Une suite sans fin

Lift the leg. Tuck the navel. Open your chest. Smile. Je fais comme dit Adriene, et je remonte la commissure des lèvres comme j’actionne les autres muscles : presque à chaque fois, cela me donne envie de sourire. Le sourire mécanique meurt pour renaître organique, non plus soulevé par ses extrémités mais jaillissant, s’écoulant naturellement de je ne sais quel centre en moi, comme si la joie était mémorisée là, dans les muscles, et qu’il suffisait de les contracter pour la libérer.

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J’avais oublié qu’il fallait se couper les ongles de pieds même si l’on ne fait pas de pointes.

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Les dernières fleurs sont fanées dans ma jardinière. J’ai compté les petites flétrissures bleues : en fait de deux, trois fleurs, il y en a eu douze. Cela m’a fait plaisir de les trouver un jour dans le pot de ma menthe et mon basilic morts la saison dernière, ou peut-être avant-dernière déjà. Par paresse, j’avais laissé les pots sur le rebord de la fenêtre, tiges coupées à ras ; les mauvaises herbes entretenaient une illusion de verdure. Un jour, surprise, j’ai trouvé de petites fleurs, pétales mauves et petit tube jaune, et cela m’a fait bien plus plaisir que des fleurs plus belles que j’aurais plantées. C’est idiot, mais c’était comme une joliesse du destin me rappelant que la beauté arrive même quand on ne s’y attend plus, même dans la négligence de l’indifférence – pourvu seulement qu’on ait laissé, même sans y penser, un peu de terreau. Je me demande si je laisse assez de plate-bandes libres dans ma vie, pour qu’on vienne y semer.

(Merci sans doute à mon voisin de deux étages plus haut, à ses pots alignés sur les miens qui ont parfois débordé sur ma balustrade.)

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J’ai découvert samedi dernier qu’à l’heure où je me mets à mon bureau, les rayons du soleil arrivent jusque dans ma cuisine. Je me suis collée au frigo pour les sentir sur moi, sachant que ça ne durerait pas, mais cela a duré, alors je suis retournée dans l’ombre pour mettre de l’eau à chauffer et attraper un livre. Contrairement aux écrans, le papier préserve la lumière ; dans le moment même on l’on s’abstrait de son environnement, il continue d’être là, par la lumière qui se fait texture, le grain du papier cabossé-velouté. J’ai alterné ainsi, un chapitre, une tasse de thé – un Earl Grey vert qui a aidé les rayons à diffuser leur chaleur en moi – jusqu’à ce que ma grâce tourne, et referme sur lui-même un instant qui s’est creusé une durée dans le temps que j’étais déjà prête à employer. J’ai aimé ce moment imprévu, de pure réaction à l’instant, qui venait contredire mes envies déjà plus ou moins listées et agencées. J’ai gâché dans cette lecture ensoleillée une mâtinée sur laquelle je projetais l’écriture de ce billet (parce qu’après déjeuner, je le sais, les phrases se forment avec davantage de difficulté, alors il faut en profiter, vite, vite, vite, surfer sur la tyrannie des rythmes biologiques), et comme à chaque fois que j’ai accepté de perdre du temps, je l’ai retrouvé. Ce ne sont pas tant les heures travaillées que le temps de travail nous dérobe, que le temps de loisir qu’il nous laisse, déformé à sa propre image, soumis à sa propre loi : celle de la productivité.

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Vendredi dernier, j’ai aperçu de chez moi trois hommes costauds en costume noir, gants en plastique bleu, qui attendaient deux face à un, jambes écartées, avec cet air solennel professionnel que seuls savent prendre les miliaires, la mafia et les employés des pompes funèbres. Avant même d’avoir repéré la grosse voiture noire à côté, je savais. Il ont cette attitude de qui ne doit pas être surpris à ne rien faire, fusse attendre, alors les bras s’empêchent d’être ballants, une main tient l’autre poignet, derrière ou devant, et le changement de l’un à l’autre leur donne une illusion de mouvement : de la contenance. J’arrête de travailler, je guette la sortie du cercueil. Je remarque que les gants en plastique bleu jurent avec leur tenue, rappellent le contexte surréel de l’épidémie, puis renonce à mon voyeurisme. Le temps d’aller me laver les dents, trois minutes durant lesquelles les cloches de l’église sonnent, les hommes ont disparu. Je me remets à travailler et lorsque je relève à nouveau les yeux, la voiture elle aussi a disparu.

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Moi, la meuf la plus impatiente du monde, qui pensait le yoga insupportable de lenteur, je me surprends à arrêter régulièrement la vidéo parce que ça va trop vite : j’ai envie – c’est-à-dire je reconnais le besoin – de rester plus longtemps dans une position. Pas pour la tenir plus longtemps comme on retient sa respiration sous l’eau ; pas pour la perfectionner comme au cours de iyengar que j’avais pris avec une caricature de vieille prof de danse aigrie : juste pour laisser à mon corps le temps de s’y relâcher.

Je savais l’importance de la respiration par la danse, mais de manière abstraite, comme une liste d’il faut : expirer dans l’effort, retenir un peu sa respiration dans les temps de saut, ne pas oublier de faire à nouveau rentrer l’air dans les poumons. Une fois, ma professeur a coupé la musique et m’a demandé de refaire le manège, en silence ; je me suis exécutée et, attendant la correction, elle m’a demandé : « Tu as respiré à quel moment ? » Question rhétorique : j’avais fait le manège en apnée. Je comprends à présent, en y repensant, que le problème n’était pas de trouver à quel moment reprendre mon souffle, mais de le vider, pour pouvoir refaire le plein.

Persuadée que l’expiration se fait sans y penser, j’étais focalisée sur l’inspiration – quand je pensais à la respiration. Avec le yoga, je commence à sentir l’impact de l’expiration : c’est là que les tensions dans le même mouvement se font sentir et se dénouent. Plus je prends conscience de ce mouvement-ci, moins je donne de prise à celui-là. Il faudra beaucoup de répétitions pour que cela s’ancre dans le corps et désamorce une réticence que, devenue réflexe, j’ai crue naturelle. Lâcher prise, la formule me hérisse, mais : expirer, ça oui.

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J’ai de plus en plus de mal à travailler, à m’efforcer. Je ne sais pas si j’assure l’essentiel ou si je fais le minimum syndical. Ce n’est pas glorieux, et c’est en même temps le refus de l’absurde : j’ai de plus en plus de mal à envisager un temps de travail fixe, sept heures tenues à mon bureau me paraissent une éternité, même en deux fois trois heures trente, même avec des pauses thé, douche, lavage de dent, goûter. Pour oublier le temps qu’il me reste à tirer, je me concentre sur les tâches, qui ont plus de sens : ce qui doit être fait – concrètement et non plus moralement ou légalement, dans le contrat qui me lie à mon employeur. Je morcèle à l’infini et avance dans la documentation par double-page. Si j’ai fait celles de la journée, je m’autorise à arrêter de travailler avant l’heure de la quille. Mais je ne m’arrête presque jamais avant, parce que ça m’a pris à chaque fois un temps infini de m’y remettre – et cela me prend probablement un temps infini parce que je ne parviens pas à me soustraire à ce qui est devant être, non fait mais : respecté.

