Cymbeline

          Shakespeare a la langue bien pendue : Cymbeline dure deux heures et demie. Pas une seule minute d’ennui cependant, tant les intrigues d’enchaînent, s’emmêlent, et se démêlent pour mieux rebondir. Inutile de tenter de vous résumer la pièce, ce serait long et maladroit. Car la force de la représentation que nous (non, je ne parle pas encore au nous de majesté, il s’agit des anglophones sinon anglophiles de la LS1) avons eu l’occasion de voir au théâtre de Sceaux, il faut se rendre à l’évidence, est la mise en scène de Declan Donnellan. Autant vous dire que le nom m’était clairement obscur, mais que je tacherai de m’en souvenir pour pister ses prochaines apparitions en France.

                   Posthumus and Imogene

           
            La mise en scène est moderne, mais pas de cette modernité agressive plaquée sans raison sur une pièce du répertoire. L’ensemble est sobre sans être épuré ni froid ; les coulisses latérales ont été supprimées pour élargir le champ d’action, et le ballet des rideaux suspendus au milieu sépare des scènes, en découvre d’autres. Le premier acte, qui se déroule à la Cour me rappelle singulièrement celui du Swan Lake de Matthew Bourne. Même genre de robes, à la fois simples et empesées, même costards cravate, même humour pour suggérer l’étiquette. Tout est humour, certains personnages sont ridicules et pourtant, rien ne tombe dans le burlesque. Le serviteur a beau passer la moitié de son temps à faire le dos rond, pas une de ses courbettes ne revêt l’éxagération des dix coups de chapeau à plumes de Louis de Funès. Toujours sur le fil du rasoir, je vais finir par croire que c’est le charme british.
            Du british, n’oublions pas la composante rose bonbon : mais même ici, le too much est parfaitement dosé, pas de risque d’écoeurement. La robe de la reine est juste ce qu’il faut de satinée et de teinte dérivant sur le turquoise, tandis que son chignon très pièce montée achève de la couronner. Juchée sur ses talons, elle domine largement la gent masuline, à commencer par son mari qui arrive pile à la hauteur critique pour pouvoir enfouir sa tête dans son décolleté. Elle le bichonne un peu comme votre grande-tante en userait avec son bichon anglais, en esquissant une petite moue de contentement et en roucoulant « mon chou ». Le ton est donné, les rires s’échauffent ; à trois sièges de moi se fait ouïr un petit « oh !oh ! » qui, j’imagine, provient d’une dame très comme il faut, très anglaise aussi, comme une grande partie du public.
            Les rires culminent en fous rires lorsque Cloten, le sale « beau » gosse de la reine décide de venir pousser la chansonnette pour éveiller la belle Imogène, fille du roi d’un précédent mariage. On s’attend à un beau cliché en guitare mineure, mais l’un des deux acolytes de Cloten apporte un micro, et c’est le début de la fin. Les petits zosieaux, l’amour mièvre et que sais-je encore – à ce moment vous oubliez définitivement les prompteurs- sont enrolés dans un rock qui ne tarde pas à devenir endiablé. Les deux acolytes font un parfait chœur, du moins de l’avis du public, puisqu’à cet instant précis, Imogène se renfrogne sous sa couverture essayant délibérement d’échapper à ce qu’elle considère comme une nuisance sonore [Pour ma part, je ne comprends pas, mon guitariste de l’appartement d’en dessous me ravit –surtout à minuit. Private joke, sorry] Nos chanteurs avancent en avant-scène et c’est le délire total. A côté de moi, N. n’arrive plus à s’arrêter de rire ; les clichés chorégraphiques type tube des années 50 s’enchaînent et sous leurs airs de marioles qui s’enflamment sur le dance floor, les trois acteurs réalisent une belle performance – au sens anglais et français du terme. D’une manière générale, même si de façon moins extême que dans cette scène, le jeu corporel des acteurs est très réussi. Pas du tout statique, genre déclamatoire ( de toute façon l’écriture de Shakespeare ne s’y prête pas) mais au contraire du mouvement, des courses-poursuites, ou des farandoles genre remix de la chenille avec des petits coups de jambes à la mode écossaise, le tout ponctué de « hé » so… so what ? Les fondus enchaînés entre deux scènes étaient du plus bel effet, comme deux calques qui se chevauchent, les personnages de la scène précédentes se figeant pendant les premières répliques de la suivante. Dans le même registre, l’inclusion d’un lieu dans un autre (le repaire des sauvages en pleine cour anglaise) permet de ne pas perdre de vue la simultanéité des multiples intrigues. Bref, je trouve tout à fait justifié que figurent sur le programme la collaboratrice « à la mise en scène, mouvements » et l’ »assistant du directeur des mouvements ». Autre grand moment, je trouve, quand l’un des deux frères joue son rôle de sauvage à fond et avance avec des mouvements d’épaule tels que l’on y voit parfaitement la suavité du félin. Et non, il ne s’agit pas d’un quelconque engouement pour l’acteur [ A ce sujet et selon les dires de mes camarades, il conviendrait plutôt de signaler l’acteur qui jouait Iachimo – un béguin pour les dragueurs à l’italienne ? – quoique Pisanio m’ait bien plu].
            Enfin et surtout, la performance de Tom Hiddleston était tout bonnement fantastique. Ce même acteur jouait simultanément les rôles de Posthumus, l’amant d’Imogène (un chouilla cul-cul sur les bords) et Cloten, le petit morveux de service, la métamorphose s’opérant par un simple pardessus et des lunettes. Le dédoublement est si réussi, que la première fois, j’ai cru avoir loupé l’entrée d’un nouveau personnage par un coup d’œil un peu trop prolongé au prompteur. Ce parti pris (la dualité ! dirait notre professeur de latin) était totalement justifié du point de vue de l’action et le jeu de l’acteur le rendait tout simplement formidable.

