Séries 2022

 

Plutôt que d’ajouter le nombre d’heures passées à regarder des séries aux statistiques faramineuses de mon téléphone, je préfère voir ce qu’il en reste et vous donner envie vous aussi d’y laisser quelques soirées.

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Normal People

Vu sur Arte replay –
dispo sur france.tv jusqu’au 15 mars

Heureusement que Melendili m’a avertie de l’existence de cette courte série avant l’arrêt du replay : je suis rapidement tombée amoureuse du personnage principal. Un beau personnage masculin bien écrit, a approuvé Melendili. Je pensais au personnage féminin, incroyablement belle et brillante mais difficilement aimable.

On est clairement du côté du mélo plus que de la comédie romantique, avec un couple qui ne cesse de se manquer et de se rejeter, remuant un passé-passif-agressif — des histoires de classe sociale, de confiance et de soi abîmés, ébréchés, qui font que l’un et l’autre sont toujours prêts à se saborder. C’est une histoire magnifique, jusque dans son dénouement à rebrousse-poil, avec des personnages à la psyché fouillée et probablement les plus belles scènes de sexe-tendresse que j’ai jamais vues (des scènes avec un véritable enjeu narratif où le sexe n’est pas une performance ou une manière d’acter une conclusion, mais un espace d’intimité où l’on se découvre dans la friction).

À voir si : vous avez un cœur caramel mou.
À ne pas voir si : vous avez un cœur caramel dur.

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Black Mirror

Presque tous les épisodes des saisons 1 à 4, sur Netflix

Une éternité après tout le monde, je découvre cette série qui n’a de série que le nom, puisque les épisodes, confiés à des réalisateurs différents, sont totalement indépendants ; ils n’ont en commun que leur noirceur. Le boyfriend a soigneusement sélectionné des épisodes pour m’y faire entrer progressivement, privilégiant les dystopies aux thrillers… que j’ai fini par regarder (parfois derrière une main ou une épaule) tant ils sont virtuoses et intelligents. Le niveau de stress est pourtant de taille à tester l’efficacité de son déodorant : un épisode de Black Mirror et je pue d’une sueur âcre comme si c’était moi qui avais été traquée pendant une heure.

Parmi les épisodes qui m’ont le plus marquée :

  • presque feel good : Hang the DJ (malgré le titre), Chute libre
  • sur le deuil : San Junipero (mélancolique), Bientôt de retour (creepy et dur émotionnellement)
  • proprement terrifiants : La Chasse, Metalhead

À voir si : vous avez quelqu’un derrière qui vous cacher.
À ne pas voir si : vous êtes seul chez vous et/ou n’avez pas mis de déo.

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Les Chroniques de Bridgerton

Saison 2, sur Netflix

C’est téléphoné, évidemment, mais quel plaisir de passer quelques heures au téléphone à bitcher en bonne compagnie !

- Viens voir le bébé, Eloïse. - Pourquoi ? Il a changé ?

À voir si : vous aimez l’esprit British & bitchage.
À ne pas voir si : vous êtes allergiques aux comédies romantiques.

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Drôle

Saison 1, sur Netflix

Je n’ai pas vraiment ri mais j’ai pas mal souri, parce que c’était drôle, oui, mais surtout touchant. Pourquoi arrêter la production alors qu’on tenait enfin une bonne série française bien rythmée ?

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The Handmaid’s Tale

Saisons 1-5, sur Amazon Prime et OCS

Coiffes blanches, manteaux rouges, couleurs et rang impeccables. Lumières douces, diffuses, divines presque. Visuels contrastés, organisés, adoucis. L’univers de la servante écarlate est incroyablement esthétique et ce n’est pas un hasard, comme le confirmera par la suite son négatif, le monde « normal » que nous connaissons, au rendu terne et bordélique. L’esthétisation de l’horreur loin de la gommer la renforce ; la force graphique de l’image traduit la fascination que peut exercer la société dépeinte, souligne sa dangerosité. J’ai regardé les premiers épisodes comme une proie paralysée face à son agresseur, prise dans une fascination morbide et viscérale.

