En vacances @ les escargots

       Je sais bien que votre dernier contact avec un escargot se résume à l’usage d’une arobase, si vous travaillez cet été – ou que vous glandez de façon éhontée. A l’ami de Bob l’éponge si vous êtes jeune fille. Si l’on creuse un peu, à la douzaine de Noël. Lointaine la bestiole. Je suppose que vous n’avez jamais songé à la façon dont ça s’élève – d’ailleurs le mot même fait paraître l’image ridicule d’un escargot qu’on tenterait d’apprivoiser comme le renard du Petit Prince. Vous allez donc aujourd’hui pouvoir combler cette lacune, grâce à ce compte-rendu d’apprentie hélicicultrice (qui n’est donc pas un collectionneur d’hélice, pas même d’hélices de platane, vous savez, le truc que les gamins se mettaient sur le nez quand, déjà petit, vous fronciez le votre d’imaginer tous les microbes qui grouillaient là-dessus). Je le sens, vous en bavez déjà d’envie.

 

Bienvenue à escargoland

        Des parcs avec des clôtures qui vous arrivent à genoux : l’adversaire n’a pas l’air bien redoutable. En vue, rien d’autre que des planches et des plantes entre les planches. Mais si vous soulevez une planche, vous découvrez en dessous, sur ladite planche, tous les escargots agglutinés comme des moules à un rocher, et pouvez ainsi imaginer à quoi ressemblent les parcs lorsque de nuit les envahisseurs colonisent le dessus des planches. Rajoutez un doux bruit de succion, nous y voilà.

 

L’escargot vous en fait baver

       La fourberie de l’animal n’a d’égal que sa petitesse.

Visualisez un escargot au beurre d’ail.
Bien.
Cette petite chose a été ramassée, ébouillantée, décoquillée à l’aide d’une pique, dépourvue de ses intestins, blanchie (là il faut préciser que l’escargot en train de cuire exhale une odeur redoutable, une sorte de pot au feu olfactif où les inoffensifs navets ont été remplacés par des choux de Bruxelles et des champignons – à côté l’haleine aillée est mentholée) , replacée dans une coquille et étouffée de beurre d’ail, qui a lui-même requis d’ébrancher le persil, éplucher l’ail et les échalotes, mixer le tout avant de malaxer à le main le beurre auquel on vient d’ajouter cette mixture, avant d’être une nouvelle fois passé au four. Vous avez votre escargot. Il vous en reste 199 999 à préparer – moins quelques pertes qui ont péri en croustillant sous de légers pas éléphantesques. 199 999 donc. Pas de mécanisation, tout se fait à la main, coquille par coquille. Mais non, voyons, vous ne tournez pas en rond. En spirale. C’est un cercle vicieux qui se déroule peu à peu.

 

Escargotier : barbarisme paternel un brin ironique que je reprendrai pour ma part comme n.m. celui qui joue à être héliciculteur. Que la découverte de l’élevage de l’escargot peut être fun. On parie ? faites vos jeux !

 

Le décoquillage est un jeu d’adresse permettant de satisfaire vos pulsions sadiques. Après avoir pourfendu votre ennemi d’un adroit coup de pique à escargot (moins noble que la lance, j’en conviens, mais un bon soldat sait adapter ses armes à la situation), vous le tirez à vous et le contraignez à dévoiler son intimité honteuse. Vous l’attrapez alors à pleine main et l’étranglez de telle façon que vous finissez par l’étriper. C’est gore, c’est gluant, ça pue : c’est très drôle. Le jeu consiste à ce que la bestiole ne prenne pas la fuite : entre les gants qui glissent sur les mains, la coquille dont la forme sphérique a tendance à favoriser l’éclipse et la chaire elle-même toute lubrifiée de bave, ce n’est pas coton mais savon. D’autant qu’il faut prendre garde aux attaques. Même mort. Surtout mort. J’ai rendu les armes à cause d’un jet de bave jaunâtre sur moi. Jeu suivant.

