C’est rare qu’un souvenir soit d’abord olfactif. C’est d’autant plus étonnant dans le cas des églises en bois debout que l’architecture en met plein la vue : leurs toits ressemblent à des navires vikings qui reposeraient sur le reste de l’édifice sans y être arrimés – des constructions qu’on dirait à la fois branlantes et pleines de force.
La couleur, aussi, est étonnante, ce bois presque noir de Borgund, qui s’incruste dans la mémoire comme la couleur des églises en bois debout, quand bien même d’autres sont en bois clair, voire carrément peintes en blanc, comme à Undredal. Nous sommes empressées de lui retirer son qualificatif : une église en bois, oui, en bois tout court, pas debout. Pourquoi pas allongé ou assis, d’ailleurs. Nous apprenons dans le musée de Borgund que ce nom étrange d’église en bois debout fait référence au pilier central : stav, structure de la stavkirke (ou stavkyrkje parce que le norvégien a deux graphies, kill me now). L’étrangeté se déplace sur la traduction.
Plus que le pilier, cependant, plus que les toits vikings ou même leur couleur, c’est l’odeur qui définit pour moi la stavkirke, une odeur brûlée, forte, âcre, qui vous emplit les naseaux. Je ne visite pas l’église de Borgund, je ne suis pas « bouleversée » par « son intérieur simple et son autel subtilement rustique » (ce qu’on a pu rire avec cette phrase du guide) : je la renifle, la crache au besoin par les narines quand elle devient trop forte.
J’ai essayé de prendre en photo ce qui génère cette odeur, le mélange de charbon et de résine de pin dont sont enduits les murs et les tuiles, elles aussi en bois, pour les protéger contre les intempéries et éviter que l’église moisisse par le haut (des socles de pierre assainissent le bas). De la sève et du bois brûlé, carbonisé, pour protéger le bois séché : on sent la continuité végétale, elle empeste, elle embaume. On ne la voit pas pourtant, même si elle dégouline des tuiles en mini-stalactites et craquèle les piliers de goudron – une peau de crocodile aux problèmes dermatologiques. C’est crade et puissant, animal. Pas du tout subtilement rustique, contrairement à l’intérieur, peut-être, aux gravures des linteaux.
Quand on s’éloigne, l’odeur diminue sans disparaître (elle reste un moment dans le nez) et l’on voit reparaître les ornements architecturaux, le toit avec ses baïonnettes vikings photographiées sous toutes les couture – ci-dessous d’un peu plus loin, derrière un autre toit typique en Norvège : le toit végétal, que l’on trouve un peu partout, sur les maisons, les cabanons de jardin, les boutiques de Geiranger et les abribus le long de la route. Il ne date pas du Moyen-Âge, celui-là, mais il ne manque pas de charme.