Le rêve de Cassandre – Woody Allen

A ne pas lire si vous comptez le voir ou que vous êtes un inconditionnel enragé de Woody Allen.

Titre décalé mais prémonitoire : un massacre, sans le côté épique de l’Iliade

Je ne suis pas une grande dévoreuse de film *recule d’un air épouvanté devant le gouffre qui me sert de culture cinématographique*, aussi ai-je peut-être manqué toute la subtilité de la chose – toujours est-il que je n’ai pas été enthousiasmée. Loin s’en faut.

Deux frères s’offrent un petit bateau (je peux mettre « petit navire » aussi, à vous de choisir votre référence), qu’ils baptisent le rêve de Cassandre. Encore deux qui connaissent leurs classiques… Leurs économies prennent le large, et lorsque le petit frère*, gros joueur, est dans les dettes jusqu’au cou, qu’il risque les représailles de ses usuriers et que son grand frère, petit (et surtout futur) entrepreneur en immobilier, n’a pas non plus les moyens de l’aider, vous avez le nœud de l’intrigue. On se tourne naturellement vers l’oncle prodigue, a self-made man pas très clean, qui en contrepartie demande comme « petit » service qu’ils assassinent un de ses associés qui pourrait faire des révélations plus que compromettantes. Le grand frère, épris d’une actrice (pleine de charisme pour le coup) au –dessus de ses moyens entraîne son frère. La navigation vers les enfers, pleine de doutes et d’alcool, est plutôt calme. Mer plate. Ni désespoir poignant ni classe du malfrat éhonté ;  j’étais persuadée, jusqu’au moment où l’on entend les coups de feu (théâtre grec : le crime est hors-scène, rapporté ensuite – par une coupure de journal, comme il se doit) que l’assassinat n’aurait pas lieu. Le film aurait pu s’arrêter là, pas transcendant, mais ça finissait sur un crescendo.

Mais ça continue. L’entrepreneur le devient vraiment, oublie ce malheureux incident, joue le cinéma avec son actrice, tandis que le frère sombre en dépression. Cette dernière est très bien jouée, bien glauque et malsaine comme il se doit. Et sa copine, ou fiancée, ou femme, je ne sais plus, moyenne plus que médiocre, mais jamais vulgaire malgré ses rêves simples passe très bien l’écran. Si bien que j’aurais plutôt vu le film centré sur la torture du remord, en commençant par cet épisode, en passant le meurtre sous ellipse, qui n’arriverait qu’à la fin, au summum de flash-back successifs – oui, je suis en train de faire des couper-coller grossiers dans la pellicule.

Seulement, le film est platement linéaire, sans véritables temps forts, de A à Z. Woody Allen a-t-il voulu nous faire une tragédie moderne, à l’antique, avec une « action menée jusqu’à son terme » *Aristote inside* ? Désolée, la catharsis n’opère pas. Pour cela, il faudrait qu’on adhère un minimum aux personnages, avant de s’en détacher. Mais ils n’ont rien d’héroïque, le grand est à peine humain, d’une médiocrité morale désolante, et le petit sans épaisseur. La richesse de son jeu n’intervient qu’après le crime – le mal est fait. A défaut de morale ou d’immoralisme cinglant, le film se clôt justement. Alors que le grand veut supprimer son cadet parce qu’il veut se dénoncer pour payer sa faute, il fléchit (morale familiale ou manque de force ?), ils se battent, le cadet tue l’aîné, et comme la coupe est pleine, il abandonne Cassandre à son triste sort et se noie. Et là, ce n’est toujours pas fini, on se tartine les inspecteurs qui constatent les décès (dès fois que le spectateur ait pu l’imaginer), et une scène sur leurs femmes encore insouciantes qui font du shopping – les deux personnages véritablement bien trouvés, au final.

Espèce d’agacement dégoûté. Même réaction idiote que lorsque j’avais lu la Bête humaine : pourquoi ne pas les avoir adossés à un mur et fusillés dès le départ ? On se serait épargné bien de la peine – non pas émotionnelle, ne rêvons pas, mais d’ennui.

