Ma grand-mère ne m’entend pas même lorsque je répète très fort, mais elle est bien là alors elle invente des réponses, dans le doute. Comment tu vas, mamie ? Oui il y a du monde aujourd’hui. Ça me permet de poser plusieurs fois la question et d’avoir tout autant de réponses disparates. Nous inventons une discussion où nous sommes à côté l’une de l’autre, c’est doux, même décalé.
Dame Ambre dans son journal de janvier
Ils avaient vieilli, oui. Ils avaient l’impression, certains jours, qu’ils n’avaient pas encore commencé à vivre.
Les Choses de Pérec cité par Karl
Si vous voulez me terroriser en une phrase, vous savez comment. Est-ce un roman qu’on trouve brillant en abordant la vingtaine et terrifiant en vieillissant ? Je ne sais pas si j’aurais envie / le cran de le relire.
Jamais je n’ai si bien lu retranscrite l’a-logique des rêves que sur le blog Rêver peut-être, toujours compréhensible sans aucun point, sans transition, tout enchaîné de simples virgules et aujourd’hui, cette tournure onirique par excellence qui dissout l’identité dans la semblance (indécise, floue, évidente) :
celui qui semble être mon grand frère […] nous revenons à la maison et rapportons à celle qui semble notre grand-mère deux pommes […]
Winnie Lim on the minimum effective dose
It may come as a surprise how little time we truly need at the gym to gain strength and muscle. I think it is all about sending our bodies the right signals. With the body it is almost always use it or lose it.
2 semaines pour perdre sa forme physique ; 6 à 8 semaines pour la retrouver : ce sont les chiffres ingrats trouvés dans un manuel de prof de danse, qui se vérifient empiriquement.
I find the concept of the minimum effective dose fascinating. It can be applied to many areas in life, especially when it comes to learning. There are many people who tend to believe that it is all or nothing when it comes to practising things. It is either we commit hours to something, or else it is better to not start at all.
J’ai tendance à être comme ça, moi aussi. Contre le tout ou rien qui mène souvent au rien, je repense parfois au conseil de Klari qu’elle tient de sa pratique du violon mais qui peut s’appliquer à plein d’autres choses : s’obliger à en faire cinq minutes. C’est toujours cinq minutes de pris, qui préservent la régularité. Si après cinq minutes, on a envie d’arrêter, on arrête. Mais souvent le plus dur est de commencer, et on continue volontiers un peu plus. Ça fonctionne pour l’activité physique, l’apprentissage, le ménage…
Learning anything requires a positive feedback loop, and in order to create one, we have to know where is our threshold before it feels too exhausting.
Pas toujours commode à doser.
But instead of trying to optimise or maximise everything, what if I do the minimum for all the things I wish to do instead? I think it can be powerful to remind ourselves how small amounts can really add up and compound over time […] Not every blog post has to be a philosophical essay. I can write small things, draw small things, exercise in small doses. What are the minimum effective doses for me to lead a fulfilling enough life?
Ces deux questions, là. Viser l’effort minimal désamorcerait l’anxiété dans pas mal de cas, je crois. C’était même un conseil de psy (je fais seulement le rapprochement) : faire la même chose en y mettant moins d’énergie. Le seuil arriverait avec la seconde question : quelle intensité d’effort faut-il pour mener une vie épanouissante ? Et pas seulement écoper le quotidien en attendant le week-end / les vacances / un hypothétique changement futur.
i am thankful that she kindly endures me — the eternal grinch — and in the vast complexities of the universe, our lives have overlapped in such an unfathomable and enlivening manner.
150 months : je ne me lasse pas des déclarations d’amour mensuelles de Winnie Lim à son amoureuse.
Sa grande tête sur une tige fine dans le Journal éclaté de Joachim Séné
Pourquoi ce livre aussi, pourquoi pas un petit livre que je pourrais terminer dans le temps d’une vie ? C’est justement parce qu’il est impossible, peut-être, que ce livre m’intéresse.
Si ce livre est impossible à traduire dans le temps d’une vie de qui n’est pas traducteur, alors on s’assure que la traduction continue à relever du plaisir ? Une lecture approfondie sans autre but qu’elle-même ?