En résumé, pas un moment d’ennui (même s’il est vrai que la seconde partie soit un peu moins rythmée), la performance devient divertissement, au sens noble du terme, of course.

Mimy la fine mouche

        Faites place ! Faites place ! Je veux entendre une mouche voler ! Que diable, je suis la reine !

Elle ne se mouche pas du pied celle-ci, direz vous. Mouchard, apprenez à vos dépends que je ne suis pas une reine avec collerette, éventail et mouche au coin des lèvres : je suis la reine des mouches ! Halte-là moucheron ! On ne rigole pas. La mouche est une figure hautement littéraire : elle apparaît dans l’Etranger, symbolise le remord dans la pièce de Sartre. Un jour, je ferai un mémoire intitulé : De la mouche en littérature, avec plein de petites notes en pattes de mouche. Mais revenons à notre mouche. Je suis telle, avec ma belle couleur, ma taille fine et mes ailes dorées (un peu d’imagination, diantre !) dans Orphée aux enfers, l’opéra d’Offenbach. La générale publique a eu lieu hier au théâtre de Fontenay-le-Fleury, je sors de la première et demain signe la fin de la trilogie – et des répétitions jusqu’à minuit et plus si affinités. J’essaierai de vous mettre une photo de ce spectacle ZzzZZ’ailé (et zélé). En attendant, je retourne me moucher –du nez cette fois-ci, même Jupiter métamorphosé en mouche est sujet aux rhumes- reposer mes pattes et retrouver Morphée qui m’appelle… Ce que le Dieu veut, la feeemme le veut.

Adieu, Jupiter… for… ever.

[Private joke qui ne fait rire que moi puisque rare seront les personnes ayant assisté au spectacle à venir voler par ici. Alors pour explication : les deux dernières phrases sont d’Euridyce, peu avant que nous rentrions en scène.]  

Sylvie Guillem et Russell Maliphant

… duo de choc de douceur et d’osmose

Push

 

        Arriver rue Montaigne ne gâche rien : les couturiers ont gardés leurs sapins tout de rouge vêtus et les vitrines offrent au regard (le porte monnaie ne permet pas de lécher, tout juste de baver d’envie) de somptueuses robes de soirée.
        Dernier coup de baguette de la féerie de Noël que de voir ce spectacle au théâtre des Champs Elysées : trois chorégraphies de Russell Maliphant, dont le style m’avait déjà enthousiasmée auparavant, interprétées par lui-même et Sylvie Guillem, dont le nom suffit à faire rêver. En général, même ceux qui ne s’intéressent pas à la danse l’ont déjà entend, avec celui de Pietragalla ou d’Aurélie Dupont. Danseuse au caractère bien trempé qui n’a pas hésité à partir de l’Opéra pour mener sa carrière à sa guise, elle était jusqu’il y a peu assimilée à la danseuse étoile par excellence, au coup de pied à faire pâlir d’envie et à la souplesse abracadabrante. Les chorégraphies de Russell Maliphant, s’il est évident qu’elles exploitent ses capacités hors du commun, la montrent sous un jour totalement différent, en véritable interprète. La soirée se composait de trois soli (c’est comme ça qu’on dit, non ?) puis d’un duo.

