Début de Beach Birds, comme l’avant-spectacle: planant.
Hier, au débotté et avec du bol, soirée au Théâtre de la Ville ; quand j’arrive Palpatine (vous avez grillé qu’à chaque fois que je le link, il s’agit de la critique correspondante et non d’une lubie obsessionnelle, j’espère) a déjà trouvé des revendeurs à qui acheter deux places. Dans le hall, je crois reconnaître le danseur pain au chocolat du ballet de Lyon, ainsi surnommé lorsque la compagnie s’était produite à Pantin, il y a quelques années, parce que ma mère le regardait comme si elle allait en faire son quatre heure. Tout à fait à mon goût également. Du coup, j’ai réservé à Palpatine ses jumelles pour ses apparitions sur scène, mais j’ai beau eu scruter et l’attendre de pièce en pièce, personne. Le mystère s’est levé à la sortie : il s’agissait en réalité de l’ouvreur qui s’occupait du vestiaire. Il reste croustillant, mais cela lui a fait perdre un peu de son aura. Un danseur, quand même… venons-y, d’ailleurs. En trois partie, comme il se doit y invite la tripartition du programme.
Aux frais de la princesse, le chorégraphe nous a posé un lapin
sur le devant de la scène, côté jardin, allongé par terre, face tournée vers le public. Le lapin Kiss cool, à ceci près que le costume ne couvrait pas les pieds, qui frottés contre le sol produisaient un grincement dont j’ai mis un certain temps à identifier la provenance, croyant à un bande-son accompagnant une image flottante projetée derrière. Mais le temps ne m’a pas manqué ensuite pour analyser la chose et plaindre le pauvre gars qui, à moins d’avoir développé un centimètre de corne, ne devait plus avoir de voûte plantaire ; cette blague de mauvais goût a duré, quoi, je dirais un bon quart d’heure. Mais aussi, l’ennui dilate le temps.
De toutes manières, on se demande ensuite si le grincement, introduisant du moins une illusion de rythme n’était pas préférable au silence. Non que celui-ci devienne angoissant (pourquoi cette absence de musique ? La bande-son est-elle morte ? Quand vais-je pouvoir tousser ? Et autres interrogations existentielles), mais il est redondant : on n’entend pas plus qu’on ne voit, et Dieu sait pourtant que ça gesticule. On agite la tête en tous sens – che-veux que ça s’arrête ! – on se jette par terre, seul ou à plusieurs, on dansotte dégingandé mais pas désinvolte, parce que les danseurs sont en empathie avec leur public, ils souffrent. Une pensée émue pour la fille qui se tape une séance de gainage de malade : au sol, elle soulève son bassin et s’arque jusqu’à se trouver sur les demi-pointes et le sommet du crâne, bras en l’air qui demandent de l’aide sans y croire, parce que bon, comme le reste, cela n’a pas été chorégraphié. La vie n’est pas un conte de fée, ma bonne dame, la princesse de Rescuing the Princess (enfin les, parce que toutes les danseuses s’y sont collées) étant décrite par le programme comme une amie danseuse en fin de vie que le chorégraphe a accompagné jusqu’à la mort. Qui est, comme chacun le sait, une délivrance : réapparition de la musique et construction d’un ensemble, le seul de la pièce du coup monté, au lieu de la juxtaposition d’artistes autistes, on aurait bien une ébauche de danse. Peut-être même pas mal, mais on est soulagé de ne pas avoir à se poser la question.
Noir à nouveau, personne n’ose espérer la fin, mais quelqu’un tente d’applaudir pour mettre fin à ses souffrances et c’est finalement ce que l’on attendait de nous. J’ai été rassurée que se mêlent aux applaudissements des huées. Prise entre mon accord profond avec ces dernières et mon envie de témoigner aux danseurs, qui réussissent à laisser deviner une belle qualité de mouvement (en particulier le grand Black, que j’aurais bien aimé voir ailleurs) toute ma compassion, je ne bouge pas. C’était la première fois, je crois, que je n’applaudissais pas à un spectacle. Cela m’est déjà arrivé de ne pas être emballée et d’applaudir par convention, mais là cela aurait été de l’hypocrisie pure et simple.
Ralph Lemon, retenez bien ce nom pour être sûre de ne jamais croiser son chemin.
