Aristote pour les nuls

  
    Un petit article pour présenter ce que nous a fait vivre l’auteur de la Physique, ce qu’il est pour moi (merci de garder pour vous la conclusion du syllogisme qui s’impose naturellement à votre esprit) – mis à part un emmerdeur de première. Attention, risque d’ennui mortel (expression qui n’est malheureusement pas ici à prendre comme une litote). Que ceux qui en ont déjà marre donnent quelques coups de molettes de souris pour trouver la sortie de secours.

Aristote est siphonné

 Aristote est siphonné. [copyright Monkeyz, évidemment]

Que l’humour aristotélicien est non-étant

    Aristote est grec, je ne vous apprends rien. Mais on sent dans le choix de ses exemples qu’il est un pochtron pieux fidèle de Bacchus : «  On appelle un soit le continu, soit l’indivisible, soit les choses dont la formule de l’être essentiel est la même et unique, comme jus de la treille et vin. » Le vin essentiel à la compréhension de la Physique, d’où peut-être une certaine ivresse de la tortue lorsqu’elle a enchaîné les envolées lyriques :
– sur une aporie : « Et c’est là qu’Aristote est génialement gêné. » Et quand c’est à nous de l’expliquer et d’y trouver une raison suffisante, nous sommes juste médiocrement mauvais.
        
peu après « Et là le vide arrive, comme Zorro. » 

En parlant des films à grosse production, je vous recommande également  Aristote et ses exemples à haute teneur en effets spéciaux pour un peu d’inspiration : IV 8 « En effet, l’air est quelque chose, pourtant on n’en a pas l’impression ; de même en serait-il pou l’eau, pour les poissons s’ils étaient en fer. Car c’est par le toucher que se fait la discrimination du sensible. » Cherry on top, la note en bas de page : « Ce paragraphe ne semble lu par aucun des commentateurs, mais figure bien dans les manuscrits » Tu m’étonnes… j’adore l’humour de Pellegrin (moins sa traduction, d’ailleurs « remaniée » pour le sujet du concours et où on avait peine à retrouver la traduction d’origine).

Logique de l’absurde : un texte en puissance de signifier quelque chose

« L’être est, le non-être n’est pas. » Cette petite phrase de Parménide, qui n’a l’air de rien, nous avait bien fait rire l’année dernière. Plus jaune cette année, car Aristote y est fidèle. C’est un homme qui aime tant la logique qu’il poursuit les développements absurdes des philosophes qu’il réfute… logiquement. Par exemple, en I 4 187b 35 (que diable, il faut des références précises, nous serine la tortue), il réfute Anaxagore qui pose que, puisqu’une chose ne peut pas venir du néant, tout doit déjà être là, tous les éléments doivent se trouver les uns dans les autres. Aristote « simplifie » l’idée en pensant deux éléments que sont la chaire et l’eau, et s’emploie joyeusement à prouver qu’on ne peut extraire l’un des éléments de l’autre : « En outre, si, d’une part, tout corps devient nécessairement plus petit quand on en a soustrait quelque chose, et que, d’autre part, la quantité de chair est limitée en grandeur ou en petitesse, manifestement aucun corps ne pourra être extrait de la plus petite partie de chair. En effet, il sera moindre que le minimum. » Mais ce que je préfère, c’est la fin du paragraphe : « Mais c’est déraisonnable. » Merci du commentaire.
    Amusez-vous ensuite à trouver la logique de l’absurde dans ce raisonnement plein de vide : IV 8 « Même pour qui le considère pour lui-même, ce qui est appelé vide apparaîtra comme vraiment vide. En effet, de même que si l’on plonge un cube dans l’eau, un volume d’eau égal à celui du cube sera déplacé, de même en est-il aussi dans l’air. […] Mais cela est assurément impossible dans le vide (car il n’est pas un corps), mais il faudrait qu’une extension égale à celle du cube, laquelle était auparavant dans le vide, ait passé à travers le cube, comme si l’eau, ou l’air, n’avait pas changé de place avec le cube de bois, mais l’avait pénétré dans toutes les directions. » C’est beau comme de la poésie surréaliste. Le problème, c’est que l’on ne peut pas se draper d’hermétisme et déclarer que la musicalité nous a fait rêver. Cauchemar d’articulations boiteuses et parfois inutiles : en « mais », fais ce qu’il te plaît.

