L’histoire n’a jamais été ma tasse de thé. L’histoire politique, plus précisément, celle qu’on nous fait apprendre par cœur et par dates. Je trouve en revanche fascinante l’histoire des mentalités, pour peu qu’elle ne se transforme pas en statistiques, parce que bon, le nombre de catholiques qui vont à la messe tous les dimanche versus ceux qui pratiquent seulement lors des grandes fêtes, cela me fait autant d’effet que le pourcentage des foyers électrifiés à la campagne en 1910 ; j’ai appris ces chiffres pour le concours, ils étaient oubliés le lendemain.
Le jour où j’ai eu l’intuition que l’histoire pouvait être fun (pour l’intérêt, c’est lorsque j’ai enfin compris que la dissert d’histoire fonctionnait sur le même principe que celle de philo), c’est lorsque Mimi nous a parlé de l’existence du Miasme et de la jonquille, une étude de Corbin à partir des odeurs du quotidien, ce qui m’a immédiatement fait penser au Parfum de Süskind ( l’ intuition et non la certitude parce que je n’ai pas lu ledit bouquin, il ne faut pas pousser, j’ai déjà L’Avènement des loisirs qui attend d’être rouvert pour être définitivement refermé). On peut donc faire de l’histoire avec n’importe quoi, sous les angles de vue les plus improbables. J’aurais pourtant du m’en douter, s’il est vrai que l’histoire de la danse n’avait jamais suscité en moi le rejet de sa collègue politique.
Dans Le Corps photographié, John Pultz et Anne de Mondenard croisent histoire de la photographie (corps moins figé à mesure que le temps de pose diminue ; possibilité de suivre les mouvements avec des appareils de plus en plus légers…), histoire des mentalités (du puritanisme qui filtre la sensualité jusqu’à la libération sexuelle) et histoire politique (la photo témoignage à la libération des camps ; développement du photoreportage avec les conflits de la guerre froide). On voit évidemment défiler noms et dates, mais toujours avec intelligence, s’il est vrai que le découpage en période recouvre des thématiques précises. La période récente, avec ses photos de guerre, de propagande, de publicité ou de mode, m’a moins surprise que l’émergence de la photographie au XIXème siècle, avec ses problématiques et ses potentialités.
Je n’aurais par exemple pas d’abord songé au recours de la photo par l’ethnologue pour assouvir et donner un caractère plus « scientifique » à son hystérie classificatrice, ni par les médecins pour tâcher de trouver des similitudes physiques entre les malades mentaux, technique bientôt récupérée par la police pour établir des portraits robots et tâcher de définir une physionomie du criminel (en superposant des clichés de coupables et en effaçant les particularités personnelles jusqu’à trouver des caractéristiques communes – tout à leurs théories fumeuses, ils n’ont pas pensé qu’ils obtiendraient un portrait similaire en procédant à la même manipulation avec des photos de victime, par exemple).
La photographie est bien d’abord une technique. Il est à ce titre assez fascinant d’observer ses interactions avec la peinture. Dans un premier temps, les photos permettent de réduire considérablement le temps de pose du modèle, elles sont un outil de travail. Ou un prétexte pour les amateurs du corps féminin, qui récupèrent ces photos -des nus, évidemment-, jusqu’à ce que se développe en parallèle une production pornographique qui circule sous le manteau. A quelques exceptions près, le corps masculin met alors du temps à devenir un sujet photographique… (et ne permet pas encore de se rincer l’oeil comme elles le voudraient pour certaines ; les dieux du stade n’étant pas mon idéal, je serais assez d’accord avec elle ^^)
La photographie va certes permettre à la peinture de se libérer de son obsession mimétique en vertu de sa qualité d’enregistrement du réel, mais c’est précisément cette qualité qui retarde la constitution de la photographie en tant qu’art, tournant opéré dans la première moitié du XXème siècle, en particulier avec les avant-gardes. Le corps est pris par le photographe sous les angles les plus improbables pour des formes toujours nouvelles, en plongée, contre-plongée, cadrage fragmentaire, « n’hésitant pas à déformer, déstructurer les corps qui devenaient ainsi volumes, matières, objets au même titre qu’une hélice d’avion ou une proue de bateau ». Il y avait notamment une photo de Moholy-Nagy, que je ne retrouve pas, mais qui prenait en contre-plongée un corps qui montait à l’échelle en corde d’un bateau, dont on ne voyait plus que les jambes, désarticulées, graphiques. « Moholy-Nagy ne cherche pas à donner une représentation cohérente du corps. Il choisit un point de vue inédit à partir duquel il construit une image dynamique. » On aurait dit une ébauche de Kandinsky géométrique ; la photographie artistique ne s’est peut-être finalement pas abstraite de la peinture… son champ propre serait alors bel et bien le reportage, le témoignage (Barthes n’est jamais loin).
