Parce qu’Instagram, c’est bien, mais disposer de son propre contenu, c’est mieux, voici tout le voyage en Angleterre en stories (oui, j’ai sauvegardé, renommé et rempli le texte Alt de 134 images).
Étiquette : voyage
Un cottage dans les Cotswolds
Lundi 19 août
À travers la vitre de la voiture : des rayons de soleil divins percent sur le trajet d’Oxford vers les Cotswolds. Au détour d’un village : des fausses boules de buis suspendues de part et d’autre d’une porte, à laquelle elles sont censées apporter quelque gravité, sous l’effet du vent ballotent comme des ballons de baudruche signalant une fête d’anniversaire.
Le cottage a quelque chose de l’hôtel l’hôtel où nous avions séjourné en Normandie pour mes 30 ans — la campagne luxueuse. Tous les chambranles de porte, de fenêtre, de porte-fenêtre, toutes les portes et tous les placards sont peints de la même nuance vert d’eau. La cuisine, spacieuse, donne sur le jardin et les pâturages au-delà ; on s’imagine bien faire une tarte et relever la tête, tiens les chevaux sont de sortie. Il y a un grand et un petit salon, pour faire DVD à part. Les hôtes connaissent bien leur public, la sélection de film est très comédie romantique & cottages anglais. Le canapé est si vaste et moelleux qu’on pourrait disparaître sous les coussins. La moquette épaisse, claire, dévale l’escalier depuis l’étage. Je suis Boucle d’or, j’essaye à plusieurs reprise les lits des trois chambres avant d’en choisir une. Pas la plus grande, ni l’autre grande agencée un peu comme le B&B de Touraine, je jette mon dévolu sur la plus petite, qui abrite comme une cabane, le lit calé contre un pan de mur, la fenêtre échappée vive et miniature sur la campagne en chien assis, et une peluche lapin posée sur la commode, en curieux contrepoint à Napoléon et Nelson gravés dans leur cadre respectif.
Mardi 20 août
Nous commençons l’exploration des Cotswolds par le village tout à côté : Chipping Campden. Il faut se faire à cette nouvelle modalité de visite, de promenade plutôt, où il ne s’agit plus d’arpenter, mais de flâner. Une vieille halle en pierre, des maisons assorties un peu de guingois, un bow window occasionnel… il n’y a pas grand-chose à voir, c’est bien comme ça, c’est ce qu’on était venues chercher, on se met dans l’ambiance. Notre second voyage dans le voyage commence.
La sérendipité Google Mapsienne nous aura donné deux highlights du séjour : les White Cliffs of Dover et le Blockley village café, dont je savais qu’il me fallait goûter toute la carte avant même d’y mettre les pieds. Tout me plaît, la couleur des murs, la table inégale découpée en suivant les nœuds du bois, la vaisselle en grès… et les haddock beignets, des boulettes frites que le Nord français ne renierait pas, mais fumées, délicatement assaisonnées au curry, savoureuses, sur des spaghettis de courgette qui ne me donnent même pas l’impression d’avoir été punie — un aperçu à l’heure du déjeuner de leur menu dégustation du soir.
La bibliothèque de Stow-on-the-Wold est située dans une ancienne église. Des blind dates sont proposés à l’emprunt, des livres-mystères enveloppés dans du papier journal. On échange quelques mots avec les bibliothécaires ; je m’étonne des protège-cahier qui entourent la plupart des ouvrages quand les nôtres en France sont plastifiés. C’est pratique : on peut facilement les changer s’ils s’abîment… ou les retirer pour brader les ouvrages et faire de la place pour renouveler le catalogue.
Uppercut Slaughter, Lower Slaughter, le nom de ces villages jumeaux m’éclate. Votre massacre, vous le préférez en haut ou en bas de la colline ? En réalité, m’apprend Wikipédia, le nom est dérivé du vieil anglais slohtre, qui signifie « zone humide ». De fait, la petite rivière de Lower Slaughter est charmante. Et magnifique le chemin à travers la campagne ensoleillée d’un village à l’autre. J’en profite peu, malheureusement, accaparée par une envie de pisser qui ne passe pas. Voilà, vous êtes heureux j’en suis sûre d’apprendre qu’Upper/Lower Slaughter est l’un des rares villages touristiques des Cotstwolds sans toilettes (ni arbre sans vis-à-vis).