 

Bataille de polochon, sans polochon mais le but reste le même : l’étouffement (des escargots sous le beurre d’ail). Comme pour le jeu précédent, vous êtes au laboratoire , avec une blouse blanche (l’habit ne fait pas le moine, mais le savant fou, tout de suite plus), des gants de chirurgien (pratiquant une chirurgie extrêmement réparatrice si très peu esthétique) et une charlotte sur la tête (tout de suite, on se sent beaucoup plus chef de cantine – chers escargots vous allez déguster). On gratte le beurre de sa patte blanche et on le tasse dans la coquille où l’escargot a été préalablement replacé. C’est le moment de remarquer avec stupéfaction que l’escargot ne saurait être dans sa coquille. Certains héritent d’une demeure cossue tandis que d’autres se trouvent un peu à l’étroit – une redistribution sociale tout ce qu’il y a de plus arbitraire. Vous voilà au niveau supérieur du jeu précédent : à vous de beurrer les escargots sans avoir l’air de l’être, vous. C’était l’atelier pâte à modeler gluante.

 

La marchande. On oublierait presque que ça se vend. Parce que les gens n’ont pas préparé l’escargot, voyez-vous. Ils ne distinguent qu’un petit tortillon dans une mer de beurre. Alors, pensez, six euros, ça leur paraît la mer à boire, justement. Mais les gens en mangent. Les étrangers aussi, quoiqu’après moult tergiversations. C’est au milieu desdites tergiversations qu’on intervient. On propose de goûter un esc’apéro, la tapas de l’héliciculteur, marinée dans de l’huile, de l’ail, du persil, à déguster derechef avec un petit bout de pain. On explique le la mousse, c’est comme du Philadelphia, sauf que ce n’est pas du fromage, mais de l’escargot au beurre d’ail tout mixé (garanti sans coquille) et prêt à tartiner. Non, on ne peut pas vous faire goûter les confits d’escargots, là, ça va être dur. Non, monsieur, nos escargots n’ont pas une sale gueule, ce que vous voyez là est une assiette de démonstration en plâtre peint (comment osez-vous contestez la fibre travaux manuels de mon paternel ?). Les vrais sont congelés. Vous en prendrez une douzaine ? en coquille ou en croquille ? non, non ce n’est pas une faute d’impression, il y a bien un r. Ce n’est pas non plus pour faire poissonnière de marché. La croquille, c’est comme l’escargot que vous connaissez, même recette, sauf qu’il n’est pas dans une coquille mais dans une pâte qui se mange- un petit four quoi. Quand une personne s’aventure à acheter l’un de ces produits, le jeu est à son comble : je suis une fausse marchande avec des vrais billets. Et la p
uissance de calcul mental d’une khâgneuse en vacances
. Comment ça, j’ai oublié de rendre un billet de 10 ?

 

Psycho khâgneuse is back

      L’ennui guette. Pour détourner l’attention de ce redoutable espion, je me livre à toutes sortes d’activités allant de l’écoquillage d’escargot à la lecture d’un ouvrage de philosophie.  Je vous réserve mes découvertes d’héliciculture pour une autre fois et passe directement Du monde clos à l’univers infini de la bibliographie philosophique estivale. Je ne compte pas vous faire un exposé sur le bouquin lui-même, vous êtes tout de même en vacances (ou pire en vacances studieuses ou laborieuses) et j’en serais de toute façon incapable – Vade retro, satanée fiche. En fait, je me disais juste que ce que j’adore, c’est la mauvaise foi des philosophes. Toujours à s’envoyer des piques et à pianailler sur le vocabulaire pour ne pas admettre que la thèse de leur adversaire est plus juste. Alexandre Koyré, sans vraiment faire exception à la règle en est néanmoins conscient, et c’est doublement délicieux pour le lecteur qui, en plus des formulations dudit Koyré, a droit à quelques formulations malheureuses heureusement soulignées (des auteurs qu’il cite). Du coup, outre les traditionnels encadrés, soulignés, traits dans la marge et autres vaguelettes un peu lassées, il prolifère des petits ^^ amusés. Quelques extraits pour le fun (il y en a d’autres, mais 1° je ne les retrouve pas 2° je suis loin d’avoir fini le livre):

« Giordano Bruno, j’ai le regret de le dire, n’est pas un très bon philosophe. »

A propos de Gassendi : « c’est un esprit assez timoré »

A More, Descartes répond « sur un ton étonnament moderé et courtois ».

