Seimei (Pureté et clarté)

(Clarté et pureté de la nature renouvelée, dixit une traduction la plus complète.)

Les hirondelles sont de retour

Vendredi 4 avril

Une belle journée de météo et de repos, achevée par une résurgence d’anxiété à l’idée des chorégraphies qui n’ont pas avancé.

Des branches dépassent des fenêtres d'un immeuble abandonné et tagué (mais pas décrépi, bizarrement)

Après avoir lu tout mon saoul au soleil, je range La Voyageuse de nuit dans mon sac, un essai de Laure Adler sur la vieillesse. Trois gamins en trottinette passent à tout berzingue devant de vieilles personnes en fauteuils roulant ne roulant pas, stationnés sous un magnolias en fleurs qui les perd. Une personne plus jeune, encore valide, est appuyée sur un déambulateur comme on s’assoit à califourchon sur une chaise, les coudes sur le dossier, tandis que la propriétaire dudit déambulateur est assise en face, sur le banc. Aidants et vieux, ils font cercle, ellipse.

…

Samedi 5 avril

L’anxiété avait tort, tout s’est bien passé. Un bon tiers des élèves étaient déjà partis en vacances et les cours se sont déroulés paisiblement, plus d’espace, moins de bavardage. Moins d’attentes, aussi, j’en prends conscience en lisant Prof en Scène :  « Je l’avoue, je me laisse porter […] sans forcément chercher à atteindre les objectifs que je me suis fixé pour cette dernière heure. […] terminer tout en douceur, ça oui. »

Nos essais chorégraphiques sur Grease Lightnin’ font oublier aux plus jeunes leur crainte des pointes ; elles se lancent à qui mieux mieux dans des relevés parallèles genoux pliés. Une jeune fille s’exclame que c’est génial, elle adore Mickaël Jackson ; on la regarde tous perplexes, ce n’est pas Mickaël Jackson lui souffle une autre jeune fille, qui connaissait les mouvements de la comédie musicale avant même que je ne les montre. Oui mais le mouvement, ça ressemble ! Il me faut du temps pour remettre l’image, retrouver la silhouette main sur le chapeau et sur la pointe des chaussures, façon tap dancer.

Au fur et à mesure de nos essais, de leurs propositions de poses et de mouvements, je vois des yeux qui s’agrandissent (on peut faire ça en classique ?) et des sourires qui se retiennent de s’élargir (et ça on pourra le mettre dans la choré ?). On va bien s’amuser, je crois.

Avec les grands, on teste des séquences sans décider des placements — trop d’absents. Les Rockettes ne parlent qu’aux élèves plus âgées de troisième cycle, mais les deuxième cycle sont ravies que leur idée soit étendue à toute la classe. Là aussi, on devrait bien s’amuser. En atelier, les élèves cherchent des portés ou des interactions sans porter, je précise ; leurs tentatives sans différentiel de corpulence (et sans gainage) me font parfois peur.


Mon collègue a l’air au bout de sa vie : il n’a pas beaucoup dormi et me confie des insomnies récurrentes avant le samedi. Lui ne se sent pas stressé, mais apparemment son inconscient oui. Je suis bêtement soulagée ; lui aussi voit son sommeil perturbé par les cours.


J’ai du mal à y croire : je suis en vacances ! Euphorie du temps qui paraît infini à la veille de.

…Dimanche 6 avril

Il faut que… avant de… Que je descende la poubelle avant de partir quinze jours et de retrouver ma cuisine transformée en local à ordures. Que je plie le linge. Que je coupe le ballon d’eau chaude pour qu’il ne chauffe et ne coûte pas inutilement. Que je mette au congélateur le bout de fromage qu’il reste (j’ai oublié). Que je prenne ma carte Navigo en plus du Pass pass. Que je fasse ma valise. Que je n’oublie pas le micro que je dois rendre à L. Et le masque-à-zieux pour dormir. Que je me douche. Que je tire les rideaux, un peu pour le soleil, pas trop pour qu’on puisse penser que je suis là. Que l’appartement soit à peu près en ordre pour ne pas buter sur mille choses qui restent à faire quand on embrasse une pièce du regard. Il m’est plus facile de partir s’il en émane impression de calme, de chaque chose à sa place. Mes TOCs peuvent alors vérifier les prises, les lumières et les robinets sans s’attarder sur un mouchoir à ramasser, une tablette de chocolat à ranger, la couverture à rajuster sur le canapé…

