Not twice in the same Bath

Dimanche 18 août

De Bath, visitée lors d’un voyage scolaire au lycée, j’avais gardé le souvenir de pierres ocres, des termes antiques et d’une place plus ou moins carrée avec une cathédrale, une fontaine, une volée de marches et une boutique de fudge, qui m’avait fait découvrir cette confiserie anglaise (au moins de nom, je ne suis pas certaine d’y avoir goûté cette fois-là). Je me promène en essayant de retrouver le lieu à l’origine de cette image. Les grandes façades ocres sont effectivement partout, les termes touristiques centraux et la cathédrale facile à localiser, mais le parvis ne correspond pas à la place que j’ai en mémoire. Le rectangle ne rentre pas dans le carré.

Ma quête mnésique en arrière-plan, je visite pour ainsi dire une autre ville, avec… une rivière ! un grand jardin ? un Ponte Vecchio local ?! Je n’avais rien mémorisé de tout cela. L’expérience est troublante ; tout à la fois elle me dépite (tout s’efface fugace) et me réjouit (la visite n’est pas une redite).

Nous nous promenons au bord de l’eau en nous écartant régulièrement pour laisser passer les coureurs — coureurs du dimanche, mais dimanche de course, avec dossards, barrières de scotch et ravitaillement. Sur un banc prolongé par des fauteuils pliants, des proches agitent leurs pompons palmiers pailletés et sonorisent leurs encouragement quand les coureurs, quels qu’ils soient, passent et repassent devant eux. L’atmosphère est bon enfant, les lieux relativement paisibles par rapport à leur fréquentation, mais la faim que je tente de tenir en respect transforme tout stimuli en agression. Je m’avoue mon échec un peu trop tardivement pour ne pas entrer en stress vital (et devenir d’humeur massacrante) dans le temps incompressible qui me sépare de l’ingestion d’une nourriture qu’il faut bien trouver et acheter. Sandwich triangle à la rescousse ! Je me jette dessus dès la sortie du Waitrose, à la fois soulagée de la pression qui diminue et agacée que mon corps réagisse comme si sa survie était en jeu quatre heures après un thé et un scone au fomage.

Je crois que c’est à partir de là que notre consommation d’egg & cress a clairement doublé celles de ploughmans. Nos sandwichs triangles sont si tristes à côté… Pour le cresson, je veux bien entendre que l’absence de rime le disqualifie auprès d’un public français, mais les pickles et chutney ?

Ma faim calmée, Mum ayant manqué de s’étouffer, nous pouvons sereinement quadriller la ville et nous arrêter de-ci de-là. Chez Watersones par exemple — exemple choisi tout à fait au hasard. Il n’y a pas le livre de cuisine New York Christmas repéré par Mum dans le AirBnB de Canterbury (Christmas en plein été, New York à Bath, je ne comprends pas pourquoi le livre n’est pas en rayon ni même en temps de gondole, vraiment), mais il y a des couvertures anglo-saxonnes, des toilettes et des peluches Jellycat à sortir et replacer dans leur bac après avoir mis à distance un instinctif désir de possession câline. Mum, elle-même attendrie, est prête à m’offrir les marshmallow en peluche, mais je décline. Rien d’héroïquement adulte, cependant : à cet instant précis, j’ai un crush éphémère sur le mini-dragon à côté.

C’est l’occasion d’apprendre que Mum en réalité est tout aussi mordue que moi : si elle m’en a offert tant aux cours des années, me mettant parfois entre les mains, des mois plus tard, la peluche hérisson, radis ou cochon en tutu à laquelle j’avais vaillamment résisté, c’est (aussi) par procuration. Elle peut bien les avoir si elle ne les garde pas. Double standard du quand même, je suis un peu trop vieille pour ça. Alors que : jamais trop âgé pour de la tendresse ! Et : plus besoin d’avouer si c’est revendiqué. Il n’empêche, je suis un peu sonnée de n’avoir jamais réalisé que cet amour immature n’était pas une fantaisie qu’elle me passait (comme on passe un caprice à un enfant), mais un attrait hérité et entretenu — secrètement transmis et partagé.

