Concert en descrescendo

Ambiance Badoit qui pétille avec Chairman Dances, de John Adams. Je verrais bien le San Francisco danser dessus en académiques néo ou robes fluides. La scénographie : un immense cube abstrait (traits noirs, vide blanc), un cube asymptotique qui ne cesse de se remplir sans jamais être plein (la ligne de flottaison clapote). La musique soudain y bascule : nous sommes dans l’aquarium des homards, à travers lequel on perçoit, déformée, distante, aigüe, l’effervescence du service, cliquetis des couverts, ordres en cuisine, ballet des assiettes et des serveurs formés par Fred Astaire. Ça swingue et ça pétille, au ralenti, le temps de faire le tour des bulles irisées.
(Après lecture du programme, il semblerait que le cube immense soit un gigantesque portrait de Mao, qui descend de sa toile pour danser un foxtrot avec madame Mao. J’y étais presque.)

Après cette dizaine de minutes d’éclate totale et inattendue, Concerto pour violon et Hilary Hahn de Tchaïkovsky – la raison de ma venue. J’ai dû sautiller de joie à contretemps : au lieu d’être soulevée et emportée par la vague musicale, je la sens passer et se perdre l’apesanteur ; je retombe de tout mon poids sur le sable, mes pieds, le fauteuil. Je saute encore et encore, j’en trépigne, puis j’abandonne : pas assez de vent, juste une brise agréable lorsque le violon joue quasiment a cappella. Ce n’est pas cette version-ci qui aurait fait verser des larmes sur Mélanie Laurent, même si le public, probablement plus familier du film que des concerts, applaudit en plein crescendo. Palpatine est outré comme un toon ; je trouve pour ma part que ça fait chaud au cœur, cette chaleur humaine sur la chaleur orchestrale.
(Hilary Hahn, en robe champêtre à dos de plage et motifs bleus, a probablement inspiré la séquence sauter dans les vagues.)

Symphonie pas si fantastique de Berlioz. Je me garderais bien de demander des œufs mayo au chef d’orchestre (Leonard Slatkin), parce que ça ne prend pas. Pas de chantilly ni d’île flottante non plus : ça bat trop vite et ça reste mou… pas de neige, pas de paillettes, l’île est une cité engloutie. Je révise mes courbes de Bézier sur les réflecteurs du plafond et je m’entraîne à jouer du basson silencieux en gonflant les joues (la difficulté consistant à n’émettre aucun son au moment de vidanger les soupirs).
(En bis, la Barcarolle d’Hoffenbach, choix particulièrement vicieux de part sa persistance auditive. Bonne nuit d’amour à vous aussi.)

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