           
Et puis là, pas d’idée de titre parce que c’est une partie poubelle (une troisième partie, quoi)

    Aristote est également mauvais joueur. Une petite caricature de l’adversaire, et hop, réfuté. Un sacré prestidigitateur.  L’un de ses tours de passe-passe les plus réussis est en effet de montrer comme un étant peut changer tout en demeurant toujours lui-même. Pour ce tour de magie, vous aurez besoin d’un substrat, de deux attributs contraires, et d’une aspirine. Un étant est toujours composé d’un substrat qui demeure et de quelque chose qui provient de son contraire (sans en être issu, sinon ce n’est pas drôle). Socrate illettré n’est pas le même que Socrate lettré, et pourtant c’est toujours la même personne ; seulement, l’apprentissage des lettres reconfigure l’ensemble de l’être. Ouais, c’est beau. La tortue nous l’a expliqué comme ceci (attention les yeux, extrait de prise de notes) : ex. du khâgneux qui devient normalien. Il y a passage d’un opposé à l’autre et un sujet qui devient puisque il y a bien qq qui est passé de khâgneux à normalien. Le khâgneux est l’absence de la forme normalienne. Le normalien advient du non normalien. On passe à la figure normalienne depuis l’absence de normalien (khâgneux) et depuis soi (Pierre, Paul ou Jacques, identité qui reste) [une chance infinie pour vous, vous échappez aujourd’hui à Perrette, autre doux nom chéri par la tortue] blablabla, d’où que l’on ne vient pas d’un non-être absolu mais relatif : le khâgneux n’est pas un non étant [quoique…] : il est en puissant d’être normalien. Cependant, l’absence de figure n’est pas indétermination : il serait contradictoire qu’après khâgne lettres, on réussisse Normale maths. Pas en puissance de cela. [Démonstration de l’anthropocentrisme normalien : on notera le contre-exemple extrêmement exotique – pas même hec ou polytechnique, non, normale maths.].                                                                                                                                                                                                                                                                                   
    Lorsqu’il ne sait pas comment introduire sa petite thèse perso, Aristote l’attribue à l’opinion commune et s’en réclame. C’est peut-être pour cela qu’il est récupé
ré par le marketing. A chaque fois que la tortue répétait que devenir, c’est demeurer le même tout en changeant, je ne peux pas m’empêcher de penser Kangoo !! Mais si, rappelez-vous cettepublicité pour un véhicule utilitaire, avec Wallace et Gromit au contrôle technique : « C’est le même, mais en différent. Kangoo ! » Ou comment faire du neuf avec du vieux. Du marketing aristotélicien. C’est dingue, non ? ou alors c’est moi qui le suis devenue – possible… puisque je suis en puissance de le devenir.

 
* sortie de secours : parce que le plaisir de piétiner les grandes thèses n’est pas le privilège des playmobils, des BD parodiques sur les philosophes, que m’a fait découvrir le Vates, et qui m’ont bien fait rire. Parmi mes préférées, la 1, la 16, la 40, la 45… presque toutes en fait.

Dé-corps-tic et caetera

     Je suis toujours surprise en émergeant de mes révisions de découvrir que mon corps ne se limite pas aux joues malaxées comme de la pate à modeler (à force de se prendre la tête, dans les mains ou non) et à la mèche de cheveux que je graisse consciencieusement (quoiqu’inconsciemment) de la main gauche (ne vous coupez jamais les cheveux avant une période de révision – côtoyer Kant est déjà une épreuve en soi, mais incarcérée derrière des barreaux de cheveux, ça l’est par (devant) soi). Je redécouvre que la colonne vertébrale, tout comme ses homonymes corinthiens, doriques, ioniques etc. a pour vocation d’être verticale – et si possible, pas en l’état des temples grecs. J’ai le fronton en surchauffe : y’en a ras le palimpseste, on ne peut plus rien graver. La culpabilité s’est fait prendre à son propre jeu, je ne l’entends même plus couiner sous les débris de raisonnements philosophiques. Pas d’inquiétude cependant, elle a délégué une remplaçante redoutablement efficace, et l’angoisse atroce, despotique,
Sur mon crâne incliné plante son drapeau noir.
Ce serait sympathique de sa part de ne pas transformer mon crâne en devanture d’ambassade, et de ne pas perforer ma mémoire à coup de drapeaux revendicateurs, parce que je ne m’appelle pas Baudelaire, et que sans Mnémosyne, je suis perdue.