Dans ces moments, je finis par ne plus réussir à distinguer ce qui est prioritaire (faire ma valise, me doucher…), ce qu’il serait bien de faire (couper le chauffe-eau, mettre au congélateur les aliments qui pourraient se perdre…) et ce qui s’amalgame sans raison, un reste de to-do list non prioritaire qui se met à crier famine précisément à ce moment-là : faire mon lit (ok), jeter la poudre de noix de coco rance (soyons fou) et la confiture de gingembre qui s’est mis à pourrir (j’ai oublié), finir de désherber la terrasse (j’ai remis), réparer le trou dans mon sweat à zip (6 mois que je procrastinais, recousu en moins de 6 minutes)… La psy a raison quand elle dit que je dois rétablir des priorités. Je le remarque désormais comme une évidence : l’anxiété ressurgit dans l’aplatissement des perspectives, quand tout se met au même niveau — nivellement par le plat.


Dans la ligne 4, une enfant s’amuse à garder son équilibre un pied sur chaque plateforme dans la zone mouvante entre les deux rames ; elle ajuste, se retourne comme à la marelle… Quand Margot, rappelée par sa mère, est descendue du métro, je surprends une autre trentenaire, blonde, hâlée, très droite, sourire avec tendresse en regardant une ado scout fourrager dans son sac. La trentenaire d’allure bourgeoise cesse de sourire quand elle sent ou surprend mon propre regard, songeur de constater que l’on regarde d’abord avec tendresse ce que l’on a soi-même été.


À l’arrivée, il y a le boyfriend, du soleil et un gâteau au chocolat maison. Après dîner, il réussit à me faire regarder Mad Max — avec un massage aux pieds.

…Lundi 7 avril

La journée passe en un tournemain. Un instant, deux, je lis longuement au soleil. Ou pas tant : Le Chaos sur la toile est une bonne lecture, mais dense. C’est à peu près tout, c’est frustrant ; les vacances vont-elles passer à cette vitesse ?


La dinde au poivre sent bon dans l’assiette du boyfriend, qui m’en propose un morceau, duquel je prélève un morceau plus petit encore. Périodiquement, je vérifie si la texture est toujours de trop par rapport à l’odeur que je continue à trouver alléchante. Cette fois-ci, je ne me sens pas envahie et dégoûtée par la chair comme je m’y attendais, c’est autre chose, comme si je commettais une faute morale, je ne devrais pas, vite avaler ne surtout pas recommencer  — sentiment de culpabilité. C’est intéressant, constate le boyfriend, ça dit quelque chose. Mais quoi ?


Le soir, nous regardons l’animé issu des Carnets de l’apothicaire. Au bout de quelques minutes à peine, le boyfriend doute que cela se passe au Japon : ne serait-on pas plutôt dans la Cité interdite ? La musique est chinoise, les costumes des femmes pourraient l’être aussi, mais ça ne va pas, les poteaux rouges et les ornementations là sont coréens, même si l’arrondi des tuiles plutôt japonais. Je suis épatée par sa science, par mon ignorance : je ne me suis posée aucune question en lisant le premier tome du manga ; c’était au Japon, c’était une cité interdite. Suis-je encore étonnée de trouver des samoussas chez le traiteur chinois ? Le boyfriend lui est si perturbé par les indices contradictoires que je cherche sur Wikipédia : l’intrigue se déroule dans un pays de fiction.

…Mardi 8 avril

[rêve] je devais donner cours on était jeudi et je n’avais aucun souvenir d’avoir vécu mardi et mercredi, j’étais arrivée la veille lundi, je surprenais quelqu’un allongé dans la petite maison attenante au studio où je dormais, je n’avais pas pensé que d’autres profs s’y reposaient posaient leur tête sur l’oreiller où j’avais dormi, je prenais le cours de pilates avec mum qui ensuite m’attendait, m’attendait, trois élèves faisaient des bêtises aqueuses dans les toilettes, le temps que je les en sorte les autres étaient partis, deux minutes avant la fin du cours


Énergie et envie ne s’accordent pas, le repos m’ennuie m’angoisse, je n’ai la ténacité pour rien et rumine malgré le beau temps. J’aimerais des amies et des discussions en marchant dans la ville, de la gaité, autre chose. Je m’enferme dans l’inertie, le rabâché. Heureusement, l’effet de la lecture comme méditation.

