BerioOoo0O0o°oooo’secours !

Je ne connaissais pas la musique de Berio, ni même son nom, mais cela ne m’aurait pas manqué. La Sequenza I pour flûte m’avait pourtant plu : le flûtiste seul en scène, debout, un chat avec une queue de pie, donnait ses notes comme des coups de serpe, pour écarter les lianes d’une jungle visiblement vide, mais sait-on jamais, les fausses alertes déboulent et rebondissent, une présence peut toujours se cacher derrière une note et se débusquer au détour d’une absence d’harmonie.

 

Le temps se gâte avec la Sequenza VII : le hautboïste, qui arrive la chemise dépenaillée, a du perdre quelques notes en même temps que sa veste. Elles sont en nombre restreint, et l’instrument nasillard s’en plaint. Bon (parce que) bref.

 

Les ténèbres tombent avec la Sequenza XII pour basson (les chiffres romains… je préfère ne pas imaginer qu’on ait pu commettre d’autres morceaux dans le genre). Lumière tamisée sur des lunettes qui le font ressembler à un aveugle, le musicien est encore plus statique que ces prédécesseurs –mais en plein accord avec sa musique, i.e. des sons démesurément allongés et parfois modulés. L’éternité s’installe, et comme qui dirait, c’est long, surtout vers la fin. Qui s’annonce plusieurs fois mais se transforme en pause – fatalement suivie d’une reprise des hostilités. L’assimilation des rangées de projecteurs à des chauves-souris suspendues au plafond me surprend le nez en l’air, et mon esprit divague, pêche des comparaisons plus idiotes les une que les autres : vol d’une mouche unijambiste de l’aile, vol d’un bourdon (malheureusement, j’ééééééétais là) ou de toute autre bestiole que je fais voler de la main près de Palpatine après avoir constaté qu’il suppliait sa montre de se hâter. Cette sale bête m’a accusée d’avoir attiré le vol du basson à cause de mon T-shirt rayé. Voilà une nouvelle comparaison : l’abeille. Le registre animal ayant été passé en revue sans que nul applaudissement insecticide n’ait fait le ménage sur scène, un autre registre image s’est imposée à moi : les réacteurs d’un avion au décollage ou la corne de brume d’un navire en partance.

 

J’avais visé juste, parce que l’Altra Voce pour flûte alto, mezzo-soprano et live électronique nous a menés chez les bédouins du désert. A la console pas du tout ludique, des techniciens étiraient le son jusqu’à la plainte, et faisaient résonner le désert païen dans une nef d’Eglise. Durant cette conférence (le flûtiste et la chanteuse se trouvaient assis derrière une table, casque sur les oreilles), je me suis demandé si les ombres projetées sur le mur par les fauteuils du premier balcon ressemblaient davantage à des peintures rupestres ou aux strates de la pierre érodée par le vent du désert. La voix et la flûte se mélangeaient pourtant harmonieusement (contrairement au trio infernal précédent), mais le basson m’avait usé mon capital attention pour un bon moment.

 

Entracte. On a pu croire mourir, mais heureusement, la ligne mélodramatiquedico-cardiaque du compositeur s’est arrêtée avant, le basson maintenu sans modulation en coma artificiel est coupé. Palpatine souffle : avec Schönberg, ce sera le retour à la civilisation. Et Beethoven, donc.

 

 

Soirée Edvard Grieg au théâtre des Champs-Elysées

Jeudi, c’était une autre première pour la souris : concert de musique classique. Un billet de dernière minute – à noter que le TCE a la dernière minute plus souple que l’opéra : les guichets ouvrent une heure et non quinze minutes avant le début du spectacle (à 20h et non 19h30 en plus, ce qui laisse le temps de remonter jusqu’au Pomme de pain s’avaler un sandwich, condition sine qua non pour profiter pleinement de sa soirée). Huit euros plus tard, je me retrouve donc dans un fauteuil d’orchestre.
Ce n’est pas à une journée près que je connais rien de plus à la musique, mais c’est très amusant d’observer une brève rencontre entre l’enthousiasme de Palpatine et celui d’une dame inconnue. Alors qu’il s’empare de son programme et qu’il se demande à haute voix qui dirige (oui, se demande, parce que si la question m’était adressée, elle aurait été purement rhétorique), une dame à côté lui souffle « Kurt Masur », comme elle aurait lu sur le menu un plat particulièrement alléchant. Puis en stichomythie viennent la pianiste et les chanteurs solistes ; petit canon d’enthousiasme. Je ne connais évidemment aucun de ces noms, mais quelque chose me dit que ça promet d’être chouette, parce qu’ils font exactement la même tête que lorsqu’on m’annonce Aurélie Dupont et Nicolas Leriche en distribution.

