Le professeur d’histoire avise le tableau où se sont attardées quelques phrases de thème latin de la veille. Et s’empare du tampon pour effacer : « … pas d’antisèches ! ». J’aurais bien vu quelque chose comme « Credere, parere, pugnare ». On y pensera la prochaine fois.
Khâmikhâgne
La khâgne révèle le khâmikhâze qui est en chaque khâgneux. A son insu. Un bras qui se lève, en pleine proclamation d’indépendance vis-à-vis de l’esprit qui est censé le régir. Mais comme il n’est pas de bon ton de laisser voir cette schizophrénie du corps et d l’âme, le khâgneux oblige sa bouche à esquisser un sourire (curieusement, les zygomatiques obéissent sans rechigner) et à articuler « Oui, bien sûr, je veux bien présenter le texte mardi prochain. Catulle ? Oui, j’aime bien Catulle. » Bien sûr, la réponse du Vates supporte des variantes, comme par exemple : « Oui, je veux bien présenter le texte vendredi prochain. Hum, oui, c’est Vanity Fair. » Deuxième erreur stratégique de ma part, après avoir mis en scène mon propre drame en français. Qui a préparé cette scène de Phèdre ? J’ai levé la main, sans un regard préalable pour vérifier furtivement si d’autres pulsions khâmikhâzes battaient leur plein.
« – Ta prép ?
– Hum je ne l’ai pas finie…
– …
– Mais je peux passer quand même. »
Voilà, le ventriloque inconscient en moi vient de parler. Encore plus fourbe que le chantage exercé par certains professeurs qui réclament, larmoyants, de ne pas avoir à recourir au volontaire désigné. Le genre de situation où le silence pesant pousse le Vates au martyr à prendre l’explication de Saint-John Perse. Oui, le Vates a beaucoup de pulsions suicidaires. C’est qu’il est un véritable khâgneux, qui se lance vers le Graal de la normalité avec toute l’abnégation d’un baron de Charlus. « En khâgne, il ne faut pas réfléchir, il faut aller tout droit. » En priant pour qu’un mur ne soit pas notre dernière mission-suicide dans la connaissance, aurait pu ajouter Mado.
Moralité : pensez à antidater vos arrêts de mort, vous aurez peut-être une chance de vous en sortir vivant.
Viv…a…c……i……..t………….é
Vivent les paquets de buritos format familial.
Surtout quand la famille est monoparentale.
Vivent les mouches !
Surtout autour du buffet, lors de la répétition avec les chanteurs.
( dans Orphée aux enfers, soirée Offenbach, avec divers extraits, à Villepreux, le 9 février )
Vivent les DS.
Seulement si elles entendaient nos supplications.
Et que des abrutis ne déclenchaient pas trois fois l’alarme incendie histoire de nous faire jouer les prolongations jusqu’à 15h.
Vivent et meurent les week-ends qui commencent samedi à 15h et sont ornés de deux répétitions le dimanche.
Vivement mardi matin que je puisse dormir.
Réflexions para-philosophiques
Qu’est-ce qu’avoir foi en la raison ? Croire qu’on peut répondre à cette question.
Pourquoi fait-on les cours nécessaires à un sujet de dissertation après avoir rendu cette dernière ?
J’hésite : brûler un cierge en l’honneur de Kant ou ses livres ?
Pour l’instant, je serais plutôt fascinée par l’autodafé, mais j’attendrai le rendu de dissertation pour me décider.
Ouverture non exceptionnelle
Nous avons rouvert les failles spatio-temporelles* du samedi matin, celles dans lesquelles s’engouffre et disparaît tout notre quota d’énergie du week-end, pourtant fort riche de promesses en tous genres. Deux semaines où l’enseigne était fermée le samedi : le profit risquait de prendre un coup, et le bric et le broc de notre magasin mental, la poussière. Réouverture, donc, et pour recevoir une commande spéciale, en fonction des options des commanditaires. Sans surprise, ce fut donc pour les « philosophes » (contrairement à lettres modernes ou hellénistes, toujours des guillemets à « philosophes », même à l’oral) le même livreur, l’éternel Aristote. Notre professeur l’appelle « notre vieil ami », « bien oui, on le connaît depuis un moment, on peut l’appeler notre ami ». On voit l’état de notre vie sociale, souligne sans y toucher une khâgneuse. Bref, fournée spéciale de Totor (c’est encore mieux en anglais Aristotle). Inquiétude de voir ce qu’il nous a concocté. Plat du jour : le temps, dont nos prenons conscience à partir du mouvement. Celui de nos stylos est si monotone dans son grattage effréné qu’on ne prend pas conscience du temps qui passe ; la faille spatio-temporelle s’ouvre, aussi longue et essentielle qu’une parenthèse chez Proust. Nous reléguons le temps dans le mécanisme de nos montres, pourtant fers du condamné à nos poignets, hypnotisés que nous sommes par le blues de notre écriture. Abîmés devant une mer de lettres, le temps paraît doux. Les mots prennent leur source à la ligne rose de l’horizon, en marge du monde, puis la houle italique déferle avec la régularité du ressac pour aller se briser aux limites de l’univers – la table en matérialise un autre, celui des dos voûtés, des estomacs qui gargouillent et du cinéma muet des regards éloquents. 12h20 : fermeture de la faille spatio-temporelle – on plie boutique.
* le concept de faille spatio-temporelle est une propriété de Melendili – ses cours et polys y tombent régulièrement.