Dans une autre librairie, où l’eye-liner d’une jeune femme m’attrape l’œil, je moissonne en photo quelques titres que je ne lirai probablement jamais.

Après avoir sillonné la ville et retrouvé la boutique de fudge (si c’est bien la même), je dois me rendre à l’évidence : ma mémoire a concaténé plusieurs lieux en un seul. Le parvis de la cathédrale a été remplacé par la place attenante, plus carrée, la boutique transplantée là, et la fontaine prélevée ailleurs. Pourtant, la topographie a beau avoir été rétablie lors de cette nouvelle visite, la disposition du souvenir demeure, fontaine au milieu, cathédrale en face, marches et boutique de fudge sur sa gauche, le tout plus spacieux que cela n’est réellement, agrandi par les années ou la masse touristique en moins (il faisait froid). À défaut d’avoir retrouvé mon souvenir, j’aurai pu acheter du bon fudge pour le boyfriend : caramel, clotted cream et chocolat à la fleur de sel. J’aurais parié sur le caramel, mais contre toute attente, c’est le chocolat qui emporte sa préférence — le boyfriend n’est pas très chocolat, mais il est très breton rapport au sel.

Quelques heures après les sandwichs triangle, la quête d’un salon de thé nous relance comme des balles de flipper fatiguées à travers la ville. Le salon de thé repéré sur le Ponte Vecchio est complet et pas près de se vider, contrairement à sa devanture de gâteaux ; celui d’à côté non plus. Quant à l’impression rétinienne de scones sous un arbre immense que j’avais conservée d’une place éloignée, elle s’avère émaner d’une échoppe cheapouille qui ne donne pas envie. On repère sur Google Maps une autre adresse à un autre bout de la ville. Le timing commence à devenir critique, car il est l’heure du five o’clock déjà et après l’heure, c’est plus l’heure : hallucinant, mais oui, les salons de thé ferment vers 17h30. Celui du Jane Austen Center a déjà fermé ses portes ; les vendeuses en robes à fleurs (taillées à la hâte dans un tissu trop léger, trop cheap pour faire d’époque malgré leur taille Empire) nous apprennent que la boutique ne tardera pas à faire de même. Nous avons tout de même le temps d’y faire un tour et de constater que Jane Austen a trouvé sa bande-son en la BO de Bridgerton. C’est finalement dans un café que nous prenons notre thé ou, plus précisément, un cream tea pour Mum et un carrot cake pour moi. J’évite de justesse le diabète en ôtant une bonne partie de la couche de sucre glace.

Carrot cake avec sa couche de sucre glace décorée de fleurs, et en arrière-plan flou, tasse de thé et assiette avec scone
En bonus, cette teinte de vaisselle que j’affectionne particulièrement.

Théinées et sucrées, nous sommes en conditions idéales pour visiter les dernières pièces de cette ville muséale : un cercle, The Circus, au milieu duquel les arbres sont gigantesques, et une rue plus loin un demi-cercle, le Royal Crescent, lequel fait face à un parc-panorama majestueux sur la ville-vallée qui s’étend. La partie la plus proche des habitations est privée, réservée aux riverains de marque, tandis que le reste est accessible au public, prompt aux piques-niques — le plus incroyable (le plus British ?) étant probablement que la démarcation plèbe / privilégiés est assurée par… une bande de jardin à l’anglaise. Le lieu, la beauté, la golden hour est folle.

De retour à Bristol, le goûter est suffisamment digéré pour se lancer dans un second dîner au restaurant indien. Plus tard, nous discutons de vessie (mais pas de lanterne) et de névroses plus partagées qu’il n’y paraît. Je me rappelle de ce que m’avait dit la psy : la vessie, c’est lié la peur. Reste à comprendre de quoi (et à laisser pisser).