La prise ne s’est pas desserrée, sauf peut-être à la fin de la saison 2, quand on impute à son personnage une décision moins cohérente que pratique pour jouer les prolongations pendant une nouvelle saison (j’ai boudé pendant quelques jours avant de reprendre le visionnage). J’en ai passé, des heures avec June Osborn, Serena Joy Waterford et Fred Waterford — la servante, l’épouse et le mari. L’intérêt grandit à mesure que les jeux d’alliance entre ces trois personnages créent des relations qui ne peuvent plus être simplement nommées, mille-feuille d’intérêts divergents-convergents-divergents, séduction, manipulation, jalousie, entraide, résistance, vengeance… Cette complexité psychologiques fait que les premières saisons en huis-clos sont pour moi les plus fortes, même si les enjeux de politique internationale des saisons 4 et 5 réservent leur lot de tensions stimulantes, après une saison 3 un peu flottante entre zoom in et zoom out.

[Prise de conscience en écrivant ce post] C’est probablement ce changement d’échelle qui a fini par me rendre exaspérants les gros plans constants sur le visage d’Elisabeth Moss : autant cela se justifie dans la cadre d’un huis-clos, où tout est filmé au plus près des personnages, traduisant leur marge de manœuvre très étroite, autant la répétition de ce procédé dans un cadre plus large prend des allures d’appels empathiques trop appuyés pour ne pas devenir un brin kitsch (et contre-productif : on s’agace plus qu’on ne s’émeut).

À voir si : vous ne l’avez pas vu.
À ne pas voir si : vous avez des traumas (beaucoup de violences et de viols).

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The Boys

Saisons 1-3, sur Amazon Prime

Pris dans les logiques du vedettariat, les superhéros en oublient leur mission première (les sauvetages ne valent plus que par leur dimension spectaculaire), voire trempent carrément dans des scandales politico-financiers incluant sexe, drogue et meurtre. Quant aux good guys sans superpouvoir qui se mettent à lutter contre les dérives des sup‘, ils ne tiennent pas longtemps dans cette inversion des rôles — les fins, les moyens, le pouvoir, quoi. La réalisation ne lésine pas sur les tripes et l’hémoglobine, mais la satire prédomine toujours sur le carnage — sanglant sur tous les plans.

L'équivalent de Superman en train de prendre des selfies avec des ados

À voir si : vous avez aimé l’épisode Avengers de Joss Whedon.
À ne pas voir si : vous ne supportez pas la vue du sang.

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L’Opéra

Saisons 1-2, sur OCS

Mauvais, mais addictif comme un bon nanar. Et ça me fascine : qu’est-ce qui fait que c’est mauvais, alors que le scénario transpose plutôt intelligemment quelques épisodes de l’Opéra de Paris, et qu’on y trouve quelques bonnes piques répliques ? Certes, les danseuses ne sont pas actrices, ni les actrices danseuses, et le bon sentiment ambiant n’aide pas. Mais même lorsqu’on se prend d’affection pour Hortense (Gromard) et que les enjeux se nuancent dans les questions de harcèlement soulevées par la deuxième saison, il manque quelque chose ; probablement : une direction d’acteurs et une réalisation à la hauteur. Hormis les scènes de danse contemporaine, auxquelles la caméra donne du corps, tout est exposé assez platement, par des dialogues sans mystère et des plans… des plans comment, justement ? Je n’ai pas le bagage suffisant pour étayer mon impression : est-ce un choix de caméra ? d’angle ? de lumières ? de montage ? Je serais vraiment curieuse de découvrir l’analyse d’un cinéphile sur les raisons de cette apparente pauvreté.

Alors pourquoi regarder ?