        Solo était interprété par Sylvie Guillem, en tenue blanche et fluide, sur une musique à consonance espagnole. C’était absolument génial. D’accord, ça ne vous avance pas beaucoup mais je trouve que ces chorégraphies sont avant tout hypnotisantes. Les éclairages y sont certainement pour beaucoup ; ils créent un espace intime et par les ombres qu’ils projettent sur les corps, les dévoilent sous un nouveau jour. Fluidité me semble le maître mot. A ce titre, le travail des bras (qui paraissent être libérés de l’articulation du coude) est plus impressionnant encore que ses levés de jambe, pourtant phénoménaux. La maîtrise est extraordinaire, et même les accents espagnolisants que sont ces arabesques coups de pieds se fondent dans le moelleux de la danse. C’est fluide, le mouvement coule, danse, s’accélère, s’éternise, se suspend… on voudrait qu’il continue ainsi indéfiniment ; se laisser porter sur cette dynamique apaisante. 

         Shift est interprété par le chorégraphe lui-même. La danse est plutôt lente, enroulée sur elle-même en un tournoiement aussi hypnotisant que les derviches tourneurs, mais sans jamais être monotone. Les motifs gestuels qui reviennent – un double battement de la main sur la poitrine développé ensuite vers le ciel ou encore d’une position accroupie un redressement par la tête qui entraîne tout le corps, cambré (un peu comme dans le Lac des Cygnes de Mattew Bourne). Mais la beauté de ce solo réside dans la scénographie et un usage fantastique des lumières (le régisseur de la lumière mériterait de figurer lui aussi sur l’affiche…) : le cyclo de fond de scène est divisé en cinq panneaux et recueille l’ombre du danseur, éclairé par des projecteurs en avant-scène. Un homme géant double toutes les postures du danseur, puis un autre apparaît avec une nouvelle lumière. Ces doubles rétrécissent à mesure que Russel Maliphant se rapproche de la toile de fond et l’ont en vient à se demander s’il n’y aurait pas derrière la toile deux danseurs qui doubleraient ses mouvements. Puis une troisième ombre, l’une disparaît, reparaît, elles sont cinq, non, quatre, puis trois, le bras de l’une reparaît, le pied de celle-ci disparaît, on shift d’un panneau à un autre ; ballet majestueux tout en étant un solo imposant, ayant un je ne sais quoi qui le rattache aux figures noires des poteries grecques et aux silhouettes noires se détachant sur le ciel flamboyant de la savane.

 

Two

    Two, incontestablement mon solo préféré, monte en crescendo. Une danseuse mais deux espaces de lumière. L’éclairage dédouble Sylvie Guillem qui se trouve dans un carré de faible lumière, entouré d’un contour lumineux plus dense. Pieds aux sols, tête en bas, justaucorps foncé et pantalon noir, la lumière fait ressortir ses bras, son dos et sa coupe de cheveux au carré teints en roux. Son dos est un terrain de jeux pour le lumière qui fait saillir chaque muscle, cache telle zone, déforme telle articulation. Au bout de quelques instants, la concentration de lumière fait qu’on ne sait plus très bien ce que l’on voit. Dans sa position de départ, elle me fait songer à un scorpion. Ondulations puissantes des bras, dissociation de muscle… elle ne semble plus avoir un corps humain pour la simple et bonne raison que le corps est ici véritablement sculpture vivante. Même impression de force et de sensualité que dans le dos des danseurs de la Valse de Camille Claudel, même si la danse de salon est à mille lieues de ce solo. Vingt mille lieues sous les mers pourrait-on plutôt dire. Des bruits de sonar rythment son redressement et inscrivent chaque mouvement dans son écho. Le silence est résonnement. L’attention devient palpable dans le public et les victimes tousseuses de l’hiver sont à deux doigts de se faire lyncher par leurs voisins de siège. « Mais il n’y a que des tuberculeux ici !» déplore-t-on devant moi. Nonobstant ces bruits gênants, chacun replonge son regard dans la scène. Plus encore que d’habitude, l’au-delà de la rampe est un monde à part. La danseuse de redresse  par des mouvements anguleux (si en fait, elle a vraiment des coudes), dont un qui revient à plusieurs reprises et qui me plaît bien : en quatrième croisée sur demi-pointes, tête penchée en avant, mains aux épaules et coudes vers le sol. Reprise, comme si le sonar avait fait son tour. Puis le corps entre en contact avec le contour lumineux du carré central où évolue la danseuse. Un pied, une main, une épaule entre en lumière et se détache de la danseuse. Lent, lent, accéléré, rapide, rapide, accéléré… les bras traversent la lumière comme une matière, à une telle vitesse que l’on ne voit plus des bras mais des traînées de lumière, comme les jongleurs qui la nuit enflamment leurs bolas (ou comme les épées fluos de la guerre des étoiles, mais là, ça manque franchement de charme et n’a pas du tout le côté envoûtant et mystérieux de la chorégraphie.) Accélération, le crescendo monte inexorablement alors qu’on s’attend à tout instant au final, puis c’est enfin (pour le suspens) et déjà (pour le plaisir) la fin. Quand les lumières crues se rallument sur scène, on est presque surpris de voir apparaître une danseuse en simple pantalon noir et justaucorps vert foncé, dont le soulèvement et l’abaissement rapide de la poitrine traduit l’essoufflement et qui malgré l’air à reprendre sourit à son public. Je n’ajouterais pas de fan en délire, mais c’est bien parce que le délire s’était mué en admiration extasiée. [Petit remerciement ici à ma maman qui avait emporté une charmante paire de petites jumelles roses grâce auxquelles je peux ici faire mention de ce magnifique et sincère sourire].

