Lire Hegel, c’est comme manger du crabe.
Déjà, le menu annonce la couleur. Le repas ne se commande pas, il s’annone… Phéno mais non mais non magie ? La fée mène au logis de l’esprit… Il faut déjà être un habitué pour lâcher d’un air assuré La préface de la phénoménologie de l’esprit et deux couverts (c’est plus digeste). Et quand après mûre réflexion, l’on crie « Chaud devant ! », préparez-vous aux sueurs froides : vous allez déguster !
La couverture carapace la substantifique moelle de la Pensée. C’est dur, et ça sonne creux. Le plateau est posé devant soi ; instruments de torture de découpe disposés autour, et c’est parti. Il y a à boire et à manger. On passe des heures à déchiqueter, casser, concasser, marteler. J’arrache une pince, je la passe au casse-noix. Miracle ! Un bout de chair apparaît… un paragraphe entier lu sinon compris, et d’une traite encore. Tout de suite après, ça se complique : la chair est arrimée. Et toujours cette carapace de mots. Le problème, c’est qu’Hegel n’a pas habillé son idée avec des mots, il l’a taillée dans le roc du langage. C’est brut, c’est aride… aïe, je viens de m’écorcher sur un mot déterminité, y’a pas idée aussi (enfin si, y’en a trop). Le crabe pince ; et sa bordure est crantée, ciselée, affûtée. Travail laborieux. Il faut bien une petite pause, pour boire un peu et reposer ses tempes paumes endolories. Puis on s’y remet. Puis on continue. Au bout d’un moment, on s’aperçoit qu’on gratte alors qu’il n’y a plus rien… chair blanche contre intérieure de carapace… le sens des mots a coulé avec l’encre. Evaporé ! Pfft ! Il reste juste des petits signes noires cabalistiques. La carapace est épuisée, vous aussi. Certes le mets est raffiné, mais vous restez sur votre faim. Il y aura toujours le sel de l’addition…
La prochaine fois, vous prendrez un hamburger plein d’acides gras saturés, ça ira beaucoup plus vite. Vous le mâcherez négligemment en repoussant du dos de la main cette quatrième de couverture qui commence ainsi : »La longue et opaque préface de la phénoménologie de l’esprit n’est pas une décoction rétrospective destinée aux (non)-lecteurs pressés » , parce que justement, vous êtes pressés de vivre. Et enclins à rêver. Tellement opaque la préface, que cela réfléchit parfaitement vos pensées… vous ne soupçonniez pas la diversité de pensées que peut susciter Hegel…vraiment pas…^^
Bref, c’était une expérience, ne serait-ce que pour savoir ce que cela fait de ne RIEN comprendre. La prochaine fois, je lirai Hegel en allemand ; je ne comprendrai pas moins, mais j’améliorerai peut-être mon accent…