* NB : je ne suis plus sûre de qui est le grand et qui est le petit frère, mais bon, c’est un simple moyen de les distinguer.

 

Casse-Noisette, pas d’étoiles mais des flocons

        Nous avions décidé avec deux amies d’aller voir Casse-Noisette à l’Opéra. Il était moins une, c’était la dernière. Dans ma grande naïveté, je pensais que j’aurais des places de dernière minute (à visibilité réduite, vous savez, le truc où vous ressortez avec un torticolis, mais aucune importance, vous avez pu voir – à peu près) aussi facilement qu’à Garnier j’en avais eu pour la Dame aux Camélias. Mais les places debout à 5 € de Bastille ne sont pas à visibilité réduite. En soi, c’est plutôt une bonne chose. Seulement, cela se sait (pourquoi ne suis-je jamais au courant de rien ?). Donc lorsqu’on se pointe comme des fleurs une demi-heure avant l’ouverture des guichets, il y a déjà largement de quoi pourvoir les fameuses 62 places. Il faut dire que l’on cumulait : samedi soir de vacances et dernière (j’excepte la soirée du réveillon où les places sont exorbitantes et j’imagine complètes cinq minutes après l’ouverture des réservations) d’un des ballets les plus connus, les plus populaires et qui plaisent le plus aux enfants comme aux non-connaisseurs (rien que les costumes valent le déplacement), dernière également d’un ballet dont nombre de représentations ont été annulées à cause de grèves du personnel (oui, personnel est au singulier, même s’il y avait des techniciens au pluriel). Là, j’allais maudire ma naïveté, lorsque Melendili a aperçu dans la file d’attente une khâgneuse de notre classe. Qui, après l’échange de quelques courtoisies hurlées pour cause de séparation par escalier, a accepté de nous prendre des billets, chaque personne ayant le droit à deux places. La troisième copine qui devait nous rejoindre a accepté de rester sur Versailles, et ceci constitue le deuxième volet de nos aventures extraordinaire.
    [Ce n’est que partie remise, s’était-on dit. Nous irons demain voir Paquita au Palais Garnier. Mais avec notre sens aigu de l’organisation, nous avons réalisé quelque demi-heure avant le début de la représentation de matinée qu’il n’y avait pas de représentation ce soir-là. Et bien évidemment, c’était la dernière. D’où que nous nous sommes simplement vues à la maison. Mais mon sens de l’organisation désormais légendaire a cependant réussi à dénicher la cassette du ballet en question, dont je ne soupçonnais même pas l’existence.]

            Je reviens à Casse-Noisette. Figurez-vous que les places debout, dans des boxes au fond du parterre sont sans commune mesure avec les places à visibilité réduite de Garnier. Chose extraordinaire, vous voyez vraiment. Evidemment, être grande ne gâche rien, et les talons, s’ils aident à vous flinguer les reins, sont plutôt bienvenus pour voir par-dessus la tête du Russe qui fait le pied de grue devant vous. Toujours est-il que lorsque Noël commence sur scène, on est happé par le spectacle et que lorsque les lumières se rallument pour l’entracte, 50 minutes après le lever du rideau, Melendili me souffle « Déjà ? ». Je n’ai pas vu le temps passer non plus. 