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Les sapins du coin sont alourdis de jeunes pousses comme d’une couche de neige stabilotée en vert fluo. Le printemps peut aussi avoir quelque chose de pesant. Et de vaguement obscène. Je m’en étonne chaque année en voyant les bourgeons comme de gros insectes boursouflés.

Je longe parfois le parc fermé. Ces sapins-là n’ont pas de pousses sur le dessus des branches, comme des kékés aux pointes décolorées, dressées en piques pleines de gel sur la tête – seulement à leurs bouts : ils donnent l’impression d’être manucurés.

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Une feuille A4 est scotchée à côté de l’ascenseur, nous informant du décès de Mme Y., locataire du 5e étage. Je lis le nom : connais pas. En tirant la porte de l’escalier, je prends conscience que je ne connais aucun nom ; je connais les gens par leur visage, leur voix, les trois mots que nous échangeons. Soudain, j’ai peur que Mme Y. soit ma petite vieille favorite, qui semble tout droit sortie d’un épisode de Moomin, un négatif de Little My, toujours gaie et le sourire de chipie, ma sorcière de la rue Mouffetard bien-aimée, que je crains toujours de voir basculer dans la poubelle jaune, lorsqu’elle se penche sur la benne de tout son petit corps pour retirer les ordures jetées par d’autres, qui ne sont pas recyclables. Local poubelle à part, c’est un peu la petite vieille que je peux espérer devenir, ridée comme une pomme, espiègle comme une enfant. J’espère l’apercevoir bientôt. J’espère qu’elle n’est pas Mme Y.

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Tout n’est pas toujours étal. J’ai failli repeindre la cuisine avec des épinards, samedi dernier. D’énervement. J’ai fini par manger des radis avec du gorgonzola et des larmes, à même le tapis de yoga que j’avais déplié par anticipation, sans anticiper justement que la faim ne me permettrait pas de caser et cuisine et douche et yoga avant dîner. J’ai donc cuisiné la tarte épinards-bleu-raisins secs du dîner après le dîner.

Il y a toujours des ornières, je perds régulièrement l’équilibre, mais j’arrive à me rétablir – peut-être même avec un peu plus de rapidité, ou de confiance dans le fait que je vais me rétablir. Bref, ça s’équilibre.

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Quand j’ai aperçu les sillons de première rides il y a quelques mois (années ?), j’ai eu une réaction de dépit. Puis je me suis dit que ça allait dans le bon sens – littéralement : des plis horizontaux sur le front marquent l’étonnement, disent une capacité conservée ; ça va, je ne suis pas blasée. Depuis quelques semaines, j’observe un nouveau pli qui ne veut pas se défroisser entre mes sourcils, et ça me les fait froncer davantage ; face au miroir, le pli se soulève en bosse : c’est quoi, ça, cet air sévère pas content ? La luminosité trop forte sur mes murs blancs ?

Pendant ce temps, des muscles s’esquissent au niveau de mes bras – à moins que ce ne soit moi qui viennent les y trouver, parce que je constate m’écrabouiller d’un peu moins haut quand je descends en planche sur mon tapis de yoga. Prends ça dans les dents, ride de confinement.

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J’ai pris un peu de retard sur l’enchaînement, alors je fais un baby cobra au lieu d’un cobra adulte à qui l’on jouerait de la flûte, et là, hasard, magie : le léger cambré coïncide pile avec ma respiration, ma colonne vertébrale s’étire dans la limite de ma courte inspiration et je redescends aussitôt sur l’expiration, sans suspendre ou accélérer le souffle ; c’est hyper agréable, comme si j’étais un accordéon qui produisait exactement le juste son (en plus harmonieux qu’un accordéon, l’image vaut surtout pour le soufflet). Je comprends qu’il va falloir que je fasse plus petit, jusqu’à ce que je réussisse à respirer plus ample. C’est mon souffle qu’il faut que j’étire, davantage que mes membres. Il est encore un peu court.

Phalanges, haïkus et météo intérieure

J’ai compté sur mes doigts et les phalanges sont formelles : cela fait sept mois que je n’ai pas pris de vacances. Deux jours seulement pour ne pas enterrer mon arrière-grand-mère ; un jour, la veille de Noël, pour rejoindre par temps de grève ceux qui restaient de la famille. Même après une année sabbatique moins un mois, cela commence à faire.

Même confinée, j’ai envie de vacances. Surtout confinée. J’ai envie de vacances. Même confinées.

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De ma vie, je n’ai pris qu’une seule fois un somnifère. Pas même un somnifère, à vrai dire : un quart de cachet, avalé à quelques distances des écrits de l’ENS, alors que mon cerveau refusait le soir de débrancher. Le lendemain, il m’avait fallu deux bonnes heures avant de récupérer une certaine plasticité intellectuelle. J’essayais de connecter mes synapses, mais c’était comme essayer de contracter un muscle qui s’est fait la malle pendant les vacances d’été : on sait que le muscle existe, on sait comment l’appeler, mais le corps ne répond pas, et on est contraint d’appeler dans le vide jusqu’à ce que la connexion se rétablisse, que le corps cartographie le chemin du cerveau au muscle et, retour, du muscle au cerveau – ce qui peut prendre plusieurs cours de danse, pendant lesquels on est stupéfait de se trouver ainsi débile. J’étais débile de même, en attendant que les effets du somnifère se dissipent totalement. Et ces jours-ci, en pointillés, en filigrane, j’éprouve un semblable engourdissement cérébral. Chaque tâche me demande un effort qui n’est pas seulement une question de concentration, de persévérance ou de motivation : un effort physique. Je m’efforce, et j’ai de moins en moins envie de le faire. Travailler me demande une énergie que je n’ai pas les moyens de restaurer à plein.

Alors, parfois, j’ai envie de me rouler en boule et qu’on me foute la paix. Il n’y aurait aucune tristesse à se transformer en chat.

(Parfois aussi, je pète le feu – miraculeusement en possession de mes moyens. Comment est-ce que je m’y prends pour les perdre dans 30m2 ?)

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Les pâquerettes blanches,
tâches de rousseur
sur la pelouse verte

Melendili fait faire des haïkus à ses sixièmes. Celui-là me démange depuis que j’ai eu connaissance de la consigne 7/5/7 syllabes.

Depuis ma fenêtre, je vois également celui-ci :

Fleurs roses du cerisier
sur d’autres blanches
en un feu d’artifice

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Si vous sanglotez, ne levez pas les yeux au ciel : levez la tête. Levez le sternum, empêchez la mécanique des secousses de se reproduire d’elle-même. J’ai découvert ça sous la douche.

J’ai sangloté vingt minutes cette semaine. Sur une semaine, ce n’est pas tant que cela ; c’est même une fraction dérisoire.

Je ne comprends pas vraiment d’où cela vient. Je ne comprends pas pourquoi, ensuite, c’est survenu. Je le constate seulement avec incrédulité, qu’ait pu même survenir un épisode qui sur le moment semblait ne jamais devoir s’arrêter. C’est comme chaque soir : je n’arrive pas vraiment à croire que je resterai paralysée une demie-heure par mon rituel de TOC – c’est une intempérie, une averse, un épisode ponctuel qui laisse le ciel si clair qu’on doute ensuite qu’elle ait jamais eu lieue, même si on l’a vécue, même si elle était annoncée.

