Victor Hugo

[Faites place, misérables ! vous êtes faits comme des rats.]

 

Oxymore ?

                                                                     Oxymore mot/chose ? 

           Le nom est posé, dans toute sa lourdeur. Hugo, deux barres plantées dans le sol ; l’édifice est immuable. Je ne sais plus quel auteur étudié en première comparait cette initiale aux tours de Notre-Dame. On fait dans le monumental. Dépassé la fausse confession à la Rousseau, nous ne sommes pas des sauvages. Ni des bons d’ailleurs. Dépassé le drame en trois actes de la vie de Chateaubriand. D’autres –eaux ont coulé sous les ponts. Hugo est prêt à entrer en Seine. Paris, ville de Victor Hugo, avec sa rue à son nom et de son vivant s’il vous plaît. La troisième République veut en imposer. Cela n’a pas été pour arranger l’ego d’Hugo, qu’il avait déjà démesuré. Imaginez le courrier : Moi, rue Moi. Paris. * Paris, la ville lumière. Paris, capitale du Progrès  – allez savoir pourquoi, le progrès est majuscule, c’est un ami d’enfance à Totor. Paris, ville des révolutions. Paris (si j’arrêtais le chauvisisme et que je me mettais à crier New York ?), terrain de jeu de Gavroche. Paris et son double souterrain, les égouts. Vous connaîtrez tout sur les égouts – un livre entier dess(o)us- et vous apprendrez tout le respect que vous devez à Bruneseaux  (il était prédestiné, le pauvre misérable). Paris, ville des misérables, en un mot comme en cent. Mais plutôt en mille.

      Les Misérables. La majuscule est posée ; ça y est, vous pouvez vous étrangler en toute légitimité. Une bagatelle de 1600 pages en deux volumes. Ce qui est vraiment énorme, c’est le culot démesuré de l’auteur qui prend toute sa place. Et tout son temps. La parenthèse devient digression et la digression devient dans le meilleur des cas un chapitre, au pire, un livre. Le livre septième de la deuxième partie s’intitule d’ailleurs « Parenthèse » et vous rappelle la couleur : « Ce livre est un drame dont le premier personnage est l’infini. L’homme est le second. » C’est formidable. Pas de raccord en biais à l’histoire, non. Le grand H. a tranché : car tel est mon bon plaisir. Une parole royaliste. Mon Dieu ! Le pauvre doit se retourner dans sa tombe. Il fallait dire : car telle est la marche de l’histoire (avec H.). Jean Valjean descend dans les égouts ? Attendez, attendez, ne prenez pas la fuite si vite. Je vais vous faire visiter les égouts. Et pendant un chapitre, le pauvre Jean Valjean se tient dans la puanteur. Pas étonnant qu’on le retrouve éreinté, à porter Marius sans connaissance. C’est lourd un homme. Que dis-je, un homme ? Un être humain, une conscience, une particule du Progrès ! Et là, vous voilà reparti pour une tirade. N’attendez pas la réplique, nous ne sommes pas au théâtre ; Hernani végète dans l’ombre des catacombes. Le discours hugolien se reconnaît de loin à ses rythmes ternaires, à son grondement, à son renflement, à ses formules assassines et à ses métaphores terribles. Hugo aime les mots. Pourquoi choisir et devoir en faire mourir quelques-uns ? A la suite ! À la queue le le ! En rangs… non pas deux par deux, trois par trois. Pourtant, ils sont pesés. Pas de doute la dessus, le volume tient bien en main. Tous ont le droit de cité parisienne. La voix au chapitre est royale, même et surtout pour l’argot. Kéceksa ? Très amusant. Et puis il y a du monde, ça grouille, un momacque, une guenille, un mioche, une misérable, un forçat, une poupée, un éléphant… Il y a à boire et à manger. Sauf sur les barricades, où vous ne mangerez que de la poussière. Le Progrès de l’Humanité a ce goût amer, sans (bi)tume.
       Résister et tenir tête. Mourir pour ses idées et vivre pour épargner. Hugo aura vécu ses idées mais meurt sans nous  épargner. Et pourtant… même si l’œuvre assomme tout d’abord, son poids finit par se caler bien en main. On suit tout ce petit monde, pas bien sûr au début de la direction. On se perd dans le dédale des pages et des rues de Paris, puis on se retrouve. Retrouvailles formidables et grandioses de pauvreté. L’oxymore ne fait pas peur. Les mots sont des armes, on se joue des balles à la plume. Barricadé dans la littérature, table renversée et mains tachées, le combattant nous jette de la poudre aux yeux. Le mélange est détonant, il va exploser dès que vous l’aurez dépoussiéré. Non, décidemment, ce n’est pas en vain que de sa barricade le génie lance son pavé.

A vos armes. Prêts ? Lisez !

[A vos livres, citoyens…]

*    passage copyrighté de notre cher professeur d’histoire.
**  (ne cherchez pas les deux ** dans le texte, c’est un passage bonus) Même la chute est grandiose. Rien de simple. « […] faire la part de l’immense infériorité de l’auteur d’Hernani » Cette part, c’est la cerise sur le gâteau. On n’en attendait pas moins.

6 réflexions sur « Victor Hugo »

  1. Ta critique est passionnante et passionnée – d’ailleurs, je m’en contenterai. Je n’ai absolument pas le courage de me replonger dans ce livre, et de toute façon la lourdeur réelle mais encore plus virtuelle de l’ouvrage ne me permettrait pas de l’emmener dans mes bagages.
    Toutefois une fois arrivé au bout de ces justes remarques sans longues disgressions la question demeure : sur un plan non littéraire et simplement goûteux as-tu aimé ou non cette lecture?

    1. Je ne l’ai pas commencé… D’ailleurs, je n’ai que deux tomes sur trois… Pour celui qui comparait le H avec Notre-Dame, ce n’est pas Pérec? Cela me rappelle sa grande hache… Souvenir écran?
      Il faut que je le lise… Je vais le lire… Je le lirai… Peut-être…

    2. >> Dre. Oui ou non, ce serait trop simple. Mais si on omet quelques descriptions du positionnement des troupes à Waterloo, des égouts de Paris, quelques niaiseries amoureuses de Marius et des dithyrambes sur le Progrès ainsi que le fait que ce fût une lecture « obligatoire » (ce qui énuméré fait beaucoup mais qui sur le volume représente en fait peu de choses), ce fût fort goutu. Mais même en étant morfale, je suis rassasiée.

      >> Inci. Possible. Possible. Peut-être Perec. Peut-être vas-tu le lire. ^^ Chin up !

      >> Aleks. Mais pas de problème, nous avons tout notre temps (… de compté). ;-p

    3. J’aurais honteusement honte à ta place de m’envoyer sur cet article en sachant que je sors d’une lecture éprouvante, pour me donner envie de me replonger dans un enfer hugolien délicieux. Surtout que j’ai revu les briques hier soir, et 900 pages * 2 c’est pas fait pour me convaincre (ça fait environ 3 fois Notre-Dame, j’attendrai donc d’avoir 3 fois plus d’expérience pour le lire).

    4. Qui m’a fait rire alors que j’avais mal aux abdos, hein ?
      Comme ça, tu n’enverras pas le délicieux enfer hugolien dans les Enfers des bibliothèques.

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