Un peu sèchement

À Covent Garden, afin d’éviter les quintes de toux dans le public, le théâtre propose des petits bonbons pour la gorge. À la Philharmonie, depuis cette semaine, on vous confisque vos bouteilles d’eau. Je ne parviens même pas à en vouloir aux tuberculeux de service lorsqu’un passage ténu d’Ainsi parlait Zarathoustra est complètement gâché par des toux, pire que les grésillements et les taches d’un vieux film à la pellicule piquetée : je suis furax envers ceux qui ont décidé cette nouvelle norme de « sécurité », totalement absurde. Vous me direz, on en a l’habitude dans les aéroports. On s’y est plié. On finit sa bouteille avant les contrôles, on pisse avant l’embarquement, et Palpatine cite Surveiller et punir quelque part entre les deux. Il y a dans les aéroports un cérémonial, un je ne sais quoi d’officiel, la douane, la police, qui m’ont toujours empêché de questionner cette autorité. Je jette ma bouteille d’eau, point.

La Philharmonie, en revanche, respire l’amateurisme – malgré la compétence du personnel présent, qui fait de son mieux avec ce nouveau lieu. Jeudi dernier, quand je suis arrivée à la Philharmonie devant des tables couvertes de bouteilles d’eau de toutes tailles et toutes marques, assemblement digne d’une installation d’art contemporain (parce qu’évidemment, aucune poubelle n’avait été prévue), l’absurdité et l’arbitraire de la mesure m’ont sauté aux yeux. Tiens, aujourd’hui, on confisque les bouteilles d’eau, comme ça (les clémentines aussi, manifestement – trop juteuses, sûrement) !

Si la mesure a pour but d’éviter l’introduction de liquides dangereux, il devrait suffire de boire à sa bouteille devant le vigile. J’ai tenté et me suis fait rembarrer. L’interdiction des bouteilles d’eau pourrait être un souhait de la direction, pour éviter les pschit en plein concert, par exemple. Mais alors, la logique la plus élémentaire voudrait que les bars n’en vendent pas.

Cette nouvelle mesure confiscatoire est d’autant plus scandaleuse que l’eau n’est pas potable à la Philharmonie et, que pour vous éclaircir la gorge à l’entracte (ou prendre un médicament, ce qui arrive fréquemment à l’heure du dîner), il vous en coûtera la bagatelle de 3,50 € – pour une bouteille de 50 cl. Et moi qui songeais qu’installer des bonbonnes d’eau aurait été un geste élégant en attendant l’assainissement des tuyaux ! La direction a d’autres chats à fouetter, vous me direz. Oui, c’est sûr. Confisquer les bouteilles d’eau pour augmenter leur chiffre d’affaires, par exemple – ce qui est in fine la seule explication rationnelle. Que cela soit effectivement le cas ou non (je soupçonne qu’il n’y ait rien de rationnel là-dedans, seulement de la bêtise), c’est contre-productif : peut-être pas dans l’immédiat, mais à moyen terme. Ce sera l’absence d’une petite goutte d’eau qui fait déborder le vase. Je suis curieuse de voir, vraiment, quel sera le taux de remplissage de la salle l’année prochaine.

J’aurais bien fait un scandale sur place, mais je suis câblée de telle sorte que, lorsque je m’énerve, je finis par me mettre à pleurer, ce qui n’est pas un excellent vecteur d’indignation. J’ai donc fait demi-tour et planqué ma bouteille au fond de mon sac de Mary Poppins. Inutile de dire que, tant que l’eau ne sera pas potable, je continuerai à venir avec ma bouteille d’eau. Et si on me dit quelque chose, cette fois, préparée, je ferai très calmement un scandale.

 

(J’étais partie pour faire un compte-rendu du concert… qui aura le droit à une chroniquette bien à lui, parce que ce genre de considération ne devrait pas nous gâcher le plaisir.)