Double vision, Carolyn Carlson

Si c’était par la fin que tout commençait, il faudrait faire faire l’introduction à Miss Red : difficile de dire si l’on a aimé ou pas, et c’est peut-être mieux comme cela. Ce qui est certain, c’est que le spectacle ne laisse pas indifférent : on hésite entre fascinant et dérangeant, s’il est vrai que le choc est avant tout esthétique. On ne sait pas trop où l’on va, jusqu’à ce que la chorégraphe elle-même nous indique en bilingue les lieux par où l’on est passé :

 

the world I see

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La taille enserrée dans une jupe qui s’étale sur toute la scène, Carolyn Carlson s’étend, se consume ou flotte au milieu des remous de tissu, soulevé par de l’air pulsé, selon que les images projetées sont celles d’un arbre (les plis du tissu donnent alors du relief aux racines, les petits gestes nerveux de Carolyn Carlson deviennent ceux d’un écureuil), d’un feu (flammes du tissu crépitant) ou de la glace qui peu à peu, depuis les bords jusqu’à la danseuse, se cristallise en banquise.

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En fond de scène, incliné, un miroir reconstitue comme il le ferait d’une anamorphose les images projetées sur le tissu depuis les cintres. L’œil aux aguets est sans cesse dérouté par cette double vision qui oblige le spectateur à synthétiser ce qu’il perçoit ou à choisir ce qui lui donne à l’instant l’image la plus poétique, soit la scène, soit le miroir, selon que celui-ci donne un sens à celle-là en perdant la danseuse dans son espace plan ou qu’il le déforme en l’aplanissant.

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On en ressort vidé mais c’est la partie que j’ai préférée, avec toutes ses variations qui sont autant de surprises. La plus étonnante résulte peut-être de la projection de fourmis rouges qui traversent d’abord l’image de l’arbre puis grossissent au point de devenir indépendantes, de grosses globules rouges (image suscitée par le « blood » de la bande-son) qui vous donnent des démangeaisons.

 

the world I make


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Des bandes verticales descendent des cintres, sur lesquelles sont projetées des images elles-aussi verticales, bandes d’autoroute vues du ciel, chiffres qui défilent, gratte-ciels ou lumières accélérées de la ville. Carolyn Carlson revient en ombre, habillée et cagoulée de noir au point de se confondre avec l’ombre réelle (si je puis dire) qui est projetée juste derrière elle sur les bandes.

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Cette fois-ci, l’écureuil a fait un détour par la banque et est devenu agent comptable ; les doigts ne s’agitent plus pour faire provision de noisettes mais pour taper sur des machines à écrire imaginaires ; l’agitation saccadée serait celle d’un homme d’affaire passée en accélérée. Signe du temps, j’ai parfois l’impression d’apercevoir les silhouettes i-pod, qui, dans le clip publicitaire, se trémoussent façon hip-hop sur fond coloré. Une ou deux fois, Carolyn Carlson relève un bout de tissu derrière sa tête et sa silhouette apparaît voilée, suscitant une curieuse association avec les connotations précédentes.

 

the world I imagine

 

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Après les courbes du premier volet et les verticales du deuxième, le troisième manque de traits distinctifs. On y projette des morceaux d’écriture et la danseuse, entre autre, tenant retournée la doublure de son manteau-tunique (couleur Miss Red, qui a bien pensé aller le chiper pendant les saluts) pour un effet très graphique, tourbillonne lentement comme un derviche tourneur. En dépit de la tripartition, j’ai trouvé la première partie beaucoup plus imaginative – peut-être parce que le monde que je vois se présente déjà avec la vision que j’en ai et que la nature est une entité imaginaire. Du coup, le monde de la création artistique qui est pourtant présente dans toute sa vigueur dès le début, se présente comme un monde appauvri à force d’auto-référentialité ; comme sa danseuse, il tourne en rond, et le tout a tôt fait de virer au conceptuel. Certes, la tripartition annoncée après un bla-bla pseudo-métaphysique permet d’organiser ce que l’on vient de voir, mais elle lui fait aussi perdre de son onirisme si l’on écoute les paroles plutôt que d’entendre la voix encore musicale qui les prononce. Lorsque le noir ou plutôt l’obscurité se fait, on reste sinon sceptique, du moins méditatif, et les applaudissements mettent longtemps à prendre, comme un feu qui tarderait à se propager.