Quand je suis ainsi et que je ne suis pas seule, j’ai tendance à attendre qu’on me sorte de là, je traîne autour du boyfriend en attendant une consolation qui m’absolve de moi. Il me corrige : pas une consolation, une force motrice. Et s’excuse, cette force motrice, il ne peut pas l’être, pas quand il est chez lui, dans une inertie dont il ne sait pas s’abstraire parce qu’elle lui convient, parce qu’il l’a construite, un espace-temps en auto-suffisance. Il la ressent donc aussi, cette inertie ! À la différence qu’il s’y sent bien quand elle me pèse. Serait-ce donc pour cela que je suis toujours mieux avec lui chez moi ? Heureusement, il s’absente pour une session de code à l’auto-école et, sans plus personne à qui me raccrocher, comme un culbuto bousculé, je finis à forces d’oscillations amoindries par retrouver mon aplomb. Même avec le boyfriend si facile à vivre, vivre à deux me semble si compliqué.

…Les oies sauvages volent vers le nord

Mercredi 9 avril

Quelques exercices sur le tapis de yoga détendent mes tensions dans le dos et me donnent un début de barre au sol. Il ne faudrait pas trop traîner à s’y mettre.


Ces jours-ci, je me sens enfermée, peu importe le temps que je passe à lire dehors au soleil. C’est comme si je ne me déplaçais qu’à travers un tunnel vitré qui, en la guidant, rétrécissait insidieusement ma vie. Tout est là, bien visible, bien agencé, le tunnel se déplace avec moi, je pourrais aller n’importe où, mais il se déplace avec moi, je m’y heurte, ne vais plus nulle part même lorsque je me déplace. J’ai des envies d’échappées, du hors-piste hors du bien-connu, du tout-tracé, tout va bien, qu’est-ce qui déraille, qu’est-ce qui ne déraille pas ? (Ma tête ?)

Tout est formidable : je suis avec le boyfriend, nous allons déjeuner au restaurant, il m’invite, le ramen sauce cacahuètes est délicieux, il y a du soleil, la journée est belle. Tout est un peu à côté aussi, à commencer par moi : le moindre mouvement, frémissement d’humeur de sa part me semble être de ma faute, je le prends pour moi ; il y a du monde trop de monde autour de nous et plus loin, partout dans un Paris ensoleillé, entouristé ; il fait un peu trop beau pour digérer un plat si roboratif ; le soleil reste à l’extérieur du bus, du restaurant. Tout est là, sauf la gaité. Ou plutôt elle est là, de l’autre côté du tunnel transparent. Je ne comprends pas pourquoi je ne la ressens pas vraiment, alors que je sens l’alliance parfaite du piment et de la cacahuète, je sens le soleil sur mon visage quand nous marchons dans la rue, je sens son parfum à lui que j’aime tant, je sens sa main sur mon épaule dans le bus, je la recouvre de la mienne pour être sûre qu’elle reste là.

Il y a de sacrés personnages autour de nous : le blondinet ado qui se la pète tellement premier degré avec ses lunettes de soleil qu’on en vient presque à se demander s’il a toute sa tête ; les vieilles personnes qui ne feront pas un pas de plus pour avoir la place libre derrière, font plutôt descendre pour obtenir la place convoitée côté fenêtre ; l’Allemand qui porte son gros chien dans les bras pendant tout le trajet ; l’original qu’on croirait presque un marginal avec sa mise bizarre tout en noir quand on l’aperçoit par la vitre devant la fondation Cartier ; et les caricatures de grande bourgeoisie tout une partie du chemin. On ne bitche pas joyeux pourtant, alors que j’adore ça, je nous entends de l’extérieur, un peu amers, gratuitement.

Je voudrais marcher des heures au soleil en devisant gaiement, arpenter la ville en papotant pendant des heures, je regrette que les pieds du boyfriend ne puissent pas le supporter, et soupçonne que même si c’était le cas ou même si j’étais seule, je ne parviendrais pas à échapper à un certain sentiment d’errance, d’à quoi bon qui fait reculer l’envie d’un cran : j’ai envie d’avoir envie de marcher des heures au soleil en papotant, avec une glace que je n’ai pas la place d’ingérer. Je n’en ai donc pas vraiment envie. Envie d’embardée, de fuir ou de saccager.

