Robert Frank

Entraînée par ma cousine, je suis allée voir hier l’exposition des photos de Robert Frank au Jeu de Paume. C’est assez nouveau pour moi d’aller au musée pour des photographies – je suis habituée aux tableaux, aux sculptures, mais pas aux photos, reproductibles à l’infini et visibles dans les bouquins, sur internet… Mais je dois dire que des tirages d’une certaine taille, dans un lieu qui leur est dédié, et par conséquent auxquels vous avez décidé de consacrer du temps en vous y rendant, aide le regard à s’attarder puis s’immiscer dans l’univers du photographe.


L’ambiance des salles n’était pas le même qu’à l’expo Walker Evans à la fondation Cartier-Bresson (l’Amérique, aussi, avec ma cousine, également – l’expo photo va devenir un petit rituel, après un déjeuner au Vieux Colombier, un petit bistrot en bas de la rue de Rennes, à la même place, le même fondant dégoulinant de chocolat dégusté à quatre mains et deux cuillères) : beaucoup plus de monde, des salles plus claires, plus grandes (j’aime le Jeu de Paume pour cela – je m’en souvenais, alors que la dernière expo que j’ai vu là-bas était consacrée à Magritte… ça date.)

Il ne faut surtout pas se retourner, au risque d’être étourdi par le monde grouillant de gens qui discutent, commentent, dégagent une poussette du chemin, consultent le catalogue de l’exposition, migrent vers le début qu’ils n’ont pas vu, la faute à une éclaircie plus loin dans la salle, une brèche par où commencer, ou retraversent les deux salles pour sortir – il ne faut surtout pas se retourner mais s’insérer dans la foule, comme sur l’autoroute un jour de grand départ, et profiter du flot pour se laisser porter ou faire digue.

 

Je ne sais jamais trop comment regarder au début, j’oscille toujours entre le coup d’œil trop rapide et la mise en pièce de la photo à force de la détailler dans ses contrastes, son cadrage, sa composition, sans plus pouvoir l’embrasser d’un coup – à tel point qu’en me retournant pour vérifier si, à avancer dans le désordre, je n’aurais pas oublié un pan de mur, j’aperçois des images inédites que j’ai pourtant contemplées un certain temps. Puis le regard s’installe, et il n’y a plus tant besoin de détailler, parce que les cadrages deviennent familiers, les photos cessent d’être des clichés séparés pour former une image cohérente, une vision que l’on ne partage peut-être pas forcément entièrement, mais qui s’impose doucement, ou plutôt se propose à nous en toute complicité. C’était peut-être encore plus clair à la fondation Cartier-Bresson où ce dernier se trouvait exposé en même temps que Walker Evans : on finissait par savoir quasiment d’instinct lequel des deux photographes la légende nous indiquerait. Le repérage d’une manière en somme – j’évoquais quelque chose d’approchant avec Melendili, il y a quelques jours, et il m’apparaît de plus en plus clairement qu’elle a raison : toutes les explications de texte que nous avons faites nous ont donné des outils d’analyse et fait parallèlement progressé dans notre appréhension des films – ce qui vaut tout aussi bien pour les photos. Nous sommes devenues sensibles à la composition.

Ce n’est pas à dire qu’une dissection technique aurait remplacée l’appréciation novice, ni une compréhension intellectuelle, une approche sensible, mais la seconde se trouve relancée par la première. Je suis assez ignorante pour y trouver un plaisir naïf. Et sortir des remarques frôlant la stupidité (ou s’y enfonçant de plain-pied, c’est selon). Comme pour cette image,

qui n’a pas manqué de me faire penser à la publicité pour une voiture (la Twingo, peut-être, je ne sais plus) où les personnes ont des têtes de fleur (c’était assez gore, d’ailleurs). « Ca m’y faisait aussi penser, me rassure ma cousine puis, mais je n’osais pas le dire », assène-t-elle pour finir. Ou devant cette brochette de complets-veston-chapeaux,

m’amuser de l’expression du dernier, la bouche en cul-de-poule (on n’en voit que dans les cartoons d’habitude, comme lorsque le putois de service veut tomber la belle femelle blaireau), avant de remarquer l’intrusion du deuxième en partant de la droite, sorte d’inspecteur mal déguisé parmi les hauts-de-forme.