Candide et les loisirs de masse

 Je révise activement et sélectionne pour cela avec soin mes loisirs. Je lis Tintin au pays des Soviets, et mon père m’a passé un magazine de BD sur Mai 68 – je finirai peut-être par savoir orthographier le nom de David Cohn-Bendit. On voit également que la période est aux révisions quand l’animateur télé demande quelle ligne fait face à la ligne Maginot, « duo, carré ou cash », je bondis « cash : Siegfried ! ». Le doute existentiel face au trou noir « Attends, attends, le pacte de Bagdad, quelle année ? … attends… créé pour faire pièce à l’OTAN… c’est en… 50, OTAN… Bagdad : 55 !! C’est mon dernier mot, Jean-Pierre (Richard seulement avec une minuscule) ». Devant Le monde sans Johnny, quand Luchini comprend que Johnny n’est pas devenu Halliday par un détail, que l’enchainement des causes et des effets est parti en free style et que du coup, il n’y a pas de Johnny dans ce monde-ci, je hurle « Leibniz ». Ma monade sans porte ni fenêtre ne voit que par son oeil de Judas. Cette traitresse d’harmonie pré-établie me conduit à ma perte : j’engraisse mes neurones et symétriquement, mon corps imite l’âme et réclame sa dose de Nutella, crème de marron, gâteau aux noix, coca et confiture du jardin en tous genres. J’ai inventé le concept de la disharmonie pré-établie. Mais comme Dieu ne permet le mal que pour obtenir le meilleur des mondes, je ne doute point que le sacrifice de mes cinquièmes positions trouvera sa suprême raison d’être, et je m’en remets à lui pour intégrer normale. Si tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes et que Leibniz s’avère n’être qu’un Pangloss, ce sera la faute à Voltaire.   

 

Travailler au soleil – tout un programme

       J’ai passé une majeure partie de l’après-midi en position de travail, au soleil. N’allez pas croire  à une folle frénésie de bachotage pré-concours. Même entre guillemets, des « vacances » résistent et  demeurent en partie ce qu’elles devraient être. Assise sur le blanc en plastique devant la maison, des photocopies de Kant sur les genoux, un stabilo à la main et des lunettes de soleil sur le nez, tout va bien. Kant est même compréhensible : la Métaphysique des moeurs ne s’est pas encore envolées  dans les trop hautes sphères des idées kantiennes, où je suis sûre que les noumènes ravis de se payer ma tête et ses neurones grillés à point partagent sans distinction aucune leur hilarité avec la raison théorique pratiquement impraticable. La motivation n’a cependant pas été la seule à être chauffée  par le soleil. Le trafic aérien est intense et la tour de contrôle est une véritable ruche – ça bourdonne sec dans le pot de fleurs à ma gauche. Hormis un simili de crise cardiaque pour cause de surgissement de bestiole non identifiée en plein bonheur-qui-n’est-pas-l’enjeu-de-la-morale, la concentration régnait. La tâche est devenue un peu plus difficile lorsqu’on est passé au niveau supérieur dans la taille des bestioles. Un proverbe dit que lorsque l’on veut la meilleure place, il faut déloger le chat. Or j’étais visiblement à la meilleure place. Donc, en bon syllogisme, vous ne conclurez pas que je suis un chat, mais que naturellement, le chat est venu me déloger. Comme j’ai une stature exceptionnellement développée pour une souris, le chat n°1 a d’autorité siégé sur mes genoux et a valeureusement défendu sa nouvelle conquête. En parfaite sentinelle, elle n’a pas arrêté de bouger. En parfaite guerrière, elle a tenu à ce que je me présente à tout instant les mains vides et partait après les fuyardes dès qu’elles menaçaient de s’emparer du trieur voisin. Sur ce, cet espèce d’ours qui est officiellement reconnu comme un bouvier bernois s’est mis en devoir d’exprimer au monde entier (sous forme de la monade de la maisonée) sa jalousie. Liberté d’expression oblige. Le chat n°1 a fini par regagner ses pénates et sa descendance, j’ai nommé deux boules de poils officiellement reconnues comme des chatons de quelques jours. Je suis passée à le lecture de Machiavel. Il s’est rapidement avéré que j’aurais dû faire appel aux dieux et non à leur fraction- demi-dieu philosophique : dès que Pascal a été glissé en haut du trieur à l’ordre du jour, le chat n°2 a sauté sur la feuille et l’occasion. Impossible ne serait-ce que de souligner quelque heureuse formulation. Le moi égoïste du chat qui se fait le centre de tout a repris le dessus. Il a essuyé son trop-plein de poils sur mon pantalon, et une fois qu’il y en avait plus que de pages à réviser avant le concours, il est reparti avec son intérêt bien compris. J’ai continué, mais laissez-moi vous dire que l’effroi du silence des espaces infinis dans la campagne riante, c’est une vaste blague. Chien, chat, mouches, (les escargots sont silencieux, une chance), tondeuse, éclats de rire et de soleil – et au milieu de tout cela, le bon sauvage qui me fait un pied de nez. Rousseau ma chèvre m’achève.