Je n’avais jamais pensé à traduire pour le plaisir. Ou si, ça m’a traversé l’esprit, sous la forme de l’énorme pavé qu’est Appolo’s Angel, que je n’ai même pas fini de lire. Là aussi, un impossible ?
Après tout, on lit pour soi, pour le plaisir, pourquoi ne traduirait-on pas de même ? Prochaine étape : écrire, tout simplement détaché de tout, sans plus rien attendre ou espérer.
Cela me semble difficile de rien espérer. Sage, mais difficile. D’ailleurs lit-on vraiment pour soi, pour le plaisir, ou pour faire advenir l’écriture ?
J’ai honte de dire ça, mais je n’aime pas Alicia. […] J’ai honte, parce que je sais qu’il n’y a, derrière son comportement, aucune méchanceté. […] Mais d’où vient qu’elle génère en moi autant de méchanceté, que je parviens à grand-peine à lui répondre aimablement ?
Si vous saviez comme cet aveu me rassure. Qu’on puisse ne pas aimer un élève, viscéralement, et quand même vouloir lui enseigner aussi bien qu’aux autres. Sur ma centaine d’élèves, j’en ai deux ou trois qui me font sentir comme ça.
I also personally enjoy it when people write about themselves or obscure topics. Popular writing that cater to the mass are mostly regurgitating mainstream narratives, so I don’t find it interesting.
Winnie Lim answering a blog questions challenge
Racontez-moi vos névroses et autres labyrinthes psychiques.
on n’est qui on est que par défaut de ne pas être autre chose
Guillaume Vissac, Oscar Wilde pessimiste
Dans le ciel y’a les étoiles
sur le bitume y’a moi
Entre les deux y’a tous mes états d’âme en équilibre, une petite tour de kapla. Je tire sur un morceau et tout est tombé sur moi.
[…] Les larmes se forment dans le coin de mon oeil et elles descendent pas, elles ont le vertige.
Meredith B, Denial is a river blablabla
Il n’est évidemment pas là comme j’aimerais qu’il soit, en chair et en os, en rires et en mots, en baiser et en caresses mais il est là, de l’autre côté de moi-même et peut-être qu’il sera là pour le reste de ma vie. Et peut-être que c’est ça, l’au-delà.
Et après… ? Ma vie sans lui
Un écho surprenant au post d’Eli sur Les au-delà, publié juste la veille.
Avoir enfin rêvé de lui, l’avoir revu quelques secondes dans mon cerveau endormi ne m’a finalement apporté aucune joie, ni aucun soulagement. Une petite frustration et un grand désarroi. […]
Mais comme l’a dit la psy, ce sont aussi des rêves qui laissent entendre ma volonté de le laisser partir. Pour l’instant, c’est peut-être trop tôt, je suis tiraillée entre ce désir et celui de le garder contre moi, le plus longtemps possible. Et c’est ça le deuil, aussi. Cet écartèlement entre le chagrin de la perte et le souhait de continuer à avancer.
[…] Très sincèrement, je souffre comme s’il était parti il y a quelques jours à peine. […] Et je l’aime comme s’il était encore vivant. C’est le truc le plus fou qui me soit jamais arrivé.
Encore et toujours, Ma vie sans lui
Cela fait quelques semaines maintenant que je lis ce journal de deuil, d’une beauté lancinante.
J’ai pris un fou rire en regardant un épisode des Bridgerton, un jour, à cause de toutes ces jeunes vierges inexpérimentées de la haute société qui se font des premières fois épiques, enivrantes et couronnées de plaisir mutuellement consenti.
Vous vous souvenez votre première fois, vous ?
Ecco 🤌
Sacrip’Anne, Goofy Love
Grâce à Karl des Carnets Web de La Grange, je découvre la série Food Treasure de l’artiste Chunbo Zhang : « This series reflects the anxiety I have experienced as a foreigner living in America and adapting to its culture. » Ses aquarelles donnent des airs de porcelaine de Chine à des plats américains, qui en deviennent visuellement immangeables. Certaines œuvres déclinent mécaniquement le principe de la série (les lasagnes, le layer cake…), mais d’autres sont saisissantes :
Pour finir cette revue de blog, un blog qui n’en est pas vraiment un, déguisé en newsletter, et qui en bonne logique chronologique ne devrait pas se trouver à la fin, mais au début : j’ai mis du temps à m’en défaire. Dans Le jour où j’ai grimpé la colline, Sophie Gliocas raconte son désir de voir ce qui se cachait derrière la colline de la maison de famille de son enfance, un joli-récit parabole pour se retourner sur une époque qu’on a quittée depuis un moment déjà. On y trouve le temps long de l’enfance et celui qui a passé depuis, des capsules d’éternité atemporelles et des morceaux des années 1990, quand on faisait des choré sur les Spice Girls ou qu’on lisait un vieux Clan des sept. Un mélange de nostalgie et de rire adulte.