Je m’entraîne à regarder cette météo intérieure comme l’autre, comme quelque chose de changeant, qui passe, derrière une vitre, et colore les heures sans présager de celles qui suivront.

Sans présager de celles qui suivront – c’est le plus dur à retenir, c’est la phrase du poème que l’on doit apprendre par cœur et sur laquelle, à chaque fois, de manière prédictible, on achoppe.

J’essaye de profiter de la lumière à défaut du soleil, j’essaye de ne pas en concevoir de frustration. Mais le soulagement qui me prend lorsque le temps vire à la tempête, de la joie presque, m’indique que je n’y arrive pas toujours. Le soleil mouchète les murs blancs des cellules mortes qui dérivent dans mon œil ; aux pixels morts s’en ajoutent parfois des scintillants, lorsque la luminosité est trop forte. J’aime le soleil un peu trop passionnément ; je lui en veux de ne pas être là, puis d’y être, exigeant que nous y soyons aussi. J’ai toujours l’impression de manquer quelque chose lorsqu’il fait beau et que je ne suis pas dehors. Cela me fait aimer, apassionnément, les jours gris, les jours de luminosité égale où l’on dispose entre l’aube et le crépuscule d’un temps qu’on peut répartir à notre guise, sans que les variations lumineuses viennent nous avertir du temps qui file comme le tic-tac d’une horloge dans une pièce vide. Les jours gris me laissent tranquille. Les jours gris en ce moment me réjouissent, surtout venteux : c’est, sur le mode mineur, la joie du massacre. Saccagez tout puisque je n’y suis pas. Ce n’est même pas de la joie mauvaise, c’est de la joie, légère, je suis allégée, l’exigence s’est relâchée, je ne suis plus en train de rien gâcher.

Le bitume craquelé,
fleurs de cerisiers
– faille rose sous le vent

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Ça va ?
Comment ça va aujourd’hui ?
Comment te sens-tu aujourd’hui ?
Est-ce que ça va mieux ?

s’enquérir de la météo des autres.

(Passion faire des tirets à la Rupi Kaur.)

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Je prends soin de moi. Il n’y a personne d’autre pour le faire. Je suis à moi-même mon propre nouveau-né.

Je prends soin de moi et ça ne me fait pas toujours plaisir. En semaine, je renonce à accomplir quoi que ce soit. Pas de blog, pas de dessin, rien d’élaboré ou de continu, rien qui demande concentration ou persévérance. À reculons parfois, je fais mes deux leçons syndicales de Duolingo, pour garder la flamme, en perdant plus de points de vie que d’habitude (je suis en plein dans les nombres et les pronoms, ça n’aide pas) et mon yoga, devenu lui aussi un impératif catégorique. Je ne fais plus du yoga pour me sentir bien, ce qui me dispenserait d’en faire quand je me sens déjà bien : je fais mon yoga du jour, indépendamment de mon humeur, en espérant que ce shoot régulier d’endorphines la régule.

La préservation de mon humeur (de mon équilibre psychique ?) et la restauration de mon énergie me prennent l’essentiel de mon temps libre en semaine. Pour avoir tout de même l’impression d’avoir du temps à moi, du temps enfantin à passer plutôt qu’à employer, je regarde quelques épisodes d’une série. La première saison de The Good Place y est déjà passée. Je prends soin de moi et je me fais quand même plaisir.

Pareil en cuisine, le soin entre plaisir et souci : je cuisine pour oublier que je dois me faire à manger. Parfois ça fonctionne bien ; parfois, j’en ai marre de déplacer les récipients, les ustensiles et les aliments, de les mélanger et leur faire subir tout un tas d’action pour qu’ils ressemblent à autre chose – autre chose toujours plus désirable. Toujours (se) transformer, on n’aura jamais la paix. Tant mieux, peut-être : il est toujours trop tôt pour y reposer.

Le week-end, c’est autre chose. Je peux faire des choses, et je peux aussi n’en rien faire. Ce week-end de trois jours est une bénédiction.

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Josie George, que son handicap a rendue maîtresse dans l’art de rester chez soi, a écrit un petit guide fort bienvenu. Elle y rappelle notamment l’importance de jouer, y compris pour les adultes – une activité qui n’ait pas d’autre but qu’elle-même. Je me suis demandé ce que ça pourrait être pour moi. Le jeu a surgi dans des séquences de danse improvisées : pas de l’improvisation genre recherche de matériau chorégraphique, hein, de l’impro type je danse seule en culotte chez moi, pas épilée, sans musique. Ça me prend sans crier gare, entre deux activités, et ça ne ressemble à rien parce que ça ressemble à tout : extraits d’exo de ballet remixés, cakewalk intempestif, swing swag, accents forsythiens, moves à la Akram Khan revisité (personne n’est pas pour vérifier), danse de Saint-Gui 100% Orangina et autres mouvements random dictés par l’envie et rythmé par mon (manque de) souffle, sans musique, Cunningham meet @personalpractice. Dance magazine mettait sur la bonne piste : « But what if you could connect back with the 7-year-old- who just wanted to move? »

Cela fait partie de ces moments de joie brute, parce qu’il y en a, parfois tellement que ça déborde en enthousiasme pour rien, pour reprendre une cuillerée de crème de marron, poster une bêtise sur Twitter, répondre à une amie sur Whatsapp et relancer un épisode, juste un dernier après je vais me coucher. Il y a des moments où j’oublie que je suis confinée parce qu’il y a déjà trop à vivre ici et maintenant.

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Coller les mains en prière m’a semblé incongru lors des premiers cours de yoga que j’ai pris, comme une parodie de spiritualité. Je me sentais un peu ridicule, une impie qui copie ses voisins à l’église où elle s’est retrouvée par un concours de circonstance, pas à son aise, certaine d’être remarquée comme imposteuse et qui se tient à carreaux, doigts bien droits bien collés bien serrés. Sur ses vidéos, j’ai remarqué qu’Adrienne colle ses mains en gardant les doigts écartés. J’ai essayé, et tout de suite la position s’est coulée dans une gestuelle connue, une gestuelle propre à l’enfance, quand je collais ma paume à celle d’un adulte, doigts écarquillés de voir toutes les phalanges qu’il me restait à grandir. J’ai adoré la sensation retrouvée et depuis, je ne fais plus semblant de prier, je fais la taille des mains avec moi-même. Et les pouces collés à la poitrine prennent la mesure des battements, invitant à calmer le jeu et tout apaiser par la respiration.

Depuis l’apnée

Jo. s’interrompt et regarde la feuille posée à côté d’elle pour retrouver le nom de la pause de yoga qu’elle m’explique par Skype. Des a partout, peu importent les consonnes qui s’intercalent entre, je fourche déjà une fois sur deux lorsqu’il est question du coranoconaroconnard de, je me concentre, coronaviruscoro comme dans couronne ou corollaire. Autant vous dire qu’un nom indien à rallonge, on n’y est pas.