Sur la route du retour (vers de convoitées toilettes), nous sommes escortées par un écureuil qui, au lieu de s’écarter d’un bond de la route vers le fossé, fuit la voiture en restant bien devant les roues, sur la chaussée, et se retourne à intervalles réguliers pour voir si nous nous sommes arrêtées ou si nous le suivons toujours.
Je pisse enfin et nous dînons de crackers et fromage fumé.
Mercredi 21 août
Rendormissement de plomb après un réveil trop matinal, j’émerge engluée dans une tristesse sans origine — autre que tout ce qui finit ? Le pommeau de douche géant me masse le crâne, je suis lavée des sanglots.
Nous sommes de retour au Blockley village café, un peu plus tôt cette fois pour un English breakfast végétarien et des œufs florentine. Lovely, tout est lovely, c’est la patronne qui le dit quand on commande, quand on fait remarquer que les tasses sont belles ou que l’on demande à ajouter un pourboire en payant par carte. On le dirait plutôt des assiettes joliment dressées, des galettes de courgette et maïs, du plaisir de l’instant. Apaisées, décentrées, nous pouvons parler de ce dont nous ne parlons plus chez nous, par exemple de mon cousin-qui-a-coupé-les-ponts-avec-la-famille. On n’est pas très psy dans la famille, remarque Mum qui l’aurait à juste titre jugé nécessaire dans l’affaire, mais à qui il ne viendrait pas à l’idée d’y aller pour elle, pour dénouer certains achoppements pas bien graves, mais sans lesquels on vit tout aussi bien.
À la supérette d’à côté, où nous furetons en prévision du dîner, je déniche des biscuits chocolat-gingembre dont on reviendra faire provision le lendemain. Le dosage est parfait, c’est épicé et croustillant-fondant. On dirait un peu comme des After Eight, a remarqué le boyfriend quand je lui ai fait goûter — des After Eight où la menthe chimique aurait été remplacée par du gingembre fringant.
Nous mettons le cap sur Stratford-upon-Avon, la ville de Shakespeare et la plus éloignée de la base depuis laquelle nous rayonnons. Melendili avait fait l’impasse lors de son séjour dans les Cotswolds — trop au Nord. J’ai repensé à elle sur place, quelque chose comme : tu as été bien inspirée et n’as rien loupé. En arrivant dans l’artère principale, pavée de gris lisse et d’intentions marchandes, j’ai fait rire Mum : « On sent qu’ils sont prêts à nous entuber. » C’est sur nos gardes que nous avons pénétré dans une boutique Peter Rabbit, puis dans un magasin de peluches manifestement tenu par quelqu’un qui n’aime pas les peluches et n’a aucun scrupule à les tenir dans une atmosphère de renfermé de grenier mité — la tendresse remplacée par la tristesse.
Malgré quelques belles maisons à colombages et un théâtre de briques sympathique, la ville manque de charme, et je ne suis pas sûre que cela soit uniquement parce que nous nous attendions à un nouveau village. Nous délaissons les rues pour les bords de la rivière. Mum trouve un bon peu de graines-croquettes abandonnées pour le parapet, et se met à gaver cygnes, mouettes et canards en en lançant moult poignées sans discontinuer. La faune accourt à la nage, jamais je n’ai vu autant de cygnes de ma vie, il y a sans problème de quoi monter un corps de ballet. Une maman s’approche avec sa toute petite fille ; nous lui confions une poignée du trésor trouvé pour qu’elle puisse elle aussi régaler les volatiles. Elle est trop petite pour réussir et même comprendre qu’il faut lancer la pitance, mais la maman remercie chaudement et le fait pour elle, look ! Un peu plus tard dans l’après-midi, les parents nous feront coucou d’un bateau, et nous répondrons coucou de la main depuis la rive. Nous longeons l’Avon sur une allée serpentine de saules pleureurs qu’on a sommé d’arrêter de pleurer en leur faisant une coupe digne des perruques du Crazy Horse. Au bout, concomitant avec une éclaircie : un banc, une vue calme avec un bout de clocher ; l’eau scintille entre deux nuages.
Quand on revient plus proche des aires de jeu, sport et pique-nique, nous passons devant un boulodrome peuplé de gens de gens d’un certain âge, tous vêtus d’un uniforme blanc immaculé, plus blanc que leurs cheveux, jusqu’au petit foulard blanc torsadé autour du cou — des scouts du troisième âge, impeccables, qu’on imaginerait plutôt jouer au cricket.
