Le Congrès

Film mêlant cinéma et animation sorti et vu… en 2013 (avec Palpatine).

Robin Wright a une mâchoire carrée qui empêche de parler de traits fins malgré ses yeux et cheveux pâles : son visage dégage une impression égale de force et de douceur, de détermination et de fragilité, si bien que sa fille lui fait remarquer que, dans un film de guerre, elle pourrait aussi bien jouer un officier nazi qu’une victime. Une drôle de remarque, sûrement, de la part de son enfant ; l’ambivalence de l’actrice n’a d’égale que celle de sa fille, dont on comprend bien vite qu’elle sera l’alliée de ses fossoyeurs. Résolument moderne, Sara réagit plutôt favorablement au film qu’est venu montrer à Robin son vieux manager, réalisé entièrement à partir de l’image numérique de l’actrice principale, que connaît assez bien Robin pour savoir que jamais elle n’aurait joué dans un pareil navet. Voilà l’avenir du cinéma : la mort des acteurs. Entièrement scannés, chaque petite idiosyncrasie enregistrée, chacune de leurs expressions est reproductible et l’image appartient entièrement aux studios qui en font ce que bon leur semble, navets et films de guerre compris.

Être entièrement soumise aux désirs d’un homme puant, dont toutes les actrices se disaient entre elles qu’il était par excellence l’homme avec lequel elles n’auraient pas pu coucher, même pour le rôle de leur vie ? Robin l’envoie vertement balader en lui balançant ses quatre vérités. Elle n’est pas du genre à se faire avoir ni acheter. Pourquoi alors finit-elle par plier aux imprécations de son imprésario ? Il y a bien ses enfants, auxquels elle assurerait un confort de vivre ; son fils, malade, qui un jour ne verra plus le cerf-volant rouge qu’il aime tant faire voler. Mais elle se serait toujours battue, elle aurait trouvé un moyen… il y a autre chose. Qui tient peut-être au fait que c’est son ami qui lui force la main, comme on la tend à quelqu’un pour l’accompagner et l’aider, y compris à mourir. C’est la tête droite que l’actrice déjà un peu has-been tire sa révérence, immobilisée dans la sphère de capteurs qui doit numériser son corps en académique blanc – autant dire l’autopsier. Les flashs de lumière blanche crépitent comme des paparazzis autour du cadavre d’une star.

La mort des acteurs signe la mort du cinéma et… du film. Le Congrès laisse en plan l’intrigue, le spectateur et Robin Wright pour suivre son avatar dans un monde animé par la drogue. Animé par le dessin et zombifié par la drogue, faudrait-il dire. La liberté du dessin, la débauche de couleurs, de formes et de métamorphoses qu’il permet, finit par dissoudre une trame narrative qui semblait pourtant solide dans le monde physique. Alors qu’on s’attendait à une explosion de créativité, la substitution du dessin à la caméra a le même effet pour le film que la substitution de l’image numérique au corps des acteurs dans le film : tout est possible et tout reste à l’état de possible, informe.

Assurément, le dessinateur s’enivre de sa liberté, mais il a le vin triste. Désolée, je ne bois toujours pas ; mes souvenirs se noient dans un verre d’eau : un paquebot gigantesque, un concert qui dégénère en révolution (le fameux congrès du titre), une société qui prend l’eau… La dystopie est trop vague pour prendre vraiment, et le retour in extremis au film ressemble à une tentative désespérée pour ne pas le terminer en eau de boudin : le dessin animé dans lequel on a glissé suite à une pilule serait le simulacre de vie imposé à une population hébétée – une armée de gueux sa qui dort debout comme une armée de zombies. Le film se conclut sur le dilemme qui ouvrait Matrix : Robin Wright voudra-t-elle retourner vivre dans un paradis artificiel ou prendre le risque de mourir dans la réalité ? Pilule bleue ou pilule rouge ? Vivre comme morte, anesthésiée, ou se voir peu à peu mourir dans le monde sans joie des vivants où elle n’est pas certaine de retrouver son fils : est-ce même encore un choix ? Le Congrès, c’est la nostalgie de la pilule bleue. There is no blue pill. Pas moyen d’oublier, tout juste d’atténuer la douleur – si lancinante, si écoeurante que le doute s’installe : si Néo avait échoué et qu’on lui avait donné le choix a posteriori, connaissant la matrice, d’y retourner, aurait-il encore pris la pilule rouge ? On a du mal à déglutir : l’amertume du dessin animé, enfermée dans le film comme la substance active d’un médicament dans sa coque gélifiée, s’est répandue lorsque l’enrobage s’est dissout. L’animé m’a gâté le palais et laissé la nostalgie d’une première partie savoureuse, à jamais abandonnée.

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