Je n’y suis pas vraiment non plus, impatiente, excédée par mon corps qui a faim et refuse de se relaxer parce que c’est l’heure de déjeuner, il veut manger et, mécontent que sa demande soit ignorée pendant une demie-heure supplémentaire, tire à lui la couverture, l’attention, l’énergie. Ce ne sont pas des images de bons petits plats, des visions culinaires heureuses ou même des pensées qui dérivent, non. C’est une tension continue, comme s’il y avait danger à ne pas manger, à poursuivre une privation qui doit s’enraciner dans une temporalité n’ayant rien à voir avec les quatre heures d’intervalles entre le petit et le grand déjeuner. Quand j’ai faim, je n’ai pas envie de manger, j’ai des envies de massacre. Heureusement que la caméra ne fonctionne pas, finalement, que Jo. ne me voit pas. On entend déjà bien assez que je suis irascible.

Dès que j’ai mangé, ça va mieux. Je voudrais effacer la séance de yoga, la refaire maintenant à satiété.

La première semaine, j’ai été hystérique. Je n’aime pas le terme, mais c’était de cet ordre-là, tout mon être comme une voix high pitched, high-strung, une ligne à haute tension. J’étais enthousiaste au possible sur une broutille et, l’instant d’après, la broutille-barrage cédait, et l’angoisse sans objet déferlait. Larmes, nerfs, tout ce qui fait crise. Et puis comme si de rien n’était. Rebelote.

Ce n’était beau ni à voir ni à vivre.

J’ai fini par comprendre qu’il fallait se laisser traverser. C’est comme une chute au ski : si on reste souple sur les genoux et qu’on ne se crispe pas, il y a moins de risque de blessure.

Je me suis laissée traverser. Plusieurs fois.

La deuxième semaine, j’étais vidée. Le plus gros de la nervosité éclusée, j’étais anormalement calme, un calme d’après la tempête. J’ai voulu croire à l’apaisement, mais il s’est mis à pleurer, lui aussi, silencieusement, face à l’écran du télétravail. Tout semblait devoir durer toujours.

La joie qui se retire comme la mer autour du mont Saint-Michel : je n’y suis jamais allée, mais j’ai toujours cette image qui me vient, quand la vie se dévitalise, perd en couleur – la mer qui se retire autour du mont Saint-Michel. Je sais, intellectuellement, que la marée est un flux, mais quand la joie est à marée basse, tout semble devoir durer toujours.

J’aurais voulu me sédimenter, dans la posture de l’enfant, devenir un galet, un fœtus fossilisé en galet, lourd et lisse et agréable dans la main, qu’on posera sur l’étagère de retour de vacances en oubliant la chaleur qu’il dégageait dans notre main sur la page où on l’a ramassé.

J’aurais voulu me minéraliser, devenir un gros rocher : être à soi-même sa propre caverne où hiberner. Ne plus sortir ni de soi ni du lit. Fixer l’écran sans travailler, être allongée après la nuit, respirer seulement à n’en plus finir. Mais il faut se doucher, travailler, enchaîner ce qui est devant être fait. Je me suis douchée, j’ai travaillé, j’ai fait ce qu’il fallait faire : pas grand-chose, à vrai dire.

J’aurais voulu que tout s’arrête, sans savoir quoi, au juste, car tout ou presque s’est déjà arrêté. J’avais le repli que je souhaitais intérieurement, et ça continuait trop encore, j’aurais voulu arrêter de travailler, poser des congés et me laisser exister, comme un gros rocher, un galet au milieu du salon.

Il n’y a plus d’espoir, le sale espoir…

Il paraît que lorsqu’on ne peut ni combattre une menace ni la fuir, notre corps est biologiquement programmé pour « faire le mort » – c’est notre meilleure chance de survie.

(Au cas où vous vous demanderiez d’où vient la fatigue qui s’empare de vous à ne rien faire.)

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Je me suis mis à passer étrangement le temps, comme un caillou à moitié émergé autour duquel la rivière fraye. Une résistance intouchée.

La troisième semaine, l’énergie a commencé a reflué doucement. J’ai essayé de lui faire de la place, de la ménager, de l’entretenir, comme un feu de cheminée ou un levain (j’ai découvert comment naissent les levains… et renoncé à peu près aussitôt à engendrer un Moloch qu’il faudrait nourrir). La répétition des jours à fait affleurer une routine que j’ai essayé de peaufiner une fois remarquée : le douche est passée du matin au soir, de manière à démarrer la journée in media res, avec la lumière déjà levée, petit-déjeuner, lit replié en canapé, préparation du déjeuner, pause goûter, yoga, douche, dîner, Duolingo, Whatsapp (qui, de toute la journée, s’est peu à peu résorbé autour de quelques sessions dédiées).

Le temps ainsi réordonné, employé, a repris quelque chose de son chaos premier – un galop. Il s’est remis à fuir. Je me suis mis à créer des brèches dans le temps de télétravail et à les colmater aussitôt avec une lessive à lancer, un chien tête en bas vite fait, une lessive à étendre, une recette pour parer au repas du soir. Je ne sais pas où les gens trouvent le temps de s’ennuyer. Ce que j’ai envie de faire déborde toujours le temps dont je dispose une fois l’intendance évacuée – voire procrastinée.

J’avais lu quelque part que pour les pensionnaires de maison de retraite, le temps devient infiniment long et infiniment rapide : rien ne se passe de spécial qui fasse passer les heures, elles s’enquillent les unes dans les autres, et bientôt rien ne vient distinguer une journée d’une autre, elles se superposent, s’annulent les unes les autres comme des termes négatifs multipliés, et les semaines, les mois sont passés sans crier gare. Il y a quelque chose de cet ordre au quotidien calfeutré. Je me raccroche aux jours inscrits sur ma plaquette de pilule, que je ne rattrape plus le cœur battant, le soir, en rallumant la lumière, pour vérifier que je n’ai pas oublié de la prendre au petit-déjeuner. Il n’y a plus aucun risque.

Cinq semaines sans toucher un seul être vivant, pas même un chat. Pas de sexe, bien sûr, pas de câlins, pas de hug, pas de bise, pas de poignée de main que je déteste, moite-poite, pas de doigts effleurés par-dessus le pain en rendant la monnaie. Je ne me pensais pas spécialement tactile ; je n’y avais pas pensé en me confinant seule – c’était la chose la plus raisonnable à faire. Je crois que la pensée a surgi en même temps que la première vague de panique : 5 semaines sans toucher un seul être vivant.

Un matin, en me retournant à la recherche d’un supplément sommeil, ma main tout juste sortie de sous la couette s’est posée sur l’épaule opposée, plus fraîche : pendant une seconde, j’ai eu l’impression d’être touchée par quelqu’un d’autre, c’était délicieux.

Il y a quelques nuits, j’ai rêvé qu’un homme avec qui je marchais dans la rue passait le bras derrière moi et posait sa main sur ma hanche : le comble de la volupté.

J’aurais pensé qu’à vivre dans un espace réduit, l’esprit prendrait le pas sur le corps, que celui-ci se trouverait oblitéré, dépassé pour un ailleurs mental par la lecture, le dessin… C’est le contraire qui s’est produit : le corps a pris le pas, a mis l’esprit au pas. Mon studio est devenu comme une cage thoracique géante, une caisse de résonance où le moindre besoin physique se fait entendre avec davantage de clarté. Manger à sa faim, à son heure, à sa légèreté ; dormir et ne se lever qu’après avoir somnolé jusqu’à l’éveil ; bouger, marcher, s’étirer… Ces dernières années, je ne cesse de le redécouvrir avec étonnement – cette fois-ci, seulement, avec plus d’acuité. Je sais bien pourtant qu’il ne faut pas que je tire sur la corde de la faim ou du sommeil ; je sais qu’il vaut mieux pour mon entourage que je ne manque pas mon cours de danse hebdomadaire. Je sais que tout cela influe. Mais en ce moment, cela ne fait pas qu’influer, influencer, comme un facteur à la marge : mon équilibre psychique est directement indexé sur mon bien-être physique. Je me shoote aux endorphines. La séance de yoga pour tester, pour changer, pour ne pas se démuscler, est en train de devenir la clé de voûte de mes journées. Si je m’étire, si je fais respirer mon corps, ça tient, ça passe, ça va.