 

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Pour que la vision soit vraiment double, j’invite Miss Red à commenter maintenant que cela a eu le temps de décanter.

Sacrée soirée composite

Jeudi dernier, Garnier, par l’entrée des artistes, puis des loges à la salle : séance de travail pour le programme Balanchine/ Brown/ Bausch. Cela me rappelle les répétitions à Montansier, sauf qu’à Garnier, tout est plus : plus impressionnant, plus grand, évidemment, avec plus de techniciens plateau et plus de monde à la régie. Le maître de ballet n’a pas à corriger les éclairages, il y a pour cela du monde en loge : on entend derrière nous des « à jardin, plus de lumière ; faut se concentrer sur les voiles des deux femmes qui viennent de s’écarter, là » – cela me fait bizarre d’entendre parler de femmes plutôt que de danseuses, on a tendance à l’oublier quand elles sont en scène. Lorsqu’elles prennent une pause pour entendre les corrections de Laurent Hilaire à la fin du ballet de Balanchine, là seulement on se rend compte que la tunique blanche avec jupette à trente ans, c’est un peu violent. Apollon musagète n’est pas le Balanchine que je préfère, et je ne dis pas cela seulement parce que Mathieu Ganio frise la caricature de lui-même en Apollon ou qu’Emilie Cozette rame un peu avec ses grandes jambes (quelle idée en même temps de la mettre avec deux petites, surtout quand l’une d’elle se trouve être Myriam Ould-braham qui malgré sa taille, sera toujours plus balanchinienne que l’étoile) : c’est un joli divertissement qui ne me touche guère.

La suite, en revanche… quand on pense que ce n’est qu’une répétition… Je me souviens de réaction mitigées à la création de O Zlozony/O composite et ne comprends absolument pas pourquoi ce ballet n’a pas suscité l’émerveillement le plus pur. Pourtant, rien que le titre… écoutez… oh !…des voix qui chuchotent des confidences, une langue étrangère dont je ne soupçonne pas même la nationalité, pure incantation, d’avant la signification ; une danseuse en apesanteur et des hommes sensuels ; un fond étoilé … Melendili n’hésiterait pas : c’est cosmique ! Si les balletomanes du dimanche étaient des lectrices du magazine Elle, je leur ferai l’équation de la semaine : fond étoilé d’In the night + l’intermède du Parc où Aurélie Dupont est portée en apesanteur par les jardiniers = O Zlozony/O composite. C’est au point que si la correction adressée à « Jérémie » n’était pas un lapsus du répétiteur, je vais devoir revoir mes positions concernant Jérémie Bélingard ; j’ai eu une petite pensée pour Amélie et son engouement pour la « sexitude » de cette étoile, parce que si c’était bien lui (et j’ai toujours du mal à croire que Jérémie Bélingard puisse avoir une danse plus latino qu’Alessio Carbone qui, s’il n’y a pas confusion, montrait plus une raideur romaine que l’onctuosité latine)… je dois reconnaître qu’il y avait de la sensualité dans l’air – après, Palpatine vous dirait que c’était à cause de Muriel Zusperreguy dont la présence n’était évidemment pas pour gâcher le trio.

La répétition allait son train avec tout le sérieux des danseurs et l’enthousiasme des musiciens ; tous prennent une longue pause pendant que des techniciens apportent de grandes bennes sur scène. Je me demande, vaguement inquiète, si les danseurs vont se cacher dedans, mais le contenu de ces immenses poubelles a tôt fait d’être déversé sur scène : de la terre ! Pendant une vingtaine de minutes, elle est répandue à coup de pelles, étalée, aplatie, tassée, et enfin… arrosée ! J’imagine bien sur le CV : terrassier ? mais vous n’étiez pas technicien à l’opéra ? – si, si, justement. C’est assez hallucinant. Avec le tuyau d’arrosage qui ressemble à un lance-flammes, l’état de guerre est déclaré ; le spectateur va s’en prendre plein la tête. Après cette installation et quelques faux-départs dus aux éclairages (sans lumière, l’orchestre peut difficilement suivre la partition), les danseurs qui s’échauffaient jusqu’alors autour du praticable terreux se lancent dans la chorégraphie de Bausch. La puissance des ensembles et la violence de la musique me terrasse dans mon siège, j’en ai oublié jusqu’aux palabres un peu bruyants pour régler les lumières. C’est à couper le souffle et l’Élue, musique achevée, reste effectivement au sol jusqu’à ce qu’un danseur vienne la relever ; on a le sentiment qu’elle va tomber à chaque fois qu’on lui presse l’épaule ou le dos pour la féliciter, comme si la violence des hommes se perpétuait, amoindrie, chez les danseurs. Ce n’est pas un ballet émotionnellement anodin, il semble falloir du temps pour sortir de son rôle.