Les flocons

            Finalement, être assez loin de la scène a aussi son charme. On cesse de se focaliser sur telle variation, de se pâmer devant la propreté du bas de jambe, de soupirer devant la hauteur des levers de jambe pour saisir la géniale chorégraphie du corps de ballet et les variations dans leur ensemble. Je ne sais pas si c’est le recul spatial ou temporel qui permet cela, toujours est-il que le ballet m’est apparu dans une plus grande lisibilité. L’habitude de la pantomime, de la musique et de la structure d’un ballet y aident sûrement. Quand vous êtes un môme de huit ans qui va à l’Opéra pour la première fois, l’ordre réglé du pas de deux, par exemple, vous échappe. Vous vous laissez emporter au gré des valses et des manèges – la tête vous tourne lors des fouettés. Puis, au fur et à mesure des représentations auxquelles vous assistez (et des cassettes que vous vous passez en boucle), le ballet cesse de faire un tout homogène : vous y distinguez les ensembles, les pas de trois,  les variations, et à l’intérieur, les pas, les reprises et finalement les thèmes qui caractérisent les personnages principaux. Arrive ensuite un moment critique où on se laisse hypnotiser par les chats 6 impeccablement battus, les développés seconde aux oreilles et les équilibres interminables. C’est la période de la danseuse amateur qui n’est pas assez connaisseur pour être amateur au sens noble du terme. Vous appréciez certes le spectacle, mais comme un juge, qui pour ébahi qu’il soit n’en oubliera pas moins ses maniaqueries du juge. Le ballet flirte avec la performance de cirque. Puis quand vous vous êtes quelque peu habitué à la surenchère de batterie, de levers de jambe et de coup de pieds démesurés, abreuvé d’exploits techniques sur U-Tube, vous pouvez alors devenir l’amateur qui aime simplement ce qu’il voit. Vous ne vous demandez plus ce que signifie tel geste de pantomime comme le novice, vous ne décortiquez plus (du moins plus systématiquement) la chorégraphie, mais au contraire, celle-ci fait sens. Des langoureux déhanchés de la danse arabe aux équilibres décalés de Clara tiraillée par ses visions cauchemardesques, tout est clair – brillant même.

            Et toujours en ressortant l’envie de danser, de travailler la variation de Clara après la valse des fleurs, celle avec les emboîtés retenus, presque retardés, comme si on avait remonté une horloge et qu’elle arrivait au bout de sa course, une fin de rêve qui s’étiole en douceur. Une étoile filante ; un vœu : après glisser comme une ombre dans le troisième acte de la Bayadère, je voudrais devenir un flocon. Des envies d’éphémère.

           

La Modification, de Michel Butor

[Attention, prise de tête nombriliste (oui, je suis souple) en vue.]

 

 

        Vous êtes le personnage central de la Modification de Michel Butor. Ou ce qui s’en rapproche le plus. Pas d’identification. Pas un personnage à proprement parler, même si le nom de Léon se découvre au détour d’une page : vous, en tant que lecteur, vous insérez dans le roman, par cette seconde personne du pluriel qui vous happe plus qu’elle ne vous invite. Rien de plus justifié cependant, puisque l’infinie complexité d’une personne ne se reproduit qu’au prix de grossiers artifices – il est tellement moins mensonger de vous imbriquer vous, lecteur vivant et attentif (du moins au début) dans une histoire. Qui n’en est peut-être pas une. 

           Léon ou vous, peu importe, est dans le train Paris Gare de Lyon-Rome. Il ne se rend pas en Italie comme à son habitude, pour son travail de commercial chez Scabelli, fabriquant de machine à écrire, mais pour annoncer à Cécile, sa maîtresse, qu’il lui a trouvé une situation à Paris, qu’elle va pouvoir le rejoindre et qu’ils vivront ensemble à Paris. Il ne doute pas ; vous non plus, puisque vous êtes il. Mais ce voyage en fait revivre d’autres qui se superposent et tracent sur le rail de cette voie de chemin de fer l’histoire de cet homme : son voyage à Rome avec sa femme, son échec, son voyage à Paris avec Cécile, son échec, son retour à Rome avec Cécile, son mensonge et d’autres trajets en cul-de-sac. 