Bristol fichée S(ans grand intérêt)

Samedi 17 août

Rallier Bristol depuis Brighton nous prend quatre heures au lieu des trois annoncées par le GPS : la faute à un énorme accident sur la voie d’en face (circulation à l’arrêt complet sur des dizaines de kilomètres) et un total manque d’anticipation sur la date de cette étape. On aurait dû se douter que nous serions pris dans la migration des vacanciers le samedi de la mi-août. Les aires d’autoroutes sont rares : à mi-chemin, nous sortons à la recherche de toilettes et mangeons nos œufs durs sur un muret devant un pub (privatisé pour la journée). Pour la seconde moitié du trajet, je m’installe à l’arrière de la voiture et m’endors ; les sièges y sont moins hostiles pour le dos (et le nerf fémoral qui envoyait des signaux).

La disponibilité et les tarifs des hébergements nous ont conduit à choisir Bristol comme point de chute pour rayonner sur Bath et Oxford. Par curiosité et parce que nous sommes trop fatiguées pour entamer la visite des joyaux sus-nommés, nous partons à la découverte de Bristol. Nous essayons de ne pas nous arrêter aux habitations sales, tristes et délabrées que nous longeons en traversant la banlieue Est (traditionnellement la plus pauvre des villes) et attendons le centre-ville pour nous faire une idée. Las, la ville est laide. Même les vieilles pierres sont sans charme, telles les ruines de l’abbaye utilisées comme entrepôt-dépotoir par les jardiniers de la ville.

Bristol me fait l’effet de Glasgow : une ville qui n’a pas grand intérêt si on n’aime pas picoler. Nous tombons d’accord avec Mum : nous préférons définitivement l’Angleterre des salons de thé à celle des pubs. L’Angleterre posh, quoi. Bristol restera dans nos souvenirs comme une running joke : à Bath, à Oxford puis dans les villages pittoresques des Cotswolds, on s’excusera l’une auprès de l’autre, je suis désolée, je sais que tu aurais tellement préféré Bristol…

En suivant le fleuve, nous arrivons dans une zone à mi-chemin entre les docks londoniens et le canal Saint-Martin au niveau de la Villette, qui grouille de bars bruyants (il est l’heure de la bière). Au moins est-ce vivant. Près de l’eau, un pantin pendu par les pieds est secoué en tous sens au bout d’un élastique. En nous approchant de l’engin de chantiers auquel il est suspendu, nous découvrons que ce n’est pas du tout un pantin, mais un humain en chair et en os — en vertèbres malmenées, même. J’ai du mal à imaginer que les gens paient pour exercer cette violence sur leur corps, sans qu’aucun système ne sécurise un alignement minimal de la colonne vertébrale.

Entre la bagnole, la marche et le bruit, nous sommes rincées. Le rapport kilomètres / mirettes (neuf / bof) est le plus mauvais du séjour. Quelque part gris, Mum me parle d’un souvenir d’Italie en réalité norvégien, sis à Oslo. Quelque part gris encore, nous cherchons le plus court chemin pour rentrer. On a repéré un restaurant indien pas loin du AirBnB, ça fera l’affaire. Ça fait plus que l’affaire : Msala Library est probablement le meilleur restaurant indien où j’ai jamais mangé, goûtant un plat inouï de mes papilles — des épinards aux pignons de pins, raisins secs, oignons caramélisés, épices et piment, perfect balance between sweet & spicy je confirme. On répète delicious plein de fois, les serveurs papadoum (nous déclinons à chaque fois, les plats sont trop bons pour perdre de la place en galettes).

De Bristol, outre ce restaurant indien, je retiens surtout notre AirBnB, non pour quelque charme AirBnBesque standardisé ou pittoresque, mais pour l’amusement de deviner  qui y habite. La bibliothèque et un certificat encadré indiquent que l’on dort chez un psy… sportif ? (des suppléments protéines dans les placards)… buveur de thé (trois boules à thé en forme de boule plus une pyramidale, soit tout de même quatre boules à thé pour un seul homme)… raffiné ou bien conseillé (c’est évidemment un biais sexiste, mais j’imagine spontanément les mugs Morrison, le bain moussant à la lavande et les bougies autour de la baignoire choisis par une femme). En tous cas, on y dort très bien — et Mum, les jambes surélevées, parce que la visiteuse japonaise avait raison : les sols ne sont pas droits.

