Surprise au début du concert : un présentateur s’avance sur scène et invite le compositeur, présent dans la salle, à se lever. Avec sa barbe fournie et son crâne dégarni, Arvo Pärt a des airs de père Noël. L’orchestre de Tallin endosse le rôle des lutins, sous la baguette du géant Tõnu Kaljuste, pour nous distribuer nos cadeaux : Fratres, Cantus in Memory of Benjamin Britten, Adam’s Lament puis, après l’entracte, Salve Regina et Te Deum avec des choristes également estoniens.
Les premières mesures de Fratres et les cloches de Cantus in Memory of Benjamin Britten puisent et réveillent au fond de moi des échos qui semblent immémoriaux, soient-ils la résultantes d’écoutes passées, oubliées et sédimentées. C’est là, une pleine enneigée dans la nuit tout au fond la cage thoracique, sous la voûte des côtes-constellations. C’est magnifique, comme à chaque fois.
Cela résonne un peu moins bien avec la suite du programme, que je ne connais pas – ou ne reconnais pas : ainsi que l’a fort bien résumé Palpatine, la Philharmonie restitue très bien le son et très mal l’émotion. Alors c’est beau, évidemment, surtout avec les choeurs, mais la seule émotion qui s’en dégage, c’est la nostalgie de celle qu’on n’éprouvera pas, à se faire happer-hanter par la beauté.
À la fin du concert, le chef offre une berceuse estonienne au compositeur, qui semble aussi heureux qu’humble ; c’est très doux. On plaisante tranquillement dans la file d’attente des autographes, avec Serendipity et Palpatine, qui trouve un nouveau CD à acheter pour l’occasion ; je me dérobe au dernier moment, me glisse sous le cordon. Je plaisante que je ne cautionne pas d’épuiser le poignet du compositeur pour écrire autre chose que des notes sur des partitions, mais en réalité, je ne suis pas douée pour ça et sa signature m’importe peu quand j’ai pu écouter sa musique et l’applaudir de vives mains.