            Ces mêmes lieux (communs ) qui défilent rendent tout décor instable ; les voyageurs sont des identités de papier interchangeables que l’on appelle Agnès ou Paul à sa convenance, par commodité d’écriture. Les différents voyages réitèrent le même trajet, mais la ligne droite est brisée en des centaines de segments. La flèche chronologique ne va pas du passé à l’avenir ; le présent est truffé de renvois des deux côtés, au point que passé, présent et futurs s’entremêlent dans le seul temps du roman. Inutile donc de chercher à cartographier son chemin au milieu des prolepses et des analepses. Le temps, aussi bien que le personnage est une convention admise, mais que l’on peut faire éclater – dans ces éclats de voie avance le nouveau roman. 

Michel Butor efface  le roman : c’est ce livre blanc, que Léon a acheté gare de Lyon, qu’il ne cesse de manipuler, de prendre et de ranger, de feuilleter, mais qu’il ne lit pas et dont il ne sait même pas le titre, dont vous ne savez même pas le titre, c’est le livre que vous tenez dans vos mains –puisqu’encore une fois, vous êtes Léon, les « on » que l’on trouve partout et nulle part. Ce livre, c’est à vous de l’écrire, c’est-à-dire à vous de le lire comme vous l’’entendez, de le reconstruire en en composant les éclats. Brillant(s). On ne vous livre pas un miroir dans lequel vous identifier. C’est le matériau que l’on vous fournit ; car le nouveau roman est tout de même roman : la Modification est écrite, elle n’est pas tout à fait ce livre passe-partout blanc de Léon. Elle contourne ou plutôt cerne la difficulté en laissant apparaître les artifices du roman comme tels – l’écriture, bien loin de la verve de l’artiste inspiré, est présente sous sa forme concrète la plus triviale : Léon est marchand de machines à écrire. L’histoire est soumise à la mécanique de l’écriture comme Léon à celle du train, et si celui-ci est physiquement épuisé de son voyage, celle-là s’épuise dans ses tensions – jusqu’à la fin du roman, au double sens du terme. 

Les personnages sont aplatis dans deux dimensions, désuètes, comme le nom d’Henriette, la femme de Léon avec qui il ne parvient plus à communiquer. Les décors sont mobiles, représentés derrière la vitre du wagon. Les traditions romanesques sont un peu dépassées, mais on continue tout de même à les suivre, comme la famille qui loue sa chambre à Cécile et à qui les apparences suffisent – Léon est son « cousin ». Les vestiges du roman sont tenaces ; ils exercent une forte fascination, une attraction, même puisqu’on ne peut s’empêcher d’y revenir, de hanter ses ruines comme Léon et Cécile qui partent à la découverte des vieilles pierres romaines, parcourent les musées et sillonnent les églises. Le mythe de Rome – comme sa sonorité est proche de « roman », ne trouvez-vous pas ?- est plaisant, envoutant, même, mais il ne peut pas s’exporter. Le charme de Cécile est lié à celui de Rome, celui de l’histoire, au roman. Vous ne pouvez pas les arracher l’un à l’autre, il est pour ainsi dire impossible de débarrasser le roman de ses archétypes et stéréotypes, il n’y survivrait pas. 

Les voies ont beau être multiples, le train est obligé de suivre les rails de l’écriture, l’histoire court sur les lignes de la feuille. Impossible de dérailler sans que l’histoire patine. Elle avance toujours, se reprenant, se corrigeant, et se gonflant sur sa lancée. Léon ne doute pas, c’est bien plutôt sa certitude qui se modifie, s’émousse, qui s’altère en une certitude inverse à sa volonté de départ : il ne peut pas recommencer sa vie avec Cécile à Paris, sous peine de faire disparaître la Cécile qu’il aime et de la transformer en une seconde Henriette. De même, le nouveau romancier ne peut pas faire éclater le cadre du récit, seulement la nature morte qu’il renferme ; il est inexorablement ramené vers la logique romanesque – à lui de dessiner de nouvelles lignes de fuite. Bien loin de se libérer de son carcan routinier parisien, Léon comprend lors de son escapade extraordinaire à Rome combien il est dépendant de Paris. Les lois de la perspective ont parlé : l’horizon est plombé. Le train arrive à Rome mais l’arrivée n’est pas vraiment sa destination.