Ce n’est qu’une question de filtre, pourtant. Il suffirait d’une gélatine chaleureuse pour braquer sur les jours un tout autre regard. Cette séance d’essayage chez Uniqlo, par exemple, pourrait être tout aussi drôle que dépitante. Imaginez un peu : le boyfriend qui n’aime pas faire les boutiques, moi qui n’aime pas faire de shopping, nous deux glanons des articles dans une boutique bondée puis attendons dans la file pour les cabines d’essayages avec la conscience aiguë qu’aucun de nous ne serait là si l’autre n’y était pas non plus : j’aurais déjà fait demi-tour et lui ne serait pas même entré, mais il estime à juste titre que racheter quelques basiques ne serait pas du luxe et m’y encourage. Quand c’est mon tour, il m’enjoint de ne pas prendre trop de temps quand même : lui pense à son ex qui adorait ça et pouvait y passer des heures, moi à mes hésitations prolongées avant de me décider à acheter quoi que ce soit. Je coupe court aux hésitations : caraco trop grand, legging trop petit, pantalon bouffant pile à la bonne taille pour me donner l’air d’un sac à patates, haut jaune qui aurait presque pu me convertir au loose mais trop transparent (je ne suis pas spécialement pudique, mais les aréoles bien visibles, bof), chemise en lin pas mal, mais une tache miniature me dispense de m’habituer au col et de me demander si je ne vais pas sans cesse tirer dessus. Je rends 5 article sur les 5 essayés, c’était rapide. À la sortie, ça me gratte, j’ai des rougeurs sur les bras et le ventre, en conclus guillerette que je suis officiellement allergique au shopping auprès du boyfriend qui objecte les apprêts.

Le tunnel disparait en fin de journée, quand je n’ai plus rien à attendre ni d’elle ni de moi. Là, c’est doux : la lecture sur le canapé dans les derniers rayons puis la suite des Carnets de l’apothicaire après dîner. Plusieurs fois je mets sur pause, clique éventuellement une ou deux fois sur le bouton de retour arrière : qui a empoisonné qui en essayant de faire porter le chapeau à qui ? On partage ce qu’on a chacun compris, ça me fait autant marrer que les passages comiques où le dessin se simplifie à l’extrême pour accentuer l’émotion ou le rire au milieu des traits soignés.

…

Jeudi 10 avril

[rêve] mon corps est un peu trop grand pour lui je tente un porté avec un élève de deuxième cycle, tourne autour de son bras comme autour de la barre basse des barres asymétriques et finit sur le ventre cambrée plus ou moins en équilibre / dans un autre rêve de rendormissement, il y a une intimité difficile à obtenir avec le boyfriend, d’autre habitants autour, et des pro du bus habitués aux longs voyages filmés l’un après l’autre comme s’ils participaient à un show TV

Je n’avais pas reconnu la jacinthe ; j’ignorais que ça ressemblait à une asperge avant floraison.

Mum m’invite à son cours de Pilates et nous debriefons ensuite devant de délicieuses entrées italiennes (une assiette de stracciatella ! en France ! avec du vinaigre balsamique de folie ! et une huile d’olive où l’on sent presque l’olive se reconstituer-désagréger en bouche !). Ici c’est Versailles, clame un néon à côté de notre table ; je l’ai aperçu quand nous sommes passées en voiture devant ma devanture tout allumée, l’absence de la négation attendue m’a fait rire.

Néon "Ici c'est Versailles" sur un panneau de faux gazon

Formation Pilates ou pas cet été ? Les dates sont possibles. Mais c’est onéreux. Mais cela m’ouvrirait la porte des studios de fitness et yoga, avec des cours sur les créneaux du déjeuner. Mais je ne suis pas certaine d’adhérer complètement à la méthode : je comprends la logique des exercices, l’engagement abdominal, l’allongement de la chaîne postérieure… mais reste dubitative sur l’aspect pédagogique de la chose. Cela peut vite devenir contre-productif, je l’ai déjà constaté par le passé : à moyen terme, le gain de gainage finissait supplanté par des tensions supplémentaires dans le psoas. Et, malgré mes progrès des dernières années, je n’ai toujours pas une maitrise suffisante pour ne pas ressortir du cours avec les abdos superficiels inutilement gonflés vers l’avant (ça me fait du ventre alors que ce n’est pas ma morphologie, je déteste ça).