Le temps de parking est compté. Nous lançons in extremis l’opération cheese scones, dévalisons Mark & Spencer et revenons au pas de course avec notre butin (comme quelques jours auparavant à Oxford, nous rions de la récurrence). Quatre fois quatre scones au cheddar, en plus du dîner : OPA réussie.
Plus tard, de retour au cottage, c’est un moment parfait : sur les transats avec couverture en polaire, tisane et chips au vinaigre. Des bouffées de lavande s’élèvent juste derrière nous ; devant, des moutons ; au-dessus, des éperviers. C’est Mum qui identifie les oiseaux. Les plantes aussi. Google Lens confirme : cet arbre est bien un eucalyptus.
Après dîner, nous sacrifions au rituel de nous montrer les photos de la journée : celles de Mum se comptent généralement sur les doigts d’une main, les miennes plutôt par dizaine. Elle n’est pas très assidue ou j’ai le cliché compulsif, chacune sa version des faits. Puis nous disparaissons dans le canapé bleu nuit, dans nos téléphones, pour émerger de temps à autres des coussins et du scroll avec des extraits d’articles, de tweets ou de pages Wikipédia à lire à voix haute. Mum cherche toujours ce que je me dis que je chercherai, remisant l’affaire dans un futur dont j’oublie la possibilité. Nous saurons ainsi tout sur les cygnes, la cuisson de la clotted cream (douze heures au four, mes aïeux, DOUZE… pour une conservation d’une semaine maximum… finalement un peu de beurre ou de mascarpone, hein…) et les bizarreries domestiques rémanentes telles que l’épaisse moquette partout, la ficelle pour allumer la lumière dans la salle de bain ou l’absence de volets — apparemment un héritage protestant pour manifester n’avoir rien à cacher.
Jeudi 22 août
Jamais deux sans trois, nous retournons au Blockley village café. L’étage est plus bruyant, surtout avec des enfants agités, mais les départs successifs apaisent l’endroit et l’on peut à nouveau s’entendre savourer. Je tente le supplément mini-marshmallows dans le chocolat chaud à 82% de cacao et c’est parfait, ça sucre juste ce qu’il faut en contrepoint d’une légère amertume. Pourquoi n’ai-je jamais envisagé ce plaisir décadent auparavant, mystère et boules de guimauve (quoique trouver la guimauve sans intérêt explique probablement pourquoi c’était à 36 ans une expérience inédite). Le scone aux raisins secs avec de la clotted cream, lui, est une valeur sûre qui ne déçoit pas, mais n’émeut pas non plus. Non, l’émotion, elle vient de son pendant salé, un scone chaud au fromage fondant avec un chutney de tomates séchées, une tuerie.
Sans même traverser l’Atlantique, nous nous rendons à Broadway, un village de pierres ocres très mignon qui sait y faire côté shopping. Dans les boutiques, nous tripotons mais n’achetons pas : des mugs mouton Herdy, des tasses en verre doublé comme au Blockley café, un poivrier Masterclass dégradé noir-gris, une adorable souris en microfibre pour nettoyer les claviers.
Les jardinet devant les maisons sont toujours un ravissement, parfois une surprise : nous découvrons la molène blanc-bouillon, une drôle de plante au drôle de nom — et aux vertus médicinales, nous apprennent les suites de notre recherche Google Lens.
La suite du programme comportait la visite de Winchcombe, mais le village nous apparaît si triste lorsque nous le traversons à la recherche d’une place de parking que nous décidons de poursuivre et rentrer sans même nous arrêter. On rigole comme des sales mômes qui auraient séché le dernier cours de la journée. C’est aussi ça, les vacances : donner force de décision à un I would prefer not to, écarter ce qui ne nous emballe pas d’emblée et rentrer s’enfiler un paquet de chips au vinaigre en guise de dîner.
Et les vacances, c’est aussi ça : retrouver en fin de journée un stress de rentrée qu’on a réussi à semer dans nos pérégrinations, et qui revient de plus en plus fort à mesure que la fin des vacances approche. Je me retrouve debout près du canapé à gesticuler, probablement pour montrer des trucs dansés et conjurer l’angoisse des cours procrastinés. Parfois j’aimerais prendre des vacances de moi-même.
