Marigold et Rose sont jumelles. Marigold admire sa sœur d’être si sociable, de savoir si bien y faire avec les gens ; Rose envie sa sœur d’être l’intellectuelle du duo. Car Marigold écrit un livre. Peu importe qu’elle ne sache pas lire. Pas même parler. Peu importe qu’elle soit un bébé.
Marigold lisait encore. Bien sûr, elle ne lisait pas ; aucune des deux jumelles ne savait lire ; c’étaient des bébés. Pourtant, on a une vie intérieure, pensait Rose.
Marigold écrivait un livre. Qu’elle ne sache pas lire était un obstacle. Cependant, le livre se formait dans sa tête. Les mots viendraient par la suite.
Marigold et Rose — un récit est-il précisé par l’éditeur français qui souligne ainsi l’originalité de ce texte dans la production littéraire de la poétesse Louise Glück. Un drôle de récit, effectivement ; contrairement au burlesque, l’héroï-comique est un registre auquel on est peu habitué. Cela désarçonne sur la longueur, d’autant que l’humour n’empêche pas (permet même ?) l’accès à certaines « vérités » (justesses ?) de l’existence qui en perdent leur grandiloquence, transmuée en poésie. (D’où que la postface bien sérieuse arrive comme un caillou sur la soupe.)
Marigold avait compris dès son très jeune âge (vraiment très, très jeune âge) qu’il était nécessaire d’être assez disciplinée pour rester à l’intérieur des bords avant de pouvoir commencer le prestigieux travail de dessiner en dehors.
Je la comprends si bien, pensait Rose. Et puis, un peu tristement, bien mieux qu’elle ne me comprend.
À cette période Rose apprenait à parler. Marigold apprenait à observer. C’était une excellente observatrice.
Que peut-elle bien regarder, s’interrogeait souvent Rose. Elle semblait voir des choses que Rose ne pouvait pas voir, et même une Rose que Rose ne pouvait voir.