Two

En
tracte

         Push réunissait les artistes dans un sublime duo (duo sublimé ?). Sylvie Guillem est portée par Russel Maliphant dans des poses qui ne sont pas sans évoquer les figures de proue des navires grecs (pourquoi grecs, je ne sais pas, c’est peut-être la musique qui me pousse à cette comparaison). La construction humaine se défait, et chacun se retrouve recroquevillé. Noir. Lorsque la lumière se rallume, la danseuse est à nouveau dans les airs. La lumière les éclaire sur le côté en rasante. Le procédé se répète quelques fois puis le duo devient pas de deux. Les deux danseurs se rapprochent au point d’être imbriqués ; difficile de démêler les deux corps, le mouvement lent et continu brouille la vision classique que l‘on a du corps. Tout semble glisser, la danseuse s’abandonner sur le dos de son partenaire puis devenir elle-même point d’appui. Jeux de moulinets de bras et de déséquilibres rééquilibrés par le partenaire (le titre de la pièce est éloquent) me rappellent une autre danse du même chorégraphe que j’avais vue interprétée par deux danseurs de l’Opéra de Lyon lors de sa venue au CND à Pantin. C’est athlétique sans jamais cependant verser dans le côté exhibition. Un certain porté à ras du sol en écart rappelle une figure de patinage artistique, et certains écarts renversés proches de la souplesse rappellent le passé de gymnaste de la danseuse, mais le parallèle s’arrête là. (Pourtant je ne peux pas m’empêcher de penser aux coups que chacun a du se prendre en répétition… -Sylvie Guillem portait d’ailleurs des genouillères…) L’acrobatie s’est métamorphosée en art. Brillante alchimie du chorégraphe. Doux et hypnotisant, on aurait voulu que ce duo ne s’arrête pas. Au fond le seul défaut de cette soirée sera qu’on reste sur sa faim. D’où l’intensité des applaudissements et les innombrables manœuvres du rideau de scène.

Push

 

« C’est un grand voyage que nous faisons ensemble, raconte Maliphant au Monde. Nous appartenons à deux mondes différents. Elle bosse énormément et peut tout faire avec une facilité apparente incroyable. Je chorégraphie en fonction de la singularité de chaque danseur. Avec Sylvie, j’ai donc pu aller beaucoup plus loin dans l’écriture. »

 

Le manuel du parfait chasseur de petits rats – vol. 2

Ou comment l’approcher

       Le moyen le plus sur de l’observer est sur scène, là où il est apprivoisé. Le phénomène est alors magique, se garder de toute analyse et de tout esprit critique.