Vendredi 23 août
Suite aux recommandations de @cam_sour sur Instagram, nous ajoutons deux étapes sur le trajet du retour pour finir par un last but not least. Avec son étang de verdure, Bibury est fort bucolique. Devant une rangée de cottages très photogénique, une voix locale explique que le problème, c’est Instagram. De fait, c’est la première fois du séjour que le déséquilibre entre population locale et étrangère est flagrant, malgré une tentative d’orienter le tourisme de masse vers une trout farm, ferme piscicole transformée en mini-parc d’attraction avec de beaux jardins. Refusant de participer au surtourisme, la batterie de mon appareil photo tire sa révérence en dépit de la moitié de charge indiquée.
À Bampton, nous convoquons nos souvenirs de Downton Abbey : Mum visualise bien les mariages et enterrements autour de l’église et du cimetière (en faisant un effort, j’y arrive aussi, je crois), reconnaît immédiatement la maison de Lady Crawley (qui ne m’évoque rien) et sèche uniquement devant la bibliothèque du village (cette fois-ci, l’évidence est pour moi : c’est le dispensaire où œuvre Lady Crawley). Une pièce de la bibliothèque est consacrée à une exposition permanente sur le tournage de Downton Abbey. Nous y confirmons nos trouvailles et nous amusons des anecdotes sur les coulisses du film, tel ce décor de boîte aux lettres si ressemblant qu’une lettre a été retrouvée derrière lors de son démontage. Quant à la véritable poste du village, elle a servi de décor pour l’école de Mosley. Nous sommes les deux seules visiteuses et demandons au monsieur qui tient le lieu si c’est toujours aussi calme : c’est très aléatoire ; il y avait un car entier de touristes pas plus tard que la veille. À la douceur avec laquelle il a demandé à notre entrée si nous étions des Downton Abbey fans et aux témoignages affichés sur les panneaux de l’exposition, on devine les habitants attachés à la série et à l’équipe du tournage, plutôt fiers du coup de projecteur sur leur village.
Nous reprenons la route dans les temps, avec néanmoins un peu moins d’avance qu’escompté. Les bouchons, en réduisant notre marge, commencent à faire sourdre une vague inquiétude, qui devient manifeste lorsque nous comprenons que l’aire d’autoroute où nous nous sommes arrêtées pour vidanger nos vessies nous a fait sortir de l’autoroute et que nous devons avancer d’une vingtaine de kilomètres avant de pouvoir la retrouver. Mum est tendue et conduit pied au plancher (dans le respect des limites de vitesse) durant toute la fin du trajet. Il reste une heure avant le départ du ferry lorsque nous arrivons au port ; je suis rassurée, Mum, pas encore : elle attend le passage des frontières et l’enregistrement. Après seulement, nous pouvons nous avouer qu’on a cru un moment qu’on n’embarquerait pas et plaisanter du retard du ferry. La population à bord n’est pas du tout la même qu’à l’aller, pleine de gosses et de parents mal élevés. Les lumières s’étalent et dégoulinent avec la pluie à l’arrivée à Calais. Mum en reprenant le volant ne sait plus de quel côté rouler.
Oxford, I wish I were…
Lundi 19 août
Vaisselle poético-ludique. En saisissant le savon liquide sur le rebord de l’évier, une myriade de bulles s’échappent du bec verseur. J’interromps la vaisselle du petit-déjeuner avant de l’avoir commencée pour suivre leur trajet. Quelques-unes, groupées comme des cellules en cours de mitose, s’accrochent à un fil de toile d’araignée et explosent là ; leur dépôt ressemble à un reste de ballon de baudruche.
Il fait gris pour cette journée à Oxford que j’avais, comme Bath, visité en voyage scolaire. Je prends à peu de choses près la même photographie devant le Christ Church College, avec ses massifs de fleurs. Cela me réjouit. À la billetterie, j’entends la femme devant nous dire à son mari : Il prossimo posto è mercoledì. Cela me réjouit aussi. Il n’y plus de créneau de visite avant deux jours, mais je l’ai compris avant que le guichetier nous le confirme en anglais. On reviendra un jour, un week-end, et nous réserverons des visites de quelques colleges à l’avance. Je n’avais pas imaginé que revenir dans cette ville accroîtrait mon envie d’y revenir encore, comme à Londres ou comme à Rome.