Cependant, c’est terminus, tout le monde descend.

 
       D’où la question existentielle : la voie du nouveau roman n’est-elle pas un cul-de-sac où il y a certes d’intéressants monuments qui valent le détour, mais où l’on est vite obligé de rebrousser chemin ? [Butor destructor ? -pardon, je n’ai pas pu rester sérieuse jusqu’au bout].

 

Harry Potter and the Deathly Hallows

   

A ne pas lire si vous n’avez pas vous même dévoré le dernier tome, à moins que vous ne soyez comme Anouilh pour qui le véritable suspens est de connaître le dénouement. Si vous attendez la version française ou que vous avez fait le dur choix de lectures plus scholastiques, vous pouvez lire ici, un article sans spoiler, écrit de main de maître – et à plus d’un titre, l’auteur est avocat.

 

  Et un beau locket, un ! 
 

    La version adulte, parce que je la trouvais beaucoup plus classe que les illustrations de l’édition anglaise pour mômes. Ce qui fait que j’ai une extraordinaire hétérogénéité dans les éditions de la saga : les trois premiers tomes sont des folio de la première heure, semblable à tout folio pour enfant, sans la police-éclair (sauf pour le premier tome que j’ai eu la mauvaise idée de prêter à ma grand-mère peu soigneuse et qui a préféré me le racheter plutôt que je fasse une syncope devant la couverture pliée et les coins cornés – manque de change, le changement de police a empêché que l’échange soit subreptice) ; les quatrième et cinquième sont en grand format, le sixième, l’édition américaine (doublé de la française pour ma mère) et le dernier, donc, a version anglaise et adulte. Une autre fois, je vous raconterai ma passion pour la comparaison des éditions.

 Avant toute tentative de mise en ordre, réactions d’une pottermaniaque après la lecture de l’ultime tome :
Ahhhhh c’était génial !!!
L’épilogue est gorissime

Ces réactions quasi-épidermiques exprimées, nous pouvons passer aux considérations sinon réfléchies, du moins développées (j’allais dire construite, mais laissons les plans à la rentrée).

        Le feu d’artifice (encore – celui des Weasley dans le cinquième film n’était pas mal)

Dernier tome annoncé de longue date, Harry Potter and the Deathly Hallows se devait d’être le bouquet de ce grand feu de joie – voire de fanatisme. Comme chaque tome pris individuellement, la série entière est construite sur une immense gradation : la mise en place de l’univers, les détails louches, les complications, le drame et le dénouement accompagné de ses explications (Miss Rowling a bien appris son schéma – exposition, péripétie, dénouement, situation finale). Mais le 7ème, c’est du concentré – Bruce Willis lui-même en perdrait le souffle. Guet-apens et innombrables sorties in extremis : l’accumulation pourrait virer au too much mais l’univers magique ayant été mis en place six pavés durant, le colis final passe comme une lettre à la poste. Les subtilités des baguettes, l’infiltration du ministère,  l’évasion de Gringotts en dragon (« They might have noticed »), les « il est mort, mais non, il est vivant », le nouveau passage secret entre Hogwarts et Hogsmead, tout s’enchaîne – et nous avec : il devient difficile de lâcher le bouquin.

 

            C’est ça, genre

Blending of genres. La Miss Rowling a la formule magique et rien à envier à Hermione quant à la compulsion minutieuse de sa bibliothèque : les ingrédients des meilleures recettes s’y retrouvent.

            Le film d’horreur, bien sûr, ugly creatures à l’appui. Et les géants qui démolissent les tours du château lors de la grande bataille de Hogwarts ont un petit air de King Kong.

            Film d’action, il va sans dire. Le genre d’histoire impossible à résumer tant il y a de péripéties.

