(desert theatre street)

           Samedi matin. Depuis que le portable a égrainé le réveil, tout a été pris dans une spirale d’activité routinière. Quelque soit l’heure de la sonnerie, les dernières minutes sont toujours une course contre elles-mêmes. Le manteau : attrapé et enfilé dans la cavalcade silencieuse des escaliers. La porte du hall s’ouvre avec un décrochement sonore, le détecteur de mouvements a à peine intimé à la lumière de s’allumer que j’ai déjà la main sur la poignée dorée de la porte d’entrée. Quittant l’agitation, j’entre en coulisse. La porte s’est refermée sur la lumière, calfeutrant le bruit de son acolyte en verre. Je suis entrée dans le silence et m’avance à la dérobée. Mes pas ralentis sont furtifs parmi les façades cartonnées qui les guident. Le labyrinthe est limpide – désert même. La toile monochrome met en scène la solitude urbaine. Désert habité. Au coin de la rue le lampadaire marque la sortie de secours. Un bruit passe dans le rougeoiement de deux veilleuses, emportant d’hypothétiques acteurs, personnages esseulés d’un décor abandonné. Sous un projecteur blafard, la boîte aux lettres fait le pied de grue. La laissant à son solo, je continue en travelling. Vision chaotique d’une chaussure qui recule toujours devant l’autre – rembobinage de l’absurde. Déjà la monotonie est rythmée par l’écho du macadam. J’entends que les techniciens finissent de plier la toile de la nuit dans son carton, elle file au dépôt dans un crissement de rails. Quand mon pas s’est accéléré, le théâtre des gens s’est installé, mon œil public s’est glissé derrière le rideau. Quand je suis arrivée au bout de la rue, les coulisses s’étaient évanouies. 

 

8 réflexions sur « (desert theatre street) »

  1. petite réminicence des ponts de Rimbaud? en tout cas c’est très conoté illuminations.
    bravo pour le pastiche, si c’en était un: c’est l’un des meilleurs que j’aie vu.

    1. A l’impression de décalage que j’ai ressenti une fois ou deux en sortant le samedi matin dans la rue déserte et calme, pour aller faire un DS compris entre 4 et 6 heures. Mais dit comme cela, ça ne ressemble à rien, si ?

    2. Très joli…Il y avait quoi dans les céréales, ce matin-là?
      Ou était-ce un accès de somnanbulisme non identifié ?

    3. … (à la lecture du comm’ du 2 mai) : Dit comme cela, c’est vite dit et pas senti.

      Mais j’ai beaucoup aimé la version longue de votre texte, qu’on peut imaginer comme un seul plan cinéma, caméra à l’épaule. Ou comme l’errance dans les entrailles d’ un théâtre. Bien vu le titre.
      A deux ou trois mots bien placés, vous semblez connaître le métier. De la scène.
      Dans les sous-sols de Chaillot, on peut se perdre.
      Belle écriture, bravo de vous lâcher ainsi. Très joli.
      PS. Je suis le compagnon de cordée (mais pas sur son ring) de Fleur, dans notre nouveau projet.
      Vous dansez ?

    4. A deux trois remarques bien placées, vous semblez traduire ce que j’ai voulu faire passer. (merci)
      Je n’ai jamais eu le bonheur de ma perdre dans les sous-sols de Chaillot (y travailleriez-vous ?), juste dans les méandres de Montansier, lors des examens annuels du CNR. J’y ai fait toutes mes classes de danse et je suis actuellement dans une « petite » école dont le professeur est sans commune mesure supérieure à ceux du conservatoire. Je continue donc bon an, mal an, en parallèle de la prépa et j’ai monté avec quatre amies une association- compagnie de danse…

    5. De votre texte, c’est l’idée qui m’a subjugué avant tout, ou dit autrement, votre regard sur une action, un moment on ne peut plus banal. Ca c’est intéressant.
      Ce qui me renseigne sur votre capacité à décoller et imposer -par l’ écrit- votre vision.
      Après, c’est affaire de technique et de choix. Proust en fait huit pages, Chloé Delaume une ligne, mais j’ai besoin des deux.
      Chaillot : le temps d’un spectacle, oui ( et il y a longtemps).
      La danse : bravo. Je vis effectivement avec une danseuse (danse contemporaine, comme Fleur le raconte :=) Chez moi, vous pouvez lire ça dans la rubrique « S’offrir une danseuse ». Ou l’envers du décor, peut-être.
      Bonne route à votre compagnie et bon courage.

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