En première partie de soirée, Elisabeth Leonskaja et l’orchestre nous ont joué le concerto pour piano et orchestre en la mineur (j’ai le programme sous les yeux, vous vous en doutez bien – mais avec un peu de chance, je vais retenir – il faut se rappeler qu’à une époque (pas si) lointaine (une décennie, quoi), je ne connaissais pas le nom des étoiles de l’opéra). Passé un petit accrochage visuel en observant la pianiste bientôt cramoisie marteler son instrument jusqu’à en faire ostensiblement trembler le couvercle, la vision cesse de m’être encombrante. Elle ne me détourne plus de la musique mais m’aide à l’entendre : pour une quiche très Van Goghienne dans mon genre, voir qui a l’archer à la main et quand soufflent les cuivres aide à les discerner quand ils jouent en même temps. Par exemple, un certain son rapide et récurrent s’associe très clairement aux brefs coups d’archer des contrebasses.
Cette espèce de collage visuel et auditif trahit évidemment d’où je pars. Ressurgit alors le charmant souvenir de l’année test de formation musicale pour les danseurs au CNR : je suis absolument infoutue de discerner clairement les instruments lors de l’écoute d’un morceau. Question d’entraînement, vous me direz – peut-être que d’aller au concert et de voir l’orchestre me permettrait de développer une mémoire auditive via la mémoire visuelle (aucun doute que c’est celle qui marche le mieux chez moi, je n’ai pas eu besoin d’attendre les inutiles et ennuyeux cours de méthodologie en 6ème pour le savoir, moi que ça dérangeait, lorsqu’on me faisait réciter mes leçons, que l’on ne tourne pas la page au bon moment, puisque j’avais à l’esprit l’exacte disposition des lignes écrites dans la page : cela me prouvait qu’on ne m’écoutait pas vraiment et que l’on avait donc pu laisser glisser des inexactitudes – imaginez un peu le drame. Non, vraiment, psycho-khâgneuse était presque zen à côté).
J’étais donc tout à fait ravie que l’orchestre ait été sorti de sa fosse – enfin par rapport à l’opéra, parce qu’au TCE, on utilise bien peu la fosse (que je n’avais donc pas même remarquée) : hors concert, on ne fait rugir les lions que bande enregistrée, ce qui nous a valu un enregistrement pourri pour certaines parties du gala des étoiles. Genre son repiqué sur un cassette audio de répétition. Et qu’on n’aille pas me dire qu’on ne trouvait pas d’autres enregistrements de Paquita. Bref ; je digresse beaucoup aujourd’hui (ou seulement plus que d’habitude). Pour revenir à nos moutons tous de noir vêtus (mais pas brebis galeuses, hein, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit), je dirai bien platement que le concerto m’a bien plu. On peut apparemment le réécouter sur radio France, même si vous ne verrez pas l’éclat des instruments sur le fond noir des tenues de concert, ni la main de la pianiste, qui se suspend en l’air après que la dernière note ait résonné, et qui reste là quelques instants avant que les applaudissements ne viennent la déstatufier.

Suivait en seconde partie de soirée Peer Gynt, dont je connaissais sans le savoir certaines parties – par conséquent, vous aussi : si vous ne me croyez pas, allez vérifier (écoutez le matin et ce qui se passe dans la halle du roi des montagnes). L’histoire de Peer Gynt est totalement loufoque, traversée de femmes après qui court le personnage éponyme à travers le monde ou encore de trolls qui courent après lui, de leur pas si léger mais tellement enthousiasmant. En bref, ça courrait en tous sens, et cependant virevoltaient les archers. Après, ne me demandez pas pourquoi le récitant, Eric Génovèse, avec son visage tout lisse et pourtant exceptionnellement expressif, me faisait penser à une grenouille de dessin animé. Peut-être était-ce à cause de ses mimiques impayables, lorsqu’il mimait la frayeur de son personnage, ou qu’il attendait son tour de parole, assis derrière son pupitre, battant la mesure du pied droit, le visage réjoui levé vers le plafond, comme si la musique était un lâcher d’oiseaux qu’il regardait s’envoler. Ce n’est pas pour rien qu’il sort de la Comédie-Française. Sa diction répondait avec vivacité à la musique et s’y accordait parfaitement dans les moments où texte et musique se chevauchaient.
La part qu’occupent récitation, musique et voix (en même temps, sauf un passage du chœur a capella) varie sans cesse, et le « mélange de verve, de truculence et d’ironie », pour citer le programme and cut it short, était des plus réussis. On se laisse complètement emporter par cette histoire abracadabrante, dont on perd d’ailleurs vite le fil, soulevés par la musique qui s’enfle –j’adore quand la mer des archers devient houleuse. Y’a pas à dire, je me suis éclatée les mains en applaudissant. Saluts à n’en plus finir, et on repart jusqu’au rer comme de sales petits trolls.