Dans Gastrophysics, l’auteur remarque que les aliments retiennent davantage l’attention et stimulent mieux l’appétit lorsqu’on les voit en mouvement : à la nature morte se substituent dans notre esprits des ingrédients frais. Eric Khoo, le réalisateur de La Saveur des ramens illustre cela mieux que n’importe quelle expérience pseudo-scientifique : comme la dessinatrice des Petites distances, qui ajoute de la buée au-dessus de tous les plats et boissons chaudes que ses personnages ingurgitent, il filme à ras les marmites le mouvement de l’eau de cuisson, wannabe bouillon : ça frémit et ça fume ; les aliments s’agitent et les heures à laisser mijoter assurent qu’on aura bien salivé au moment de goûter.
Cela donne faim tout autant que patience, car tout dans la vie des personnages semble obéir au même principe : il faut laisser mijoter. À la mort de son père, Masato hérite de son restaurant de ramen et d’une valise pleine de souvenirs qui l’invitent à retourner sur les traces de son enfance et de sa mère, Singapourienne qui a été la muse culinaire de son mari japonais et la honte de sa mère, laquelle l’a reniée pour avoir convolé avec l’ennemi. On devine assez facilement comment les choses vont évoluer une fois que Masato a retrouvé son oncle, qui le prend sous son aile (sa faconde achève de tirer le film hors d’un mutisme nippon déjà entamé lors de conversations assez directes avec l’autre oncle), et sa grand-mère, qui ne veut pas en entendre parler. Peu importe ; on ne commande pas un ramen ou un bak kut teh (son équivalent singapourien) pour être surpris – ou alors par ses saveurs, plus subtiles en bouche que le souvenir qu’on avait en tête : chaque dégustation partagée est ponctuée d’onomatopées de régal, et c’en est un que le film tout entier, son histoire familiale pudiquement voilée-dévoilée dans les volutes de vapeur.
Mit Palpatine