[Je ne pouvais décemment pas prétendre avoir la passion de la finesse.]
Qu’on n’aille pas me faire croire que le travail intellectuel est déconnecté des passions, c’est peine perdue, je ne vous croirai pas. D’expérience. Il suffit de voir dans quel état de nerfs me met un DS. La distinction intellectuel/passionnel ne vaut que pour faire la part des choses, la cerise sur le gâteau, somme toute – qui comme toute cerise sur un gâteau est décorative, inbouffable qu’elle est – les innombrables couches de sucre parviennent à vous faire douter qu’il y ait bien eu un fruit à l’origine. Le gâteau nommé désir DS est fait de couches successives de dures pensées et de passions crémeuses, i.e. écoeurantes. Qu’on réussise à l’avaler ou qu’il y ait massacre à la petite cuillère, les nerfs sont toujours à vif.
Ecoeurée la semaine dernière, j’ai vomi toutes les notions philosophiques que j’avais ingurgité la veille, dont je m’étais saoulée jusqu’à tomber de sommeil. Le coma éthylique n’a pas porté conseil, puisque la crise de nerf a éclaté le lendemain, puérile et certainement agaçante pour ceux qui se sont tant bien que mal mesurés à « A quoi peut-on donner un sens ? ». Ma réflexion sur le sujet a rapidement buté : à quoi peut-on donner un sens ? Certainement pas à cette dissertation, à moins d’y voir l’expérience de la misère, certes non pas humaine, mais assurément khâgneuse. Malgré tous les efforts de la Bacchante pour me calmer – chocolat chaud compris- j’ai rendu copie blanche. Et vérifié à cette occasion combien cette expression est inappropriée, puisqu’on ne rend pas même une feuille blanche. La conscience étant le pire invention qui ait jamais été intentée, j’ai refait ou plutôt fait ladite dissertation le dimanche après-midi. A suivre. Comme un mauvais feuilleton.
Forte de cette expérience, j’ai dîné fort légèrement hier, grignotant jusqu’à une heure peu avancée dans la nuit (mais dans la nuit tout de même étant donné que la nuit tombe à cinq heures – oui, la chute fait mal) des tartines de citations que j’ai aussi élégamment que possible vomi sur ma copie ce matin. Le gâteau est donc très bien passé –mais non pas dans l’indifférence. J’étais survoltée. L’enivrement n’était en rien causé par le parfum de mon voisin, mais par l’enchaînement des idées. Surexcitée comme une puce, je suis allée à sauts et à gambades, de Proust à Montaigne. Cette fois-ci, personne ne jouait une cacophonie de larmes sur mes nerfs, c’est moi qui tenait l’archet – et je puis vous dire que mes sauts et gambadages (Word est un ignare qui me souligne « gambadages » – n’a-t-il donc jamais vu le sketch de Gad Elmaleh ?) ne trahissaient en rien la danseuse qui sommeille en moi. Grosse caisse et compagnie ; ça finit en fanfare : « « Les beaux livres […] écrits dans une sorte de langue étrangère » dont parle Proust ne peuvent être que ces éditions de luxe richement reliées que collectionnent sans les lire les gens qui sont bibliophiles à défaut d’être littéraire. » Et ça m’amuse.
La conclusion devrait en bonne logique être en rapport avec le début de l’article et vous confirmer que les DS du samedi matin attaquent pensée et passion sont indissociables CQFD. Mais, ainsi que vous venez d’en faire l’expérience, mes conclusions sont rarement exactement dans la droite ligne du sujet. C’est comme un trait d’eye-liner, il faut finir par une virgule. Je vous dirai donc, citation à l’appui (toujours se garder une petite citation sous le coude pour finir – ici il suffit de le lever pour la délivrer) : la vérité n’est pas, comme Rabelais le pensait, « au fond de la bouteille », mais dans le sandwich nutella-chocolat. [Pour plus de détails sur ce qui s’est miraculeusement substitué à l’orthodoxe sandwich au fromage, laissez vos cris affamés en commentaire].