Pingouins pas manchots
A défaut d’être esthétique, la première pièce a tout de même été utile, en me faisant par contrepoint apprécié une pièce sur laquelle je ne me serais pas forcément attardée en temps normal. Après avoir écouté les mouches voler, nous avons vu les oiseaux danser. Pas n’importe lesquels, précisément ceux qui vous font trépigner un ingénieur Linux embarqué : des Beach birds, des pingouins. On oublie pour une fois que l’académique n’est pas flatteur (d’autant que pinguis désigne tout de même le gras en latin – la seul entrée des Mots latins dont je me souvienne…) ; la démarcation qui le fait passer du noir au blanc juste au-dessus de la poitrine, associée à l’inclination de celle-ci, donne un port de reine d’empereur. J’adore la poésie de cette danse anti-lyrique qui flirte avec le figuratif (j’allais mettre « danse abstraite », mais je viens de relire les essais de Kundera).
A cause du titre, ou plutôt grâce à sa légende (ce qui doit être lu, rappelons nos cours de latin), on voit dans une main/aile qui tremble le pingouin qui frissonne ; dans la tête posée d’une joue puis d’une autre sur le dos d’un partenaire, la tendresse d’une caresse ; dans les sauts en retiré première (je ne sais pas le terme technique, j’appelle ça les sauts « grenouille ») bras bas, le déséquilibre du pingouin qui plonge. Ou comment Bournonville se retrouve sur la banquise.
Si l’émotion e/affleure, elle n’est jamais sentimentale, mais toujours graphique :
Dans le registre de la référence classique poles apart, le frémissement d’un pied en équilibre en attitude parallèle devant (got it ?) m’a fait penser aux petits battements sur le coup de pied dans l’adage du Lac des cygnes – écho volatile. Quand j’en ai fait part à Palpatine, il m’a proposé d’aller voir des vrais oiseaux, sous prétexte qu’il n’y a pas que les pigeons dans la vie, et j’ai eu un court instant la sensation d’en être un.
La Beach Bird attitude
Comme il est récemment mort et déterré, j’avais lu pas mal de choses sur Cunningham, et j’étais vraiment curieuse de voir ce que donnait une danse aux lignes fortes voire épurées, comme des poses successives (je me souviens de V. qui m’avait résumé le style du chorégraphe à quelque position – et effectivement, on pourrait analyser la chose à l’aide de quelques pas où domineraient l’attitude et le demi-plié en première position), très exigeante physiquement (l’équilibre en attitude derrière penchée et plié, avec port de bras… le genre de chose qui vous développe le mollet pois chiche), entretenant un rapport assez lâche avec la musique (le bâton de pluie a un effet apaisant lorsqu’il n’est pas agité frénétiquement par un gamin chez Nature et découverte), et où l’émotion a dégagé du visage. Ce dernier demeure effectivement de glace, sans pour autant qu’il ait des airs de froideur ; l’ensemble est lisse mais pas superficiel. Cette pièce est vraiment un drôle d’oiseau.
Ne pas avoir l’air d’un albatros – seulement manchot.
Re- Set and Reset
Déjà vue avec Palpatine à Chaillot, la pièce de Trisha Brown me plaît toujours autant. J’ai pourtant eu l’occasion de la re-découvrir s’il est vrai qu’est difficilement mémorisable la fluidité du mouvement avec ses faux rebonds et sa vraie dynamique. Alors que j’arrête toujours Palpatine lorsque l’incessante agitation du neurone descend jusque dans sa jambe et la fait tressauter, j’ai senti des a-coups dans mes épaules et mon dos : un peu comme, lorsqu’on cherche vainement le sommeil, le corps est parfois secoué d’un sursaut involontaire, la réplique des mouvements de la scène traversait le mien. J’ai alors sentis, j’imagine, ce que ma prof de danse appelle entrer en sympathie (musculaire) avec le danseur – et qui chez elle, va jusqu’à lui laisser des courbatures. C’était particulièrement flagrant lorsque je fixais mon attention sur un danseur en particulier, le seul qui semblait vraiment s’amuser, et dont la qualité de mouvement était telle qu’on aurait presque dit que son dos ondulait.
Inversement proportionnel prolixe à l’enthousiasme – bof post.