Mon préféré, c’est tout de même la prise de position (qui est en fait une belle esquive) de Descartes sur un problème épique de l’époque relatif à la finitude ou l’infinité du monde, à savoir ce qui se passerait si une épée traversait la paroi du bout de l’univers (presque aussi tordu que l’histoire du cube d’Aristote dans le vide). En gros Descartes répond que cette supposition est idiote parce que cela revient à considérer le « vide » comme un espace et à plaider pour l’infinité. Commentaire de Koyré : « Il est rare qu’un philosophe réussise à en persuader un autre : inutile de dire que More ne fut pas convaincu. »
Je me suis prise à rire (pas à sourire, non, à rire) à celui-ci. Et je me suis dit que finir par se marrer pour de tels trucs, assise dans une chaise longue, c’était a little bit flipping. Psycho khâgneuse is back !

Back², même :
 *interruption des programmes due à un pote de mon frère qui ne peut plus faire redémarrer sa mob et, ayant la chance inouïe d’avoir le permis, je suis bonne pour le ramener at home*
*ayant la chance inouïe d’avoir un papa qui a oublié de m’assurer pour la conduite de sa voiture, l’interruption aura été de courte durée*

La Jeune Fille à la perle

        Celle de Vermeer, évidemment. Celle du film, comme une évidence. L’évidence du mystère. Le film nous présente en effet une genèse du tableau, mais une genèse imaginée à parti du tableau lui-même, si bien qu’il est moins une explicitation du tableau que la mise en scène de son mystère.
 

 

            Jamais l’histoire ne tombe dans la minutie fastidieuse d’une reconstitution historique, ni dans le cliché romanesque. Griet, entrée comme bonne au service de la famille Vermeer est bientôt remarquée par le peintre pour la sensibilité qui perce sous son effacement presque mutique. Il y a la vieille bonne qui la rabroue un peu mais discute avec elle et la met peu à peu au courant des affaires de la maison ; la maîtresse de maison un peu sèche et sa sale gosse, mais aussi le peintre qui la prend sous son grenier d’atelier sinon sous sa protection ; le mécène pervers qui souhaiterait être peint avec Griet pour lui en faire voir de toutes les couleurs, mais aussi Vermeer qui s’y oppose, sans pour autant que ce maître d’œuvre soit maître en toute choses. Il n’est pas vraiment libre de faire ce qu’il veut, ligoté qu’il est par les commandes que lui passe son mécène et qui doivent lui permettre de faire vivre sa famille.

            Dans cette palette en demi-teintes, une étrange relation se tisse entre Vermeer et Griet. Le premier devine par instinct l’intelligence et la sensibilité de a seconde qui, émerveillée, demeure en admiration devant les tableaux. Pourtant la confiance tacite qui s’instaure (Griet se place sous sa protection, Vermeer lui confie le soin de la préparation des couleurs, tout aussi précieuses que difficiles à obtenir) n’est pas entièrement dépourvue de défiance. Pas de méfiance que le qui-vive. Une défiance latente qui fait parfois sursauter Griet lorsque le sensible glisse vers le sensuel. Lorsque Vermeer applique ses mains sur les siennes afin de leur imprimer le mouvement juste pour broyer le pigment. Lorsque appliquées tous deux, côte à côte, à la préparation des couleurs, Vermeer suspend son mélange et le gros plan de la caméra sur sa main fait ressentir l’absence d’un mouvement qui aurait pu se produire – tressaillement désireux de couvrir la main figée de Griet.

Vermeer a bien des gestes tendres et sensuels pour celle qu’il choisit secrètement pour modèle, se met dans une rage folle (mais froide) lorsqu’elle est accusée à tort d’avoir dérobé un peigne en corne, et lui fait don à la fin des perles qu’elle a portées pour poser, mais jamais le désir n’est entièrement contenu dans le registre physique. Il y a pour cela les taquineries de la vieille bonne sur les rêveries de Griet qu’elle suppute orientées vers le jeune boucher, amoureux puis bientôt amant de la petite bonne. Il y a pour cela le mécène lubrique. Il y a pour cela les pleurs de sa femme jalouse qui ne peut pas comprendre et que Vermeer doit néanmoins accepter. Il y a pour cela d’ingénieux contrepoints. Le désir (longing)  qui baigne Griet et Vermeer est aussi dense et nuancé que la lumière de ses tableaux – aussi délicat et réel. Le désir de l’art, peut-être.