  • Pour faire frétiller sa balletomane intérieure, ravie de retrouver des lieux et des danseurs connus à la dérobée, et de deviner les chorégraphes ou épisodes ayant servi de support à la fiction (le passage de Benjamin Millepied à la direction, la question de la diversité, le rapport sur le harcèlement…). Il se peut que j’ai légèrement saoulé le boyfriend à force de name-dropping.
L’assistant du nouveau directeur (inspiré de Benjamin Millepied) annonce que ça va changer avec lui. Réponse dans un franglais zozotant absolument par-fait : « They always say this mais ça change jamais vraiment. »
  • Pour faire frétiller sa midinette intérieure : mentionnons pudiquement les noms de Raphaël Personnaz et Loïc Corbery, aux faux airs de Nicolas Le Riche (je ne le connaissais pas, mais vu les réactions que son nom a déclenché lorsque je l’ai mentionné sur Twitter, on ne m’a pas attendu pour crusher).
  • Pour dire : on parle de moi (enfin de nous, les blogueurs) !
« – Ça ne vous intéresse pas, les blogs ? / – L’opinion de 3 danseuses ratées, pas tellement. » Et plus loin, lorsque les danseurs attendent les résultats du concours de promotion : « – Ça fait une heure que les pronostics des blogueurs le donnent vainqueur. / – C’est des conneries, les blogs. »
  • Pour bitcher sur les faux pas : les mains pelles à tarte de Flora, dignes d’une débutante ; les tutus cheap en lycra ; le cunni fait à une danseuse en tutu (entre l’entrejambe en tissu et le collant, ça semble difficile)… Difficile de consentir longtemps à suspendre son incrédulité avec ce genre de détails à répétition. Mais ça tombe bien, les épisodes se regardent très bien téléphone à la main, prêt à screenshoter et twitter — médisance et réjouissance.
La maîtresse de ballet, maîtresse ès phrase assassine. Ici face à un danseur qui prépare Varna : «C’est poli, c’est lisse. Comme un mauvais amant, on attend que ça passe. » / Le même personnage a aussi cette saillie bien envoyée : « La direction de la danse, c’est comme Matignon : c’est l’enfer, mais ça ne se refuse pas. »

"Un audit, c'est pas fait pour chercher la vérité…" "mais pour dire qu'on l'a cherchée"

  • … pour connaître la suite, tout bêtement. Eh oui. À force, le second degré s’émousse et laisse place au premier degré, celui des violons et des histoires personnelles, traumatiques, amoureuses ou battantes. Alors que j’ai repris la saison 2 en me demandant si j’allais regarder ce navet poussif jusqu’au bout (le contraste avec The Handmaid’s Tale piquait très fort), je me suis surprise à prendre de plus en plus de plaisir (coupable) au visionnage. De là à remarquer que ce glissement est concomitant de l’apparition de Loïc Corbery…

Et parfois, on a de bonnes surprises, comme cette nuance bien formulée, répondant à la question « Il faut souffrir pour atteindre l’excellence ? ».

"On peut s'imposer une souffrance en tant que danseur." "Mais pas l'infliger en tant que professeur."

À voir si : vous êtes balletomane.
À ne pas voir si : vous êtes en compagnie d’une balletomane sans l’être vous-même.

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Lovesick

Saisons 1-3, sur Netflix

Des personnages attachants, une intrigue amoureuse et des épisodes de 20 minutes : pile qu’il me fallait pour mes soirées de novembre, Melendili a visé juste.

Dylan, infecté par la chlamydia, rappelle toutes les anciennes partenaires auxquelles il est susceptible de l’avoir transmise. On passera sur l’absence sidérante de préservatif dans ce dispositif narratif : chaque épisode ou presque fait ainsi en flashback le récit d’une rencontre passée — et il y en a un certain nombre, le jeune homme ayant tendance à tomber amoureux comme on change de chemise. Évidemment, un arc narratif plus long se dessine au fil des épisodes, entre oscillation amoureuse et mauvais timing.