J’ai l’impression qu’il faut déjà avoir une maîtrise très fine de son corps pour pouvoir réussir les exercices censés nous permettre de l’acquérir. L’enseignante (qui est aussi formatrice) a eu beau m’expliquer qu’il manque quelque chose aux gens qui commencent par les machines, qu’il y a une recherche préalable à effectuer sur tapis, seul à seul avec son corps, je continue à penser que le concepteur de la méthode ne l’a pas conçue en sens inverse pour rien : la résistance et le soutien des machines facilitent la compréhension de mouvements que l’on peut ensuite convoquer sans leur aide. Donner la priorité au Pilates mat sur le Pilates machine, c’est me semble-t-il s’arranger avec la pédagogie pour faire avec les contraintes économique (les machines coûtent chacune quelques milliers d’euros, le temps d’amortissement est délirant). Je comprends ces contraintes ; j’aime moins qu’on les déguise…

J’hésite, donc. L’exercice que j’ai découvert pour travailler la contre-torsion nécessaire dans les arabesques (et aussitôt piqué pour la barre au sol que je donne) me confirme qu’une formation m’apprendrait de nouvelles choses, raffinerais ma compréhension du mouvement, des mécaniques musculaires… ce que je fais déjà avec ma prof de stretching postural, de manière plus approfondie et à moindre coût. À ceci près que ce que j’apprends avec elle n’est pas certifiant, ni même identifiable sous le nom d’une discipline déposée (telle que Pilates, Gyrotonic, PBT…) ou à la mode (genre le fit’ballet). Ai-je vraiment envie de faire une formation pour sa labellisation ? Dans l’absolu, le Gyrotonic me plairait davantage (les mouvements spiralés sont hyper agréables dans le corps), mais c’est un investissement financier à la rentabilité plus douteuse encore que celle du Pilates : il y a un véritable business autour du label, qui doit être renouvelé tous les deux ans moyennement une nouvelle formation, évidemment fort onéreuse.

Reflet de lustre dans la table du restaurant

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Vendredi 11 avril

[rêve] pluie de billes noires (comme des boules de tapioca plus petites, d’une densité de plomb), quand elles entrent en contact avec la peau, elles s’y accrochent et l’empoisonnent, la font vieillir en accéléré

(Dans un vieux vieux rêve de quand j’étais enfant, j’étais coincée aux toilettes quand un tueur surgissait, soufflant de petites billes de plomb grises qui rebondissaient partout et qu’il fallait éviter sous peine d’y passer.)


On fait la fermeture du restaurant avec JoPrincesse tant on a discuté avant, pendant et après nos entrées et notre dessert avalés (je retiens le gorgonzola dans la sauce des poireaux vinaigrette, bafouille prononce pour la première fois quesadillas à voix haute et goûte fort le mascarpone qui baigne dans l’espuma à la sauge sous couvert de cheesecake déstructuré). À la table d’à côté, on demande à JoPrincesse si c’est son premier et on la complimente, on la fait parler ; celles que je pensais amies sont une mère et sa fille, toutes deux charmantes, toutes deux âgées, la plus jeune en fauteuil. Il faut dire que JoPrincesse est rayonnante — de fatigue, mais rayonnante quand même, douce et belle et tranchée, il ne faudrait pas la croire effacée, dans le stéréotype de la femme enceinte. Le temps passe trop vite, j’aimerais passer tout l’après-midi avec elle, il est déjà quatre heures, je file rejoindre C.

C. me fait découvrir un square coquet de Montrouge et surtout le cimetière de Bagneux où l’on peut, enfin, marcher longtemps loin des voitures. Chaque allée est bordée d’une essence particulière si bien que la cimetière prend des allures de parc botanique. L’herbe de l’allée centrale donne l’illusion d’un chemin de campagne et les écureuils, quoique roux, réveillent par moment des souvenirs londoniens. (Le boucan que fait cette petite bestiole en mangeant !) On visite d’abord comme on visite le père Lachaise, ici Barbara, là Badinter ; je m’étonne de la drôle de forme des double stèles juives (comme des tables de la loi ?), des médaillons incrustés dans la pierre des tombes familiales, d’une stèle remplacée par un magnifique vitrail (je suis pour ; être mort est déjà assez triste pour ne pas être affublé en prime d’une pierre moche). Puis on oublie les morts, c’est facile quand on n’en a enterré aucun, et on se promène, on discute : boulot, santé mentale, anxiété, émotions, besoins associés, mal nourris — contrairement à nous, qui finissons par un goûter tardif chez Kreme.