[à propos de la maison] « Est-elle jolie ? En toute objectivité, difficile à dire. […] Son charme n’est saisissable que si on éprouve pour elle un attachement profond, irrationnel, démesuré. Un amour d’enfant. »
« Cette maison de campagne s’est construite au fil des gens qui y ont séjourné. Elle a toujours été un voyage dans le passé : quand nous y venions pour un week-end ou pour les vacances, nous finissions toujours par y laisser des objets que nous n’avions pas prévu de ramener. Parfois, nous venions même avec des affaires que nous souhaitions y entreposer pour que ça ne prenne plus de place « chez nous ». Et c’est étrange comme cette habitude de s’y délester de tout ne l’a jamais transformé en débarras.
Au contraire, il s’est passé tout l’inverse.
Elle est devenue le foyer de toute une famille. »
C’est exactement ce que j’ai ressenti dans un appartement de vacances qui n’est pourtant pas à ma famille, mais que ma mère a loué tant d’étés qu’on y a déposé nous-même théière et boule à thé, après avoir inventorié au fil des saisons ce que les uns et les autres ajoutaient ou modifiaient.
« Mes souvenirs les plus précis sont ceux qui datent de l’été. Peut-être parce que le temps y était plus long et si étiré que je ne réalisais pas à quel point je grandissais en seulement quelques semaines. »
« Je n’ai fait quasiment aucune photo des lieux. À la place j’ai préféré m’aventurer dans chaque pièce, j’ai touché chaque poignée de porte, monté et redescendu les marches de l’escalier en bois une multitude de fois, foulé la moquette épaisse à l’étage, caressé les tapisseries sur les murs des chambres, me suis assise sur le minuscule canapé qui me servait de lit quand j’étais encore plus minuscule que lui, humé l’air poussiéreux et renfermé. »
C’est plus au moins ce que j’ai fait en quittant la première maison de mon père. Elle va finir par me filer le bourdon, avait commenté ma belle-mère en me voyant faire mes adieux.
« Tous mes souvenirs sont d’une étonnante clarté, une capsule temporelle disponible en un claquement de doigts. »
Une capsule temporelle, c’est tellement ça ! Des années coagulées en un espace-temps éternel.
[spoiler alert : si les extraits précédents vous ont donné envie de lire la newsletter, allez la lire maintenant ; l’extrait qui suit en est la fin/chute]
« Je suis arrivée tout en haut, à bout de souffle, le front trempé de sueur, les mains sur les cuisses. J’ai relevé la tête et j’ai vu…
… j’ai vu ce que chaque adulte m’avait répété depuis l’enfance.
J’ai vu le terrain plat s’étirant à perte de vue.
J’ai vu les champs à l’abandon.
J’ai vu le désert.
J’ai vu ce que je n’avais jamais voulu croire.
J’ai vu ce que je n’avais pas voulu voir.
J’ai vu ce qu’on ne m’avait pas laissé voir.
J’ai vu qu’il n’y avait rien.
J’ai vu la réalité.
J’ai vu l’étrange parallèle avec toutes les années qui venaient de s’écouler.
Alors ce jour-là, j’ai ri.
J’ai même éclaté de rire.
Encore maintenant, quand je pense à la colline, je pense à ce que le sommet de la colline m’a appris.
Que parfois, on a besoin d’en avoir le cœur net peu importe les avertissements. Que parfois, il nous faut boucler la boucle… même des années après. Qu’un entêtement peut se transformer en rêve voire en fantasme.
Qu’on guérit d’une désillusion, que sa fin douce-amère laisse un drôle de goût sur la langue auquel on s’habitue… et qu’on finit par l’apprécier. »
Cela me donne envie de relire Le Motif dans le tapis, cette nouvelle d’Henry James qui tisse une intrigue fiévreuse autour de… rien ?