D’autres analyses m’ont évidemment frappée dans ce livre, mais elles sont plus ponctuelles, parfois presque anecdotiques, si bien que j’y reviendrai peut-être lorsqu’un jour, oubliées, une situation les fera ressurgir, et alors, connectées les unes aux autres, elles feront véritablement sens. En attendant, je garde mes notes informes pour moi ^^
Il serait un peu facile – et prétentieux! – de te dire que si tu as ainsi souffert en histoire, c’est à cause de mauvais profs… Mais c’est sans doute un peu vrai aussi: même les années de concours, je me suis éclatée – bon, ok, je suis historienne, ça doit aider à aimer l’histoire!
Mais c’est sans doute plus parce que ton expérience de l’histoire se limite au lycée et au concours, pas forcément très stimulants… Mais en hypo, c’était pas bien non plus?
C’est dommage de voir l’histoire ainsi réduite à une succession de dates et de chiffres à apprendre (et pour tant de gens c’est ça, même pour mes étudiants, ça me désole): on s’en fout, des dates. De toute façon on les trouvera toujours notée ici ou là. C’est la réflexion autour qui compte, le regard sur les source, et ce qu’on fait des données. Tes catholiques, par exemple, sont assez chiants vus comme ça, et pourtant ces chiffres vont parler de l’évolution de moeurs, des pratiques, et hop, on arrive en histoire sociale et culturelle. Et même l’histoire politique, ça peut être cool, pourvu qu’on s’intéresse un peu aux théories politiques et au fonctionnement de l’Etat…
(et oui, Süskind s’est largement inspiré de Corbin!)
(et je note le bouquin, sisi, ce commentaire n’est pas juste là pour étaler ma vie)
Et au fait, le mémoire? Rétréci?
Pas du tout, j’ai eu pendant mes trois années de prépa le même et excellent prof d’histoire – d’ailleurs connu bien en-dehors des limites du lycée, jusque sur la montagne Saint-Geneviève, grâce à son site si… lui ( minaudier.com, what else ? ). C’est grâce à lui que j’ai compris que l’histoire, c’était en fait de la philo (j’étais en spé philo pour rappel), à ceci près qu’on travaillait sur un possible qui s’était effectivement actualisé et non sur un possible pensable. Faire des liens, démêler le signe annonciateur de sa banalisation, doser les faits d’arrière-plan jusqu’à trouver l’équilibre qui les transforme en cause… Puis quand dans une khôlle sur les arts, je peux caser Loïe Füller, ça me rend heureuse ; ou en reprise sur un sujet concernant les loisirs des français, entendre le prof chercher tout ce qui est exploitable : « pense par exemple à la chasse, suivie d’un banquet, ou aux gâteaux à la sortie de l’église : ce n’est pas un hasard s’il y a à Versailles les meilleures boulangeries de France et de Navarre ! ».
Non, ce qui me déplaît fondamentalement, c’est l’histoire politique. Je sais bien que cela fonctionne pareil, qu’on peut s’amuser de ce que la plupart de la droite actuelle sur l’échiquier politique du début de la troisième République aurait été complétement à gauche, mais l’ennui revient vite. Même (et surtout) dans la forme de ses débats actuels, je ne parviens pas à m’intéresser à la politique. C’est bien pourquoi j’ai précisé : ce n’est pas l’histoire que je n’aime pas, mais (l’histoire de) la politique. L’histoire des mentalités, je trouve ça fabuleux, en revanche, et les cours (nourris de BD et d’expériences familiales – les notes en bas de pages sont pour cela à ne manquer sous aucun prétexte) ne mentionnaient qu’en passant les chiffres qu’on allait retrouver ensuite dans les polys tant ils étaient lâchés avec approximation, pour se faire une idée.
Pour répondre à ta question sur l’hypo et terminer mon ode à Mimi, il faudrait préciser qu’il nous a fait étudier en marge du programme la naissance de l’islam et que ce décentrement était salutaire et passionnant.
Rassurée ?
Pour ce qui est du mémoire, rétréci, imprimé, rendu, soutenu, noté, fini. ^^
Oh, mais je n’étais pas inquiète! Juste un peu enflammée peut-être, il faudrait songer à éviter de commenter par les trop fortes chaleurs…
Je n’ai pas eu l’occasion de livre tout le livre, seulement en feuilleter quelques pages, mais il est très intéressant !