Une stèle en vitrail qui se devine derrière les stèles sombres en pierre

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Samedi 12 avril

[rêve] G. m’embrasse, introduit sa salive dans ma bouche, peu après mes dents deviennent branlantes, l’une se défait lorsque je constate du doigt qu’elle bouge et j’en récupère successivement trois ou quatre dans la paume de ma main, avec ou sans le mécanisme qui me permettrait de les refixer

Comme l’emplacement des dents a l’air significatif pour l’interprétation des rêves où elles tombent, je me note : des molaires en haut à gauche. Récupération de mon cerveau : le mécanisme pour clipper les touches de clavier d’ordinateur / les empoisonnements dans Les Carnets de l’apothicaire.


Une glace puis un thé avec L. pour épouser l’évolution de la météo. Je marche au ralenti pour ménager mon genou. Dans un inventaire à la Prévert, on cause salle de sport (elle ne pensait pas, mais elle kiffe les machines, c’est amusant), recherche d’appart (où l’on trouve globalement moins bien pour pas moins cher), ePub (médiathèque de Paris, DRM et plastique dégueu des liseuses qui vieillissent mal), tombe (à végétaliser plutôt qu’à fleurir de fleurs coupées bourrées de pesticides), lecture (d’affilée ou pas du tout), blogs (et fatigue), grignotage (et courses pour elle, cours pour moi), chat (les lanières de mon sac à dos ont toujours du succès) et santé mentale (on fait ce qu’on peut). De l’enthousiasme parfois passe sur nos visages un peu fatigués.

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Dimanche 13 avril

[rêve] je donne cours à des élèves franchement nombreux (dont un groupe de grands ados black qui semblent plutôt venir du hip-hop mais qui ont l’air hypé par le cours de classique) et mets à chaque fois un temps infini à traverser la salle les barres les élèves pour rejoindre mon téléphone et sélectionner, arrêter ou relancer la musique, le cours en devient un peu chaotique


Le temps s’est couvert, mon humeur tout l’inverse. Ça fluctue. Et encore.


Je screenshote par erreur en voulant raccrocher : une heure et vingt minutes au téléphone avec Melendili. J’aime nos discussions fleuve.

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Lundi 14 avril

Les jacinthes sont devenues des jacinthes :

…

Les premiers arcs-en-ciel apparaissent

Mardi 15 avril

[rêve] un champignon atomique sort du Vésuve, l’horizon est saturé de nuages sombres qui ne cessent de se fissurer et se boursoufler de feu, suite à l’éruption le monde n’est plus que poussière apocalyptique et orange c’est graphique c’est la fin, Mum en est sûre, maintenant ou sous peu, j’espère que cela ne viendra pas jusqu’à nous, que nous allons en réchapper, encore un peu

Ah oui, pour toi, prendre un train à l’aube, c’est vraiment la fin du monde — littéralement, s’amuse le boyfriend quand il me trouve éveillée bien avant l’heure prévue et que je lui raconte le rêve.


Insomnie à 5h du mat’, train avant 7h30. « Pour un voyage plus serein, prévoyez d’arriver avec 30 minutes d’avance »  indique le mail de la SNCF. Pour un voyage plus serein, merci de pratiquer des tarifs décents tout au long de la journée, oui. Nous arrivons à Tours à l’heure où nous serions sortis de notre lit, Tours toute de blanc bourgeois et de glycine bleu-mauve — je vois les hauts porches et les touches de couleur sur un carnet de croquis que je ne matérialiserai pas. Quelques instants seuls avant une journée de sociabilité non-stop.

 

Deux salles, deux ambiances : à une boutique de bondieuseries et d’angelots blancs à peindre soi-même succède une boutique Warhammer.  J’imagine le partenariat, le gros kitsch chrétien installé au milieu des geeks minutieux et de leurs figurines guerrières. On en rit en même temps.