À défaut de visiter les décors Harry Potteresques, nous longeons l’université par l’extérieur. J’ignore ce qui est le plus incongru, du bananier qui s’épanouit dans un jardin anglais (il y a la trace de régiments !) ou de l’arbre planté en plein milieu du terrain de rugby (à moins qu’en se rapprochant, on puisse le situer à sa lisière immédiate ?). Un peu comme à Versailles, le parc s’étend au-delà de ce que l’on visitera dans la journée ; il ne faut pas énormément d’imagination pour le rêver s’éloigner dans la brume.
Deux étudiants asiatiques cherchent leurs repères aux abords des dormitories d’un college attenant— ils ont l’air aussi étrangers que nous à ce décor qu’ils investissent pourtant de bon droit. Pour le moment, les lieux les habitent davantage que l’inverse.
Nous nous promenons au gré des ruelles et des édifices qui nous attirent, découvrons ainsi la façade incroyable de l’Old Bodleian Library, sorte de forteresse où les palissades ne sont pas en bois mais en pierre… en dos de livres en fait ! Le peu de fenêtres assurant et la bizarrerie du lieu et la conservation des livres, j’imagine. Nous ne visiterons pas l’intérieur non plus, un tournage est en cours. C’est une journée à fantasmer depuis l’extérieur ; il y a fort à faire.
L’heure du goûter se manifeste près de Vaults & Garden, référencé dans le guide, cela tombe bien ! Mum sécurise un table dans le jardin de l’église pendant que je fais la queue dans un self bruyant, ma capacité décisionnelle fortement émoussée par la profusion des options également alléchantes. Je laisse passer une personne ou deux le temps d’hésiter, triche sur la pile des plateaux pour attraper un William Morris fleuri sous de banales plumes, et opte dans une précipitation indécise pour un brownie au fudge et un fromage blanc au granola (j’arrive en déficit de laitages au bout d’une semaine, et laisse ainsi passer le banana bread visuellement sticky tout comme les scones ; mes non-choix m’affolent). Le brownie au fudge est une tuerie intersidérale.
Je suis un peu déçue d’avoir pris l’option tea for two, servi dans une grosse théière blanche sans intérêt alors que j’avais été attendrie par les petites colorées qui pullulaient dehors, couvercles joyeusement dépareillées. Après enquête sur les plateaux alentours et sur Google, il s’agit des théières Price & Kensington ; je finirai probablement par en acheter deux ou trois un jour. Un coup de cœur pour de la vaisselle, je vieillis décidément (mais ce revêtement mat qu’ont certaines couleurs et le format individuel…).
Bref, Vaults & Garden : allez-y (rapidement) si vous en avez l’occasion ; le café est menacé d’éviction par l’église dans laquelle il est installé — trop populaire pour la paix des corps célestes, j’imagine.
Nous nous mêlons encore à l’effervescence des rues, des groupes avec leur guide, il est question d’un massacre en passant, un squelette nous regarde main devant la bouche quelques fenêtres plus loin, avant un pont sans rivière, pont entre bâtiments, arche arrondie qui répond à la Radcliffe Camera, il y a de quoi se tourner la tête. Nous nous introduisons sous les porches de tous les colleges ouverts, nos pas vite refoulés par une barrière à laquelle nous nous accoudons un instant pour prendre la mesure des cours intérieures, des pelouses tondues en diagonale, les vitraux, la vigne vierge aux murs. Nous restons là quelques instants, au seuil du passé, à imaginer ce que ça fait d’étudier dans ces lieux, à la suite des noms glorieux ou inconnus que des panneaux brandissent comme gages de sérieux : nous comptons tel ministre ou tel poète parmi nos alumni, choisissez-nous, nous ne sommes pas un second choix. J’avais le souvenir de l’élitisme intellectuel (minoré par la réaction de mes camarades lorsque la guide avait expliqué qu’il fallait l’équivalent de 18 de moyenne pour intégrer Oxford ; ils s’étaient tournés vers moi : moi je pouvais, du coup, ce n’était pas si terrible que ça), pas de l’élitisme de classe, qui me saute à la figure cette fois-ci.