Les gens n’hésitent pas à s’amuser, à souligner une ressemblance avec telle de leur connaissance – ça change des messes basses dans le silence quasi-religieux des temples de la peinture. Le public n’est pas le même, d’ailleurs : plus homogène, avec peut-être un peu moins de jeunes, mais aussi moins de personnes âgées, plus d’adultes d’âge indéfini – plus branché, aussi et quelques mecs pas mal, bien fringués. Bref, je m’égare – c’est qu’il y a du monde, il faut se réinsérer dans le défilement.

 

J’ai davantage aimé la série américaine que la parisienne (on trouve d’ailleurs assez peu celle-ci sur internet). Les flous visant à embaumer un éternel Paris sépia m’ont moins enthousiasmée que le franc-photographier de l’Amérique. Ou alors, c’est que l’on est davantage capable de regarder ce que l’on ne connaît pas. Et pourtant, on ne connaît pas le Paris de l’après-guerre, avec ses fleurs à tous les coins de rue (sans rire, leur présence vire à la maniaquerie). Même si je les tolère dans cette p
hoto,

grâce à l’éblouissante silhouette de femme sur le côté, ou dans une autre que je n’ai pas pu trouver, où l’on voit un homme qui cache une rose derrière son dos et simultanément, de face, un vieil homme qui trifouille dans son porte-monnaie. Let’s be realistic, darling, il va falloir raquer.

 

 

Dans la série parisienne, il y a aussi une petite fille qui regarde un masque de Chaplin, et une autre, que je n’ai pas non plus trouvée, sur fonds de Notre-Dame brumeuse, d’un cycliste plus foncé, à mi-chemin de l’image, soutenu par un grand pan de sol. Même type de cadrage avec un joueur de je ne sais-plus-quoi, précédé d’une longue bande de trottoir, si bien qu’on a l’impression de marcher à sa rencontre. Et surtout, surtout, celle qui m’a le plus fascinée dans cette série, un homme et une femme sur la plateforme arrière d’un bus dont on n’arrive pas à savoir s’ils sont en couple, comme on en juge au premier coup d’œil, ou s’ils sont simplement juxtaposés, et aussi éloignés l’un de l’autre qu’est séparé d’eux par une barre de tôle le visage d’une femme, à la vitre.

 

Dans la série américaine, où les fleurs ont cédé la place à des croix (une présence plus pervasive de la mort, à y repenser, mais cependant, un sentiment de la vie plus fort), je retiendrai, entre autres, et en vrac, celle-ci

Douche de lumière comparable, quoiqu’horizontale, avec ce cliché d’une immense route – en la scrutant bien, on aperçoit une voiture à gauche, qui contribue à réduire l’espace et à conduire le regard vers le point de fuite.

 

Et le visage de cette femme se faisant chier à cent sous de l’heure, déjà morte, la tête coupée par le cadrage qui l’assimile au Père Noël suspendu derrière – violence de la médiocrité.

 

Violence également dans la juxtaposition de deux clichés, que les gens ne semblaient pas spécialement relever et qui pourtant doit être voulue, puisque l’exposition reproduit l’ordre voulu par la photographe pour la publication de son livre : juxtaposition de deux choses dérobées au regard par un drap, voiture –probablement un cadeau, quelque objet convoité en tout état de cause- dans le premier cas, et selon toute probabilité, des cadavres, dans le second. Comme si tout se photographiait, fusse en filigrane.

 

Cette image d’un coin de restaurant,

où tout, l’immobilité du ventilateur, la netteté du sel/poivre à côté du dévidoir à serviettes (seul véritable indice qui indique que nous sommes dans un restaurant et non pas dans un salon abandonné), le reflet sur la table et jusqu’à la figure dans la télévision, nous oriente vers le trouée de lumière qu’est la fenêtre, à la fois ouverture (sur une extériorité) et néant (où s’achève le regard -fermeture).

Et pour finir, car il faudra bien s’arrêter (estimez-vous heureux que je n’ai pas le catalogue, cela abrège votre lecture), l’instabilité de ces deux clichés :

une voiture, bancale, qui paraît devoir se renverser d’une seconde à l’autre,

 

et un couple allongé dans l’herbe, au bord du gouffre du cadrage, avec, au-dessus d’eux dans l’image, et en contrebas dans la réalité géographique, San Francisco de biais, comme si la ville glissait dans une révolution silencieuse ou était tranquillement engloutie dans un tremblement de terre.

 

Pour finir la promenade, allez donc voir rouge avec d’autres clichés délicieusement décortiqués.