 

Dans la rue
        Le repérer est très difficile, hormis le cas exceptionnel de l’opéra. Les autres peuvent cependant être soupçonnés lorsqu’ils sortent d’un cours, à leur démarche sénile qui cherche à éviter de bouger leurs articulations douloureuses. L’affalement est ensuite notoire dans les moyens de transport. Vous pouvez en apercevoir un dans l’attente d’un feu vert pour piétons, s’il balance sa jambe en attitude à la seconde (en remontant le genou vers l’épaule) ou s’il se balance sur le côté, mains sur les hanches avec une jambe décollée du sol : il se fait craquer la hanche. Moment ô combien délectable. Passons. Il peut également faire le héron, ce qui se traduit ici par l’étirement de la cuisse.
Si vous avez beaucoup de chance, le petit rat se trouvera sur le chemin de son cours et sera donc muni d’un chignon. Il sera alors très facilement reconnaissable (surtout s’il court, le petite rat est souvent un peu juste).

 

Aux abords d’une audition
         Cet endroit constitue un terrain de repérage rêvé pour tout amateur de rat. On y trouve la raideur manche à balai due au stress et surtout la fameuse marche des canards. Eh oui ! De même que les paons font la roue, le rat laisse cette curieuse esbroufe au gymnaste et parade ridiculement en-dehors (du propos) pour impressionner ses petits concurrents. Mais le rat n’est pas toujours aussi impitoyable qu’on le dit. Il sait être solidaire et se sauver de concert lorsque le navire prend l’eau ; c’est-à-dire quand il échoue plus ou moins lamentablement, ce qui ne manque pas d’arriver en raison du nombre restreint de places disponibles – quand des rats rapaces ne les ont pas déjà accaparées par audition privée, hem. Sales bestioles.
          Avant l’audition, en bus ou à l’hôtel, le petit rat donne des petits coups de tête pour repérer ses congénères. Il fera alors montre de petits yeux inquiets. S’il s’agit d’un pestiféré il aura l’air d’une fouine. (Le rat ne montre pas souvent les dents, mais il n’est pas non plus tendre).
          Après l’audition, il est très probable de le voir pleurer à chaudes larmes de crocodile, escorté par ses géniteurs ou plus sûrement sa mère poule. A votre avis, pourquoi le haut du théâtre s’appelle-t-il un poulailler, hein ?

 

En stage
          Du concentré de rats à observer. Dès l’extérieur, il se repère grâce à son gros sac. Comme l’escargot, le rat trimballe son capharnaüm avec lui. Dans une énumération à la Prévert : tickets de bus, horaires de cours de l’année dernière, paquets de mouchoirs ; des tuniques à gogo parce qu’on ne sait jamais laquelle choisir mais surtout parce qu’il est impératif d’en changer souvent (et d’essorer la précédente- j’exagère à peine) ; des demis pointes trouées dans lesquelles on se sent comme dans des chaussons (pas étonnant, c’en sont) ; une paire de pointe en cours qui a connu quatre cours et dans un temps égal sera dans un état de décomposition avancé, une encore toute bonne à finir mais qui en réalité en est déjà au stade avancé de décomposition (stade beurre mou par canicule) et des toutes nouvelles qu’il va falloir briser ( et fait de quoi ce sont plutôt les pieds qui sont brisés au premier essayage).  A quoi s’ajoute une serviette pour les gouttes qui roulent dans le dos comme des petites perles de rocaille, ou au coin de l’œil –hum… ; du dédorant ; de la laque les jours de grandes occasions, des filets, des pinces qui disparaissent mystérieusement de leur boîtes et dont on retrouve quelques survivants en farfouillant au fin fonds du sac (alors que l’on est pressé, il va sans dire) non sans se piquer à l’aiguille qui dépasse du nécessaire à couture -en cas d’extrême urgence ; un peu de maquillage beaucoup pour certaines ; téléphone ; bouteille d’eau ; pansements ; argent ; brosse à cheveux… Le tout sans dessus dessous.
          Avec sa maison, le rat va donc au stage. Une aubaine pour le chasseur puisque le terrier est parfois prêt à excepter les visiteurs et  épater la galerie. Les cours sont bondés, ça bat, frappe, brosse, fouette, saute et tourne de toutes parts. Le rat fait ici la rencontre de ses pairs. Il en connaît toujours plus ou moins quelques-uns et chuchote sur les autres. Tout se sait. Il n’y a que la désignation qui ne soit pas toujours facile : « Tu vois, elle, là-bas, avec le chignon (vachement identifiant), celle qui se place, là, mais siiiii, celle avec la tunique, le short et le collant noir, non pas la brune, la blonde, là, oui elle… bah elle rentre en deuxième division ». Suit généralement un petit juron d’admiration, un soupir de langueur –« mais pourquoi je ne suis pas comme ça ??? »- et un « hm » conclusif.