Open the chest, open the heart, répète régulièrement Adrienne sur ma tablette, et je sens que ça s’étire, se dé-rouille ; mon buste gagne en mobilité, et il y a un peu plus de place pour respirer. A peine plus, mais ça ménage un jour, et quand je vois celui qui filtre le matin sous les rideaux occultants que j’ai pourtant scotchés aux murs la veille au soir, je me suis dit que ça va peut-être suffire, ça va s’aérer.

La respiration, le souffle, il y a un truc qui m’attend juste là, une curiosité qui s’est éveillée.

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Avec Melendili, on ne se téléphone pas, on ne se Skype pas, on s’écrit un peu en DM de toutes nos applis, mais surtout : on s’envoie des messages vocaux par Whatsapp. Un SMS vocal qu’on écoute quand on veut, auquel on répond selon sa propre temporalité. Qu’on peut réécouter. Je réécoute parfois les siens, toujours les miens. C’est comme sur les vidéos de danse : si je suis sur scène, j’ai un mal fou à me lâcher des yeux. Parce qu’on est entraîné via le miroir du studio à traquer ses défauts, oui. Mais pas que : on se voit comme nous voient les autres, détaché de notre intériorité. Et ce n’est pas un selfie qu’on aurait manigancé : c’est ce que nous sommes et qui nous échappe – ce par quoi on s’échappe, et qu’on n’a de cesse de rattraper, le regard captif comme un chaton concentré pour mettre la patte sur la plumette rouge qu’on affole devant lui.

Je réécoute les messages vocaux que j’envoie, ma voix sans le retour vibratoire qui pour moi la caractérise. Elle est assez désagréable. Mais je m’y fais, à ce désagrément, je l’oublie facilement. Ce qui me choque alors c’est, non pas la rapidité de mon débit (je le sais, on me l’a toujours répété : qu’est-ce que tu parles vite !… y’a pas le feu au lac… articule… j’en rien compris… moins vite… ) ; c’est la concaténation irrégulière des syllabes. Ça se bouscule de part et d’autres d’hésitations à n’en plus finir ; ça reprend en mitraille pour compenser le temps perdu, et anticipe le faux pas suivant. Il me faudrait du yoga pour la voix, pour étirer toutes les syllabes-vertèbres de la phrase, et faire que l’air passe, que le blanc typographique soit préservé.

…

Le samedi soir, je regarde The Voice d’une oreille distraite. Le jury, les candidats, tous n’ont qu’un mot à la bouche : l’émotion. L’émotion, ça ne veut rien dire. Mais parfois ça touche. Parfois aussi ça ne touche pas du tout, mais bizarrement, ça touche celui d’à côté, c’est tombé sur lui, ça vous a raté. J’aime bien alors quand un membre du jury parvient à évoquer précisément ce que ça a atteint ou réveillé en lui, quand il se met à raconter un fragment personnel de sa vie. Ce n’est pas souvent, il faut bien avouer. Souvent, le jury dit qu’il y avait de l’émotion, je vous en mets 500 grammes et 2 minutes 30, ça m’a touché, et hop coulé, on enchaîne sur le candidat suivant. A force d’être touché, tout le monde se touche et luit comme l’entrejambe de Victor Noir au Père-Lachaise. C’est le showbiz qui veut ça. Comme l’émotion n’est pas prédictible, la production fait tout pour la susciter de manière artificielle, en la déportant de la voix sur la personne : ce sont des montages héroï-comiques sur les difficiles épreuves traversées par les candidats, à 2000 km de leur famille, enfermés dans l’échec à 19 ans, perclus de doute… on en rirait tant ils sont comme nous tous.

L’émotion, c’est la larme qu’on verse. Quand on se voit en train de verser sa larme, le kitsch a déjà pris le pas sur l’émotion. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est Kundera. Dans son montage, The Voice est sans contexte kitsch. Mais c’est comme Grey’s Anatomy, mon péché télévisuel favori, le mercredi soir cette fois : cela me rappelle l’importance de l’émotion, de trouver une voix qui fait vibrer, plusieurs voix, la sienne aussi. S’il y a un talent que je n’ai pas et que je ne risque pas de jamais acquérir, c’est bien le chant. Mais ces temps-ci, j’aurais presque envie de prendre des cours de chant. Pas pour apprendre à chanter, juste pour apprendre à poser ma voix et à la moduler, ajuster la hauteur, le débit. Ou pas même des cours de chant (ayons pitié pour l’éventuel professeur) : un cours de diction. C’est Klari qui me met sur la voie, après une séance Skype de pilates, où nous continuons à discuter allongées sur nos tapis face caméra. On a parlé de tant de choses après ça, de perceptions, de sensibilités artistiques… cela m’a ravigotée, à l’aube de cette troisième semaine désormais sur le point de finir. J’ai… repris mon souffle ?

…

Rétrospectivement, les trois semaines passées me font l’effet des premières longueurs à la piscine (que je n’ai pas pourtant pas fréquentée depuis quelques années) : très vite, c’est la panique de manquer d’air, je précipite le mouvement pour revenir plus vite à la surface, m’épuise inutilement et respire à contretemps. Une fois que j’ai repris ma respiration accrochée au bord et que j’y retourne, mon corps peu à peu se résigne à cet apport rationné – mais suffisant – en oxygène. Si je persévère, la résignation se dissipe, j’oublie le décompte des longueurs et la nage devient elle-même respiration, sans début ni fin.

Je sais qu’on dirait un slogan eat, pray, love, mais :
lutte, résignation, acceptation.

Je commence à reconnaître le passage de la deuxième à la troisième.

Je me doute que je vais encore boire la tasse dans les semaines à venir, mais j’espère que je sortirai du confinement comme de la piscine : (dé)fatiguée, mais sereine.

Aveux de décès

Je ne sais pas si ce qui suit ressemble à grand-chose, je ne sais pas si ce sont des choses que l’on dit. Tout ce que je sais, c’est qu’il était important pour moi de les écrire, et j’aurai pour ma défense justement de les avoir écrites – ce qui est, d’une certaine façon une autre manière de les taire.

Ce texte étant inhabituellement long (et le copier-coller ne fonctionnant plus dans WordPress avec mon vieux navigateur – que je ne peux plus mettre à jour à cause de mon vieil OS – que je ne peux pas mettre à jour tant que je n’ai pas sauvegardé l’intégralité de la machine), je vous propose de le télécharger en PDF.