            Le genre historique – roman de guerre. Ne trouvez-vous pas que les Death Eaters feraient de bons SS ? Magic is might… Les Juifs sont devenus des Mudbloods et les Aryens des sorciers au sang (et à la connerie) pure, mais l’obsession maladive de la pureté de la race est bien là et conduit également à es convocations, arrestations autoritaires, tortures… La fascination du pouvoir et le « for the better good » vient justifier la  politique du pire (ou le pire de la politique). Il n’y a pas jusqu’aux runes du livre d’Hermione qui ne suggèrent une réécriture de cette  époque noire.

Le roman policier, surtout, a toujours beaucoup de succès. Surtout quand on remplace une Miss Marple vieillissante (ou un Hercule Poirot grisonnant) par une Hermione pimpante. Les explications s’enchaînent – pas toujours immédiates dans leur déroulement ou leur entendement, mais on admire qu’au final, tout se tienne. Le trio cherche, tâtonne, se trompe une fois ou deux (mais pas plus, il ne reste déjà plus que 400 pages pour dénouer sept ans d’intrigue – un bon instinct est d’un grand secours dans ces cas-là), et ils trouvent. Avec un gentil mot d’explication au lecteur sous imperio – quitte à faire tourner Harry et Tom Riddle (bah oui, He Who Must Not Be Named est maintenant désigné par son petit nom, on vous disait bien que c’était la fin <des haricots>, mes petits chéris) face à face pendant un quart d’heure si besoin est. Voldemort est quand même bien gentil, il laisse à Harry le temps de bien exposer la situation avant d’essayer de le tuer.

Et là on touche au genre romantico-mélodramatique.

Ode de rose

    Parce qu’au fond, tout le monde est plein de bons sentiments. Il n’y a guère qu’Inci pour ne pas avoir douté qu’Harry s’en sortirait sain et sauf, elle a raison : les livres pour enfants finissent toujours bien. Mais justement, à bien finir dans l’allégresse, il ne finit pas si bien. J’étais persuadée qu’Harry mourrait en tuant Voldemort. Et là, il le kill. Après cela, c’eut été vraiment fini. Mais tout le monde est plein de bons sentiments, à commencer par feu le méchant Snape, qui n’est pas un sadique mais un homme de grand courage. Je soupçonnais le double jeu au profit des « bons », mais absolument pas son engouement pour Lily. Le morveux de Draco a toujours, grâce eu martyr de Dumbledore, une âme pure et ses parents sont en réinsertion sociale, parce que ce sont des parents avant tout. Le méchant  est zigouillé, le héros est survivant. Ce n’est même pas un assassin : il n’a pas a proprement parler tué Voldemort, aucun avada kedavra n’est venu souiller ses lèvres pures – Voldemort a en quelque sorte été anéanti par sa volonté destructrice.
    Tout le monde il est beau, il est gentil ; les tables des quatre maisons se mélangent à la fin et accueillent pêle-mêle toutes les créatures vivantes. La fin des clans, de la xénophobie et de racisme. Avènement de l’amour du prochain. Amen. Respect de l’autre avant toute chose, c’est la morale de l‘histoire : voyez le cas Kreacher.
    La propagande moraliste pro-elfe de maison et anti-esclavage pourrait être pardonnée si on ne venait pas nous ajouter cet épilogue gorissime, avec tout plein de morveux partout. Ron et Hermione, Harry et Ginny, ok, mais on n’avait nul besoin d’aller au-delà de la tour Gryffondor. La conclusion du dernier chapitre aura
it fait une dernière phrase parfaite, à contrepied de toute tentative de grandiloquence ou de moralisation. A la place de quoi: « All was well »… that ended well? Minute, c’était censé être une aventure de sorciers, pas un conte de fée – le conte de fée, c’est le destin de la romancière. Pourquoi une fin si gnian-gnian ? est-ce pour clôturer définitivement la saga, fini les émotions de Harry qui en a eu « enough for a lifetime » ? ou pour se laisser la possibilité de narrer les aventures de la progéniture, genre, on est repartis pour un tour, par ici les droits d’auteur ? (si elle fait ça, je la tue (métaphoriquement, of course), et elle tue par la même occasion le mythe potterien.)