Repère à futurs dirigeants ou pas, Oxford continue de me faire rêver d’une rêverie presque douloureuse, un FOMO au conditionnel passé. J’ai la nostalgie de ce qui n’a jamais eu lieu, comme un regret impossible de n’avoir pas fait mes études à Oxford. Le passé partout présent de la ville, avec son architecture médiévale, me renvoie au mien, comme s’il était aussi éloigné — le Moyen-Âge érudit et ma jeunesse studieuse, époques également révolues. Enfance argentique et passé collectif sépia se fondent, l’image du passé l’emporte, peu importe qu’il le soit à l’échelle d’une vie ou de siècles. La confusion décuple la nostalgie, l’invente. On se sent rapidement l’âme d’un poète romantique face à toutes ces architectures (néo)gothiques.
À défaut de remonter le temps, je remonterais bien les allées des parcs et de la ville, seule, en hiver, dans la brume, un livre sous le bras (c’est vraiment une image, parce que lire dehors en hiver…). L’atmosphère de savoir de la ville-campus me monte à la tête, bruisse de connaissances infuses, de lectures que ne n’aurais plus la patience d’entamer ligne à ligne, mais qui me font tourner la tête en étagères, librairies, libraries, bibliothèques. Je voudrais tout lire, avoir lu, vivre tous les recoins, toutes les saisons. Infuser dans ce lieu et en être habitée.
Bain de beauté
Not twice in the same Bath
Dimanche 18 août
De Bath, visitée lors d’un voyage scolaire au lycée, j’avais gardé le souvenir de pierres ocres, des termes antiques et d’une place plus ou moins carrée avec une cathédrale, une fontaine, une volée de marches et une boutique de fudge, qui m’avait fait découvrir cette confiserie anglaise (au moins de nom, je ne suis pas certaine d’y avoir goûté cette fois-là). Je me promène en essayant de retrouver le lieu à l’origine de cette image. Les grandes façades ocres sont effectivement partout, les termes touristiques centraux et la cathédrale facile à localiser, mais le parvis ne correspond pas à la place que j’ai en mémoire. Le rectangle ne rentre pas dans le carré.
Ma quête mnésique en arrière-plan, je visite pour ainsi dire une autre ville, avec… une rivière ! un grand jardin ? un Ponte Vecchio local ?! Je n’avais rien mémorisé de tout cela. L’expérience est troublante ; tout à la fois elle me dépite (tout s’efface fugace) et me réjouit (la visite n’est pas une redite).
Nous nous promenons au bord de l’eau en nous écartant régulièrement pour laisser passer les coureurs — coureurs du dimanche, mais dimanche de course, avec dossards, barrières de scotch et ravitaillement. Sur un banc prolongé par des fauteuils pliants, des proches agitent leurs pompons palmiers pailletés et sonorisent leurs encouragement quand les coureurs, quels qu’ils soient, passent et repassent devant eux. L’atmosphère est bon enfant, les lieux relativement paisibles par rapport à leur fréquentation, mais la faim que je tente de tenir en respect transforme tout stimuli en agression. Je m’avoue mon échec un peu trop tardivement pour ne pas entrer en stress vital (et devenir d’humeur massacrante) dans le temps incompressible qui me sépare de l’ingestion d’une nourriture qu’il faut bien trouver et acheter. Sandwich triangle à la rescousse ! Je me jette dessus dès la sortie du Waitrose, à la fois soulagée de la pression qui diminue et agacée que mon corps réagisse comme si sa survie était en jeu quatre heures après un thé et un scone au fomage.
Je crois que c’est à partir de là que notre consommation d’egg & cress a clairement doublé celles de ploughmans. Nos sandwichs triangles sont si tristes à côté… Pour le cresson, je veux bien entendre que l’absence de rime le disqualifie auprès d’un public français, mais les pickles et chutney ?
Ma faim calmée, Mum ayant manqué de s’étouffer, nous pouvons sereinement quadriller la ville et nous arrêter de-ci de-là. Chez Watersones par exemple — exemple choisi tout à fait au hasard. Il n’y a pas le livre de cuisine New York Christmas repéré par Mum dans le AirBnB de Canterbury (Christmas en plein été, New York à Bath, je ne comprends pas pourquoi le livre n’est pas en rayon ni même en temps de gondole, vraiment), mais il y a des couvertures anglo-saxonnes, des toilettes et des peluches Jellycat à sortir et replacer dans leur bac après avoir mis à distance un instinctif désir de possession câline. Mum, elle-même attendrie, est prête à m’offrir les marshmallow en peluche, mais je décline. Rien d’héroïquement adulte, cependant : à cet instant précis, j’ai un crush éphémère sur le mini-dragon à côté.