De les voir là, épuisés, la pièce achevée, on en est presque désolé, on mesure la solitude de ces répétitions tardives, lorsqu’ils dansent pour personne sinon pour rien. Et je me demande si elle est allégée par la présence du public les soirs de représentation, si cette présence les galvanise, ou si la solitude demeure en dépit du public, invisible derrière les feux de la rampe. Je n’arrive pas à savoir si je crains le mécanisme d’une danse devenue répétitive au-delà des répétitions ou si je suis rassérénée par le geste toujours fait pour soi. Quoiqu’il en soit, le Sacre du printemps secoue. C’est à répéter – non tant pour les danseurs que pour les spectateurs.

 

Petrouchka ébachi

[Pleyel, jeudi 2 décembre avec Palpatine]

Comme des patins à glace, la baguette de Dima Slobodeniouk trace des arabesques sur le Lac enchanté d’Anatole Liadov, qui porte bien son nom (le lac tout droit sorti d’une « scène de conte de fée », pas Anatole, voyons). On peut glisser.

Gil Shaham porte son regard béat sur le Concerto n°2 pour violon, histoire de nous ébahir avec les surprenantes figures de Prokofiev. Il joue de son instrument et avec le public : l’archet suspendu, il vous regarde par en-dessous comme s’il préparait un bon coup- de fait, la comparaison est inutile, le coup est toujours juste lorsqu’il entreprend d’agacer son Stradivarius. Et c’est comme s’il portait en notre compagnie un toast à la musique qu’il prend la peine d’annoncer son bis, qui devient rapidement un ter puis un quater ; pour une fois on sait ce qu’on entend— même si j’ai déjà oublié de quels morceaux de Bach il s’agissait au juste. Ce que je n’ai pas oublié, en revanche, c’est la beauté de ces morceaux, où l’on entendait simultanément la musique et le silence— un silence plus hypnotique encore qu’attentif, qui ne disparaissait pas recouvert par la musique. Pour un peu, on aurait aimé que le concert se transforme en récital…

…quoiqu’en musique de ballet, ce n’était pas mal non plus. Pour moi qui ai peu d’oreille, écouter un ballet en concert me donne l’occasion de voir autrement la musique ; par exemple, ce moment où, à la musique de foire tenue par les vents, Stravinski superpose les cordes : elles déforment ce qui n’a donc été qu’une citation et devient tout autre chose. Puis, pour le coup, l’orchestre est vraiment en scène : « En composant cette musique, raconte Stravinski, j’avais nettement la vision d’un pantin subitement déchaîné qui, par ses cascades d’arpèges diaboliques, exaspère la patience de l’orchestre, lequel, à son tour, lui réplique par des fanfares menaçantes. Il s’ensuit une terrible bagarre qui, arrivée à son paroxysme, se termine par l’affaissement douloureux et plaintif du pauvre pantin. » J’ai quant à moi suivi la marionnette qui dansait dans mon souvenir, jusqu’au moment où j’ai perdu de vue Petrouchka, égaré quelque part entre le Maure et la ballerine. Du coup, je me suis fait surprendre par la fin, non sans m’être auparavant ravigotée à cette musique aussi brillante que bigarrée.

Cadmu[S] e[t] He[R]mione

Cadmu[S] e[t] He[R]mione, le titre m’a bouffé ma petite capitale !