Ombres d'une plante et d'une armoire massive au pied d'un escalier, sous lequel un espace de rangement est fermé par un rideau
Le monstre sous l’escalier était en réalité une plante.

Les friend awards semblent être un truc apprécié des Anglais. Il y en avait un dans la chambre que j’occupais à Brighton : la classe félicitait cette petite fille pour être une super camarade, toujours prête à partager ses expériences, mais aussi à écouter et aider les autres, toujours de bonne humeur, adorant la gym, etc. Quelque chose à mi-chemin entre le portrait chinois et l’évaluation de soft skills qui ne rentrent pas dans le cadre scolaire mais qu’on voudrait valoriser. À Bristol, un équivalent pro est affiché au-dessus de l’imprimante ; il détaille à quel point notre hôte a été un excellent compagnon d’équipe et énumère tout un tas de qualités et d’événements souvenirs, comme le fait qu’il fasse un ketchup maison meilleur que le ketchup (ou était-ce une soupe ? je ne me souviens plus). Est également mentionné le fait qu’ils ne mentionneront pas l’épisode de l’écureuil ; depuis, cela me taraude : what on earth happened with that squirrel, Alex? I need to know. (I never will.)

Bright Brighton

Une porte jaune vif dans une maison bleu, collée à sa voisine rose

Mercredi 14 août

À notre arrivée à Brighton, le AirBnB sent l’humidité. Ou le renfermé. Une odeur pas agréable, forte. Je répugne à rentrer après être ressortie pour dîner. Mum prend la chambre du haut et je dors dans celle d’une petite fille qui fait du foot, de la musique, de la gymnastique et de la danse — il y a un diplôme de la Royal Academy of Dance au-dessus du lit. J’envoie une photo à N. (nous avons toutes deux commencé la danse avec cette institution) et elle fond : avec distinction, en plus !

Le pub du coin de la rue a
des burgers VG à la carte (oui, au pluriel, il y en a deux, nous commandons les deux)
une table haute pour bébé
une cookie jar remplie de biscuits pour chien
une guirlande de photos de chiens
un serveur adorable
une tablée de femmes qu’on imagine mères de famille ou pas du tout, ça pourrait être une soirée entre copines, Tupperwear ou queer
— une atmosphère familiale qui, pour tout dire, ne correspond pas à l’idée que je me faisais d’un pub.
Comme la pizza de la veille, frites et burgers se digèrent étonnamment bien.

…

Jeudi 15 août

Je petit-déjeune d’un scone au fromage assez gros pour, peut-être pas assommer quelqu’un avec, mais disons briser une vitre. Difficile de ne pas jouer avec telle nourriture : Mum immortalise mon (sur-jeu) de casseur agressif. Nous nous attardons à la table du petit-déjeuner bien après avoir fini de manger ; il est si agréable de discuter sous l’ouverture du toit vitré et les quelques rayons de soleil qui nous tombent dessus.

Lumière matinale sur le mur

Les habitants ont dû emporter leur sèche-cheveux au camping ; j’agite les miens au-dessus du grille-pain (McGyver ne sort pas la tête mouillée quand il fait frais). Comme convenu, ils ont en revanche laissé leur chat : Bobby-the-cat est très câline quand il s’agit d’obtenir sa pâtée.

Boutique violette de Fish & chips au premier plan, puis une maison bleu sombre avec une porte orange vif

Le AirBnB se trouve dans un quartier résidentiel en hauteur. Des rues pleines de petites maisons de couleurs pas toujours assorties : un brouillon de color artist qui ferait des essais pour sa palette perfect. Au niveau individuel, entre murs et porte, ça marche parfois, mais il faudrait un graphiste pour harmoniser les couleurs des rues, en camaïeux ou teintes qui tranchent.