C’est l’occasion d’apprendre que Mum en réalité est tout aussi mordue que moi : si elle m’en a offert tant aux cours des années, me mettant parfois entre les mains, des mois plus tard, la peluche hérisson, radis ou cochon en tutu à laquelle j’avais vaillamment résisté, c’est (aussi) par procuration. Elle peut bien les avoir si elle ne les garde pas. Double standard du quand même, je suis un peu trop vieille pour ça. Alors que : jamais trop âgé pour de la tendresse ! Et : plus besoin d’avouer si c’est revendiqué. Il n’empêche, je suis un peu sonnée de n’avoir jamais réalisé que cet amour immature n’était pas une fantaisie qu’elle me passait (comme on passe un caprice à un enfant), mais un attrait hérité et entretenu — secrètement transmis et partagé.
Dans une autre librairie, où l’eye-liner d’une jeune femme m’attrape l’œil, je moissonne en photo quelques titres que je ne lirai probablement jamais.
Après avoir sillonné la ville et retrouvé la boutique de fudge (si c’est bien la même), je dois me rendre à l’évidence : ma mémoire a concaténé plusieurs lieux en un seul. Le parvis de la cathédrale a été remplacé par la place attenante, plus carrée, la boutique transplantée là, et la fontaine prélevée ailleurs. Pourtant, la topographie a beau avoir été rétablie lors de cette nouvelle visite, la disposition du souvenir demeure, fontaine au milieu, cathédrale en face, marches et boutique de fudge sur sa gauche, le tout plus spacieux que cela n’est réellement, agrandi par les années ou la masse touristique en moins (il faisait froid). À défaut d’avoir retrouvé mon souvenir, j’aurai pu acheter du bon fudge pour le boyfriend : caramel, clotted cream et chocolat à la fleur de sel. J’aurais parié sur le caramel, mais contre toute attente, c’est le chocolat qui emporte sa préférence — le boyfriend n’est pas très chocolat, mais il est très breton rapport au sel.
Quelques heures après les sandwichs triangle, la quête d’un salon de thé nous relance comme des balles de flipper fatiguées à travers la ville. Le salon de thé repéré sur le Ponte Vecchio est complet et pas près de se vider, contrairement à sa devanture de gâteaux ; celui d’à côté non plus. Quant à l’impression rétinienne de scones sous un arbre immense que j’avais conservée d’une place éloignée, elle s’avère émaner d’une échoppe cheapouille qui ne donne pas envie. On repère sur Google Maps une autre adresse à un autre bout de la ville. Le timing commence à devenir critique, car il est l’heure du five o’clock déjà et après l’heure, c’est plus l’heure : hallucinant, mais oui, les salons de thé ferment vers 17h30. Celui du Jane Austen Center a déjà fermé ses portes ; les vendeuses en robes à fleurs (taillées à la hâte dans un tissu trop léger, trop cheap pour faire d’époque malgré leur taille Empire) nous apprennent que la boutique ne tardera pas à faire de même. Nous avons tout de même le temps d’y faire un tour et de constater que Jane Austen a trouvé sa bande-son en la BO de Bridgerton. C’est finalement dans un café que nous prenons notre thé ou, plus précisément, un cream tea pour Mum et un carrot cake pour moi. J’évite de justesse le diabète en ôtant une bonne partie de la couche de sucre glace.
Théinées et sucrées, nous sommes en conditions idéales pour visiter les dernières pièces de cette ville muséale : un cercle, The Circus, au milieu duquel les arbres sont gigantesques, et une rue plus loin un demi-cercle, le Royal Crescent, lequel fait face à un parc-panorama majestueux sur la ville-vallée qui s’étend. La partie la plus proche des habitations est privée, réservée aux riverains de marque, tandis que le reste est accessible au public, prompt aux piques-niques — le plus incroyable (le plus British ?) étant probablement que la démarcation plèbe / privilégiés est assurée par… une bande de jardin à l’anglaise. Le lieu, la beauté, la golden hour est folle.
De retour à Bristol, le goûter est suffisamment digéré pour se lancer dans un second dîner au restaurant indien. Plus tard, nous discutons de vessie (mais pas de lanterne) et de névroses plus partagées qu’il n’y paraît. Je me rappelle de ce que m’avait dit la psy : la vessie, c’est lié la peur. Reste à comprendre de quoi (et à laisser pisser).