 

            Vers le mélodramatique : oraison funèbre.

Ce qui sauve du dégoulinage de bons sentiments, c’est qu’elle tue ses personnages à la pelle. Ils tombent comme des mouches. Heureusement, nous avons eu un sevrage en douceur. Rien de létal dans les trois premiers tomes, juste un orphelin : la mort est lointaine, une réalité sue mais non pas vécue. Au quatrième, première victime, mais finalement, Diggory, on s’en foutait un peu, (mal) tombé là comme un cheveu sur la soupe. Pas de grande émotion, mais bon, l’innocence persécutée, ça marque. Au cinquième, les choses se corsent, puisque la bonne étoile d’Harry s’éteint en la personne de Sirius. Sa mort annonce celle de toute la constellation – l’aurore, c’est dangereux  (Si vous avez une réminiscence d’une brillante phrase de Legolas, je me sentirai moins seule). Au sixième, le monde s’écroule : Dumbledore tombe de haut, Harry et nous avec. Les vannes sont ouvertes – faites feu ! Mad-Eye, Dobby, Tonk, Lupin, Fred, Snape et de nombreux autres encore. De quoi adoucir un peu ces pertes cependant : Mad-Eye était un aurore, Dobby se fait remplacer par Kreacher (et puis, il est enterré avec ses chaussettes), Lupin est  un loup-garou potentiellement dangereux (j’ai plus de mal pour Tonk, d’autant plus qu’ils lui ont donné une touche vraiment sympa dans le cinquième film) Fred a une copie certifiée conforme et le couple Tonk-Lupin laisse un neveu à Harry, histoire qu’il endosse le rôle et rappelle à sa mémoire Sirius.

 

            Des effets rétroactifs du cinéma sur la littérature [ou comment faire croire que l’on étudie les pistes du cours de philo sur Walter Benjamin]

L’écriture de J.K. Rowling est presque cinématographique. Est-ce l’influence des adaptations ? Les descriptions sont très visuelles et surtout les dialogues sont de plus en plus présents – avec les cris en majuscules, on entendrait presque les modulations de volume (ces cris silencieux sont d’ailleurs éprouvants. En plus, ils attirent l’œil et poussent à sauter des lignes – c’est maaaaal). L’influence filmique se retrouve   jusque dans la petite phrase désinvolte qui tue tandis qu’on se massacre ; et la fin hollywoodienne (Manquerait plus qu’ils finissent avec un cœur qui mange l’écran). Petit cadeau à la Warner Bro ? Les réalisateurs d’effets spéciaux vont s’en donner à cœur joie !

 

            Et puis en vrac, parce que j’en ai assez d’écrire, et que vous en avez certainement encore plus de me lire :

         j’ai bien aimé les français qui en prennent pour leur grade via l’accent de Fleur

         j’ai a-do-ré Ron et son humour !

         Curieux la récurrence du chiffre 7 : 7 tomes, années, horcruxes, Harry quand on le transfère…mais bon, en additionnant le tout, multipliant par le nombre de plumes du Phénix et retranchant le nombre de frères Weaslay, on obtient l’âge du capitaine – à côté, la divination est une science exacte et Trelawney une scientifique émérite.

 

La pottermaniaque a fini l’exposition de ses tocs. A bientôt !

Les Faux-Monnayeurs, de Gide

[Attention, souris tordue]

 