 

 Tout le film est là pour nous y rendre sensible. A travers sa propre mises en scène, ses éclairages étudiés, son cadrage, son montage. A travers également des indices égrainés comme les cailloux du petit poucet. On ne cherche pas en effet à entrer par effraction dans l’esprit du peintre (et tout juste l’ose-t-on dans son atelier) : celui-là est toujours en retrait, comme pour signaler que l’on a affaire au personnage social et que l’artiste doit être cherché autre part, dans ses tableaux. On nous fait bien plus entrer dans le monde de Vermeer, suivant le point de vue émerveillé de Griet. Le spectateur ré-apprend l’étonnement et la surprise devant des toiles qui ont finit par s’incruster aux décors publicitaires. Comme Griet, on découvre sans jamais apprendre la couleur des nuages (blanc ? du jaune, du bleu et du gris), l’élaboration d’un tableau (par aplats successifs de couleurs, comme des calques sous Photoshop), la matière des couleur (le préciosité du bleu en lapis-lazuli), la composition et l’importance que peut prendre une chaise ou le reflet essentiel qu’introduit une perle dans le coup d’un portrait.

           

        La perle : cet élément indispensable dans la composition du maître l’est tout autant dans celle de l’intrigue. Entre l’esthétique et le social, elle réunit dans sa boucle le portrait et le bijou (appartenant à la femme du peintre, qui ne doit rien savoir de cet emprunt) et murmure à l’oreille du spectateur des vagues inaudibles mais cependant assez nombreuses pour composer peu à peu l’arrière-plan de tout une époque. Et au-delà de leur dédoublement réel-représenté dans le moment de la peinture, ces perles sont également, lorsque, renvoyée, Griet les reçoit néanmoins en souvenir, le trait de (dés)union entre la simple bonne qu’elle demeure et l’univers bourgeois qu’elle a côtoyé, à qui semblait réservé le privilège de la peinture, lors même que d’autres auraient été plus à même de l’apprécier comme œuvre d’art.
            La perle, enfin, nous sort de cette merveilleuse fiction en redevenant une note distante mais aiguë dans le tableau de Vermeer que nous pouvons contempler aujourd’hui au Rijskmuseum (transcription phonétique des plus approximatives). Ouvert sur un titre de légende, le film se referme sur le tableau puisque, si stimulante soit-elle pour l’imagination, l’œuvre est indépassable. Laissant l’histoire derrière lui, prête à être oubliée, le spectateur peut alors entrer dans l’univers d’un artiste. 

 

Figuration narrative

               En cherchant des reproductions de tableaux pour dire quelques mots sur cette exposition, je suis tombée sur tout un tas d’articles qui rabâchent les mêmes étiquettes incertaines. Cousin européen du pop art, mais non pas tourné vers la glorification de la société de consommation, une volonté de raconter quelque chose en réaction à l’art si abstrait qu’il en est devenu conceptuel, un non-mouvement méconnu exposé à bouts de bras et dont on ne sait pas très bien quoi faire. Balancez, balancez, cela évite de regarder.

  La première salle m’a fait quelque frayeur, parce que quasiment aucun des tableaux ne me parlait (Jeanne d’Arc laisse le soin aux agrégatifs de philosophie de se demander si les images nous parlent).  A part un, dont je n’ai évidemment pas retenu le nom de l’artiste, et qui était une impression de corps à même la toile – une sorte de présence radiographiée.

             Mais l’intérêt est allé crescendo (soit que cela soit voulu par les commissaires d’exposition, soit que j’aie mis un peu de temps à prendre le rythme – ralentir après les derniers jours chaotiques). La scénographie était plutôt pas mal faite du tout, avec les petits pictogrammes autour du panneau principal à l’entrée de chaque salle. Le Grand Palais pour une fois nous a épargné les murs oranges assez peu flatteurs pour les tableaux (et pourtant, je n’ai pas l’habitude de mégoter sur cette couleur). Il ne leur reste plus qu’à comprendre que n’ayant pas organisé l’exposition nous-même, nous ne connaissons pas les textes par cœur, et qu’il serait par conséquent judicieux que la taille de la police dépasse le 18. Le zoom avant, zoom arrière, cela allait bien parce qu’il n’y avait quasiment personne. Séquence récrimination terminée. Suite de la visite.

