Another Year, un autre verre

 

Les banlieusards londoniens de ce film boivent beaucoup ; mais alors que le thé fait pisser, il semblerait que le vin fasse pleurer. In vino veritas, les personnages sont forcés de se rendre à l’évidence : ils sont saoulés par leur vie.

De la cinquantenaire paumée qui s’habille comme une ado bohème (ma grand-mère avait une amie comme ça, rachitique, déprimante, habillée chez Lulu Castagnette) et fantasme sur le fils d’un couple d’amis, au gras et gros buveur de bière qui s’est laissé aller et colle (forcément, il sue comme un bœuf) la précédente qu’il dégoûte, Tom et Gerri n’ont pas trop de leur force toonesque (recommencer après s’être pris une enclume sur la tête) et de leur tranquille bonheur (« il faut cultiver son jardin », même si c’est un lopin de terre à l’autre bout de la ville) pour repêcher leurs amis et ne pas couler avec eux.

Petit à petit, on découvre que leur sérénité de psychologue radieuse avec ses bajoues tombantes et de géologue aux yeux doux et brillants tient aussi à un nécessaire détachement ; sans leur tourner le dos, ils cessent de soutenir des amis qui n’essaient même plus de se soutenir eux-mêmes et se complaisent en parasites. « Mary, you have to understand one thing : it’s my family ». Si la maison est toujours ouverte, c’est aussi pour pouvoir (s’) en sortir. A bon entendeur, salut. Justement, la dernière scène fixe Mary tandis que les conversations s’estompent autour d’elle : ce n’est pas qu’on ne lui parle plus, c’est qu’elle n’a pas su entendre. Et là, il y a fort à parier qu’elle se sent de trop.

Une autre année s’est accumulée au passé pour Tom et Gerri ; et avec elle, quelques kilos et indélicatesses de trop. Dans ces temps qui précèdent la mort et la côtoient, on ne veut plus s’encombrer et le spectateur qui l’a compris en une ou deux saisons (le découpage « naturel » est à la mode) craint que l’automne et l’hiver ne soient un peu long ; il est trop tard pour ceux qui n’ont pas appris à vivre, trop tard pour accepter de vieillir. Bons vivants et good-cookers, Tom et Gerri empêchent le spectateur de déprimer avec les dépressifs et incarnent une vieillesse que ne hante pas le dépérissement – radieuse avec des bajoues, je vous disais de Gerri, plus hamster que souris.

Bien qu’ils n’aient pas de but ou peut-être précisément parce qu’ils n’en ont plus, ils n’errent pas ; n’avancent pas non plus mais (raison d’une certaine pesanteur, certes jamais lourde) résistent à la régression, dans leur forteresse du bonheur domestique/é. Même si leur vie est un peu en sous-régime intellectuel à mon goût, il ne faut pas chercher la décrépitude chez eux ; à la limite, ce serait plutôt l’immaturité chez les jeunes, d’ailleurs peu nombreux et pas si jeunes (aucun enfant n’est à déplorer). Le renversement qui rend les jeunes minoritaires a quelque chose de réconfortant dans notre société de jeunisme (passée la surprise du décalage : dans le Sud hors vacances scolaires, à ne voir que des têtes grises, on se croirait à la matinée des Guermantes).

Long, mais bon (…)