Sur une idée d’un khâgneux qu’Hugo avait traumatisé, voici la torture de son célèbre texte.
Khâgne Ulm
Le concours !
Voilà huit mois que j’habite avec cette pensée, toujours seul avec elle, toujours glacé de sa présence, toujours courbé sous son poids !
Autrefois, car il me semble qu’il y a plutôt des années lumières que des mois, j’étais un lycéen comme un autre lycéen. Chaque jour, chaque heure, chaque minute avait son idée. Mon esprit, jeune et riche, était plein de fantaisies. Il s’amusait à me les dérouler les unes après les autres, sans ordre et sans fin, brodant d’inépuisables arabesques cette rude et mince étoffe de la vie. C’étaient des filles, de splendides minijupes, des batailles gagnées à la cantine, des salles pleines de bruit et de lumière, et puis encore des filles et de sombres palabres le matin sous les larges bras des marronniers de l’avenue de Paris. C’était toujours fête dans mon imagination. Je pouvais penser à ce que je voulais, j’étais libre.
Maintenant je suis captif. Mon corps est courbé sur une table, mon esprit est mis à la torture par une idée. Une horrible, une sanglante, une implacable idée ! Je n’ai plus qu’une pensée, qu’une conviction, qu’une certitude : le concours!
Quoi que je fasse, elle est toujours là, cette pensée infernale, comme un spectre de plomb à mes côtés, seule et jalouse, chassant toute distraction, face à face avec moi misérable, et me secouant de ses deux mains de glace quand je veux détourner la tête ou fermer les yeux. Elle se glisse sous toutes les formes où mon esprit voudrait la fuir, se mêle comme un refrain horrible à tous les corrigés qu’on m’adresse, se colle avec moi aux grilles hideuses des carreaux Seyes ; m’obsède éveillé, épie mon sommeil convulsif, et reparaît dans mes rêves sous la forme d’un note cruelle.
Je viens de m’éveiller en sursaut, poursuivi par elle et me disant : -Ah ! ce n’est qu’un rêve ! -Hé bien ! avant même que mes yeux lourds aient eu le temps de s’entr’ouvrir assez pour voir cette fatale pensée écrite dans l’horrible réalité qui m’entoure, sur la dalle sale et suante de ma salle de cours, dans les rayons de Gaffiots martyrisés, dans le grésillement du néon, sur la sombre figure du khâgneux désigné pour passer au tableau dont l’intelligence et la terreur reluisent à travers l’incertitude de ma lassitude, il me semble que déjà une voix a murmuré à mon oreille : -Le concours !