            Les détournements de toiles célèbres m’ont beaucoup amusée. Je n’ai pu retrouver qu’une toile d’Arroyo, Le Premier Consul franchissant les Alpes au col du Grand-Saint-Bernard, où Napoléon a (in)visiblement perdu la tête, noyé dans l’apparat de sa cape rouge et où l’espèce d’hippogriffe mi-saint-bernard mi-cheval a fait perdre quelque peu de panache à ce dernier.

 

Arroyo

 

Dénonciation du franquisme, s’empresse-t-on d’ajouter. Plus explicite, il y a cette toile-ci,

amusant inventaire d’une assez horrible réalité. Superbe illustration de nos polys d’histoire regorgeant d’ « homme à la moustache ».

    Toujours dans la série des détournements, il y avait la métamorphose d’une laitue dans lequel apparaissait progressivement un visage, un couteau en guise de pinceau en bas de la toile. Voyons, Arcimboldo, ne nous racontez pas de salade !

 

            La dernière salle du rez-de-chaussée est occupée par tout une série qui met en scène le meurtre de Duchamp et marque la réinstallation de son urinoir en bonne et due place (4). Certains ne se sentent plus (pisser), c’est la mort de l’art conceptuel blabla. Je suis peut-être un peu simplette, mais j’aime bien juste regarder, me faire avoir par l’irréalité (2) qui se dégage de cette représentation si « réelle », un peu effrayante (et l’ombre sur le mur glaçant – 7). 

 

            Mais, témoin d’un meurtre, on cherche à vous supprimer. Une roue gigantesque, suspendue à l’entresol, s’apprête à dévaler les escaliers pour vous écrabouiller comme un toon débutant. Je pensais que c’était fait exprès. Je suis naïve, vous disais-je. Que nenni. Tant pis, on se raconte les films qu’on veut – c’est le droit le plus strict du spectateur et sa roue de secours. En haut de l’escalier, nous revoilà sur les rails, ou plutôt sur la route. Je mets un peu de temps à distinguer ce qui est projeté sur le mur. La ligne continue déroule pendant un quart d’heure les lignes de « marquages au sol » (une pensée émue pour tous les amoureux du code) filmées à vive allure. Ligne blanche qui avance franchement, carrefours complexes qui dérivent à l’écran, ligne blanche un peu fantomatique qui ralentit en pointillés (restez à votre place, spectateurs, ne doublez pas, un peu de patience), ligne jaune, blanche, ligne jaune encore qui glisse sur le côté pour laisser apparaître le sillon noir qui sépare les voies – on croirait voir un vieux disque noir faire tourner ses sillons. La bande-son est particulièrement adaptée, les percussions scandent le défilement du macadam, ma-ca-dam, ma-ca-dam-ma-ca-dam-ma… Idée bizarre ainsi décrite, mais au final, une belle hypnose graphique.
 

            Après avoir fait route, on arrive dans le « politisé » et, tout de suite, on sent la critique plus à son aise. Mai 68, c’est son rayon – particulièrement dévalisé en cette année de consommation commémoration. Rouge sang, rouge communiste, voire les deux à la fois. C’est une belle couverture le rouge. Celle qui borde Marx, Freud et Mao est plutôt amusante : tous dans le même lit, tous dans la même galère. Sur des ruines Tétris (si, si regardez à droite, c’est typiquement une forme de Tétris).

Marx, Freud, Mao

    Je préfère les rouges de Fromanger. Toute une série de tableaux a priori monochromes sur lesquels les gens sont réduits à des formes rouges. J’en ai retrouvé deux dont Tout doit disparaître et sa velleité de table rase soldée. Pouvoir de la masse mais aussi dissolution de l’individu dans la masse, comme l’indique le commenataire miniature – sans être pour autant une idée capillotractée. On peut voir que le policier se fond dans le décor ; le rouge est contre lui.