Quitter 2019

Les dates et moi, ça fait deux. Sur le court terme, je confie ma vie à Google Agenda. Sur le long terme, en revanche, je patauge. Mon blog me sert de mémoire externe pour tout ce qui est films, ballets, concerts ; et je redécouvre mon parcours en années scolaires quand il faut que je remette à jour mon CV ; mais je n’ai aucune frise chronologique toute prête des événements de ma vie personnelle, qu’elle soit familiale ou intime, et surtout aucune carte temporelle des émotions qui l’ont colorée. Je vis dans le flou de ce qui advient, étayée par un tas de souvenirs que je n’ai jamais vraiment pris le temps d’ordonner, persuadée qu’ils étaient là (ils le sont) et que cela suffisait (j’en suis moins sûre). Avant de faire de l’archéologie dans les vieux albums et de rattraper le temps perdu – comme je perds quotidiennement mes lunettes -, je me dis que je pourrais tout aussi bien commencer par le temps tout juste passé avant que lui aussi ne s’égare en moi. Laissons trente années de côtés et commençons à rebrousse-poil par l’année écoulée.

À 2019, il me faudra ajouter trois mois de 2018, car 2019 restera pour moi l’année de mon année sabbatique, calée sur l’année scolaire et non civile. Encore qu’il vaudrait mieux parler de congé sabbatique, celui-ci étant légalement limité à onze mois. Le fait est : du 1er octobre 2018 au 31 août 2019, je n’ai pas travaillé. J’ai pu le mentionner ici ou là, mais j’en ai finalement peu parlé en-dehors de mon cercle amical. J’ai eu honte, un peu, de cet extraordinaire cadeau que m’a offert Mum pour mes 30 ans ; honte de ma chance, quand ce temps aurait pu davantage profiter à Melendili, par exemple, qui a connu des moments difficiles dans son travail, ou à Palpatine et ses cernes incrustés à force d’acharnement, de futur préparé d’arrache-pied ici et maintenant à toute heure du jour et de la nuit, de la nuit surtout, lorsque le temps s’absente et floute les frontières de la semaine, du week-end ou des vacances, rarement vacantes. Il y a quelque chose d’indécent à avoir tout ce temps à soi quand il pourrait être si bien employé par d’autres – un peu comme lorsque vous croisez le regard d’un SDF la bouche pleine de votre sandwich du midi. J’ai dû me convaincre que ce temps qui m’était offert ne retirait rien aux autres, que je pouvais ressentir de la gratitude sans l’assortir nécessairement de culpabilité – car enfin, cette culpabilité qui ne sert à rien ni personne n’est que temps perdu. Tout l’inverse de ce que l’on m’a offert.

Pour compenser ce luxe insolent, il faut au moins un projet. Le voyage est le plus attendu ; j’ai perçu de la perplexité chez mes interlocuteurs quand j’expliquais que j’allais faire un voyage d’un mois en Asie : d’un mois seulement ? Un mois entier, rendez-vous compte ! J’ai découvert une manière un peu différente de voyager, dans lequel le quotidien a le temps de se réinstaller, malgré mon désir de tout, ma crainte de ne pas tout voir. On ne tient pas un mois le rythme effréné du touriste en congé pour une semaine ; il a bien fallu lever le pied. Bizarrement, je chéris ces souvenirs de pauses et de repos autant sinon plus que les visites entre lesquelles ils se sont intercalés : l’après-midi passée à dessiner dans le canapé d’un café à Hanoï, Gerbille et Palpatine à mes côté, avec des croquettes de je ne sais plus quoi au sésame devant nous ; le film Haute voltige regardé sur le portable de Palpatine à pas d’heure (ou si, sur le fuseau français), à deux pas des tours qu’il met en scène, dans la chambre la plus luxueuse où j’ai jamais dormi, qui méritait d’être appréciée au même titre que la ville à laquelle elle nous arrachait (le genre d’endroit où vous pouvez faire des arabesques sous la douche et où la moquette est si moelleuse que poser le pied par terre devient une expérience sensuelle) ; ou encore la journée de typhon, qui nous a cloîtré derrière les vitres, à observer Ho Chi Minh gommée sous la pluie et le sillage des scooters s’aventurant dans les rues inondées – j’en avais profité pour découvrir la salle de sport commune à l’immeuble, parce que marcher six heures par jour ne remplace décidément pas une heure trente de danse hebdomadaire.

J’ai aimé voyager un mois entier avec Palpatine, dans un quotidien que nous ne partageons habituellement pas. Ce n’est pas tant de se coucher ou se réveiller ensemble (les températures dissuadent l’échauffement des corps, dont le désir le plus urgent est de toute manière plus viscéral que sexuel…)(mon amie en lune de miel au Vietnam m’a confirmé qu’ils avaient connu plus romantique), que de se trouver dans un continuum d’espace, de temps et de parole – une parole fluide, détendue, presque continue, qui nous lie dans son babil l’un à l’autre sinon toujours à notre environnement. On commente, on digresse l’un pour l’autre, on se tait aussi, quoique jamais longtemps, et ce babil crée un espace à nous seuls, un terrain de jeu et d’entente, mi-refuge d’enfance créé par une tendresse d’adultes, mi-grotte linguistique où nous échappons à la compréhension de notre entourage. Gerbille est l’enfant de ce lieu utopique, peluche devenue mascotte du séjour et meme lexical : j’ai toujours envie depuis, de me faire gerbiller, le verbe incluant le câlin, le gratouillage de nez et autres choupitudes susceptibles de dégénérer ou non en préliminaires, voire en éclats de rire. Car notre babil, plus encore que l’excès de fruits et d’eau plus ou mois bouillie, m’a pliée en deux ; je suis incapable de m’en rappeler l’origine, mais je me revois nettement, régulièrement, pliée de rire à distance de Palpatine qui aura continué sur un ou deux mètres avant de s’apercevoir que je ne pouvais plus avancer tellement je riais.

Un pioupiou peut en cacher un autre (probablement ma photo préférée du séjour)

Un mois entier s’est ainsi écoulé. Qu’ai-je fait des dix autres ? L’idée était d’en consacrer la moitié à finir mon livre sur la danse ; l’autre, à acquérir des compétences qui puissent me permettre de changer de métier. Autant vous dire que rien ne s’est passé comme prévu. Il faut dire qu’au lieu de sagement reprendre mon fichier Word, dodu d’une cinquantaine de pages, et de chercher un photographe avec qui m’associer, je me suis mis en tête d’illustrer moi-même la chose – en n’ayant, bien entendu, aucune formation de graphiste. C’est à la fois la pire et la meilleure idée que j’ai eue : illustrer mon propre texte m’a forcée à le reprendre dans le détail (le texte appelle l’image, qui en retour appelle… un texte parfois nettement différent), et m’a donné donné l’illusion d’une totale maîtrise sur mon objet, me menant à quelque chose de beaucoup plus intéressant… à l’infini. J’ai voulu mettre en page quelques extraits, oubliant que nul n’est auteur-illustrateur-relecteur-graphiste-éditeur de son livre. Chaque chapitre est devenu un puits sans fond. En sortant de l’écriture, je me suis empêchée de mener mon projet à terme.