Je ris avant lui quand, devant une vitrine de DocMartens, il avise un modèle léopard rose et imite une amie à lui, qui en serait en transe — j’ai beau ne l’avoir vue que trois ou quatre fois, d’un coup je la vois, là devant moi, c’est sa gestuelle, je la reconnais d’évidence sans jamais l’avoir retenue.

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Mercredi 16 avril

Après une nuit en plusieurs parties, il y a le babil constant d’une enfant de 4 ans que je n’ai pas envie d’ignorer mais si ça pouvait s’arrêter, des bonnes choses à manger, du soleil et du vent, la visite de la maison repérée par le boyfriend, les fresques abouties ou esquissées sur ses murs, le debrief dans la voiture, dans le train, les projets, les désillusions, le soutien et les tiraillements, à un moment le boyfriend ne veut plus en parler, je ne veux pas raconter, même si on en reparle, on déplie, tout à plat même froissé.

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Jeudi 17 avril

Ma grand-mère ne souffle aucune bougie à son dîner d’anniversaire, ma mère fait son one woman show, je ne saurai pas grand-chose de ma cousine. Qu’est-ce donc que ça ? demande pour la deuxième ou troisième fois ma grand-mère en avisant la portion de moussaka qu’elle a déjà goûtée. Elle a toute sa tête, se perd juste dans les mezzés. Ce sont des aubergines, s’impatiente ma mère qui a pourtant oublié aussi sec ce qu’est le baba ghanouj après l’avoir demandé et le confond de visu avec la purée de lentilles. Je mange avec plaisir et passe un bon moment, oublie dans la gaité les diverses tristesses ravalées que je sens en sous-main sous-marin, qui s’étendront sur le souvenir qui se forme déjà dans la digestion : l’âge qui se transmet des unes aux autres, les micro-lésions des petites bêtes affectives que nous sommes avec ou sans les autres.

…

Vendredi 18 avril

La journée est gaie, ou plutôt je suis gaie durant cette journée à trop rien faire. Le soir venu, devant mon chirashi, je me promets que demain, c’est choré.
— Envie de bimbimbap ? réinterpète le boyfriend qui nous voit partis pour un tour du monde culinaire. (Choré / Corée)

On regarde la moitié du troisième volet des Animaux fantastiques : la danse pour imiter et échapper aux scorpions est inénarrable, je ne comprends pas pourquoi je ne l’ai pas déjà vue circuler comme meme.

…

Samedi 19 avril

Pour ce jour en attente de rédaction, j’ai noté : Blocage.

L’anxiété grandit à mesure que je repousse, que je me paralyse. Ces p***** de chorégraphies. Ce n’est que de la danse, je peux me le répéter, sincèrement le penser, mais n’en suis pas moins paniquée, seule sur le coup, pas à la hauteur.  Tout mon être est tendu vers, et je ne veux pas, je mets une force égale à freiner, à aller contre. La tension est telle sur ce point de patinage, j’ai l’impression que je vais rompre. J’aurais presque envie que mon dos lâche à nouveau, n’importe quoi pour être déchargée, déclarée inapte et remplacée, ne plus être responsable de rien et que ce ne soit pas de ma faute. Je ne tiendrai jamais le rythme par avance, je voudrais que ça s’arrête, que quelqu’un d’extérieur me dispense comme une enfant. Acmée dans les larmes, dans les bras de.

Ces jours-ci, je rêve encore de dents dévitalisées : elles ne tombent pas cette fois-ci, elles s’effritent, j’en ai plein la bouche, des petits morceaux durs, dégueu.

Je me serai assez bien gâchée les vacances ainsi, en sourdine. Je me suis divertie tant que j’ai pu, agréablement d’abord, puis de moins en moins efficacement, tendue dans une attente qui transforme toute activité en remplissage — et toute distraction en activité potentielle, embrassée à défaut d’être choisie :  hébétée, je me suis ainsi retrouvée à zoner avec le boyfriend pendant une bonne heure devant une compétition japonaise de skate sur des parcours complètement barrés. Kasso-des. Je sais maintenant qu’un saut où la planche semble rester collée aux pieds du skateur est un ollie, et ça se conjugue : he ollied the obstacle. Divertissement pascal(ien).

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