Lampadaire à moitié cassé sur fond de ciel gris tempête

Sur le front de mer, on trouve la fameuse jetée, évidemment, mais on n’imaginait pas le contre-champ comme ça, ni l’une ni l’autre, pas si grande ville, pas avec des bus à deux étages à deux rues de là. Il y a un petit côté destroy aussi, qui peut-être empêche le kitsch ? Authenticité de la peinture corrodée.

Un bout de plage, un gros manège jaune-orange sous un ciel gris tempête et l'enfilade des immeubles dépareillés sans charme qui forment le bord de mer

Sur la plage, les mouettes : they own the place. Quatre jeunes gens en maillot de bain vont dans l’eau, entre les deux drapeaux qui délimitent l’aire de baignade, dans le vent, le froid et les rouleaux. On les regarde sous la capuche de nos hoodies, les mains un peu plus enfoncées dans les poches.

Mouettes et transats rayés sur une page de galet avec au seconde plan "Brighton Palace Pier"

À 15h, nous déjeunons indien au milieu d’une forêt magique de guirlandes lumineuses et de cordes : les lianes ne sont autre que les tenants de balançoires, à l’amplitude restreinte par des chaînes pour qu’on n’aille pas faire du tape-cul aux voisins. Le serveur propose des chaises normales comme alternative, mais évidemment nous préférons the fun ones. Et le cœur et le corps balancent devant la carte. Nous découvrirons plus tard que le restaurant est franchisé : watch out for Mowglie.

Mur et plaque de rue qui disparaissent sous les graffiti

Les peluches Jellycat se multiplient dans les vitrines : des marshmallows chez Waterstone, une aubergine Dracula dans une boutique de jouets, une grosse mouette en peluche sur une maison de souris un peu plus loin. Toujours l’enfance, partout. Et l’inventivité graphique. Dans les papeteries, sur les présentoirs des cartes postales, les devantures des magasins et les murs de la ville, omniprésente. Les o des DoNUTS volent.

Auvent rayé et tableau naïf pour une rue commerçante

Peluches Jellycat

Ni couleurs, ni revêtement, ni métaux : le Royal Brighton Pavilion ne nous emballe guère avec ses formes indianisantes sans aucun atour. Nous le contournons, dubitatives, en cherchant toutes les quotes qui pourraient résumer le lieu :

« Une maquette en attente d’être peinte. »
— la souris

« Comme si on avait mis du fond de teint et oublié de se maquiller. »
— Mum

Le seul véritable attrait de ce bâtiment est de n’avoir rien à faire là. Incongru, je l’aime autant en silhouette sur les poubelles de la ville. Une photo que je n’ai pas prise : le pochoir blanc du Royal Pavillon sur une poubelle vert sombre devant une maison vert clair.

Un bout du Royal Pavilion parmi les toits

Bow window dont la fenêtre est tenue par une bouteille en verre

Le crachin nous fait accélérer le pas — en montée. La soupe réchauffée est tout indiquée. Mum s’endort devant Les Animaux fantastiques, alors que je suis tout heureuse de retrouver le Niffleur et les fossettes d’Eddy Redmayne. J’ai l’impression de l’avoir vu hier. Hier il y a 8 ans.

…

Vendredi 16 août

Au réveil, je repense au SDF croisé sur la promenade près de la plage dans son sac de couchage, la tête relevée par le coude, un Philippe Katherine Poséidon qui regarde passer les touristes. La lumière filtre à travers les rideaux, projette sur le mur des rayures chargées de la couleur des boules en papier qui enguirlandent la fenêtre. Je me rendors. Au réveil, j’ai l’impression que je pourrais dormir toute la journée, enveloppée dans la douceur de l’oreiller et de la couette, pourtant pas si douce. Toutes les sensations me semblent pouvoir être ressenties avec volupté. La fraîcheur du (beau) jour en passant la tête par le vasistas. La proximité de la mer invisible autrement que par le cri des mouettes.

Écureils anglais
Attention, un squirrel peut en cacher un autre.