Pas loin de 200 silhouettes au final…

Meilleure idée, pourtant : j’ai appris à dessiner en vectoriel (chose qui me fascinait et m’a beaucoup amusée) et ce faisant, j’ai appris que je pouvais encore apprendre, j’ai réappris à apprendre, et peut-être plus important encore, je me suis souvenue que j’ai besoin de faire des choses créatives, que c’est même une facette primordiale de ma personnalité. Petite, je voulais être peintre. Adolescente, j’ai voulu devenir danseuse. Aujourd’hui, je me trouve rédactrice technique : par pragmatisme économique, mais pas seulement. Mon attirance pour les mots est devenue à double tranchant depuis la prépa : je les veux vecteurs d’expression et à ce titre créatifs, mais ils sont également (et prioritairement dans mon métier) des outils d’analyse qui peuvent m’entraîner dans un univers désincarné. Occupée à décortiquer les choses, j’en oublie de les raconter (ce qui laisse penser que je ferais une piètre romancière). À force de chercher à rationaliser les choses, à chercher le pourquoi du comment et à développer des compétences qui soient un tant soit peu monnayables, je me suis asséchée. Raisonner m’attire, m’excite même le neurone à l’occasion, mais ne me nourris pas, voilà la vérité – tout aussi vraie que le fait de développer ma créativité ne m’aidera pas à remplir le frigo. L’un n’est pas moins vrai que l’autre.

Retrouvant la joie de qu’est-ce que je fabrique, je me suis avisée que je n’avais pas tant envie que ça de reprendre l’apprentissage du code informatique. J’ai aimé y être initiée, j’aime bidouiller de la CSS à l’occasion, mais je ne souhaite pas devenir développeuse ; j’en viens même à penser que cela ne serait pas souhaitable pour mon équilibre. Je suis quelqu’un d’impatient, qui ne supporte pas de ne pas comprendre, et se décourage rapidement si cela n’avance pas de même. Buter sur une difficulté sans entrevoir de solution peut me faire entrer dans des rages monstres – au bureau, je me contiens et me contente d’injurier mon ordinateur, mais chez moi, je suis capable de me mettre à hurler et de finir par pleurer de rage. Or si mon année d’initiation à l’informatique m’a appris quelque chose, c’est que la norme n’est pas le bon fonctionnement, c’est le bug. Ajoutons à cela qu’aucun domaine ne bouge aussi vite que le développement web : autant j’aime l’idée de continuer à apprendre, autant ma tendance à ne me penser compétente sur un sujet que lorsque j’approche de l’expertise apprécie moins la perspective d’être continuellement à la ramasse.

J’ai fini par comprendre que l’idée de devenir développeuse était moins une envie réelle qu’un désir modelé sur Palpatine – une manière d’épouser son idéal de rationalité (sur le plan symbolique) et (sur le plan pratique) de me donner la possibilité de le suivre à l’étranger s’il finit par émigrer, comme il en émet régulièrement le souhait (moins depuis qu’il essaye de choisir une cuisine pour son futur appartement, il est vrai). J’expliquais ça à Melendili, qui a donné une importance inattendue à ce qui m’est alors apparu comme une prise de conscience : « Même si cette année ne te sert qu’à comprendre cela, ce sera déjà beaucoup. » Il est assez vertigineux de voir la facilité avec laquelle on peut se mettre à désirer des rêves qui ne sont pas les nôtres.

Dans une ultime tentative de réconciliation entre aspirations intériorisées et nouvellement extériorisées, je me suis penchée sur un domaine à la croisée du développement web et du graphisme (et de la psychologie et de plein d’autres trucs) : l’UX design, aka le truc relou à expliquer en quelques mots. L’UX designer conçoit le site web, mais a priori ce n’est pas lui qui code les pages, crée la charte graphique, rédige les contenus ou même orchestre la gestion du projet entre développeurs, graphistes et rédacteurs. L’UX designer fait potentiellement un peu de tout ça, mais son rôle est avant tout de concevoir le site de manière à ne pas perdre l’utilisateur en cours de route, sans le confondre avec le client (ce n’est pas toujours la même personne) ni décréter à sa place ce dont il a besoin (on procède à des enquêtes et tests utilisateurs). Je me suis abonnée à des newsletters sur le sujet, j’ai suivi plusieurs cours sur OpenClassrooms, avec rendu de devoirs et tout et tout. Sans surprise, la partie conception touche-à-tout me plaît beaucoup ; c’est un parfait mélange d’analyse et de créativité. Mais boudiou, qu’est-ce que c’est entouré de bullshit ! Comme à chaque fois qu’une tâche repose sur l’expérience et l’intuition, une armée de théoriciens s’empresse d’élaborer des méthodologies qui décrivent davantage le résultat souhaité qu’elles n’aident véritablement à y parvenir – des Discours de la méthode quand on a besoin de Méditations métaphysiques. Je comprends la nécessité de prouver au client qu’on sert à quelque chose alors qu’il n’est pas sensible à ladite chose, mais je fais vraiment une grosse, grosse allergie au bullshit. Je préfère encore continuer à écrire mes procédures, et rattraper par des tutoriels didactiques un certain manque d’ergonomie. Fin de la lune de miel UX. Mon profil OpenClassroom est en plan, je me suis désabonnée d’une newsletter et jette de temps en temps un œil aux liens proposés par une autre.

La mind map sur les mind maps, ou comment mon amour des mises en abyme a repoussé mon seuil de tolérance au bullshit.
Prototype cliquable sous InVision (d’après l’app du Centre des Arts vivants)
Redesign de site selon les principes du Material Design (avec Materialize.css)

Luce, à qui je répétais mon discours d’excuse sur le congé sabbatique, mentionnant mon absence totale de prise de risque (économique), m’a répondu que je prenais quand même un risque : celui d’échouer – c’était quand même quelque chose. Et j’ai échoué. Je n’ai pas fini mon livre ; je ne me suis pas reconvertie. Parce que la vie s’est mise en travers de mon chemin (Palpatine s’est cassé le bras ; il y a eu des décès dans la famille… j’en reparlerai dans un prochain post), je me suis arrêtée en cours de route, bêtement. J’ai perdu la discipline dans laquelle je m’étais pourtant coulée avec joie, les premiers mois, persuadée d’avoir le temps, qu’il suffisait d’avancer lentement. L’otium. Ce mode de vie qui nous a tant fait rêver, Melendili et moi, je l’ai touché du doigt. Ce n’est pas le travail (le negotium), mais ce ne sont pas non plus les vacances ou l’oisiveté. L’otium, tel que je le conçois (et le déforme probablement), c’est avoir le loisir de disposer de soi, avec toute la liberté et la responsabilité que cela implique. Parce que lire à volonté, profiter du soleil lorsqu’il est là et prendre des cours de danse en pleine journée n’effacent pas la nécessité de se réaliser, d’accomplir quelque chose dont on puisse être fier ou qui simplement nous fasse avancer. Non seulement cette nécessité ne disparaît pas parce qu’on a soudain du temps à soi, mais elle se ressent même davantage, elle est plus visible encore d’avancer dans un horizon dégagé ; elle est là, dans le lointain comme une montagne, présence tantôt stimulante (le plaisir de voir grand), tantôt menaçante, chargée (lorsque la voyant toujours si éloignée, on est tenté de s’arrêter de cheminer vers elle). C’est d’ailleurs cette charge qui s’est offerte comme consolation lors de la reprise : mon échec face à cette nécessité de se réaliser a disparu, englobé, effacé par une autre nécessité, celle, urgente, envahissante de gagner sa vie. Je n’en portais plus la responsabilité, occupée à redevenir une adulte responsable, qui subvient à ses propres besoins. Le soulagement dans la résignation vaut ce qu’il vaut, mais c’est toujours ça de pris – jusqu’au retour de la frustration, que j’essaye d’exprimer et de moduler, plutôt que de la refouler.

