pourrais vous répondre que c’est comme une ballade en décapotable, c’est bon quand c’est un peu long et que cela dure, mais cela serait céder au jeu de mot et il faut m’en défendre, ce post est beaucoup moins long que bien d’autres en comparaison desquels on pourrait le trouver court, comme le café. Bon, d’accord, peut-être un peu allongé…