Un archipieds dans la ville où j’ai vécu plus de dix ans ? Il était tentant d’y retourner avec une toute nouvelle perspective – je ne parle pas des centimètres que j’ai pu prendre mais de la visite architecturale qu’avait concoctée Denys. Aucun accès de nostalgie à déplorer, puisque c’est la partie Billancourt de Boulogne que nous avons arpentée, dans laquelle je ne m’aventurais guère à l’époque et pour cause : c’était le domaine des usines Renault, dont il ne reste plus grand-chose aujourd’hui, hormis quelques façades-souvenirs. En quelques années, des immeubles modernes plus ou moins hallucinants y ont poussé comme des champignons.
La plupart abritent des bureaux (je veux bien travailler dans celui qui est concassé, pardon profilé, en bas) mais il y a aussi bon nombre d’immeubles d’habitation. Il est résulte un quartier-dortoir qui manque singulièrement de vie… toute entière concentrée dans un parc où la marmaille ne dépasse pas le mètre de hauteur mais compense par le nombre – d’où les quatre ou cinq crèches aménagées dans le quartier, quand il est difficile de trouver une seule boulangerie. Moi qui me disais que ce serait plus vivant lorsque les immeubles seraient habités… Le quartier ressemble un peu à ces intérieurs impersonnels où trois bibelots, deux livres et un bouquet de fleurs luttent contre la blancheur vide qui les entoure. La tranquillité laisse une impression de demi-teinte et les immeubles-triplés or, bronze, argent d’un petit ensemble me semblent davantage relever du jaune, de l’ocre et du pas fini de peindre.
Je n’y habiterais pas (ou alors dans un de ces appartements avec des panneaux oranges – et violet, souligne Palpatine) mais la vue est agréable depuis le parc qui fait face à l’île Seguin (toujours vide) et d’où l’on voit une grosse maison de verre posée sur un cube de carrés blanc, noirs et marron, lui-même empilé sur un gros rectangle minéral. Cet ovni mis à part, le parc me fait assez penser à celui d’Ivry, juste à côté de chez Palpatine, et tandis que l’on sort par un portail similaire, entre des panneaux de bois, il me fait remarquer que tous les bouts du monde vont finir par se ressembler. Effectivement, en ressortant vers les grands bâtiments de bureaux, les larges trottoirs et les rares commerces (« restauration rapide responsable » : rire pour ce fast-food sain) j’ai un peu la même impression qu’à Bibliothèque François Mitterand ; ces endroits dans lesquels on aime le vert en fer et gris. J’aime mieux mon béton troué de platanes et les curiosités qui se cachent entre deux immeubles d’une ville sans urbanisme (comme cette fontaine-bassin avec son petit pont, un grand pin et de petites pelouses interdites qui m’ont rappelé mes fins d’après-midi après la sortie de l’école) ; j’y rêve les gens moins urbains mais plus civilisés, avec des relations sociales un peu moins froides que ne le laissent envisager toutes les brillantes variations sur le carré que nous avons pu admirer.