– Tu es contente d’être revenue ?
La franchise de la question m’a prise de court ; j’ai bredouillé un oui-oui manifestement peu convaincant, puisque ma boss m’a reposé la même question en entretien annuel la semaine dernière. J’ai répondu avec plus d’assurance, un seul oui ; mais je me demande depuis si je n’ai pas menti. Non, je ne suis pas contente-d’être-revenue dans l’absolu ; il y a mille choses que je préférerais faire. Mais oui, je suis contente d’être revenue travailler parmi eux, et avec elle notamment, qui réfléchit vite et bien, partage ses bonnes adresses de bobo gourmet, et joue si peu à la chef que j’ai mis six mois à mon arrivée dans la boîte avant de comprendre qu’elle était ma supérieure hiérarchique et pas seulement la collègue avec le plus d’ancienneté dans le service. Contente ou pas, je ne sais pas ; il faudrait pour cela savoir avec certitude quand se contenter de ce qu’on a relève de la sagesse, ou de la résignation. La question rhétorique d’un autre collègue (Pas trop dure, la reprise ?) me semblait davantage dans le juste ; une formule d’accueil qui aide à reprendre le pli (un peu, ça va – et en le disant, on constate que c’est le cas).

Car je mentirais si je disais que la reprise n’a pas été dure. Les premiers jours, la sensation d’enfermement a été d’une violence incroyable. Je me sentais prise au piège, tenue à ma chaise, à mon poste, à l’intérieur, avec une laisse me laissant juste de quoi aller jusqu’à la bouilloire. Je me suis dit, à quoi bon. Je me suis dit que j’avais déjà eu beaucoup de chance. J’ai eu envie de pleurer. Je me suis raisonnée, je suis redevenue une adulte raisonnable, responsable, qui subvient à ses besoins et renonce à ses désirs infantiles d’une liberté jamais contrariée. Peu à peu l’habitude a repris ses droits. Je me suis assagie ou résignée, peu importe au fond, quand notre principale liberté consiste à reprendre à notre compte des contraintes extérieures et travailler à les vouloir. Il ne faut pas croire pour autant que ce n’est rien : c’est maigre, mais c’est énorme. C’est toute la démarche stoïcienne, se déprendre de ce qui ne dépend pas de nous, vouloir changer notre rapport aux choses plutôt que les choses elles-mêmes. Sans plus trop bouger, désormais, sans rien d’aussi remarquable qu’un congé sabbatique, je m’efforce de trouver cette liberté intérieure, de l’introduire en contrebande au milieu des obligations qui sont miennes (et combien plus légères que nombre d’autres personnes !). Parfois, cela fonctionne, discuter avec mes collègues redonne un sens à ce que nous sommes payés pour faire et je me prends au jeu, je parviens à rester assez concentrée sur mon travail pour ne pas avoir l’impression de refaire la même chose pour la millième fois ; c’est une chose à faire, mais pas une contrainte, elle se fait. J’essaye surtout de ne pas regarder trop loin, pour ne pas accumuler à l’horizon les semaines, les pages, les mois, les manuels, les années, comme s’accumule la vaisselle sale dans l’évier de Palpatine ou les moutons sous mon canapé. Faire au fur et à mesure, vite, vite, pour que chaque tâche reste légère, et vite passer aux petits bonheurs qui rayonnent au-delà de leur durée réelle : un chocolat chaud avec Melendili, des rires à la crêperie, le nez dans l’odeur de Palpatine, des photos avec Hugo, un après-midi avec ma grand-mère, Noël en famille – tout a pris une intensité inédite, se vit dans une lumière, une chaleur, différentes depuis les décès survenus cet été.

Je n’ai pas vécu cette année sabbatique comme une révélation ; je n’ai pas réalisé mes rêves, et je n’ai pas non plus tiré des leçons de vie de mon échec – relatif, car tout est toujours à continuer. Aucun classement sans suite ; rien que des affaires inabouties. Cela décante encore. Parce que réfléchir à sa vie ne se fait pas en s’asseyant en tailleur avec un carnet à la main, et j’ai eu du temps oui, mais il est des temporalités qu’on ne peut pas brusquer. J’essaye d’actionner une à une les variables de mon quotidien pour trouver ce qui achoppe, et cette année m’a offert la chance incroyable de muter la variable travail – pour de vrai, pas comme simple expérience de pensée. Il est ressort que c’est important, primordial même, mais pas la réponse à tout. Je cherche encore, quoi, où, comment ajuster. Et je chéris tout ce qu’il m’a été donné de voir et de vivre, les rizières de Sapa, la baie d’Halong, les fjords de Norvège (quinze jours qui m’ont presque plus emballée que le mois passé en Asie), mais aussi la lecture au soleil, les dessins sur l’iPad, ou les cours de danse en petit comité en journée, avec une prof grec qui a fait Vaganova et m’a fait renouer avec l’idée que je pouvais encore, à nouveau, travailler en espérant progresser sur le mouvement. Je n’ai pas encore trouvé l’énergie pour traverser tout Paris le samedi matin afin de continuer avec cette même professeur à des heures compatibles avec le travail salarié, mais je continue mes cours du lundi avec F. Lazzarelli, prioritaires à tout autre. J’y ai le sentiment, grandiloquent mais réel, de vivre pleinement.

Ah oui, j’ai aussi fait quelques séances photo avec Brindoz cette année…

Un lundi soir, peu après ma reprise du travail, je regardais le premier groupe depuis le fond de la salle en attendant le tour du mien, et tout d’un coup, je nous ai vus, tous, en arabesque penchée, avec nos hanches décalées, notre placement bricolé, nos jambes à feu de plancher, je nous ai vus tous, avec nos couronnes, qui persévérons, qui sommes là semaine après semaine, pour rien, juste pour être là, et je nous ai trouvé beaux avec tous nos défauts d’amateurs, à nous enfermer un soir par semaine pour retrouver la sensation d’une liberté qu’il serait absurde de… je ne sais pas, juste nous, tous, là avec nos désirs et nos arabesques bancales, les bras en couronnes. Une tristesse d’une telle beauté qu’elle n’est plus triste du tout, juste belle et émouvante.

La vie n’est pas ce que tu crois. C’est une eau que les jeunes gens laissent couler sans le savoir, entre leurs doigts ouverts. Ferme tes mains, ferme tes mains, vite. Retiens la. Tu verras, cela deviendra une petite chose dure et simple qu’on grignote assis au soleil.

Je grignote, je grignote – au soleil, quand il est là.

Post-scriptum : mon année sabbatique m’a permis de percer un grand mystère de l’univers, aka pourquoi les retraités et les inactifs font quand même leurs courses en soirée ou le week-ends : il y a si peu de personnel aux caisses en journée que cela prend autant de temps voire plus qu’aux heures de pointes !
Post-sciptum bis : j’ai pu vérifier que, sans prendre le métro en heure de pointe, bizarrement, on tombe beaucoup moins malade (puis 4 fois en 3 mois à la reprise).