Je suis sortie six jours sur sept cette semaine : nombre de découvertes stimulantes mais peu d’heures de sommeil et encore moins de compte-rendus. Le feu d’artifice a été ouvert lundi à l’Opéra comique. Comique déjà dans sa décoration : mosaïques carrelées au sol, morceaux de marbres déparés, mosaïques dorées au plafond, peintures à l’exubérance italienne, moulures et dorures à foison, rien ne va avec rien, comme si chaque artisan avait suivi mécaniquement son idée sans se mettre sous la houlette d’aucun maître d’œuvre. Il n’y a vraiment que l’étiquette de « baroque » pour imaginer unifier tout cela. Sur scène, c’est un peu la même chose, à ceci près que l’anarchie des costumes bigarrés est atténuées par la faible intensité lumineuse. En effet, on redécouvre ici au sens propre ce que signifie passer les feux de la rampe et, bien que je ne sois pas une fille à bougie (essayez de m’en offrir une, vous verrez la tête que je ferai, voire la grimace, si elle est parfumée), cette belle ligne de lumières à l’ancienne suffit à me ravir – un peu le même émerveillement en prélude au spectacle que devant les petits trains de Fabre (qui déraillait ensuite).

 

La faible luminosité est un peu fatigante pour les yeux mais la façon dont elle recréé des physiques semblables aux gravures de l’époque est fascinante : éclairés en contre-plongée, les visages plombés de perruque s’alourdissent, tandis que les costumes resserrés aux chevilles font des petits pieds et de menues foulées aux danseuses baroques. Cela sautille avec des rameaux dans la main lors des festivités agrestes et se suspend en poses précieuses, aux lignes brisées qui ne seraient que disgracieuses sur des gravures (où les mouvements figés ont souvent l’air maladroits) mais que l’on dirait pourtant alanguies grâce aux tuniques grecques (qui ne vont pas si mal aux hommes – l’un a un maquillage qui me fait un instant penser aux cygnes de Matthew Bourne) et au décor de colonnes et de miroirs au milieu duquel ils évoluent.

 

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Je m’attarde sur la danse et les costumes mais, aussi, l’opéra de Lully n’est que pur divertissement et l’argument est tout au plus un prétexte à louer l’amour et les dieux – la morale de l’histoire est à ce titre sans équivoque : « Vivez heureux ». Tout y est art, tout y est pacotille, jusqu’aux épreuves de Cadmus pour délivrer Hermione des liens auxquels sont père Mars l’a promise et qui doivent l’enchaîner à un géant de la région (qui se ballade sur échasses avec des écailles sur le dos, façon dinosaure de SF) : le dragon qui apparaît avec force fumée et qu’il abat d’un coup d’epée me fait rire comme une gamine à un spectacle de marionnettes, les soldats qui veulent le tuer sont neutralisés par une grenade qu’Amour a obligeamment fourni à notre héros (parce que si vous aimez votre prochain, c’est pour mieux trucider votre lointain) et les Géants sont changés en pierre par Pallas avant que Cadmus ait même songé à les affronter. Si amour et gloire y sont si facilement interchangeables, c’est qu’il n’est question, dans un cas comme dans l’autre, que d’élection : vous avez choisi de vous illustrer auprès de telle dame et telle déesse a choisi de vous aimer, pardon, de vous aider. Caprice hasardeux de l’amour et bravoure de pacotille – qui ne rend pas moins risible (quoique plus sympathique) Arbas, le pleutre de service, sûrement aïeul du Matamore, qui singe son compagnon héroïque, tant dans ses exploits guerriers qu’amoureux (moment particulièrement croustillant lorsqu’il conte fleurette à Charite qui, n’étant pas encore chrétienne, le pousse dans les bras de la nourrice amoureuse – et travesti, en l’occurrence).

 

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Les rebondissements sont assurés par des dei ex machina, machines grinçantes qui les propulsent dans les airs où les chanteurs se balancent, plus ou moins à l’aise dans leurs nacelles (plutôt moins que plus, et certainement moins que les démons- acrobates en trapèze ou harnais). Ces apparitions sont d’autant plus réjouissante que de notre place, nous les voyons préparées, la mise à feu s’avérant périlleuse. Au final, la brochette de dieux est savoureuse (Luanda Siqueira est une Junon resplendissante) et les noces de Cadmus et Hermione peuvent être célébrées en grande pompe. Ete de rrreparrrtirrr dans le froide, en roulant les /r/ et en prononçant tous les /t/ et les /s/ muets (Palpatine se gèle les couillesses) – un peu comme on ne peut s’empêcher de « fort » utiliser l’adverbe « moult » (depuis intégré à mon lexique personnel) après avoir vu Perceval le Gallois de Rohmer- c’est le syndrome baroque.