L’ensemble pourrait être potache, mais cette dimension est évacuée-concentrée dans le rôle de Luke, le coloc qui ressemble à Alexander (le bon pote un peu à la masse dans Buffy) mais se comporte comme Barney (le séducteur invétéré dans How I Met Your Mother). Dylan, lui, partagerait plutôt le côté paumé-dégingandé de Josh (dans Please Like Me), boulet mi-attendrissant mi-exaspérant errant entre Abigail et Evie, deux jolis portraits de jeunes femmes, plutôt bien fouillés.

Au final, je me suis laissée (sur)prendre par la saveur douce-amère des relations et des émotions qui n’ont plus vraiment de nom à force d’être enchevêtrées, le sentiment d’être avec la bonne personne n’effaçant pas le chagrin des histoires achevées ou manquées.

(Big up aux Britanniques pour le titre original de Scrotal Recall.)

À voir si : vous avez envie de douceur.
À ne pas voir si : vous êtes allergiques aux romances.

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Westworld

Saisons 1-2, sur OCS

Une série taguée science-fiction avec une forte esthétique western ? Autant dire que le boyfriend avait fort à faire pour contrebalancer mon a priori. Mais ce qui m’insupporte dans les westerns, c’est l’errance. Or on fait tout sauf errer dans Westworld : les scénaristes savent clairement où ils vont, même si nous spectateurs, beaucoup moins. Mais il y a un sens, on le sait, on le sent, on le cherche, les personnages aussi et cette quête est au centre même l’histoire. Des questionnements philosophiques se nichent sous (ou plutôt entre) les couches temporelles narratives qui se superposent sans signe distinctif de prime abord, ménageant des retournements logiquement impeccables qu’on n’aura cependant pas vu venir — c’est virtuose. D’autant que chaque résolution ne résout rien, rouvrant la question de l’identité, de la conscience et du libre-arbitre.

Vieil homme dans sa chaise de dirigeant, avec des moulages de visages blancs derrière lui

Tenancière de bordel en corset, assise dans un laboratoire

Cow-boy et cow-girl à cheval

Il y aurait clairement une lecture leibnizienne à faire de la série, avec ses personnages qui s’arc-boutent contre une réalité où le libre-arbitre revient à être incliné mais pas nécessité à faire telle ou telle action — mais incliné quand même : je nous revois en khâgne révoltés contre cette butée. Leibnitz essaye de ménager la chèvre et le chou en articulant déterminisme divin et libre-arbitre humain : il faut en effet que l’homme soit libre de bien ou mal agir pour que Dieu puisse être lavé du soupçon d’avoir créé le mal… sans pour autant que sa toute-puissance soit remise en cause (le chèvre et le chou, je vous dis). Dieu ne créerait pas des hommes mauvais par essence, mais dotés d’un caractère tel qu’ils puissent devenir mauvais (mais aussi théoriquement bons) par une successions de choix propres. La nuance vaut ce qu’elle vaut et, khâgneux, nous nous débattions avec Leibniz et le commentaire de texte pour essayer de sauver le libre-arbitre humain dans cette étroite limite entre des choix possibles mais improbables en raison de ce qui fait que nous sommes qui nous sommes (rien ne m’empêche de prendre la décision opposée, mais je ne le fais pas, sinon je serais quelqu’un d’autre). Dans Westworld, le déterminisme divin est remplacé par le déterminisme du code informatique, avec en filigrane cette question lancinante : obtient-on des comportements fondamentalement différents si on programme chaque action d’un être artificiel ou si on le dote d’un code de base, cornerstone, qui définit son caractère et incline ses actions sans les nécessiter ? Transposé aux humains : sommes-nous réellement libres de nos choix quand un passé nous constitue ?

À voir si : vous ne l’avez pas vu.
À ne pas voir si : les paradoxes temporels vous donnent des maux de crâne.

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