 

Versailles by morning

 

Il y a quelques jours, en petit-déjeunant, j’ai vu un ciel de Grèce et je me suis dit que ce serait chouette de reconstruire le château de Versailles en Espagne. Vers neuf heures, l’eau gelée, le soleil rasant, des perspectives et aucun touriste dedans – j’ai du croiser cinq personnes dans l’allée de la Reine…

 

 

dragon

 

[Ouaip, le réveil est dur.]

[Vous pouvez remplir la perspective d’un beau crachat de feu]

 

 

reflet bassin

 

[Les petits avions rouges]

 

 

statue

 

[Vers l’infini et les jardins]

 

 

vue grand canal

 

[Curieux le rouge seulement sur le dessus des arbres taillés : on dirait un long cou tranché]

 

brochette touriste-arbres

 

[Faites votre choix : touristes (qui ne s’aventurent pas dans le jardin qui n’est pas encore réveillé), poteries ou arbustes]

 

 

bassin grand canal

 

[Là, j’aurais pu me taire]

 

 

reflet empreinte

 

[Empreinte digitale du paysage]

 

 

escalier

 

[Les escaliers dont j’ai toujours l’impression qu’ils grimpent sur le vide]

 

arabesque de clôture

 

[Arabesques de fer]

 

 

lumière morning

 

Sinon, j’ai découvert que mon appareil photo avait d’autres formats que le 16/9 qui donne l’impression que le ciel va vous tomber sur la tête en paysage et que vous faites une tête de dix pieds de long en portrait. Mais je l’ai découvert après, par hasard. C’est vrai que spontanément, on appuie toujours sur la poubelle pour changer de format – ce doit être une institution de la nature cartésienne, je ne vois que cela.

 

Alpinistes des profondeurs

 

 

[ On trouve des choses amusantes le jour de la fermeture des musées. Lavage de vitre transformé en happening que tout le monde a pris en photo. ]

[Curieux cette fascination pour tout de qui est enfermé : animal de zoo, poissons dans un aquarium, vie des gens derrière leur fenêtre, vitrine de magasin… ]

 

 

[Arc-en-ciel  par terre pas en arc]

 

Tuer Catherine

[Ceci est un trip, un très long trip, un trop long trip, sur un très bon roman. Si vous n’avez pas envie de (tout) lire, vous pouvez toujours sauter de paragraphe en paragraphe comme un cabri, ne lire que les passages en gras, aller trouver le lien vers le blog de l’auteur, ne pas lire du tout. Mais le mieux reste quand même d’acheter le bouquin.]

Par où commencer ?

Par où tu veux. Même in media res, un commencement sera toujours un début, alors commence donc par le début du livre, c’est un bon début pour débutant.

Mais ce livre est une suite de débuts sans fin.

Réalise le fantasme des anciennes éditions de folios junior « Et si c’était par la fin que tout commençait… ». Commence par la fin.

D’accord : Catherine meurt.

Bah ça commence bien.

Merci pour le spoiler.

En même temps, vu le titre, on pouvait s’en douter.

D’ailleurs, elle ne meurt pas vraiment.

Allons bon.

Je vous signale qu’on est en train de dévoiler le milieu, là.

Bon. Allons, procédons avec ordre.

Mais l’ordre de l’un est le désordre de l’autre.

Bouh, vile spinoziste !

Je ne comprends rien.

A Spinoza ?

Non, à ce qu’on dit. Filez-nous la quatrième de couv’ !

Laquelle ?

C’est malpoli d’embrouiller le lecteur, même numérique. Voici :

« Minable héroïne de seconde zone, Catherine est un personnage de fiction sans œuvre fixe qui a eu l’indécence d’élire domicile dans mon corps. Au départ, je m’étais faite à l’idée d’être deux : je suis partageuse, comme fille, moi. Mais le problème, c’est que la présence de Catherine est parfaitement incompatible avec la vie saine que je m’efforce de mener : elle est obsessionnelle, monomaniaque, hystérique, et j’en passe. Aussi ai-je décidé de l’éliminer. Définitivement. »

Qui est je ?

Révise tes conjugaisons !

Eh, l’autre ! Arrête Rimbaud !

Je persiste : qui est je ?

La narratrice.

Une cinglée.

Un personnage d’auteur.

Un imposteur.

Une logorrhée cérébrale.

Une voix.

Et nous ?

D’accord, des voix.

C’est nous !

