Jeudi matin, je lisais cela : « Le goût n’est autre chose que l’avantage de découvrir avec finesse et avec promptitude la nature des plaisirs que chaque chose doit donner aux hommes », Montesquieu, cité par Philippe Sollers. Jeudi soir, j’écoutais la symphonie n°88 de Haydn, à propos duquel il écrit : « On le touche à peine, il répond, il tourbillonne en cascade – saut, arrêt, saut, intermittence–, il s’éclipse, glisse, roule, troue, repart. » Ce bon goût est extrêmement reposant : on ne cherche à nous amener nulle part, voilà, nous y sommes : prenez votre plaisir. On pourrait dire que c’est charmant, si l’écho d’une voix chevrotante de grand-mère n’empêchait pas d’entendre tout ce qu’il y a de princier en même temps – une sorte de noblesse qui aurait oublié d’être empesée et s’est empressée vers la liberté.
Puis le concerto pour piano n°4 de Beethoven a été entamé par Rafal Blechacz, étonnamment jeune, qui pourrait être fort croustillant s’il n’avait un casque de cheveux estampillé années 1970. Faute de goût capillaire, on le trouvera sous ses doigts. Le piano s’est entouré d’un peu plus d’instrument que pour la symphonie de Haydn et a étendu le cercle des musiciens, si bien que je n’ai plus devant moi le bout de scène vide sur lequel projeter mes rêveries. Je remarque un peu plus les gesticulations de Lamirusse, à qui Palpatine1 a revendu sa place2 : depuis le début, il dirige le concert. Ça le rend un peu moins sibérien.
À l’entracte, alors que les estrades de la scène montent et descendent comme des chevaux de bois pour que les contrebasses déménagent de notre côté, il m’explique que si la disposition de l’orchestre dépend de l’effet que veut produire le chef, celui-ci doit également compter avec… le syndicat. Et de me raconter qu’à l’orchestre national, lorsque le dernier chef arrivé a voulu remettre les violoncelles devant, les altos ont vigoureusement protesté à l’idée de rentrer dans le rang. De la musique avant toute chose… vous parlez d’un impair !
To be Franck, j’aurais du mal à rendre à César ce qui lui appartient. Palpatine n’a su dire si sa musique était susceptible de me plaire et, après avoir entendu la symphonie en ré mineur, je comprends mieux, parce que je ne sais pas moi-même si cela m’a effectivement plu ou non. Il y a des moments, notamment lorsqu’un instrument à vent se dégage de l’épais tissu des archets, qui sont magnifiques, et d’autres que je n’entends pas vraiment.