C’est un nouveau roman, ce n’est pas une belle histoire

c’est une écriture d’aujourd’hui. Génération zapping avant l’heure. Imaginez que vous êtes assis dans votre canapé avec deux amis ayant chacun une télécommande et des goûts très différents. Ils n’arrêtent pas de se battre, de changer continuellement de chaîne. Un grand plan de bataille de péplum dérive en un regard larmoyant d’un baiser bien mélo. Et au moment où les deux bouches allaient s’unir, vous vous faites agresser par un zoom sur le dard d’une espèce rarissime de scorpion qui habite dans le désert sous les touffes de cram-cram. Alors que vous commenciez à vous intéresser malgré vous aux vertus piquantes de ces boules sèches, vous entendez la question fort épineuse de qui veut gagner des millions. Vous n’aurez pas le dernier mot, Louis de Funès est déjà en train de vous seriner que Monseigneur, il est l’or, l’or de se réveiller. Et effectivement, sursaut musical de Simple plan dans la pub de Citroën. Ce n’est pourtant pas compliqué, le mobile du crime ne peut être que l’héritage. 25 cm la minute et 150 SMS offert pour le premier mois de souscription. Un mois, c’est la durée de gestation du scorpion. L’autre pleureuse du mélo est maintenant en train d’éplucher son horoscope – ascendant agaçante. 

      Très amusant à écrire. Moins à lire, surtout quand cela s’étale sur une vingtaine de pages. Les images se succèdent, s’impriment, se fondent les unes aux autres, et au final, vous avez passé la soirée dans un puzzle d’images dont on imagine les manques et que l’on colle tant bien que mal à la suite en un nouveau scénario. L’entremêlement des voix tisse un récit et noue l’intrigue, mais là, c’est étourdissant. Il me tourne la tête. Il est épuisant. Il faudrait des conjonctions de coordinations. Des conjonctions de subordination seraient les bienvenues. Il faudrait vraiment. Ce hachis en pages grammage 90g, 12 cm par 19 cm, sur 476 pages, c’est beaucoup. C’est amusant pourtant. C’est étourdissant. Assourdissant. S’il vous plaît, monsieur Claude Simon, ne voudriez-vous pas demander à Kant de vous prêter quelques mots de liaison ? Vous n’êtes pas liés tous deux ? C’est fâcheux. Tentez Hegel, alors. A lui non plus, ça ne lui fera pas de mal d’apprendre en retour à arrêter le fil de sa pensée de temps en temps. Sur ce, filons. A l’anglaise si cela vous chante. Et si cela vous enchante, tant mieux. Le désenchantement n’est jamais bien loin. 

  • Les Géorgiques, Claude Simon, éditions de minuit
  • Pas de connaissance précise de la gestation du scorpion, ni de l’opérateur à contacter pour l’offre mobile. Et je sais encore moins si la mélo a réussi à ne pas pleurer à son mariage. Quant à Louis de Funès, pas d’inquiétude, sa cassette est toujours bien gardée.
  • PS après quelques pages supplémentaires de lecture : en fait, on s’y fait. On se fait au fait d’être dans l’incertitude. Puis l’écriture est assez virtuose. Affaire à suivre.

7 réflexions sur « C’est un nouveau roman, ce n’est pas une belle histoire »

  1. Oui je dois dire que pour ma part ce type d’écriture me laisse totalement froid. Mais j’ai trop longtemps été abreuvé de littérature « hussarde », peut-être suis-je tout bonnement inapte à lire ce langage quelque peu destructuré? Bravo pour ce très beau blog, je le mets en lien sur le champ : )

    1. Il paraît que ça fait la même chose pour la Phénoménologie de Hegel. Puisque vous en êtes une lectrice maintenant vous pouvez m’en dire quelque chose XD

    2. et là, après avoir ingurgité un pêle-mêle géographique asiatique à tendance orientale, je me demande « mais qu’est-ce qui m’a pris de venir ici… faut avoir l’esprit frais bordel… »

      Je relirai demain, ça ira mieux!

    3. >> Aurélien, bienvenue dans mon immodeste demeure… Pas apte à lire une telle écriture ? Mais qui pourrait l’être ? Je crois qu’il faut accepter de se faire bousculer par l’auteur, même si c’est agaçant pour nos petites habitudes de lecteur… enfin, je ne vais pas faire une thèse alors que je n’ai lu que la première partie du roman… et merci, au fait, j’ai failli oublier *méchant Dobby, méchant*

      >> Incitatus : en même temps, mieux vaut ne pas trop me parler des pièces de théâtre au programme, ni de la dissertation qui menace…

      >> Irrlichter : dans la Phénomenologie, je ne comprends globalement que les mots de liaison (pas les liens logiques, hein, il ne faut pas non plus rêver) tandis qu’avec Claude Simon, la phrase fait sens. Et puis finalement, c’est assez agréable ce brouillard, on se laisse errer dans les chemins déjà tracés. On ne voit pas ce qui va arriver, mais en même temps pas de risque de se perdre… curieux, curieux.

      >> Fleur : assez génial, je dois en convenir. (au vrai sens de génie)

      >> Blu3scar, la prochaine fois, je te ferai un collier de perle ^^

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