Des mots, des phrases, un rythme sans virgule un souffle garanti haleine fraîche avec tictac seulement 2 calories par bonbon.

* *

*

Les mises en abyme me fascinent, faire une synthèse non synthétique sur la Modification de Butor m’éclate, dévorer en miettes et reconstruire, les structures désossées, les legos littéraires, le roman dans le roman, le théâtre dans le théâtre et le comique de l’illusion… alors forcément, Tuer Catherine, avec ses mises en abymes de mise en abyme de mise – métatexte puissance innombrable– était destinée à me plaire.

C’est bon comme un millefeuille* de 250 pages (ou plus si vous aimez les croûtes). Et ça se mange pareil : à l’arrache. On ne distingue pas les couches de narration, méta texte, commentaire de commentaire de commentaire de machine enrayée, on enfourne tout et sans être écœuré, encore. L’humour est très digeste. Acide à souhait.

Lorsque la narratrice hésite à faire profession de bonne foi, c’est qu’on risquerait par là de suspecter qu’elle a quelque chose à cacher (agent secret), mais de le dire, c’est aussi prendre le risque de passer pour quelqu’un d’insignifiant voulant faire l’être mystérieux (dame pipi) ; mais alors, pourquoi ne serait-elle pas un agent secret se faisant passer pour une dame pipi se faisant passer pour un agent secret ? Elle ne sait plus quoi redouter, « être prise pour un agent secret triplement double ou pour une dame pipi polyaffabulatrice ? » Ca, c’est le délire paranoïaque de la voix simple.

Plus complexe s’avère celui de la composition florale chorale des voix. Une sorte de dialectique mentale pulvérisée en agora informe, comité de surveillance des intellectuels antifascistes de la rédaction du Roman de Catherine. Auquel vous n’aurez pas accès, parce que vous ne croyez tout de même pas que l’on va vous donner une base solide sur laquelle vous reposer. Le lecteur n’est pas fait pour cela, debout bande de badauds. L’infini de la mise en abyme se fait aussi en aval : est-ce que l’on donne la raison d’un prétexte (serait-ce celui d’un livre) ? Merci de ne pas répondre, cette question était rhétorique – navrée. Vous pouvez toujours vous en prendre aux voix boucs émissaires de discussions de sirènes. Rien ne sert de compter ces bestioles mythologiques et composées : elles sont le nombre qu’il faut pour se contredire. Après avoir essayé pendant approximativement 5,7 répliques d’établir une alternance binaire puis ternaire, j’ai laissé cela à la fonction de mon humeur – de ma marrer ensuite de voir mon intuition confirmée rassurée : [le chœur décide de prendre ses mesures par le vote] « – Un tiers d’entre nous avait tout de même voté pour, je te signale.

Et un tiers contre.

Taisez-vous, ils vont savoir qu’on est en nombre divisible par trois.

[…]

Vous n’avez rien compris. Le chiffre n’est pas secret. Il n’existe pas. C’est très différent. »

* pour les becs salés, nous vous proposons la « fiction-gruyère ». Et dans le gruyère, le meilleur, ce sont les trous. Les trous idiosyncrasiques du gruyère ont toujours été sous-estimés.

* *

*

C’est bien gentil de s’éclater sur sa dernière lecture, mais on ne comprend pas grand-chose, là.

Mais vous lisez toujours.

Qu’est-ce que tu en sais ?

On ne peut pas me contredire sinon.

C’est ça, joue au chat et à la souris, toute mimi que tu es.

En attendant, je donne ma langue au chat.

Ouais, et Catherine ? C’est qui ?

Pourquoi on la tuerait d’abord ? C’est peut-être une personne charmante.

C’est vrai, ça. Et puis si ce n’est pas vrai, ça l’est quand même un peu, puisqu’on cloue facilement le bec à un personnage fictif.

Mais si c’est un personnage, ce n’est pas une personne.

Chipote !

Pris comme un bleu à l’illusion référentielle.

« willing suspension of disbelief »

Plagieur !

Coleridge !

Shut up !

Mais c’est qu’on est polyglotte dans le coin.

Et alors, si ça se trouve Catherine est une tsarine russe.

Ils parlaient français à la cour du tsar.

Vous êtes un peu à l’est, là.

Y’a rien de nouveau.

Faut revenir à l’ouest. Cathe
rine n’est pas russe.

Si. Même que c’est une poupée.

Une mise au point s’impose.