Tout doit disparaitre

           

    Tant de rouge… J’allais oublier Monory, dont les toiles bleues sont parfaitement glaçantes. Couvertes de glace aussi, comme dans deux tableaux de meurtre où le miroir est criblé de traces de balles qui vous passent au travers du corps (je suis évidemment la seule idiote à m’amuser à trouver une position cambrée pour éviter les balles)– de toute façon, avec les miroirs coupés, vous finissez décapité voire tronçonné au niveau du bassin. C’est chouette ce macabre sans sang.

Velvet Jungle n13

   

   
    Monochrome bleu également pour la Velvet Jungle. Les fines lignes qui cataloguent les différents protagonistes les font apparaître comme des cibles – un doigt qui se promène sur la droite n’a plus qu’à appuyer sur un bouton pour éliminer les différents numéros. Pas que du bleu – aussi une toile où le bleu se noie dans un coucher de soleil, un paysage allongé que viennent barrer en diagonale des lampadaires tous retournés. Un sujet retourné par la photo souvenir d’un visage, sur la droite ? Si quelqu’un réussit à mettre la main dessus… je n’arrive pas à retrouver ne serait-ce que le titre de ce tableau.  

            J’ai passé sur plein de choses (en même temps, je n’ai pas vocation à remplacer un catalogue d’exposition). Juste pour garder une petite trace. Ca m’a fait du bien cette expo, ça faisait longtemps. Réapprendre à regarder sans chercher à retenir ou décortiquer (une praxis ? oui, oui, Aristote, si ça peut te faire plaisir), un rythme de contemplation, c’est reposant sauf pour le dos.

Le parcours et ses épreuves

Soyons factuels avant de nous épancher.

 

Histoire : La mort en France au XXème siècle. Autant dire la mort à Ulm au XXème siècle. Vous trouvez que j’exagère ? J’ai eu 2. Vous me croyez maintenant ?
    Le choix devait se faire instantanément devant le jury et avec « la collabrotion dans l’Europe » j’avais l’embarras du choix. Le jury : « eh bien, traitez les deux ». Je n’ai jamais aussi mal parlé de ma vie. La reprise a été un modèle de catastrophe : « On ne meurt pas que de la guerre mademoiselle ». Et les questions… que pouvez-vous nous dire des carrés juifs et musulmans dans les cimetières ? de quand date la laïcisation desdits cimetières ? (ne hasardez pas la loi de la séparation de l’Eglise et de l’Etat, on vous répondrait que, paaaas du tout, c’est la loi des municipalités, c’est dans votre programme, vous devriez le savoir) et ma question préférée : inhumation… crémation… quand plutôt l’un que l’autre ?

Français : un extrait de Moderato cantabile de Duras (pas de Chénier, d’ambroisie et de miel, par pitié !). L’extrait était génial, le jury aussi. Le public un peu moins, mais dans l’élan d’enthousiasme, la sonnerie de portable ne m’a pas dérangée outre mesure. En revanche, la fille a manqué se faire fusiller par le jury. Cet épisode mis à part, on oublie complètement qu’il y a des gens derrière soi – à part en histoire, une fraction de seconde où je me suis dis que les pauvres devaient s’emmerder ferme.

Philosophie : L’imagination. Mon apparitrice était étonnée de mon enthousiasme. Un sujet traité en classe et que j’avais relu la veille. Imaginez un peu. Du coup, j’étais presque détendue.

Anglais : un extrait de The Hairy Apes, d’Eugene O’Neil. Pour moi cela s’était plutôt bien passé. Pas pour le jury visiblement, qui ne m’a pas mis la moyenne. Qu’est-ce qui m’a pris aussi de faire un commentaire linéaire quand leur marotte est du composé bien ordonné avec d’un côté la forme (des marins ivres qui jurent à tout bout de champ) et de l’autre le fonds (là, je cale) ?

Latin : un « beau texte » de Tite-Live sur les mariage mixtes. Si la beauté se mesure à l’incompréhension, sans aucun doute. La limitation des dégâts s’est soldée par un 2,5.

Option philosophie : texte de Leibniz avec les petites perceptions et le principe d’inquiétude. Impossible d’être plus précise, je n’ai toujours pas compris l’intérêt profond de cet extrait. Ni où le jury a trouvé 8 points à me donner.