Des canyons aux étoiles : Tex Avery chez Nature & Découvertes

Oubliez le délire mystique de Messiaen dans Des canyons aux étoiles : c’est Tex Avery chez Nature & Découvertes. J’en ai la certitude quand, me demandant quelles créatures peuplent ces étranges canyons sonores, les loups que j’émets comme hypothèse sont aussitôt remplacés par des coyotes (c’est auditivement un désert chaud) et ceux-ci, mais c’est bien sûr, par Bip bip le coyote.

Comment j’imagine les canyons de Messian (image extraite de Souvenirs de l’empire de l’atome, bande-dessinée d’A. Clérisse et T. Smolderen).

À partir de là, j’entends des tempêtes de fée Clochette, des Aristochats qui font les lolcats en essayant d’attraper les oiseaux sur les touches du piano, un Taz de Tasmanie qui prend le relai d’Éole lorsque la tendinite menace à force de tourner la manivelle de la machine à vent, et au lieu du bâton de pluie, on a un tambourin d’océan arrête à chaque fois brusquement son ressac : qui a éteint la mer ? Ça gloung zing tadadzouing, les souris couinent aux archets, le chat du Cheshire disparaît derrière son sourire en trois glissements de baudruche, les corps avalent des mesures qui les déforment et les font rebondir et vibrer jusqu’à ce qu’ils reprennent leur forme initiale. Pour le dire poliment, c’est le bordel — tantôt je sature de la cacophonie, tantôt je m’y sens comme chez moi et je rigole bien en faisant une transcription nasale du piano dans le dos de Palpatine (qui réplique en mimant une mouche bourdonnante)(ses imitations animales ne sont pas la moindre de ses qualités).

Soudain, au milieu du concert et de son désert ensablé-endiablé, comme si l’orchestre tout entier émergeait des dunes en jouant et ruisselant, surgit une cathédrale de verre soufflée de nulle part, du sable métamorphosé, translucide, dont le quartz scintille de partout — une espèce de magnificence classique qui prend forme depuis les bruits jusque là éparpillés, avec un force suffisante pour propulser les grains de sable au ciel, où ils s’assemblent en constellations. Ça tient un moment encore dans le morceau suivant avant de se disloquer, et c’est dans cet entre-deux la caverne d’Ali Baba, une antre peuplée de cage à oiseaux sans oiseaux, où sont suspendus à la place toutes sortes de minerais, sur lesquels viennent tintinnabuler des étincelles de lumière ; une bibliothèque minérale où la magie semblerait naturelle, et les failles spatio-temporelles sur d’autres mondes. On entend d’ailleurs un des sept nains, inhabituellement sage, donner un tout petit coup de marteau, à l’écoute de la résonance caverneuse dans le ciel que guettent Simba et Nala.

La cacophonie finit par reprendre et ce n’est pas que je m’ennuie, mais je ne serais pas contre que ça s’arrête. La « création visuelle » consistant à projeter des oeufs de lumière un peu partout dans la salle comme des résonances lumineuses ne m’amuse plus ; certes, leur apparition est aléatoire, mais ce sont toujours les mêmes couleurs et les mêmes formes aux mêmes endroits ; j’en ai laissé tomber le marteau mental par lequel je m’amusais à assommer ces taupes abstraites. Ne reste alors que la compassion pour les spectateurs qui se font de temps en temps aveugler (et la surprise que personne ne s’amuse à faire voler un oiseau ou parler une bestiole en ombre chinoise)(les gens sont d’un sage…). À ma décharge, aussi, au dernier rang du parterre, nous sommes en plein courant d’air climatisé et j’ai définitivement froid, les muscles tout ankylosés de m’être longtemps pelotonnée contre Palpatine (j’ai commencé à apprécier le concert dans son cou en sentant la pression de sa main sur mon épaule, et si je ne retenais qu’une chose de la soirée, ce serait cette entente l’un contre l’autre, à se réchauffer et à rire sous cape dans les moments les plus toonesques, les pauses entre les morceaux judicieusement placées pour faire apparaître ses fossettes d’un bécot furtif, pendant que le reste de la salle expectorait la poussière désertique de ses bronches).