Pacific Northwest Ballet, acte II

Les Étés de la danse,
soirée du 6 juillet, programme 1

Après la soirée plaisante, la soirée géniale : à la programmation bien mieux goupillée s’ajoute le plaisir de commencer à reconnaître certains danseurs…

Je lis régulièrement qu’Alexei Ratsmansky est le chorégraphe le plus doué de sa génération. I bed to differ : pour moi, il s’agit de Christopher Wheeldon. Même une pièce que Laura Cappelle* qualifie de minor work me conforte dans cette opinion. Tide Harmonic, chorégraphié sur une musique de John Talbot (le compositeur d’Alice in Wonderland) est plein de trouvailles gestuelles poétiques : deux mains qui s’ouvrent, et c’est une huître qui dévoile sa danseuse-perle ; une attaque sur pointe de profil, démultipliée par quatre, et c’est une traversée de crabes à marée basse. Avec leur corps sculptural, svelte mais charnu, et leur chignon blond très haut, ces danseuses américaines healthy-qui-boient-des-smoothies-et-caressent-des-puppies ont l’air de proues sculpturales**. Elles sont magnifiques, même soutenues par leurs partenaires dans une espèce d’attitude derrière en parallèle, et ballotées genou plié sur pointe : le ressac de la mer. Les costumes, avec leur jupette asymétrique cousue sur une fesse (si, si, vous l’avez vue sur l’affiche), font merveille à pas cher, tout aussi simples et décalés que la chorégraphie. J’adore.

* Je la mentionne tout le temps parce que c’est ma super-héroïne critique balletomane. Quand je serai grande, je serai elle.
** Je crois que j’ai fait tout le trajet en métro avec l’une d’elles ! Soupçon dans le métro au maintien ; reconnue sur scène à ses mollets (il est possible que je me sente un peu creepy).

Après la musique féerique de John Talbot, celle de Richard Einhorn, jouée au violon électrique, fait un peu grincer des dents. Red Angels est rouge alerte : vêtus d’académiques rouges unisexes, les deux couples évoluent dans des douches de lumière sèche – gestuelle à l’avenant. J’ai découvert Ulysses Dove lors de la venue de l’Alvin Ailey Company, lors d’une autre édition des Étés de la danse, et son style reste pour moi associé, et illustré au mieux, par cette compagnie. J’avais le souvenir d’une force brute ; avec le PNB, la puissance est plus raffinée, moins brute qu’incisive – ce qui fait que, tout en admirant quelques jambes d’airain, je suis moins emportée par la pièce dans sa totalité.

 

Entre la scénographie sombre et élégante, la gestuelle plus contemporaine, qui comporte des mouvements expressifs des mains à la limite du mime, et la sélection musicale faisant la part belle à Philip Glass et Max Richter (parmi Beirut, Andrew Bird’s Bowl of Fire, Alexandre Desplat, Tom Waits et Kathleen Brennan), Little Mortal Jump entretient des airs de parenté avec l’univers de Sol Leon et Paul Lightfoot. Autant dire qu’on part du bon pied. On ne sait pas trop où l’on est, plongé que l’on est dans une atmosphère de coulisses, foraines ou cinématographgiques ; mais on y est bien. Des grands caissons noirs, semblables à ceux dans lesquels on stocke le matériel de spectacle et périodiquement réagencés par les danseurs, surgissent diverses saynètes et personnages : un duo, une troupe, une Pierrot à collerette… ou encore deux danseurs scotchés chacun à un cube, comme les partenaires moyennement consentants d’un invisible lanceur de couteaux. Ils restent quelques instants en suspens – touches d’humour humaines dans le tableau du chorégraphe – avant de se libérer en déchirant-quittant leurs vêtements-chrysalides. Et cette musique, cette musique… ça ne manque pas, à chaque fois cela prend aux tripes. Enfin pas vraiment aux tripes : plutôt à l’arrière de la gorge, prêt à vous plonger dans le vide de destinées  survolées à haute altitude, minuscules et émouvantes. Bref : j’espère avoir l’occasion de faire plus ample connaissance avec le chorégraphe, Alejandro Cerrudo.

 

Last but not least : Emergence de Crystal Pite, sur une bande-son anti-Nature & Découvertes d’Owen Belton. La nature y est inquiétante, pleine de craquements, caquètements, bruits non identifiés et souffles prédateurs. À moins que la chorégraphie rejaillisse en synesthésie sur la musique : le corps de ballet masculin, l’instant d’avant constitué de criquets, au sol, coudes relevés, bat l’instant d’après une pulsation animale, lourde et puissante, bêtes prêtes à charger, tendues dans le rebond d’un plié dont on se met à craindre avec excitation la détente. Les filles, visages masqués dans des voiles noirs et pointes tacquetantes, sont de drôle d’augure : mi-oiseaux de malheurs, corbeaux-vautours ; mi-volatiles à terre, hérons estropiés ou banc d’autruches. Le décor, en toile de fond, représente aussi bien un envol de chauve-souris prêtes à nous assaillir qu’un nid d’oiseau dans lequel on zoomerait-tomberait, comme dans le vortex du lapin d’Alice au pays des merveilles. C’est dans ce puits sans fond que tout s’origine et se fond : les danseurs en surgissent et y disparaissent, happés par une lumière qui nous aveugle. Le mouvement, comme de ce point aveugle (de lumière ou d’ombre), part des tripes et y revient, des danseurs aux spectateurs. Palpatine et moi, on s’est doutait ; Mum a kiffé. 

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