J’ai passé une majeure partie de l’après-midi en position de travail, au soleil. N’allez pas croire à une folle frénésie de bachotage pré-concours. Même entre guillemets, des « vacances » résistent et demeurent en partie ce qu’elles devraient être. Assise sur le blanc en plastique devant la maison, des photocopies de Kant sur les genoux, un stabilo à la main et des lunettes de soleil sur le nez, tout va bien. Kant est même compréhensible : la Métaphysique des moeurs ne s’est pas encore envolées dans les trop hautes sphères des idées kantiennes, où je suis sûre que les noumènes ravis de se payer ma tête et ses neurones grillés à point partagent sans distinction aucune leur hilarité avec la raison théorique pratiquement impraticable. La motivation n’a cependant pas été la seule à être chauffée par le soleil. Le trafic aérien est intense et la tour de contrôle est une véritable ruche – ça bourdonne sec dans le pot de fleurs à ma gauche. Hormis un simili de crise cardiaque pour cause de surgissement de bestiole non identifiée en plein bonheur-qui-n’est-pas-l’enjeu-de-la-morale, la concentration régnait. La tâche est devenue un peu plus difficile lorsqu’on est passé au niveau supérieur dans la taille des bestioles. Un proverbe dit que lorsque l’on veut la meilleure place, il faut déloger le chat. Or j’étais visiblement à la meilleure place. Donc, en bon syllogisme, vous ne conclurez pas que je suis un chat, mais que naturellement, le chat est venu me déloger. Comme j’ai une stature exceptionnellement développée pour une souris, le chat n°1 a d’autorité siégé sur mes genoux et a valeureusement défendu sa nouvelle conquête. En parfaite sentinelle, elle n’a pas arrêté de bouger. En parfaite guerrière, elle a tenu à ce que je me présente à tout instant les mains vides et partait après les fuyardes dès qu’elles menaçaient de s’emparer du trieur voisin. Sur ce, cet espèce d’ours qui est officiellement reconnu comme un bouvier bernois s’est mis en devoir d’exprimer au monde entier (sous forme de la monade de la maisonée) sa jalousie. Liberté d’expression oblige. Le chat n°1 a fini par regagner ses pénates et sa descendance, j’ai nommé deux boules de poils officiellement reconnues comme des chatons de quelques jours. Je suis passée à le lecture de Machiavel. Il s’est rapidement avéré que j’aurais dû faire appel aux dieux et non à leur fraction- demi-dieu philosophique : dès que Pascal a été glissé en haut du trieur à l’ordre du jour, le chat n°2 a sauté sur la feuille et l’occasion. Impossible ne serait-ce que de souligner quelque heureuse formulation. Le moi égoïste du chat qui se fait le centre de tout a repris le dessus. Il a essuyé son trop-plein de poils sur mon pantalon, et une fois qu’il y en avait plus que de pages à réviser avant le concours, il est reparti avec son intérêt bien compris. J’ai continué, mais laissez-moi vous dire que l’effroi du silence des espaces infinis dans la campagne riante, c’est une vaste blague. Chien, chat, mouches, (les escargots sont silencieux, une chance), tondeuse, éclats de rire et de soleil – et au milieu de tout cela, le bon sauvage qui me fait un pied de nez. Rousseau ma chèvre m’achève.
D’ailleurs, pour persister dans le commentaire-citation, Valéry disait bien que les ennemis des livres étaient les mêmes ennemis que les hommes, à savoir « le feu, l’humide, les bêtes, le temps, et leur propre contenu. »
Testé et approuvé, apparemment.
DES PHOTOS DES PHOTOS ! ! !
Apparemment, les chats n’aiment pas l’aluminium : il te faudrait donc confectionner une tenue de révisionnaute tout en alu ! Essaye toujours…
Juliette >> Et leur propre contenu… Ca me plaît bien. J’ai l’impression de rentendre mon prof de philo : « L’enfer est pavé de bonnes intentions »… « Sartre aurait dû s’écouter ». Sans compter le prof d’histoire qui ne peut pas le voir en poly – il faudrait que je fasse un relevé des épithètes homériques dont il l’affuble. ^^
zED >> J’ai beau avoir lu Ronsard au soleil, je ne me sens pas d’humeur à faire la fleur sous serre. Et puis, à transpirer dans l’alu, ça risque de ne pas sentir la rose.
Et puis des photos… comme si la campagne devait m’inciter à faire des photos. Un petit meurtre, à la rigueur, avec l’ébullition de neurone qu’il provoque chez certains… Non, non, tu parles à une citadine convaincue qui déteste les bestioles. Des photos, il y en aura, mais elles ont été importées avec la carte mémoire de l’appareil depuis Versailles – et il faut encore que je déniche un câble.
Cela aurait pu être pire : tu aurais pu choper un coup de soleil (insolation + Kant = dégâts irréversibles)
« surgissement de bestiole non identifiée en plein bonheur-qui-n’est-pas-l’enjeu-de-la-morale ». Je trouve cette formulation heureuse. Les révisions au soleil, ça passe, mais les versions au soleil, beaucoup moins malheureusement. Déjà, il faut transporter tout le matériel de guerre. Cependant, ta description des parasites de jardin est fort complète. J’y ajouterai malgré tout les cris des enfants des voisins…
Pitou G >> Ne parlons pas de malheur !
Inci >> De l’avantage de la campagne en Dordogne où la manifestation sonore la plus prégnante de vos voisins est le tracteur. Mais depuis que j’ai réintégré mon balcon versaillais, effectivement, j’ai périodiquement les cris des mômes… et les odeurs de barbecue qui viennent me narguer.