En stage, le rat enchaîne les cours et rentre totalement exténué. Là, il est facile à attraper… mais il n’a alors plus rien de tout ce qui fait sa légende.

Que ma joie demeure

         Un spectacle baroque ? A priori, je dis bien à priori, cela n’a pas l’air de devoir soulever une joie intense. Oui, mais les à prioris sont faits pour êtres défaits par l’expérience. Je me suis laissée entraîner… le spectacle était proposé à petit prix par l’Adiam dans le cadre d’une sensibilisation du public (le premier qui dit les publics, je l’étripe virtuellement), précédé d’une conférence. L’idéal pour rentrer dans l’univers de la chorégraphe Béatrice Massin. Elle nous a expliqué les différents systèmes de notions de la danse baroque et comment elle a pu redécouvrir et remonter des danses tombées dans l’oubli. Mais là où ça devient intéressant, c’est que cette redécouverte est avant tout une base, un vocabulaire chorégraphique (comme l’on dit quand on est critique de danse.). Un matériau qui est outil pour créer. Ainsi elle nous explique qu’elle a gardé tel ou tel pas, abandonné l’idée de symétrie qui fait trop figé de nos jours et correspondait bien pour les bals de cour mais moins pour une scène. La théorie paraît alléchante. Mais la dégustation surpasse toutes les attentes. Sur des musiques de Bach, il me semble, la chorégraphie montre un groupe qui se fait se défait, on avance, on sort et nous invite à entrer dans la danse. Les passages de groupes alternent avec des duos ou trios, les envolées d’entrain avec des moments plus intimes, la musique égrenée avec un silence qui est tout sauf pesant. Silence propice pour se laisser développer un duo déclaration d’amour et découverte de l’autre. Silence… dans lequel résonne les frottements des pieds sertis dans de petites chaussures à talon. Silence rythmé avec des frappés qui créent un véritable rythme, qui créent la musique et la danse. On pourrait croire à des claquettes. Ce n’est ni de l’ancien adapté pour faire moderne, ni du moderne à partir du désuet. C’est une création, une danse vivante qui donne à voir la vie. Le groupe s’amuse, joue, hésite, virevolte. Les bras jaillissent, esquissent, surprennent : c’est que la notation n’en a pas fixé les mouvements, chaque interprète les inventait selon sa personnalité, son style. La touche finale de l’artiste accompli. Rien n’est figé. La danse respire. La danse souffle sans jamais s’essouffler. Elle halète. Elle s’adoucit et elle monte en enthousiasme. Le début était déjà captivant, la suite est époustouflante. Monte en vivacité, en vigueur, en grandeur, en mouvement. Le geste se fait plus grand, plus libre même si toujours parfaitement contrôlé. Les couleurs apportent chaleur, intimité et surtout dynamisme. Le tapis de sol est rouge, presque aveuglant quand il est à peine éclairé et que les danseurs s’en détachent dans un jeu de clair-obscur, statues vivantes, sculptures de chair et de souffle. Les costumes sont composés de pantalons oranges –vous comprenez pourquoi je suis emballée- de hauts de couleurs différentes et des vestes qui tiennent le milieu entre la chemise d’homme d’époque, la tunique et le queue-de-pie et qui virevoltent littéralement autour des danseurs. Parfaitement étudiés, d’autant plus que les tours sont nombreux. Sans parler des manèges dont les sauts finissent par rivaliser avec les ballets classiques. Festival de rouge, d’orange, de jaune et tache de douceur rose. Bonbons que l’on sent acidulés mais jamais acide. Les danseurs bondissent, le rythme s’intensifie, les vestes s’ouvrent. Les chaussures sont laissées sur le côté et les pieds nus se mêlent aux talons. Bientôt les vestes sont négligemment laissées sur le côté, les pieds nus se réunissent, les mouvements empruntent plus au contemporain –La chorégraphe l’es de formation-. L’allégresse n’est plus seulement sensible, elle se transmet. Une danseuse pousse un cri, pas obscène, pas animal, pas stupide, cri de bonheur. On bougerait bien si les sièges n’étaient pas reliés les uns aux autres. Encore, plus, toujours, hypnotisés non soulevés, entrain, joie pure, gratuitement, joie totale, joie de vivre. Vie. Tout simplement. Alors quand ça finit, on reste sous le choc, et oui, on veut « Que ma joie demeure ».

        Je ne me suis pas relue, juste laissée entraînée par la bribe de joie qui me restait, et correction orthographique de Word. Il se peut donc que tout ne soit pas totalment compréhensible…