Monoprix monotone


[Une affiche écrémée, ça peut aussi être laid.
(Quand « on prévoit des nuages de lait », je n’y peux rien, ça me rend soupe au lait) ]

Les publicitaires sont parfois platoniciens : le bon, le bien et le beau, c’est tout un. Ils ne vantent plus un aliment pour ses qualités gustatives (il est bon) ni même pour ses qualités nutritionnelles (il est bon… « pour la santé »), mais pour son esthétisme. Je ne dis pas que la grande cuisine ne puisse être artistiquement présentée1, il suffit de regarder de beaux livres de cuisine pour s’en convaincre, mais Monoprix ne fraye pas franchement avec la gastronomie et fait le beau par stratégie d’évitement.

 


[Petit rappel au passage d’une campagne précédente, « Non au quotidien quotidien »]

On peut ainsi vous vendre de la bouffe bien grasse en faisant croire que le vrai problème n’est pas la junk food mais le junk design – après tout, on finira par les acheter, ces cheeseburgers ou assimilés, alors autant ne pas culpabiliser la clientèle et faire du prosélytisme pour le micro-ondes (qui, comme chacun sait, est, avec Picard, une divinité – oui, c’est une religion polythéiste), tout en se réclamant du même laisser-aller que l’acheteur : « Chez Monoprix on est parfois à l’Ouest! » Ils le sont tellement qu’ils n’ont pas remarqué que leur design serait plutôt de l’Est. Comme on n’a pas d’Ostalgiques en France, on joue la carte du rétro bobo, faisant appel à la vieille épicerie fine pour devenir une épicerie chic (et plus chère donc, pas de choc). C’est la seule stratégie que j’arrive à imaginer qui justifie cette campagne de pub dans laquelle il n’y a décidément pas beaucoup d’Idée.

[L’argument « beau » cette fois-ci sans jeu de mot.
Cela ira mieux une fois que le sachet aura infusé et qu’ils auront pu le presser contre leur yeux pour les faire dégonfler.]

Palpatine, à qui je demande de me prendre l’affiche en photo : « Je ne vois pas ce que tu lui trouves, à cette pub ; c’est plutôt nul » – Justement. Nul et efficace. Un pack de lait n’est pas beau, ouvrez les yeux, pas plus qu’une boîte de thé ; on ne cherche effectivement pas à nous faire avaler ça : c’est une marque qu’on nous vend, pas un produit – qui disparaît d’ailleurs (le passage du contenu au contenant est presque obligatoire pour les boissons, mais aucune photo de tomates à prix cassé, Monop’ n’est pas Carrouf’) au profit de son emballage, uniformisé (vous en voyez beaucoup, vous, des briques de thé comme il y en a de jus de fruit ?). Seules les couleurs rappellent vaguement la nature du produit : blanc et bleu pour le lait ; bleu et rouge pour le thé (respectivement les couleurs traditionnelles de l’Earl Grey et de l’English Breakfast) ; jaune et violet pour le cheeseburger (jaune pour le gras, violet pour ce qui n’est pas comestible – hormis l’aubergine… quoique pas de l’avis général) ; vert et rouge pour les tomates.

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[ Rationnement typographique pour faire la guerre au quotidien.]

 

Cette dernière affiche est peut-être la plus réussie, à cause de sa « petite phrase » de sa lisibilité (rayures horizontales, dans le prolongement de l’affiche de gauche),   de son clin d’œil aux conserves de Warhol, tout à fait dans le bouillon de culture du bobo moyen, et de son jeu de mot délicieusement pourri – on ne leur enverra pas de tomates pour autant, car ce serait leur avoir déjà donné raison.

1J’ai appris avec Masterchef qu’on parle de dressage et je m’imagine bien, le cheveu désordonné, ordonner à un soufflé de se lever, le fouet à la main.

5 réflexions sur « Monoprix monotone »

  1. Ce que je préfère dans « la pub à la tomate », c’est la phrase sur la boîte de conserve, qui m’a fait sourire toute seule l’autre jour dans le métro: « Nous, quand on s’ennuie, on pèle des tomates. »
    Sinon, c’est vrai que ces pubs sont laides et sans intérêt.

    1. Personnellement, j’aime bien le design de la boîte de tomates. Je le trouve assez « russe constructiviste ».
      J’ai presque envie de devenir un militant de la tomate, du coup…

    2. Tss tss. J’ai décidé de ne pas relever l’expression « design de l’est ». Histoire de montrer ma grandeur d’âme.
      Mais gn quand même .

    3. inci >> Ce que je préfère dans la tomate, c’est la dernière rondelle, i.e. le chapeau lorsqu’elles sont farcies, où il n’y a quasiment que de la peau…

      pradoc >> C’est exactement ça ! Pour ce qui est du militantisme de la tomate, sa couleur devrait rendre cela possible. Vous pouvez commencer à recruter votre groupe parmi les pizzaiolos et les amateurs de spaghettis bolognese.

      de l’est >> Une pique-lapsus ! J’avais imaginé que vous relèveriez autre chose…

      bambou >> Palpatine, for instance. Mon père aussi. Et comme non, ce n’est pas une manifestation du complexe d’Oedipe, il faut ajouter mon demi-frère.

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