            Les Faux- Monnayeurs est trop pensé. En se faisant critique de lui-même, il se détruit. Gide ne joue pas avec le lecteur d’une connivence sur l’illusion romanesque, comme peut le faire Laclos en jouant sur le paratexte de ses dangereuses lettres. L’illusion est ici démontée : les roues dent(el)ées sont mises à plat, les chiffres sont datés et les aiguilles que leur désarroi. L’horloge n’est pas remontée, les pièces gisent épars sans pour autant être mises en pièces. En scène tout au plus. On est dérouté, sans être mis sur une autre voie, comme dans les Géorgiques de Claude Simon (ce qui ne veut pas dire que je ne m’y perde pas !).
            Gide ne dénonce pas l’illusion, il lui en substitue une autre : celle que l’on peut continuer tout en se sachant dans l‘illusion et en prétendant parallèlement que cette illusion est une impasse. On ne peut pas dire ‘ne jamais dire jamais’, mais le romancier l’écrit. D’où les accros entre les Faux-Monnayeurs d’Edouard, le romancier interne au roman qui se propose précisément d’écrire les Faux-Monnayeurs, qui n’est pas le pavé que vous tenez dans les mains, et les Faux-Monnayeurs de Gide, qui sont en train de nous fournir matière à nous triturer (probablement inutilement) le cerveau (ou ce qu’il en reste après les concours blancs). Le mur de l’impasse n’est pas escaladé, mais il n’est pas non plus considéré comme un obstacle. Plutôt le mur devient la destination de l’impasse.
            Trop pensé. Je vous le disais. Le lecteur doit sans cesse se préoccuper de démonter le démontage opéré par Edouard (le romancier qui fait écho à l’auteur). D’accord, Gide se moque éperdument du lecteur paresseux. Il en veut d’autres, fort bien. Mais on peut se demander si la question ne devrait être déplacée de la paresse au plaisir. Jusqu’à quel point la critique de la critique est œuvre à part entière ?

             La mise en abyme n’est pas ici vraiment vertigineuse. Retorse, sans aucun doute, mais pas de vertige bachique *dixisset unserer liebe Hegel*. L’abyme s’est abimé en un abîme [Aleks, doutes-tu encore que je te batte dans les jeux de mots pourris ?], creusé toujours plus avant dans le récit.

             Et pourtant, ce n’est pas un fourre-tout, sommaire des grands thèmes remâchés. Des instantanés font subrepticement sentir un parfum de vérité. Des instants réfléchis par l’écriture sans que l’auteur soit venu réfléchir sur (la réflexion de) l’écriture – la concordance entre Edouard et Olivier, par exemple. Elle vient comme un point de vérité qui éclaire le lecteur sur la sourde irritation qui l’agaçait envers les deux personnages.

           Curieux. Pensé plutôt que donnant à penser. Ou alors penser comme démontage du démontage de l’illusion romanesque. Ce qui vous donne l’envie de la rétablir dare-dare pour pouvoir lire en paix.

 

           Gide est un escroc formidablement habile : le roman lui-même est une fausse pièce de monnaie. La fausse pièce n’a de valeur tant qu’on ignore qu’elle est fausse ou que le sachant, on tente de la refiler à quelque commerçant qui voudra bien n’y voir que du feu et l’encaisser. Une fois frottée et réduite à un bout de verre, la pièce n’est plus qu’un objet de curiosité. Le roman est une fausse pièce de monnaie. Rendu transparent, on ne sait plus seulement les artifices, on les voit, il y a comme une anomalie dans le/a pa(ysa)ge. Et de même que la pièce réduite à un bout de verre ne peut plus être écoulée, le roman décortiqué ne peut pas vraiment être digéré, il y a quelque chose qui ne passe pas. Non parce qu’on sait les artifices, on les connaît toujours, on accepte simplement de s’illusionner. L’étude de l’artifice peut être passionnante, on n’expliquerait pas autrement l’intérêt parfois maniaque porté à la genèse d’une œuvre, au journal ou à la correspondance de l’auteur. Mais l’intérêt est précisément que ces sources sont étrangères à l’œuvre et tendent à la questionner sinon à l’expliquer. Doivent-elles elles-mêmes devenir œuvre ? Je suis sûrement une stupide lectrice qui ne comprend rien au coulis essentiel du genre romanesque, mais je trouve qu’exposer, poser et décortiquer l’artifice ôte un certain charme. [ahhh vocabulaire auratique potentiellement dangereux et démodé- HK1 private joke]