* *

*

Niveau 1 : Catherine est un personnage de fiction qui squatte le cerveau de la narratrice.

Niveau 2 : Catherine est une part de la narratrice, puisqu’elle est dans son cerveau.

Niveau 3 : Catherine est celle que la narratrice veut zigouiller (2+3= la narratrice est maso)

Niveau 4 : Catherine est l’anti-héroïne du roman de la narratrice qui prévoit de la réifier dans ses mots.

Niveau 5 : Catherine est le sujet du Roman de Catherine, dont discutent les voix.

Niveau 6 : Catherine est l’auteur du Roman de Catherine (5+6= Catherine est égocentrique)

Niveau 7 : Catherine est le complément d’objet direct de Tuer Catherine.

Niveau 8 : Catherine est le prétexte de Tuer Catherine.

Niveau 9 : Catherine est suicidaire. (7,8,9 dans mon panier neuf)

Niveau 10 : Catherine est une emmerdeuse.

Niveau 267 : Catherine est insaisissable.

Niveau 268 : Catherine est comme Dieu, présente partout, présente nulle part.

Niveau 269 : Catherine est l’auteur. ( le syllogisme 268- 269 suppose Flaubert comme mineur(e) )

Niveau 342 : Catherine est un nom.

Niveau 343 : Catherine est des mots.

Niveau 467 : Catherine est vous.

Niveau 469 : Catherine est une vaste supercherie.

Niveau 1873546 : contribution de Valéry, le verbe être a fait une grande carrière dans le néant, Catherine n’est plus, félicitations, vous avez épuisé toutes ses vies, vous avez tué Catherine, (vous avez épuisé toutes vos vies, vous êtes Catherine).

GAME OVER.

* *

*

C’est long.

Va voir ailleurs si elle y est.

* *

*

Livres que l’auteur a lu ou du lire :

– Sterne

– des critiques littéraires.

Le Mythe de Sisyphe

Madame Bovary

Lady Chaterrlay

– des tragédies antiques

Anna Karénine. Capital.

– Tu ne l’as pas lu.

– Certes.

– Mais alors tu ne peux pas avoir tout saisit.

– Certes.

– Tu te fous de nous.

– Certes non. Ca montre que ces clins d’œil littéraires ne sont pas entièrement nécessaires pour apprécier Tuer Catherine.

* *

*

C’est long.

On est revenus.

Par pitié, de la synthèse.

* *

*

Tuer Catherine c’est tuer Catherine. La lecture même détruit le stéréotype du personnage romanesque. C’est pour cela que l’on assiste à son enterrement mais que l’on ne sait pas quand elle meurt : quand le roman s’est-il désagrégé pour devenir la narration de la genèse d’un roman qui n’existe pas ? quand le Roman de Catherine est-il devenu Tuer Catherine ? quand arrêteras-tu de nous saoule avec tes questions à la noix ?

Le meurtre est tout à fait épuisant. Le récit s’épuise, le lecteur aussi. Parce que cher lecteur, Tuer Catherine, tu es Catherine. Tu dois te tuer toi-même à la tâche de lecture. Tu t’appelles Claire, Marie, Paulette ? Tu es Catherine, tu es cette amoureuse romanesque qui s’attache au personnage de Catherine dans le roman éponyme. Ne nie pas, tu es Catherine, sinon tu ne rirais pas à un tel passage : « […] impossibiliser toutes mes histoires d’amour afin que Catherine puisse pleurer toutes les larmes de mon corps devant sa passion perdue avant de rater son énième suicide, parce que naturellement la SNCF est systématiquement en grève les jours où elle choisit de s’allonger sur les rails du TGV munie de son petit panier osier doublé carreaux vichy contenant son testament écrit au sang de hamster écrasé, n’est pas héroïne de seconde zone qui veut ». (précaution d’emploi : ne pas boire du thé en même temps – si la couverture de mon exemplaire est miraculée, elle n’a dû sa sauvegarde qu’à une heureuse synchronisation qui fait que j’avais quasi dégluti ma gorgée de thé au moment où j’ai explosé de rire) Lecteur, tu ris, tu es Catherine, et c’est pour ça que le livre peut parfois t’agacer : c’est très agaçant de devoir se tuer soi-même. Serait-ce pour les beaux yeux de Nina Yargekov.

* *

*

– Tu vas nous lâcher, maintenant, Anorak Yeving ?