Cette fois nous descendons jusqu’à la mer par Queen’s Park – l’occasion de croiser des écureuils et des nénuphars en cage (leur nature expansive contenue par des espèces de casiers à homard, des mouettes pour geôliers). La mer en vue n’est pas pour autant directement accessible. Passage souterrain à emprunter, voies à traverser, murets à enjamber : c’est comme en Calabre, la plage se mérite. Et elle a ceci de génial : des toilettes publiques (certes partagées avec les mouettes, dont une perverse qui ne me quitte pas des yeux).

Plage de Brighton

Plage de Brighton avec au premier plan un bout de rambarde turquoise rouillée

Plage de Brighton au second plan, derrière un fronton sombre et une rangée de poubelles

Il fait beau. Presque chaud. Beaucoup plus beau et beaucoup plus chaud qu’on aurait pu l’escompter en partant ce matin — sans maillot de bain. Entre les vagues si grises hier et l’air si frisquet ce matin…  Je regrette. J’envisage me baigner en culotte et serais presque prête à faire fi de la gêne seins nus s’il n’y avait le froid et l’humidité à mettre en balance pour la suite de la journée. C’est trop bête. Cela prend si peu de place, un maillot. Sur un coup de tête, j’abandonne le conditionnel passé (j’aurais du) et décide de faire l’aller et retour, vingt-cinq minutes de marche en dénivelé, pour aller chercher maillot et serviette.  Je laisse Mum dorer somnoler sur la plage et me lance, transpirante, enthousiaste, dans ma virée un peu folle, un peu fofolle.

Séparation colorée gris et rose de deux maisons mitoyennes

Séparation colorée de deux maisons mitoyennes : une bleu avec porte orange et une jaune avec porte gris sombre. Devant la seconde est garée une voiture bleu pastel qui fait écho à l'autre maison

Je marche seule à grande enjambée, prise d’un sentiment de liberté vivifiante, vole quelques photos au passage, suis enfin de retour, puis dans l’eau. Cela aurait été trop dommage de louper ce bain de mer, mon unique occasion du séjour et de l’été. La brasse face au Pier a quelque chose d’improbable. Moins cependant que la discussion que j’engage dans l’eau avec une Allemande de Cologne, qui a laissé son boyfriend sur la plage. On échange des banalités puis des tips, elle me conseille The Little tea room in The Lanes et je tente de lui décrire le cheese scone :
— It’s like Brot und Käse, only…  
— … only better, that’s what you’re trying to say ? elle rigole.
Je cherchais juste : plus chmouch chmouch, plus moelleux. Fluffy? Mon anglais est rouillé.

Silhouette au bord de l'eau qui relève son pantalon

Gros plan sur une rambarde en fer forgé avec la mer floue en arrière-plan

Lunch time : sandwich triangle et pas triangle. 2 x 2£ et nous nous promenons sur le Pier, dénichons deux transats un peu éloignés des attractions bruyantes. Ici, les glaces à rien sont servis avec un bâtonnet de chocolat : whip & flake, je dois goûter. Après quelques stands hors de prix ou en rupture de stock, c’est chose faite : le bâtonnet s’émiette, on dirait une stracciatella en kit, non mélangée. On digère et on somnole sur un banc étoile pas loin de la maison renversée qui marche sur le toit puis on longe la plage longtemps, jusqu’à une langue de pelouse et un Crescent bien peu balnéaire qui s’avèrent appartenir à la commune suivante, Hove.

Barrière en fer forgée blanche et panneau "Risk of death or serious injury Don't jump in the water"
J’adore cette précision anglo-saxonne (s’il y a danger de mort, on se doute qu’il y a a minima danger de graves blessures).

Transats rayés devant les ruines du concert hall sur pilotis

Mum toute floue avec son cornet de glace
L’erreur de réglage me rappelle les photos argentiques de mon enfance.

Après quatorze kilomètres de balade dans les pattes, nous sommes de retour. Ratatouille et œufs cassés dedans façon chakchouka, nous dînons à la maison. Puis regardons la fin de Fantastic Beasts. J’ai décidément grand plaisir à le revoir.

Ruines du concert hall sur pilotis encadré par les décors d'un kiosque