 

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Je ne me suis peut-être pas enflammée mais j’ai passé une bonne soirée.

Breakfast at Tiffany’s, by Truman Capote

Il faut toujours sortir couvert et pour ne pas me retrouver à court de lecture, j’ai emprunté un Capote à la bibliothèque. Les quelques images qu’il me restait d’Audrey Hepburn dans le film ont vite été balayées par la petite brindille blonde qu’est Holly Golightly, aussi virevoltante que son nom. En guise d’allure, une vie trépidante et des manières de garçon manqué ; c’est qu’elle a du style plutôt que de l’élégance, et pas vraiment sa place chez Tiffany’s. Le petit-déjeuner chez le joaillier n’aura d’ailleurs jamais lieu : comment voulez-vous qu’elle s’attarde dans ce havre de sérénité lorsque le narrateur la quitte sans savoir si elle a pu se trouver quelque part chez elle, elle qui n’avait pas même l’impression d’être assez maîtresse de son chat pour lui donner un nom, et dont la carte de visite mentionne « voyageuse » pour toute adresse ? Beaucoup plus essentiel au personnage que le rêve de richesses et de diamants est celui d’un chez-soi où elle ne serait pas toujours à fuir – des hommes, la police, son mari illégitime et ses enfants d’adoption. Elle-même, aussi, s’il est vrai que l’on fait la connaissance du personnage à travers une photo, et une photo de masque qui plus est. Sculpture africaine, il ne permet pas au narrateur de retrouver sa trace, seulement quelques traces, des souvenirs laissés au narrateur ; le masque ne tombera pas, il s’avérera au cours du roman être le seul véritable visage de Holly qui ne se départit pas de grandes lunettes noires. Pourtant miss Golightly est bien moins mystérieuse qu’insaisissable, petit animal sauvage dont tout le monde s’éprend sans réussir à se l’attacher. On ne peut qu’aimer Holly Golightly. On ne peut même que cela et rien d’autre : bien que femme séduisante, la belle est une gamine qui aime comme un enfant ses parents, sans le sentiment de rien leur devoir, sinon la reconnaissance de lui avoir fait assez confiance pour lui permettre d’avancer – et incidemment, de s’éloigner. Le narrateur l’aime pour ce qu’elle est, mais surtout pour qu’elle puisse être telle qu’elle le veut devenir, lui faisant don de cette amitié amoureuse où la complicité le dispute à la compassion. Légère, miss Golightly l’est davantage par le style de Truman Capote, qui ne s’appesantit pas sur le parcours pénible de la gamine ni sur ses caprices de femme, que dans son cœur de papier (de banque ? Mais non, elle veut aimer ou du moins croire aimer ceux que d’autres plumeraient). En somme, il n’y a dans ce roman rien de superficiel que de croire à la superficialité du personnage.

« Truman Capote, comme tous ceux qui ont des nuits difficiles, est très fort en petit-déjeuners. Ses livres en contiennent presque autant que de sapins de Noël – ceux-ci sont réellement innombrables- et de traits d’humour grinçant. […] Le petit déjeuner incarne l’espoir, la fin des cauchemars, et une bonne journée devant soi.
Mais dans ce livre-ci, le petit déjeuner idéal n’a jamais lieu, ni aucun autre d’ailleurs, ce n’est pas le genre d’histoire à petits déjeuners.
Ainsi ce titre si limpide, Breakfast at Tiffany’s est-il un pur trompe-l’œil, et c’est pourquoi il résume si bien l’art de Truman Capote, l’art du vrai-faux. »
Blake Edwards s’y serait laissé prendre… Truman Capote a dénié à Audrey Hepburn toute ressemblance avec son héroïne, et considéré l’adaptation cinématographique comme une trahison. Mais ce ne sont que des mots et l’image est là, persistante, en couverture, en dépit de la préface de Geneviève Brisac.

 

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