– Surtout que tu n’es pas drôle. Nina Yargekov, elle, l’est. Son premier roman est plein de second degré.

– Second ? Y’en a au moins 90° : ça décape, ce roman.

On sent qu’elle s’est éclatée à l’écrire.

– Ca se voit, il y a des morceaux partout.

– Je n’ai pas trouvé l’orteil gauche, j’aurais peut-être dû regarder derrière le rayon.

– Arrêtez ce commentaire de roman autocommentaire, sinon on ne va pas s’en sortir.

– Je ressuscite Catherine.

– Mais elle est enfin morte !

– Pas pour ceux qui ne l’ont pas encore lu.

– On ne s’en débarrassera donc jamais ?

– Comment elle a fait Nina ?

– Comme ça.

[Le premier qui laisse un commentaire ressuscite Catherine et le fait à son péril.]

 

Revolutionary Road

 

Où l’on tourne en rond, ronde effrénée, jusqu’à prendre la tangente

 

Remarque préliminaire : Melendili a raison, la traduction est pourave (c’est un vrai mot, pourave ? l’ordi ne le souligne pas). A part ça, awesome.

 

 

Le couple de Titanic qui vieillit dans une banlieue américaine des fifties, je trouvais ça louche. Genre un 2 qui ne s’avoue pas comme tel, mais qui aurait un vague goût de sauce rallongée à l’eau. Darlings, il n’en est rien.

D’abord, la déploration couple-rongé-par-le-quotidien est un peu courte – c’est loin d’être aussi caricatural. Frank et April ne s’y sont jamais vraiment installés : il n’y a pas à proprement parler de dégradation effilochement ruine progressive, plutôt une inadaptation chronique qui devient aigüe au fil du temps. D’où l’on ne voit pas l’ « avant » installation, si ce n’est sous la forme d’une brève scène de rencontre, et de la visite avec l’agent immobilier, et encore, cette dernière est insérée en flash-back explicatif.

Inadaptation chronique, donc – à la vie, de façon générale, et l’un à l’autre en particulier.  April doit laisser de côté ses rêves de comédienne, non tant que l’ambiance familiale soit à la femme au foyer (lors de leur projet d’aller vivre à Paris, ce serait lui, l’homme entretenu), mais she’s not up to it. Elle n’en sait pas moins ce que c’est de vivre pour ce qu’on aime, et décide de secouer son mari pour qu’il trouve sa vocation, et à travers lui, sortir leur couple de l’image d’Epinal des perfect Wheelers, foyer en tous points conforme à l’American dream. Tout en apparences, ou plutôt en reflet, comme avec au départ, l’approche de Frank dans le rétroviseur rutilant de sa voiture ou, plus tard, le visage désespéré de la voisine dans la glace. 

 

 

Faire en sorte que ces reflets ne soient pas le seul brillant (dans toute sa dureté) de leur existence terne (malgré le soleil qui fige le tout dans un glaçage de pelouses tendres, de fleurs zet papillons, il fait bon ne pas vivre). Et donc, partir pour Paris, avec les enfants, et peur, mais sans reproche.

Which seemed a good idea. The point is: Frank hasn’t got the guts to do it. Bien sûr, il décide de partir, il l’annonce à tous ses voisins, mais une offre de promotion dans une boîte qu’il déteste vient à point nommer pour attraper une bonne excuse que lui fournit April bien malgré elle, enceinte d’un troisième. Rien ne sert de courir, il ne partira point. Lâcheté ? Yes… but no, would have said my English teacher, as it is his customs. April a le courage de l’optimisme du désespoir – s’accrocher à n’importe quoi pourvu que. Le projet est a bit irrealistic, comme ne cessent de le répéter les voisins, inquiets que l’on puisse avoir la force de partir en les laissant dépérir dans leur vie forcée – et sourire colgate qui ne va plus de soi.  Peut-être, après tout, April ne fait-elle que déplacer le problème : la période du changement euphorique passée, qui dit qu’une nouvelle routine ne s’installera pas ? Quand on lui demande ce qu’il fera de son temps, à Paris, Frank répète qu’il cherchera sa vocation, qu’il se cultivera, qu’il lira ; alors que la maison est pleine de livres jamais ouverts, parfaitement alignés dans la bibliothèque.

Il faut du courage pour changer de vie, mais il en faut également pour continuer vaille que vaille (quelque chose qui ne vaut pas grand-chose mais coûte beaucoup). Si April paraît d’abord beaucoup plus vigoureuse que son mari, son mari la rattrape ensuite peu à peu jusqu’à une égalité nulle. Il la trompe le premier, so does she. Elle a le courage d’essayer, de partir, lui de continuer, de rester. Il n’a pas celui de partir, elle n’a pas celui d’envisager une possible défaite, que the European dream soit aussi nightmarish que chez eux, simple renversement du point de vue car de l’autre côté de l’Atlantique. Rien à faire, il y a entre les deux quelque chose de brisé, un navire titanesque qui a sombré dans une vie antérieure – et la main du voisin sur la vitre quand ils font l’amour, la voiture garée au bord de l’eau (je me suis bâillonnée avec mon écharpe pour ne pas exploser de rire dans une salle alors silencieuse devant cet appel de phare à la légèreté de clin d’œil de garçon de café). La lâcheté de Frank, ce n’est peut-être que de ne pas prendre le risque de constater un nouvel échec, de préférer les regrets aux remords – il reste toujours le conditionnel, après tout, l’Europe ne s’envolera pas.

Frank se constitue prisonnier (magnifiques ombres des barreaux de la fenêtre ou des rideaux) et préfère vivre dans le mensonge, même lucidelet’s be spinozistes, nous ne sommes pas libres du seul fait que nous soyons consc
ients de nos actes. Je crois que c’est ce qui évite au film de tomber dans le cliché. La frontière entre courage, lâcheté, force et résignation s’en trouve brouillée. Cela me fait mieux comprendre rétrospectivement cette tension qu’il y avait dans le Parc de Duras (I know, j’ai les rapprochements élastiques). Je n’aurais jamais pensé qu’il puisse y avoir une forme de force à persévérer dans ce qui ne nous plaît pas, dans la reconnaissance que nous ne sommes pas géniaux, pas différents des autres, pas faits pour la vocation dont on rêvait. Et qu’au final, le rôle le plus difficile, ce n’est pas celui de la scène auquel April renonce, c’est celui qu’elle endosse après une dispute terrible (filmée caméra au poing, genre thriller April-Frank-cible-du-destin-dans- le viseur-d’un-fusil-muni-d’un-silencieux), celui d’épouse qui s’intéresse aux ordinateurs pour la vente desquels son mari est promu (pas encore totalement dans on rôle : la ménagère parfaite aurait hurlé en le voyant dessiner au bic sur une serviette en tissu, tu te crois au restaurant, peut-être ?). Le jeu de papa-maman-dans-une-belle-maison contre lequel s’insurge le fils fou des voisins, qui à la première visite dérange les parents mais comprend la tentative de révolte du couple (mise en place de sa crédibilité) et à la deuxième balance leur échec à la tête en gros plan d’April (tentative pour refouler tout ça, qu’il retourne dans son asile). Le philosophe (mathématicien, ça fait mieux de nos jours) est toujours pris un fou quand il dit la vérité – simple renversement de la caverne -des intestins humains- et du soleil -éternel du bonheur factice-. 

 

 

 

Il faut du talent pour éviter l’écueil de la médiocrité à la dénoncer (regardez la géniale maîtrise de Pérec dans les Choses – incomparable, mais le rapprochement s’opère de lui-même dans mon petit crâne de piaf vacancier). D’où je suis ressortie étrangement de bonne humeur de ce film que l’on n’a pas spécialement intérêt à voir si l’on se sent déprimé. Combien de personnes dans la salle repartent chez elles en se disant qu’elles ont vu un bon film, avec de bons acteurs, bien mis en scène, pour ne surtout pas y penser ? et étouffer les mêmes problèmes à coup de télé ? (impossible de situer un tel film à notre époque, la télévision offrant des possibilités de plans visuels beaucoup plus restreints que les cigarettes et l’alcool qui coule à flot). Comme l’impression que disséquer annoter commenter désosser désarticuler remonter reconstruite fragmenter analyser et paraphraser sont les seuls moyen d’éviter cela, quand bien même cela virerait à la maniaquerie.

p.s. Mes excuses pour l’abus d’italique – ne nuit cependant pas à la santé

p.p.s. L’affiche française est aussi peu représentative du film que le titre. Je préfère largement l’affiche que j’ai trouvé sur le net et qui suggère déjà l’incompatibilité entre deux tentatives différentes pour sauver la vie en train de se noyer dans le quotidien et sentir, vivre intensément. J’arrête l’interprétation délirante.